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Violences sexuelles dans la recherche : «Doctorante, on est le premier maillon de la chaîne alimentaire»
Dans l’intimité d’un laboratoire ou lors d’un colloque international, les jeunes chercheuses sont les premières victimes de comportements abusifs à connotation sexiste ou sexuelle. Pour «Libération», plusieurs doctorantes ou ex-doctorantes témoignent. Les procédures disciplinaires demeurent incertaines, malgré une attention accrue du ministère de l’Enseignement supérieur.
Après huit mois de thèse, Julia (1) jette l’éponge. L’ambiance toxique de son laboratoire a raison de son doctorat. Elle mène à l’époque, en 2021, une recherche en physique nucléaire, une discipline identifiée comme masculine. Dans son équipe, les brimades sexistes, qui s’apparentent à du harcèlement sexuel aux yeux de la loi, sont monnaie courante. «Dans les couloirs, à la cafèt, lors de mes présentations, c’est toujours une petite remarque glissée, malveillante.» Du genre «t’es bien une femme pour faire des jolis PowerPoint». Quand ce n’est pas des allusions et des blagues plus douteuses. «On vous compare à un chien, on rit de vous parce que vous avez la bouche pleine. C’est du niveau collège, et tout le monde se marre.» La jeune femme raconte un lourd climat sexiste entretenu par son directeur de thèse en personne. Très vite, elle sollicite un référent du pôle «égalité et parité» de son département, qui lui propose une médiation avec ses «harceleurs». L’idée d’une confrontation directe la met en pleurs. Elle refuse.
Julia peine à alerter la direction de son université de l’Est de la France. «J’ai fait face à des murs», dit-elle. Entamer des démarches pour changer de tuteur, de laboratoire voire de département de recherche peut s’avérer très complexe : le contrat doctoral, principale forme de soutien, notamment financier, attribué aux étudiants souhaitant se lancer dans une thèse, est fléché en fonction de projets scientifiques validés en amont par des pairs et en concertation avec le directeur de thèse lui-même. Dans la plupart des cas, ce dernier est aussi à l’initiative de la composition du comité de suivi de thèse, bureau chargé de veiller au bon déroulement de la formation doctorale. Ecœurée, elle finit par s’isoler. «J’avais peur de sortir de mon bureau pour aller aux toilettes, fumer une clope ou rester tard le soir.» Après deux mois et demi d’arrêt maladie, elle fait un abandon de poste et parvient à négocier son licenciement.
«Mon directeur m’a dit : “Je te baise”»
Un rapport soutenu par la Défenseuse des droits et rendu public en octobre fait état de conditions d’études «grevées par un climat sexiste et sexualisé» dans le milieu universitaire en France, doctorat compris. Au point de «conduire à l’abandon des études ou à des difficultés à suivre des enseignements». Un constat qui corrobore le panorama brossé dans Comment l’université broie les jeunes chercheurs (Autrement, 2022), une enquête effectuée par questionnaire en ligne auprès de 1 800 doctorants et docteurs par Adèle B. Combes, elle-même docteure en neurobiologie : 25 % des répondants disent y avoir «subi une situation à connotation sexuelle ou sexiste au moins une fois durant leur doctorat». L’encadrant de thèse est souvent cité comme l’auteur des agissements, même si de telles situations impliquent aussi des collègues aux statuts variés et sensiblement du même âge que les victimes. «Une fois, mon directeur m’a dit : “Je te baise”», confie une ancienne doctorante à Adèle B. Combes.
Proche de la quarantaine, Sandrine (1) est aujourd’hui une chercheuse titulaire en sciences de la Terre. Elle dit avoir été violée par son supérieur hiérarchique alors qu’ils étaient en mission sur le terrain. Les faits remontent à une dizaine d’années mais elle ne porte plainte qu’en 2020, comme l’atteste un procès-verbal consulté par Libération. «J’étais jusqu’à il y a peu dans une situation précaire où j’enchaînais les contrats s’étalant de quelques mois à quelques années. Je reste persuadée que si j’avais parlé, je n’aurais fait que briser mon rêve de devenir chercheuse. Il s’agit d’un petit monde où les relations professionnelles s’entremêlent aux liens amicaux. Ça m’aurait porté préjudice sans que ça l’atteigne lui. C’est quelqu’un de très charismatique, j’étais fière de travailler avec lui. Je n’ai rien vu venir.»
D’après son récit, ni son désir ni son consentement n’ont été interrogés pendant l’acte. Après les faits, elle raconte des années «en mode pilote automatique» et un travail de longue haleine chez des psychothérapeutes et des gynécologues pour retrouver le «goût de la vie». En parallèle de la procédure judiciaire, une enquête administrative est en cours au sein de l’institut parisien employeur du mis en cause au moment des faits.
Certaines doctorantes en viennent à redouter les colloques scientifiques. Cadre idéal pour diffuser ses résultats et débattre entre pairs, les séminaires et autres congrès internationaux sont aussi des lieux propices aux situations de harcèlement et d’agression. Aujourd’hui jeune docteure en études politiques, Manon (1) se souviendra toujours de son premier colloque et ses commentaires dégradants. Alors que son directeur de thèse la présente à des collègues, l’un d’eux remarque : «On comprend pourquoi tu l’as choisie, tu t’emmerdes pas mon salaud.» «Comme si je n’étais pas là», se remémore-t-elle.
Selon elle, les gestes déplacés lors de ce type de rencontres sont récurrents. «Lors d’un nouveau colloque à l’étranger, je parle avec un ponte de mon domaine, quelqu’un de plus âgé et dont je cite les écrits dans mes recherches. On logeait dans le même hôtel. En rentrant, il me propose un verre au bar. Je préfère montrer me coucher. Il m’accompagne et fait le piquet devant la porte de ma chambre. C’était en 2018, je finissais ma thèse, j’étais effrayée et sans recours. Avec le recul, je comprends qu’il a interprété mon intérêt pour son travail comme un blanc-seing.»
«Vieux profs un peu dégueu»
Les colloques constituent «un observatoire privilégié pour analyser la ligne de tension entre consentement et abus de pouvoir», écrit Farah Deruelle, doctorante en sociologie à Toulouse Jean-Jaurès, dans la revue Terrains et Travaux (Cairninfo, 2022). «Ainsi, si la proximité physique entretenue par les colloques autorise les transgressions de toutes sortes, leur confinement géographique assoit le sentiment d’omnipotence des auteurs de violences, constate-t-elle au terme d’une enquête menée au sein d’une délégation régionale du CNRS. Dans un mouvement parallèle, il favorise aussi leur non-dénonciation, chez des victimes plutôt résolues à les subir.»
Car ces journées d’études, où circulent promesses d’embauche, projets de publication, opportunités de collaboration avec des entreprises et d’intégration de sociétés savantes, sont des espaces d’échanges informels indispensables au développement d’une carrière naissante. «En recherche, il se passe plein de trucs au bar. Moi, c’est comme ça que j’ai trouvé mon postdoc», raconte une chercheuse en biologie à Farah Deruelle.
Pour Manon, être une femme, jeune et de surcroît doctorante, c’est la triple peine. «On doit supporter les autres doctorants, les docteurs, les enseignants-chercheurs un peu plus installés et certains vieux profs un peu dégueu en fin de carrière, résume l’ancienne thésarde. En fin de compte, jeune doctorante, on est le premier maillon de la chaîne alimentaire.» Un statut d’autant plus vulnérable que le secteur de la recherche, où les titularisations sont rares, est marqué par une forte concurrence.
L’horizon professionnel s’assombrit plus encore pour les femmes : trois ans après l’obtention de leur doctorat, elles gagnent en moyenne 7 % de moins que leurs homologues masculins et sont 63 % à accéder à un emploi stable contre 68 % des hommes, d’après les données du ministère de l’Enseignement supérieur. Et si elles sont aussi nombreuses que les hommes en doctorat, toutes filières confondues, elles ne sont que 35 % à occuper des directions de thèses et 29 % à devenir professeures des universités, l’un des postes les plus prestigieux du monde académique.
Les situations abusives ne se déroulent pas que dans l’intimité d’une relation de subordination propre à l’encadrement doctoral. En septembre 2021, Léa vient à bout de sa thèse en mathématiques au prix d’une dégradation de son état de santé physique et morale. En cause, le harcèlement sexuel qu’elle subit de la part d’un collègue de labo pendant près d’un an, jusqu’à l’agression. «Dès qu’on se croisait, il me faisait des réflexions sur mes fesses, mes seins ou comment j’étais habillée, que je mette un col roulé ou une jupe. Je me suis surprise à réfléchir à quelle tenue j’allais mettre le matin pour être tranquille au bureau. Puis, il a commencé à me toucher, à mettre ses mains sur mes épaules, au niveau de la taille sans s’apercevoir que ça me gênait.» A plusieurs reprises, elle lui demande d’arrêter. Il insiste et tourne sa requête en dérision. Un soir lors d’un verre entre collègues : «Il m’a glissé la main sur la cuisse et l’a remontée sous ma robe jusqu’à mon sexe. Je lui ai tout de suite retirée. Je lui ai fait comprendre que je ne voulais pas mais il m’a quand même suivie jusqu’à chez moi.»
Opacité des procédures disciplinaires
Après l’agression, Léa déserte autant que possible le campus et consulte un médecin spécialisé en psychiatrie à plusieurs reprises. Elle n’envisage aucun recours en justice mais dépose une main courante pour signaler la situation. «L’ambiance de travail est déjà assez pourrie avec les histoires de manque d’argent, de manque de postes… On est tous un peu dans la même merde, je ne voulais pas que ça aille trop loin.» Ce n’est qu’en apprenant que d’autres doctorantes ont elles aussi eu affaire à son agresseur, que son directeur de thèse était au courant de faits similaires précédents et qu’après une suspension de contrat son collègue avait été autorisé à reprendre son poste, qu’elle porte plainte. Elle se constitue partie civile. Son dossier remonte au procureur de la République qui retient le qualificatif de «harcèlement sexuel». Son agresseur est notifié d’un rappel à la loi assorti de l’obligation d’une indemnisation de 800 euros en échange de la fin des poursuites judiciaires, selon les pièces du dossier consultées par Libération.
Pour prévenir les faits de harcèlement et de violences physiques, un arrêté du 26 août 2022 a renforcé les missions de détection et d’alerte des comités de suivi de thèses, introduits dans la réglementation nationale en 2016. Les écoles doctorales ont désormais l’obligation de signaler à une cellule d’écoute au sein de l’établissement tous les «actes de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel ou d’agissements sexistes» dès qu’elles en ont connaissance.
Tout en reconnaissant qu’il y a «des cas d’abus dans les organismes de recherche comme dans tout milieu professionnel», les garde-fous «sont plus vertueux qu’ailleurs», assure Sylvie Pommier, présidente du Réseau national des collèges doctoraux (RNCP), qui a publié en octobre un guide de suivi de thèse destiné aux écoles doctorales. «A la différence des entretiens annuels en entreprise, les comités de suivi de thèse ne se font pas avec le n + 1.»
De son côté, le CNRS a mis sur pied cette année une cellule de signalements assurant «l’organisation des enquêtes administratives jugées nécessaires», explique le Centre de recherches. «Il y a un réel décalage entre toutes ces évolutions qui sont très récentes et théoriques, et la réalité encore loin de permettre aux victimes de s’exprimer en toute confidentialité», explique May Morris biochimiste au CNRS et coordinatrice d’un programme de mentorat des doctorantes au sein de l’association Femmes et Sciences.
En octobre, la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, annonçait dans le Parisien doubler le budget annuel alloué contre les violences sexistes et sexuelles en 2023, de 1,7 à 3,5 millions d’euros. Si l’institution se décide à agir, les démarches pouvant mener à des procédures disciplinaires relèvent encore du parcours du combattant, pour de multiples raisons : longueur et opacité des procédures, sanctions peu dissuasives ou encore bon vouloir du président d’université, seul à pouvoir décider de saisir une section disciplinaire, selon le code de l’éducation.
«Il reste beaucoup à faire, commente Anne (1), maîtresse de conférences à l’université Toulouse Jean-Jaurès, qui a alerté sur le comportement d’un professeur des universités, déjà mis en cause par le passé. Il y a un véritable plafond de verre, ajoute-t-elle, un professeur des universités qui siège dans un conseil d’administration ou occupe un rôle syndical important reste intouchable car il a trop de pouvoir.» Après n’avoir jamais été inquiété, l’intéressé a pris sa retraite et s’est vu décerner l’éméritat, un titre honorifique. Ce qui l’autorise à continuer d’encadrer des thèses.
Simon Blin
(1) Les prénoms ont été modifiés.
Recherche publique : le désengagement de l’Etat continue
Concurrence entre établissements, laboratoires fragilisés et précarisation des personnels : deux ans après son adoption, les effets délétères de la loi de programmation de la recherche (LPR) se font durement sentir, alerte un collectif de plus 1 000 enseignants-chercheurs.
Durant les deux années précédant l’adoption de la loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030, les personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), les étudiants, les sociétés savantes, la majorité des organisations syndicales, le comité éthique du CNRS, l’Assemblée des directions de laboratoires, l’Académie des sciences ou encore le Comité technique du ministère de l’ESR se sont mobilisés pour alerter sur les dangers de ce projet de loi : manifestations, grèves, tribunes dans les médias, motions, états généraux au sein de nombreux laboratoires et universités et démissions de comités d’experts. Et ce, sans résultat. Malgré une très forte mobilisation à la veille du premier confinement, la loi a été votée en décembre 2020, pendant la pandémie, période peu propice à la mobilisation mais très favorable à un passage en force.
Près de deux ans après l’adoption de cette loi, les premiers effets délétères sont déjà là. Le désengagement moral et financier de l’Etat s’est accentué, remettant en cause les fondements et le devenir de l’Université, du CNRS et des autres organismes publics de recherche.
La dotation des laboratoires en chute libre
La recherche en France est financée selon deux modalités : une dotation de base des laboratoires qui accuse une baisse constante depuis trois décennies et un financement «conditionnel» à travers la mise en place accrue d’appels à projet, essentiellement portés par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Le fonctionnement de l’ANR a déjà été vivement dénoncé par une partie de la communauté : projets trop courts, rédaction très chronophage pour un taux de réussite faible, opacité des évaluations, recours excessif aux CDD, etc. En dépit de ce constat, la LPR accentue ce phénomène, avec une diminution des crédits de base au profit des financements sur projets. Il existe même désormais des appels à projet pour financer… la préparation d’un appel à projet !
On retiendra ici un exemple de circonstance, celui de la recherche sur les coronavirus qui, jugée peu porteuse, n’était plus financée depuis dix ans et qui, comble de l’ironie, a bénéficié en pleine pandémie d’un appel à projet spécialement dédié.
Les chaires «junior» : postes dérogatoires au droit de la fonction publique
Entre 2012 et 2018, les organismes publics de recherche ont perdu 3 650 postes de titulaires, et à l’université les recrutements de maîtres de conférences et de professeurs ont diminué de près de 40 %. Aujourd’hui, près de 25 % des personnels n’ont pas de statut permanent alors qu’ils occupent des emplois indispensables sur le long terme.
Pourtant, la LPR va plus loin encore dans la déstructuration de l’emploi scientifique, notamment avec la création des «chaires de professeur junior» : inspirées du modèle anglo-saxon, elles impliquent une titularisation potentielle après une période d’essai maximale de six ans ; promettant d’attirer les meilleurs scientifiques, elles vont surtout accroître la période de précarité des jeunes chercheurs. Les sections du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) – tout comme des universités – se sont prononcées contre le principe, car le processus de recrutement se substitue au concours national, ce qui induit une inégalité de parcours et menace le recrutement sur postes titulaires.
Non à la «starification» de la recherche
Plutôt que de résorber la précarité des doctorants ou postdoctorants ou d’augmenter le salaire fixe des titulaires (très inférieur à celui de la moyenne de l’OCDE), la LPR privilégie la distribution aux chercheurs «d’excellence» de primes individuelles au mérite. La LPR entérine ainsi la précarité massive de l’emploi scientifique et la mise en concurrence stérile entre individus, mais contribue aussi à fragiliser notre système social : les primes ne sont retenues ni dans les cotisations sociales ni pour le calcul de la retraite. De fait, ce système accroît l’inégalité entre hommes et femmes, ces dernières ayant souvent des parcours plus segmentés et s’autocensurant pour la demande de primes individuelles ou de promotions.
Une des récentes consignes adressées aux agents CNRS : signer leurs publications en priorité du nom de l’université associée à leur laboratoire. De fait, la LPR prévoit de concentrer les moyens au profit des «grandes universités» et des filières dites «prestigieuses» pour les faire progresser dans les classements internationaux, notamment dans le très discutable classement de Shanghai (qui ne concerne que les universités). Quelle conséquence ? L’invisibilisation des organismes de recherche. Que peut-on craindre ? L’augmentation des frais d’inscription par les universités les mieux classées et une exacerbation d’une concurrence délétère entre établissements.
Notre appel pour une recherche publique et pérenne
In fine, le désengagement de l’Etat dans la recherche publique conduit à une baisse drastique et alarmante des recrutements et des crédits récurrents, à une précarisation des jeunes chercheurs, à une mise en concurrence des individus et des collectifs de recherche, à la fragilisation des organismes publics de recherche, à une déstructuration des thématiques de la recherche fondamentale et, finalement, à une désertion des carrières scientifiques.
Pour toutes ces raisons, nous demandons : 1) le transfert d’une part substantielle des moyens alloués aux appels à projet vers les organismes de recherche afin d’augmenter la dotation de base des laboratoires ; 2) un réinvestissement durable et significatif des moyens alloués à l’université ; 3) la suppression des chaires «junior» et l’augmentation des postes pérennes ; 4) la suppression des primes individuelles au mérite et une redistribution équitable des moyens ; 5) le refus du sabordage des organismes publics de recherche et d’enseignement supérieur.
En somme, à l’issue de la semaine de la fête de la science, rappelons qu’une autre recherche publique est possible !
Premiers signataires :
Camille Noûs Laboratoire Cogitamus Yan-Axel Gomez Coutouly Chargé de recherches au CNRS Fanny Bocquentin Chargée de recherches au CNRS, Nanterre Charlène Bouchaud Chargée de recherches au CNRS, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Myriam Boudadi-Maligne Chargée de recherches au CNRS, Bordeaux Sandrine Costamagno Directrice de recherches au CNRS, Toulouse Sylvain Ducasse Chargé de recherches au CNRS, Bordeaux Nejma Goutas Chargée de recherches au CNRS, Nanterre Caroline Hamon Chargée de recherches CNRS, Paris Ludovic Mevel Chargé de recherches au CNRS, Nanterre, Olivia Munoz Chargée de recherches au CNRS, Paris Martin Sauvage Ingénieur de recherches au CNRS, Nanterre.
Retrouvez ici la liste complète des signataires.
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Recherche publique : le désengagement de l'Etat continue
Concurrence entre établissements, laboratoires fragilisés et précarisation des personnels : deux ans après son adoption, les effets délétères de la loi de programmation de la recherche se ...
Bonnes feuilles : « Les nouvelles portes des grandes écoles »
Régulièrement critiquées pour le manque de diversité de leurs promotions, les grandes écoles développent depuis les années 2000 des programmes d’égalité des chances afin d’ouvrir leurs recrutements. Quels sont les effets réels de ces politiques ? La sociologue Annabelle Allouch propose de plonger dans leurs arcanes avec « Les nouvelles portes des grandes écoles » (éd. Presses universitaires de France), une enquête au sein de trois institutions de prestige, en France et au Royaume-Uni (Sciences Po, l’ESSEC et l’université d’Oxford), dont nous vous proposons de lire un extrait des premières pages.
Le 4 mai 2005, la « péniche », surnom donné au hall d’entrée de Sciences‑Po, accueille une foule bigarrée d’étudiants, de personnels administratifs et d’enseignants. Ils sont venus écouter Richard Descoings – leur directeur – qui inaugure ce jour les nouvelles portes d’entrée du 27, rue Saint‑Guillaume. Installées grâce au financement d’une entreprise du CAC 40 dans le cadre de sa politique de diversité sociale, les nouvelles portes – d’immenses baies vitrées coulissantes – doivent désormais faciliter l’accès de tous les étudiants, y compris ceux en situation de handicap. Elles suppléent ici d’immenses propylées en fer forgé et de style Art déco. Tous les anciens se souviennent de ces portes battantes, qu’il fallait chaque jour pousser de toutes ses forces pour entrer, tout en évitant d’être emporté par leur poids. La sensation physique du passage du seuil.
Cinq ans plus tôt, le programme des « Conventions d’éducation prioritaire » de Sciences Po inaugurait, à grand renfort de trompettes et de tambours médiatiques, l’ère de l’ouverture sociale dans les grandes écoles françaises. Mais l’ouverture sociale a‑t‑elle modifié le visage de l’enseignement supérieur sélectif ?
Pour comprendre les effets de ces dispositifs, les analystes tentent en général de se pencher sur le parcours de quelques étudiants défavorisés qui parviennent à se hisser dans les grandes écoles. Cette lecture repose sans doute sur un certain goût pour ces trajectoires spectaculaires, à l’image de la littérature dite des « transfuges de classe », qui confortent notre croyance dans l’existence d’une méritocratie « malgré tout ». On peut également y voir un effet des modes de financement par projet des dispositifs qui fixent souvent des objectifs quantifiés en termes de diversité des publics. À rebours de ces approches, cet ouvrage repose sur un parti‑pris différent : pour comprendre le poids de l’ouverture sociale sur les filières d’élite (le terme de filières d’élite désigne les filières qui mènent aux positions sociales les plus élevées d’une société donnée), il faut également se pencher sur les changements engendrés dans l’organisation et le fonctionnement de ces établissements et sur leur manière de sélectionner les étudiants.
Cet ouvrage étudie donc la « figure » du concours d’entrée dans les filières d’élite et la manière dont l’ouverture sociale a affecté son organisation. Dans quelle mesure les grandes écoles, prises dans leur mission de formation et de sélection des élites, s’ajustent‑ elles aux nouvelles contraintes qui pèsent sur elles ? Comment parviennent‑elles à adapter leurs modes de fonctionnement habituels à un nouveau public dont les caractéristiques scolaires et sociodémographiques s’avèrent parfois radicalement opposées à celles de leurs publics traditionnels ?
[…]
Le concours fait l’objet d’un intérêt médiatique remarquable, en France comme à l’étranger, et la presse s’approprie également l’image de la porte pour désigner le concours d’entrée. Cela tient au fait que ce dernier s’impose dans de nombreux pays comme une forme institutionnelle politiquement et socialement légitime qui incarne le principe du mérite comme principe d’organisation de l’ordre social. Dans les États modernes et démocratiques, on considère en effet que l’exercice du pouvoir politique doit ainsi être attribué aux « meilleurs », qu’ils aient été désignés comme tels par des électeurs, ou qu’ils aient démontré leur mérite ou leur talent lors d’une compétition prenant une forme bureaucratique.
[…]
La sociologie s’est donné pour but depuis une soixantaine d’années de comprendre le rôle de l’institution scolaire dans les trajectoires sociales des individus (d’ascension ou de déclassement), mais aussi ses manques et ses effets pervers. Cette littérature, extrêmement vaste, s’est développée à la faveur des différentes vagues de massification scolaire et universitaire. Si les études soulignent l’importance du capital culturel institutionnalisé sous la force d’un diplôme dans les parcours de mobilité, elles s’accordent de manière tout aussi unanime – et ce quel que soit le système envisagé – sur l’emprise de l’expérience scolaire sur les trajectoires sociales, amoureuses et professionnelles des individus. Le travail de classement et de catégorisation des individus selon leurs caractéristiques sociodémographiques traduites sous une forme scolaire (une note, un commentaire, une orientation), puis celui de relégation vers certains types de filières, amplifie les inégalités sociales d’origine, mais aussi les inégalités genrées. C’est dans cette tension entre une école qui socialise et une école qui classe, entre une école au service du public ou au service des élites, que s’est construite la sociologie de l’éducation européenne et américaine contemporaine.
Notre ouvrage prend place dans cet ensemble à partir d’une hypothèse simple : pour comprendre le rôle de l’école dans les trajectoires des individus aujourd’hui, et en particulier celui de ses institutions les plus légitimes, il faut prendre en compte non seulement le parcours de ces élèves, mais aussi la manière dont la structure institutionnelle de ces établissements, leurs routines de sélection, leurs liens avec des lycées et d’autres institutions du supérieur rendent possibles (ou impossibles) ces trajectoires.
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On s’éloigne donc d’une approche par « le bas », fondée sur la manière dont les élèves passent d’un statut ou d’un groupe social à un autre (à la manière d’une émission télévisée qui suivrait les épreuves d’un candidat jusqu’à la victoire), pour se saisir du lent travail d’identification et de classement des individus par l’école. Dans un contexte où les établissements s’ajustent à de nouvelles formes d’injonctions en faveur de « l’égalité des chances » ou de la « diversité » (en fait très anciennes), le cas de l’ouverture sociale permet de révéler des pratiques institutionnelles routinières de clôture symbolique qui restent souvent dans l’ombre, à la fois pour des raisons stratégiques (conserver le contrôle du choix de ses publics assure l’autonomie de l’établissement), mais également parce que préserver une aura de mystère autour de la sélection revient à en renforcer le caractère sacré et la force symbolique aux yeux de l’élu, qui pourra l’investir comme telle dans son parcours.
Le cas des filières d’élite peut paraître a priori très spécifique, d’autant plus qu’il ne représente qu’une minorité d’étudiants (sur les 2,8 millions d’étudiants scolarisés dans l’enseignement supérieur français, 85 000 sont scolarisés en CPGE et la taille des promotions de ces écoles peut varier d’une centaine à 1 500 personnes par exemple à Sciences‑Po Paris). C’est d’autant plus vrai pour les dispositifs d’ouverture sociale qui ne permettent d’accueillir que quelques dizaines ou centaines d’étudiants par an, selon les modèles défendus. Par exemple, pour l’année 2010, 366 élèves sont admissibles par cette voie à Sciences‑Po, et 128 sont admis. L’ESSEC accueille 160 lycéens sur trois ans cette même année. Pourtant, ces filières d’élite se démarquent des autres, non seulement par l’investissement politique, symbolique et même financier dont elles font l’objet (de la part de l’État, des familles, etc.), mais aussi parce que, dans les sociétés bureaucratiques fondées sur des hiérarchies scolaires légitimes, ce sont souvent celles qui donnent accès aux biens et aux positions sociales les plus prisés.

Notre ouvrage s’inscrit dans une perspective doublement comparatiste, à la fois parce qu’il offre une comparaison entre plusieurs établissements d’élite « en configuration » de diversité, et parce qu’il confronte des établissements français et étrangers. On rompt ainsi avec un sens commun qui inscrit ces questions dans un cadre national, angle national qui demeure prégnant sur les questions relatives à la formation des élites politico‑administratives dans les champs politiques ou médiatiques.
Ici, la comparaison systématique des dispositifs et de leurs effets entre des établissements français et anglais permet de souligner l’importance de ces questions dans de très nombreuses sociétés où les inégalités salariales et statutaires se fondent sur des hiérarchies scolaires et un discours méritocratique qui amplifient la valeur des diplômes. De ce point de vue, l’accès au supérieur ne nourrit pas seulement les inégalités scolaires, il entretient aussi la division et la spécialisation des tâches et des professions dans les économies postindustrielles. C’est l’ensemble de ces enjeux politiques, économiques et symboliques qui semblent être bousculés par l’émergence des dispositifs d’ouverture sociale. L’introduction se donne la chance de planter le décor de ce contexte singulier de manière très approfondie, à partir de la notion de diversité.
Annabelle Allouch, Enseignante, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Bonnes feuilles : " Les nouvelles portes des grandes écoles "
Régulièrement critiquées pour le manque de diversité de leurs promotions, les grandes écoles développent depuis les années 2000 des programmes d'égalité des chances afin d'ouvrir leurs rec...
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Débat : Qui a peur des études féministes et antiracistes à l’université ?
« Panique morale » : telle était l’expression qu’utilisait il y a 50 ans déjà le sociologue Stanley Cohen en observant la couverture disproportionnée par les médias britanniques de quelques bagarres survenues sur des plages entre des jeunes de la contre-culture des années 1960, les rockers et les mods.
Dans son livre Folk Devils and Moral Panics (jamais traduit en français), le chercheur américain estimait que ces rixes n’étaient pas aussi significatives et intéressantes à analyser que le processus de diabolisation des jeunes à l’œuvre du côté des médias et des politiques.
Un phénomène similaire se produit régulièrement au sujet des universités depuis plusieurs décennies, de la peur des communistes sur les campus aux États-Unis dans les années 1950 (maccarthysme), à celle des des féministes et des antiracistes dans les années 1980-90, jusqu’à aujourd’hui.
Assurément, il existe aujourd’hui des féministes et des antiracistes dans les corps étudiants et professoraux à l’Université (comme on retrouvait quelques rockers et mods sur les plages anglaises des années 1960), qui critiquent parfois telle conférence, exigent le développement des études féministes ou dénoncent le racisme et les agressions sexuelles sur les campus.
Mais ces forces restent nettement minoritaires et pour comprendre les rapports de force dans la société, il importe surtout de se pencher sur certaines des réactions médiatiques et politiques paniquées et victimaires au sujet des féministes et des antiracistes, qu’on qualifie alors de « social justice warriors », « islamogauchistes » ou plus récemment de « wokes » pour mieux les dénigrer. C’est ce que souligne ainsi l’ouvrage d’Alex Mahoudeau, La panique woke. Autopsie d’une offensive réactionnaire.
Les campus, des lieux de « disputes » ?
Ces polémiques carburent à l’oubli du passé ancien et récent, de récits fondés sur l’amplification, les exagérations et les hyperboles, qu’elles parlent de « lynchage », de « totalitarisme », ou de « terreur » et sont entretenues à coup de dizaines d’interventions d’éditorialistes, de chroniques d’humeur, de lettres ouvertes, de faux débats et de pétitions sur une même « affaire » survenue sur un campus et dont on sait, en fait, bien peu de choses.
S’invitent ensuite dans ces échanges de représentants institutionnels ou politiques, par exemple des présidents et des ministres, qui peuvent rivaliser de déclarations scandalisées ou financer des colloques, lancer des commissions d’enquête et des chaires de recherche sur la « liberté d’expression » et même voter des lois pour la protéger sur les campus.
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Ces phénomènes de panique morale s’appuient donc sur un ensemble de mécanismes sociaux. On sonne d’abord l’alarme en présentant la menace comme une pure nouveauté, ce qui stimule un sentiment d’urgence. Pourtant, le fait que des contestations se produisent sur des campus n’est pas en soi un événement surprenant. Depuis le Moyen Âge, les universités ont été régulièrement été des espaces de conflits intellectuels, politiques et religieux et les étudiants ont contesté et fait grève dès la fondation de cette institution.
Deux mots de la langue française font d’ailleurs référence à cette réalité : « chahuter » et « boycotter » un professeur ou une classe. Au cours de l’histoire de l’université, le tumulte a pu être provoqué par des communistes, des républicains, des catholiques, des monarchistes ou des fascistes, selon le contexte. De tels évènements surviennent très rarement, mais s’inscrivent tout de même dans une longue tradition universitaire. Les polémistes d’aujourd’hui préfèrent agiter le néologisme anglais « cancel culture », plus effrayant que le mot « chahut » et qui donne l’impression d’un problème généralisé.
On fabrique aussi la menace à partir d’anecdotes répétées à plus soif et en opérant un changement d’échelle grâce à des formules telles qu’« on ne compte plus les cas ».
Or, qui prend le temps de compter sait qu’il n’y a chaque année aux États-Unis que quelques dizaines de collègues qui subissent des mesures disciplinaires pouvant mener au renvoi, sur un total de près de 1,5 million de professeurs dans plus de 4 000 établissements universitaires.
On découvre aussi que, parmi des professeurs qui ont été mis à pied ou ont vu leurs conférences annulées, certains l’ont été pour avoir changé d’identité de genre, appuyé un événement en non-mixité pour la communauté afro-américaine ou s’être déclaré sympathisant antifasciste. Des collègues ont aussi été limogés pour avoir critiqué les offensives militaires israéliennes contre les territoires palestiniens et des campagnes sont menées au Canada pour empêcher l’embauche d’une professeure qui défend les droits des Palestiniens.
Des enquêtes montrent aussi que les campagnes de dénonciation lancées par les forces conservatrices réussissent plus souvent que celles lancées par les progressistes à forcer l’annulation d’une conférence ou la mise à pied d’un collègue.
Bref, ce phénomène reste ultra-marginal, contrairement à ce que les polémistes répètent dans tant de tribunes, mais il touche aussi des progressistes, ce que ne mentionnent jamais les fabricants de la panique « anti-wokes ».
Des présentations biaisées
La réalité est ainsi déformée quand certains laissent entendre que les féministes et les antiracistes sur les campus s’arrogeraient les postes et imposeraient leur volonté dans l’enseignement et la recherche. Une vérification empirique permet de constater que l’on compte 80 % d’hommes à la direction des 200 plus prestigieuses universités au monde et que les hommes sont majoritaires dans le corps professoral et à la direction de chaires de recherche.
On amplifie le sentiment de menace par des références aux pires violences de l’histoire, comme la chasse aux sorcières, la terreur révolutionnaire et le totalitarisme, alors que les féministes et les antiracistes n’exercent pas de violence sur la communauté universitaire. En Occident, depuis les années 1990, l’extrême-gauche est littéralement désarmée – il n’y a plus de groupes comme Action directe ou les Brigades rouges) et les groupes armés sont généralement d’extrême droite.
A contrario, des universités associées à la communauté afro-américaine aux États-Unis ont reçu des dizaines d’appels à la bombe en 2022 et des universitaires racisées ou féministes sont la cible de menaces de mort.
Cette panique serait-elle rentable ? Depuis 2021 en France seulement, il s’est publié une vingtaine de livres dénonçant les « décoloniaux », les « islamo-compatibles », les « théories sur l’identité, le genre, la race, l’intersectionnalité », etc.. Ces livres sont souvent présentés par des éditeurs ou des journalistes comme à « contre-courant » et « courageux », même s’ils semblent sortis du même moule, répétant en chœur que les études féministes et sur le racisme auraient renié la science au profit de l’idéologie.
S’appuyant trop souvent sur une représentation tronquée de la vérité, ou de purs mensonges, ces essais se défèrent principalement à quelques anecdotes – une statue déboulonnée, une formation sur l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) ou une rencontre en non-mixité sur un campus – sans présenter la complexité de la réalité universitaire ou mobiliser des enquêtes empirique pour fournir des données chiffrées (ce qui se comprend, puisque les enquêtes infirment la thèse de l’université dominée par les « wokes »).
Or ces champs d’études si violemment attaqués devraient en réalité être salués en ce qu’ils posent de nouvelles questions et développent de nouvelles théories, de nouveaux concepts, de nouvelles méthodes d’enquête, ce qui devrait être une des missions de l’université. Il s’agit pour les sciences humaines et sociales, des champs qui produisent le développement des connaissances le plus important des plus récentes décennies, qui ont en plus des impacts positifs pour la société en termes de justice sociale individuelle et collective.
L’auteur vient de publier « Panique à l’Université : rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires ».
Francis Dupuis-Déri, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Débat : Qui a peur des études féministes et antiracistes à l'université ?
" Panique morale " : telle était l'expression qu'utilisait il y a 50 ans déjà le sociologue Stanley Cohen en observant la couverture disproportionnée par les médias britanniques de quelques ba...
Fonds d’investissement Primaire et secondaire : le butin des écoles bilingues
Dans les textes, rien n’empêche les établissements privés sous contrat d’être à but lucratif. Détenu par un fonds d’investissement, le groupe Globeducate s’en régale.
Une école primaire privée sous contrat, avec des professeurs de l’Education nationale payés par l’Etat, peut-elle être détenue par un fonds d’investissement ? Il paraît impensable que des deniers publics puissent alimenter les caisses de fonds spéculatifs étrangers, sans qu’aucune autorité financière ne s’en offusque. Et pourtant. A notre connaissance, il en existe au moins quatre – deux écoles primaires, un collège et un lycée – en plein cœur de Paris. Ces «écoles internationales bilingues» (EIB) appartiennent à Globeducate, un groupe désormais sous le contrôle de fonds d’investissement. Un business en bonne forme, si l’on en croit les brochures : 30 000 élèves, 55 établissements implantés dans dix pays.
En France, Globeducate compte douze établissements, tous à Paris et sur la Côte-d’Azur. Dans le lot, huit (dont Hattemer, ICS…) sont hors contrat, sans lien avec l’Education nationale et donc ne recevant pas d’argent public directement. Les familles alignent : à l’ICS Paris, par exemple, l’année de primaire est à 20 400 euros, sans la cantine (2 800 euros). Quatre établissements (l’école Lamartine, l’école et le collège Monceau et le lycée Etoile) sont, eux, sous contrat avec l’Etat. Autrement dit, les enseignants sont payés par l’Education nationale et la ville de Paris est tenue de leur verser une contribution «dans les mêmes proportions» que celle donnée au public. C’est un héritage de la fameuse loi Debré de 1959, élaborée dans le tumulte à l’époque, pour permettre aux familles de scolariser leurs enfants dans des établissements organisant le culte.
Bien sûr, aujourd’hui, 96 % des établissements privés sous contrat sont toujours sous le giron de l’enseignement catholique, «avec le statut d’association loi 1901, à quelques exceptions près», rassure Philippe Delorme, le secrétaire général de l’enseignement catholique, qui balaie toute spéculation financière : «Mais dans nos établissements, il n’y a aucun fonds d’investissement, ils n’ont évidemment pas leur place. Tout est très encadré et contrôlé.» Ou pas… Le code de l’éducation a des entailles : un établissement sous contrat peut être «géré par une société commerciale, reconnaît le ministère. Le code de l’éducation dispose simplement, en son article L.151-3, que “les établissements privés sont fondés et entretenus par des particuliers ou des associations”». Rien n’interdit donc à une société, pilotée par un fonds d’investissement, de mettre la main sur ces écoles qui fonctionnent pourtant avec de l’argent public…
De fait, les tarifs affichés dans ces quatre écoles sont certes moins élevés que dans le hors contrat, mais les sommes demandées à l’entrée interrogent. Du CP au CM2, à Lamartine ou Monceau, l’année est facturée 6 960 euros par enfant, sans cantine. Au collège Monceau, la classe de sixième est à 8 790 euros, avec une rallonge de 1 305 euros pour suivre la section internationale. L’année de lycée : 7 875 euros. Comment les justifier, sinon pour construire une barrière sociale à l’entrée ? Le ministère élude, en disant ne pas disposer «d’informations précises sur la tarification de chacun des presque 10 000 établissements privés sous et hors contrats.» «Le coût de l’immobilier explique en grande partie nos tarifs», répond Jean-Xavier Moreau, directeur général des EIB – il fut, de 2002 à 2004, conseiller au cabinet de l’ancien ministre Luc Ferry. «Notre modèle pédagogique aussi coûte plus cher car on va au-delà des programmes : on ajoute une heure de maths, une de français, et trois heures de langues…» N’y a t-il pas un paradoxe lorsque des écoles recevant de l’argent public sont détenues par un fond d’investissement ? «Cela dépend des sensibilités. Le code de l’éducation ne l’interdit pas. A partir du moment où l’on investit dans la pédagogie et que les résultats aux examens suivent, cela paraît entendable et respectable.»
Bernard Toulemonde, lui, est stupéfait. Ce professeur émérite de droit public, qui fut, entre autres, conseiller de Jack Lang rue de Grenelle, est formel : «Le droit est clair. Le sous contrat doit accepter les élèves sans distinction. La scolarité, en tant que telle, doit être gratuite. Les directions ne peuvent demander des frais d’inscription que pour financer l’exercice religieux, les bâtiments immobiliers et les activités scientifiques ou sportives.» Et de rappeler : «Encore faut-il que des contrôles soient faits ! Or, ils sont rarissimes en pratique. L’omerta règne.» Grand soupir de Remy-Charles Sirvent, secrétaire du Comité national d’action laïque (Cnal), aussi en responsabilité au syndicat de prof SE-Unsa. «Au Cnal, nous militons depuis des années pour que la Cour des comptes évalue le financement public des écoles privées. Vous en connaissez beaucoup des politiques publiques qui ne sont pas évaluées ? Ils sont tous tétanisés à l’idée de rouvrir la guerre scolaire.» En 2019, à l’occasion des 60 ans de la loi Debré, le Cnal avait porté publiquement cette demande. Rien n’a bougé. Interrogée, la Cour des comptes confirme l’absence de travaux, passés ou programmés.
Marie Piquemal
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Primaire et secondaire : le butin des écoles bilingues
Une école primaire privée sous contrat, avec des professeurs de l'Education nationale payés par l'Etat, peut-elle être détenue par un fonds d'investissement ? Il paraît impensable que des den...
Débat : Après le classement de Shanghai, penser d’autres modèles d’excellence scientifique
Ninon Junca, cheffe de projet RESET au sein de l’Université de Bordeaux, a participé à la rédaction de cet article avec Marion Paoletti.
Si elle ne manque pas d’ironie, l’invitation lancée en avril 2022 par le président chinois aux universités de son pays de quitter, près de 20 ans après son invention, le classement de Shanghai constitue peut-être un moment charnière pour promouvoir d’autres modèles de classement des institutions d’enseignement supérieur.
L’Union européenne parait particulièrement bien armée pour proposer des critères de classement qui reposent sur d’autres valeurs propres et un modèle scientifique véritablement universel. Son action en la matière, ancienne, mais peut-être trop discrète jusqu’à présent compte tenu de la puissance du modèle de Shanghai, mérite sans doute d’être mieux affirmée au moment où celui-ci est un peu déstabilisé.
Un moment propice pour la réflexion
Rendu public à l’été 2003, le premier classement international des universités a eu un impact majeur sur le secteur académique mondial et ses agents. Pensé au départ pour permettre aux universités chinoises de se moderniser en s’alignant sur les standards américains de mesure de la productivité scientifique (nombre de publications, de citations, de prix scientifiques, etc.), ce classement a très vite gagné en visibilité à l’international et exacerbé la concurrence entre établissements d’un continent à l’autre. Chaque université dans le monde veut renforcer son positionnement pour obtenir davantage de financements et attirer les meilleurs étudiants et chercheurs.
L’impact en France a été particulièrement important, coïncidant avec l’abandon d’un discours égalitaire entre chercheurs et établissements. Certes, la compétition sur le marché académique n’est pas que capitaliste, et elle n’est pas due pas qu’aux seuls effets des classements mais aussi à la diffusion du Nouveau Management Public (NMP), doctrine de réforme de l’État à l’œuvre dans tous les secteurs publics depuis les années 1990 et contribuant à la mise en concurrence des agents, des services, des administrations.
Conjuguant leurs logiques et effets, classement et Nouveau Management Public ont bouleversé les politiques universitaires. La compétition commence à l’intérieur des établissements, elle s’élargit au niveau national à travers les nouvelles agences de l’État chargées de l’évaluation des structures académiques (HCERES) ou des projets de recherche financés (ANR, appels nationaux lancés par l’État) et elle se joue aussi sur la scène européenne et mondiale.
Au niveau des établissements, la politique de fusion, dans le but premier de progresser dans le classement grâce à un effet de masse, est majeure en France, au premier rang des pays européens par le nombre de fusions réalisées entre 2000 et 2015. Au niveau des individus, la mesure de la performance s’effectue principalement à travers deux critères : la quantification des publications et l’internationalisation.
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L’annonce de la part de la Chine d’un repli sur un modèle national constitue un moment propice pour la réflexion, incitant à se pencher sur les projets de transformation commune des établissements que l’Union européenne finance de longue date, dans un sens favorable à l’égalité des carrières et à l’équité. C’est notamment le cas du projet RESET (Redesigning Equality and Scientific Excellence Together) que l’université de Bordeaux coordonne et qui associe les universités de Porto, Thessalonique, Lodz, Oulou, Ruhr-Bochum et Sciences Po.
Dans le cadre de ce projet ont été menées en 2021 dans les établissements partenaires des enquêtes quantitatives sur les inégalités de carrière, et des enquêtes qualitatives sur la perception de l’excellence scientifique par les agents chargés de la mettre en œuvre. Leurs résultats amènent à interroger le modèle scientifique promu par l’université de Shanghai et à questionner la notion d’excellence scientifique à l’aune de la notion d’équité. Le constat a fondé l’engagement commun, rendu public en juin 2022, des sept présidents d’universités européennes concernées en faveur d’une excellence scientifique inclusive, tenant compte des inégalités qui traversent les institutions académiques.
Des critères aveugles aux inégalités de genre
L’excellence peut être définie comme ce qui présente « des caractéristiques exceptionnelles ». Quand l’exception devient la norme, la notion perd de sa pertinence pour les agents chargés de la mettre en œuvre. Les données qualitatives recueillies dans le projet RESET, à travers plusieurs focus groups dans quatre universités (Bordeaux, Lodz, Porto, Thessalonique) au printemps 2021 et composés de manière homogène de chercheurs, d’enseignants, de personnels administratifs et de membres de l’équipe de gouvernance, signalent, au-delà des différences liées au contextes nationaux, l’ambivalence partagée de la notion.
Pour la majorité des personnes, l’excellence scientifique est une notion qui devrait être positive et constitue parfois un puissant moteur individuel. Elle se trouve aussi associée aux idées de pression et de surcharge de travail. Un élément a été souligné en particulier par les personnels administratifs : le manque de reconnaissance de leur participation, notamment dans les services de soutien à la recherche.
Les participants aux groupes de discussion ont également souligné la difficulté à concilier vies et environnements personnels et professionnels pour atteindre l’excellence. La « recherche constante de l’excellence » semble lui faire perdre son sens. L’« excellence » a perdu sa partie « supra » et s’est transformée en un élément « normal » et parfois « insensé ». Par ailleurs, la pression liée au nombre de publications est perçue par les chercheurs comme une menace pour la qualité de leurs résultats de recherche. La notion d’excellence scientifique associée aux publications parait étroite par rapport à l’étendue des tâches à l’université, elle n’intègre pas l’activité pédagogique ou administrative : il faudrait plutôt parler d’excellence académique.
La notion est par ailleurs associée dans la littérature à celle de méritocratie que le principe de sélection est supposé garantir. Or l’objectivité des critères quantitatifs de mesure de la productivité scientifique demeure aveugle aux inégalités sociales que l’université enregistre et reproduit, au risque d’une association peu convaincante des termes « excellence » et « mérite ». Les données sur les inégalités sexuées dans le milieu académique sont bien renseignées, à tous les niveaux (établissements, États, Union européenne). Celles, inédites, produites dans le cadre de RESET, montrent la persistance d’injustices liées au genre, en particulier dans les carrières scientifiques, moins dans les carrières administratives.
Quel que soit le marché du travail académique en Europe, les mêmes inégalités genrées sont à l’œuvre, avec sensiblement la même répartition sexuée à toutes les étapes de la carrière. Alors que les femmes réussissent mieux leurs études universitaires et sont nettement majoritaires en master, elles ne sont plus en 2018 que 48 % en doctorat au sein de l’UE (43 % en France), 42 % au niveau Maître de conférences, et 26 % au niveau professeur des universités. Six présidents d’universités sur sept au sein de l’UE sont des hommes.
Redéfinir le mérite
Les causes de ces inégalités sont désormais bien renseignées. On sait aussi quelles sont les politiques à mettre en œuvre pour les résorber de manière transversale, en ouvrant la boite noire des recrutements et des promotions, de la production et du transfert des connaissances. Associées, dans une perspective intersectionnelle, à la lutte contre les discriminations, ces politiques tendent à rendre effective l’égale capacité à être reconnu excellent et excellente.
La prise en compte de l’égalité et de la diversité comme critère de classement semble devoir trouver facilement sa place dans un modèle européen, sans laisser l’initiative comme aujourd’hui à des groupes privés.
Cette redéfinition du mérite dans l’excellence scientifique pourrait d’autant plus amener à faire évoluer les critères à l’œuvre depuis 2003 qu’elle est associée à d’autres politiques dont les effets peuvent aller dans le même sens :
une attention aux impacts sociaux des recherches dans leur évaluation – ce que porte particulièrement en matière d’égalité des sexes le Gender Impact Assessment ;
une réflexion en cours sur l’empreinte environnementale des universités et des activités de recherche, conformément aux objectifs de développement durable de l’ONU ;
un modèle de science ouverte, qui pourrait à terme déboucher sur une évaluation plus qualitative des recherches.
Le moment est sûrement venu d’intégrer l’ensemble de ces évolutions pour lesquelles l’UE œuvre à bas bruit depuis longtemps pour diffuser un nouveau classement des universités.
Marion Paoletti, Professeure de Science politique, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Débat : Après le classement de Shanghai, penser d'autres modèles d'excellence scientifique
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Excellence et égalité des chances : le grand défi des universités françaises (+ commentaire)
Résumé
Alors que les universités françaises cherchent toujours à se réinventer, regard sur le grand défi auquel elles se confrontent : la recherche de l'excellence et de l'égalité des chances.
avec :
François Germinet (Président de l’université de Cergy Pontoise, membre du CA et Président du comité numérique de la CPU), Sophie Bejean (présidente de Campus France et du comité pour la stratégie nationale de l'enseignement supérieur, membre du bureau de l'association pour les femmes dirigeantes de l'enseignement supérieur et de la recherche.), Annabelle Allouch (maître de conférences en sociologie à l'université de Picardie-Jules Verne, spécialisée dans les questions d'éducation).
En savoir plus
Pour débattre de cette question, Guillaume Erner reçoit François Germinet, Président de Cergy Paris Université et Président de la Commission formation et insertion professionnelle de la CPU (Conférence des présidents d'université), Sophie Béjean, rectrice de l'académie de Montpellier et de la région académique Occitanie, chancelière des universités, et Annabelle Allouch, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Picardie-Jules Verne, autrice de Mérite (Anamosa, 2021) et Les nouvelles portes des Grandes Ecoles (PUF, 2022).
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Excellence et égalité des chances : le grand défi des universités françaises
Amphithéâtre de l'Université Paris 1-Panthéon Sorbonne ©Getty - Michel Baret Alors que les universités françaises cherchent toujours à se réinventer, regard sur le grand défi auquel elles...
A propos d'"égalité des chances".
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L'égalité des chances, cheval de Troie du néo-libéralisme... - Vivement l'Ecole!
EXTRAIT Offrir les mêmes chances à tous les enfants et ainsi organiser les meilleures conditions pour la compétition méritocratique est l'objectif affiché par le président Macron en matière ...
Rentrée étudiante : les leçons des universités américaines
Quel que soit le pays, l’année universitaire commence généralement par un temps dédié à l’information des étudiants nouvellement inscrits. Une période de bienvenue à laquelle les établissements français sont de plus en plus attentifs pour aider chaque élève à prendre un bon départ et lutter contre le décrochage, alors que seuls 29,6 % des bacheliers entrant en première année valident une licence en trois ans – et 43,6 % en trois ou quatre ans.
Si ce premier contact entre les élèves et leur université ou leur école est un tremplin dans la construction des projets personnels et le dialogue entre les promotions, il peut aussi jouer un rôle stratégique pour les établissements dans un contexte de compétition internationale. C’est ce que montre l’exemple des États-Unis, où ce temps d’accueil prend une ampleur tout à fait particulière, mobilisant plus d’énergies et de moyens que dans le reste du monde.
À l’heure où les conséquences de la crise sanitaire pèsent encore sur la vie étudiante, que ce soit en matière de mobilité ou de santé mentale, comment les universités repensent-elles leurs rentrées, entre tradition et innovation ?
Transmission de valeurs
Outre-Atlantique, celle qui est appelée généralement « semaine d’orientation », mais dont la durée peut se compter en journées ou en semaines selon l’université, est devenue une véritable institution, presque autant que la cérémonie de remise des diplômes. Contrairement à ce que son nom indique, l’orientation des étudiants primo-entrants n’est en effet pas la seule fonction de ce programme.
Les universités les plus anciennes, notamment celles qui font partie de la « Ivy League », ont instauré des dispositifs d’intégration depuis plusieurs décennies. Dans un contexte hautement sélectif et élitiste, le but poursuivi est de s’assurer que les nouveaux étudiants adhèrent aux valeurs et au projet éducatif qui distingue chacune de ses universités.
Un système de mentorat par les pairs ou par des enseignants permet aux « freshmen », c’est-à-dire aux étudiants de première année, d’intégrer leur nouvelle communauté le plus rapidement et le plus facilement possible. Le programme d’intégration peut ainsi prendre la forme d’activités sportives, artistiques, spirituelles, récréatives en équipe, voire de voyages d’intégration à l’extérieur du campus, généralement en pleine nature.
Depuis 1974, l’université Princeton accueille ses nouveaux étudiants en les envoyant réaliser de véritables expéditions de plein air par petits groupes de 10, encadrés par deux ou trois étudiants plus avancés. Chaque groupe se voit fixer un objectif commun dont la réalisation nécessitera la connaissance mutuelle et la coopération entre ses membres. En quelques jours, les étudiants acquièrent ainsi un esprit collectif qu’ils sont censés garder et pratiquer tout au long de leur scolarité.
Cette catégorie d’universités utilise plus que d’autres l’argument des valeurs, ancrés généralement dans l’histoire de l’établissement, de ses fondateurs et de ses alumni, pour se différencier et définir une identité singulière dans laquelle les candidats peuvent se reconnaître ou à laquelle ils souhaitent adhérer. C’est le cas à Harvard où, au cours des traditionnelles « Conversations communautaires », les étudiants peuvent discuter des éléments d’identité et du sens d’appartenance avec leurs pairs et leurs mentors.
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Présenté comme un temps neutre, destiné à faciliter l’installation, la rencontre avec les pairs et les conseillers, ainsi que les premières réflexions sur le projet intellectuel et personnel, le programme d’orientation représente un véritable lieu d’initiation à un état d’esprit qui se transmet d’une promotion à l’autre depuis plus d’un siècle.
Pris en charge et conseillés par les étudiants des promotions au-dessus, les professeurs et les membres du personnel, les nouveaux arrivants s’inscrivent dans ces processus d’intégration et de socialisation qui avaient déjà été identifiés et décrits par Michel Anteby dans sa socio-ethnographie du corps professoral de la Harvard Business School. Par l’orientation, ils commencent à intégrer la tradition et surtout les normes d’une bonne conduite – celles que la sociologie appelle les « routines » – qui leur permettront d’aller au bout de leurs études dans une relative sécurité et par là contribuer à « la construction et le maintien de la communauté d’Harvard », c’est-à-dire à son prestige et à sa réputation.
Objectifs d’inclusion
Les enjeux d’appartenance à une communauté de valeurs sont devenus avec le temps plus forts sur les campus américains du fait de la diversification accrue du recrutement des étudiants. Chaque nouvelle promotion de première année est composée d’étudiants d’une immense variété quant aux origines géographiques, linguistiques et sociales. Les politiques de recrutement des universités combinent de nombreux critères, de façon à assurer un certain degré de diversité de profil, en accord avec leur mission et leurs statuts.
Sur le plan national, grâce à différentes formes de discrimination positive, réaffirmées jusqu’à présent par la jurisprudence de la Cour suprême, mais dont certaines risquent d’être remises en question dans les années à venir, les minorités ethniques, de genre ou d’autres groupes traditionnellement sous-représentés comme les vétérans, les sportifs de haut niveau, les étudiants de première génération ou encore les personnes en situation de handicap, occupent une place accrue parmi la population étudiante. Ces profils, tout comme les étudiants issus de « Community College », font face à plus de défis à l’université que les autres et nécessitent, surtout au début de leur cursus, plus d’attention.
Sur le plan international, si les États-Unis ont une très longue tradition d’accueil d’étudiants étrangers, jusqu’aux années 1990 la mobilité entrante était surtout réalisée au niveau doctoral ou en formation continue. Il s’agissait essentiellement d’une mobilité financée par des bourses gouvernementales ou de fondations philanthropiques, s’inscrivant dans le contexte de lutte d’influence géopolitique de l’après-guerre puis de la guerre froide.
Plus récemment, sous le double effet de la mondialisation et de l’Internet, ce sont des candidats plus jeunes qui, depuis n’importe quel pays, peuvent postuler aux universités américaines dès le premier cycle. Les États-Unis se placent ainsi avec stabilité en tête de pays d’accueil pour les étudiants étrangers en quête de formation diplômante, tous cycles confondus.
Face à cette diversité de profils, le temps de l’intégration devient stratégique pour les universités. L’on cherche à favoriser chez les étudiants la compréhension des règles, leur permettre d’identifier clairement interlocuteurs et services, faire converger les attentes, et réduire au minimum le besoin d’accompagnement spécifique, autrement plus coûteux.
De même, il est important de diminuer autant que possible le risque de mécontentement, de décrochage voire d’abandon d’études, potentiellement néfaste pour l’image de l’université mais aussi et surtout, pour ses conséquences économiques en cas de demande de remboursement. Les étudiants paient des frais de scolarité de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers de dollars par an il faut donc qu’ils soient satisfaits dès leur premiers jours.
Ces éléments expliquent en partie le caractère extrêmement convivial et inclusif de la plupart de programmes d’orientation, qui promettent des soirées, des jeux de piste, des speed-datings pour se faire des amis, des cours de cuisine et autres activités ludiques. Certaines universités, comme Brown ou Chicago, prévoient des temps pour et avec les familles, considérées comme faisant partie de la communauté universitaire.
L’organisation de ces animations est habituellement confiée au service de la vie étudiante, parfois à une association étudiante. À l’université Wisconsin-Madison, un service spécifique a été créé, le “Centre pour l’expérience de la première année”, chargé de faciliter la transition vers les études supérieures et garantir la réussite à travers le programme d’orientation et d’autres actions tout au long de l’année.
La question du bien-être
Il est vrai que la pandémie de Covid-19 a mis à rude épreuve le modèle d’études supérieures américain fondé sur « l’expérience étudiante ». La brusque fermeture des campus et l’isolement de beaucoup d’étudiants pendant les périodes de confinement a eu des répercussions considérables sur leur santé mentale. Parmi les populations les plus vulnérables en termes de santé mentale pendant la pandémie se trouvent les minorités de genre et sexuelles mais aussi les étudiants asiatiques, noirs et métis victimes d’actes racistes plus fréquents.
Une étude parue en 2021 sur l’état de détérioration de la santé mentale des étudiants américains a révélé la plus grande fragilité de ceux de première année, déjà soumis au stress de la transition vers l’université, et privés pendant le confinement de la possibilité de nouer des amitiés solides, de contacts humains et de soutien personnalisé.
Les préoccupations liées à la santé mentale des étudiants rejoignent finalement, du fait de la pandémie, ce que Simon Marginson appelait en 2010 le droit à la sécurité des étudiants internationaux, eux aussi potentiellement fragiles et seuls au cours des premiers mois de mobilité sortante dans un environnement inconnu et sans repères.
Ainsi, en 2022 plusieurs universités ont modifié leurs activités d’orientation et d’accueil des étudiants pour mieux répondre aux besoins sociaux et psychologiques des nouvelles promotions. Elles ont ainsi intégré des temps de discussion sur la gestion du stress, avec des groupes de taille réduite, moins intimidants pour des jeunes qui sortent du confinement. À l’université Columbia on emploie, pour ces accueils post-Covid, les mots de « se reconnecter, se renforcer et se reconstruire en tant que communauté ».
Stratégies internationales
De façon plus structurelle, si les universités déploient autant d’efforts en direction des primo-entrants c’est aussi parce qu’elles cherchent à maintenir leur attractivité, auprès des candidats internationaux en particulier. C’est pour elles, compte tenu de leur modèle économique, l’enjeu majeur. La pandémie a fortement limité la mobilité étudiante au niveau mondial avec des répercussions sur le nombre de candidats internationaux qui a diminué aux États-Unis comme dans les autres pays.
Si la chute des inscriptions en 2020 a été la plus importante depuis 1948 (-14,2 % en premier cycle) le nombre d’étudiants internationaux aux États-Unis est constamment en baisse depuis 2016. Cette situation inquiète pour plusieurs raisons, notamment la forte dépendance des universités américaines vis-à-vis des candidats chinois et indiens, particulièrement sensibles aux évolutions récentes de la politique d’immigration]. Un étudiant international sur trois aux États-Unis vient de Chine et environ un sur cinq vient d’Inde.
Le déclin est plus marqué en informatique et sciences de l’ingénieur, stratégiques en termes d’innovation et d’enjeux économiques. D’après une étude réalisée par le think tank américain National Foundation for American Policy, une grande partie des étudiants indiens et chinois dans ces domaines se tourneraient depuis quelques années vers le Canada qui ne leur impose pas les mêmes restrictions de visa.
Au-delà de la semaine d’orientation et de l’accueil des nouveaux entrants, ce qui est en jeu, bien sûr, c’est la capacité des universités américaines à attirer les talents internationaux et à garder les meilleurs étudiants américains, tout en pérennisant le modèle économique sur lequel elles reposent.
Dans le contexte de finances publiques national, ce modèle est donc clef pour le maintien de la compétitivité de l’économie américaine ainsi que sa capacité à continuer à produire de l’innovation. Et si l’on en croit aux données publiées récemment par le ministère de la science et technologie du Japon, la Chine aurait dépassé pour la première fois cette année les États-Unis quant aux résultats de recherche scientifique et aux publications à impact élevé.
Alessia Lefébure, Sociologue, membre de l'UMR Arènes (CNRS, EHESP), École des hautes études en santé publique (EHESP)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Rentrée étudiante : les leçons des universités américaines
Quel que soit le pays, l'année universitaire commence généralement par un temps dédié à l'information des étudiants nouvellement inscrits. Une période de bienvenue à laquelle les établiss...
https://theconversation.com/rentree-etudiante-les-lecons-des-universites-americaines-189252
Au Danemark, un salaire universel pour chaque étudiant
EXTRAITS
Les jeunes Danois ont droit à une aide qui peut atteindre jusqu’à 860 euros par mois, à laquelle s’ajoute la possibilité de souscrire un emprunt garanti par l’Etat.
Quand ils partent étudier à l’étranger, les jeunes Danois sont souvent interloqués de découvrir qu’à part dans les pays nordiques, la plupart des étudiants, en Europe ou ailleurs, ne bénéficient pas des mêmes conditions qu’eux. Leurs congénères doivent se débrouiller sans le « Statens Uddannelsesstotte » (SU) : le système de « soutien à l’éducation par l’Etat », établi en 1970, est tellement institutionnalisé au Danemark qu’il est vécu comme une évidence par les jeunes et leurs parents.
Des « bons mensuels »
En général, les jeunes Danois terminent le lycée à 19 ans, puis font une année de césure. Environ quatre sur cinq se lancent ensuite dans des études supérieures. Les autres sont orientés vers une formation professionnelle. La plupart quittent alors le foyer familial et peuvent prétendre à une aide de l’Etat.
Le système fonctionne sous la forme de 70 « bons mensuels », à utiliser tout au long de la vie (y compris pour les étudiants en reconversion), sous la forme d’une allocation. Le jeune étudiant peut aussi bénéficier d’un emprunt, qu’environ un tiers choisit de souscrire, à un taux de 4 % pendant les études, puis de 1 % ensuite, remboursable dans un délai de sept à quinze ans.
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En avril 2022, la commission de la réforme, nommée par le gouvernement social-démocrate, a proposé de convertir les bourses en prêts (éventuellement sans intérêt) pour les étudiants en master, afin de dégager des fonds, destinés à améliorer la qualité de l’éducation et de la formation en continu. Quelques mois plus tôt, le Conseil économique du mouvement travailliste, un think tank de gauche, avait fait une proposition similaire, arguant que les jeunes dont les parents ne sont pas allés à l’université ont cinq fois plus de risques de ne pas faire d’études supérieures. L’argent, estimait le think tank, serait mieux utilisé pour financer leur formation.
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Au Danemark, un salaire universel pour chaque étudiant
Quand ils partent étudier à l'étranger, les jeunes Danois sont souvent interloqués de découvrir qu'à part dans les pays nordiques, la plupart des étudiants, en Europe ou ailleurs, ne bénéf...
Pouvoir d’achat: «Les étudiants se retrouvent à travailler jour et nuit»
Frappés de plein fouet par l’inflation, de nombreux jeunes sont obligés de compter sur les distributions alimentaires pour s’en sortir.
Il faut parfois se coller au mur pour éviter les coups de massue du soleil de ce juillet caniculaire à Paris. Surtout quand il s’agit d’attendre sur un trottoir goudronné où l’ombre se fait discrète. Ils sont déjà pourtant plusieurs dizaines d’étudiants rue Championnet (XVIIIe arrondissement), un peu moins de trente minutes avant le début d’une distribution alimentaire au Bar commun, à l’angle avec la rue des Poissonniers. Des files qui ne désemplissent pas depuis l’ouverture de ces distributions par l’association Linkee, à l’automne 2020.
A l’époque, alors que la crise sociale induite par la pandémie de Covid frappait de plein fouet, les queues suscitèrent l’effroi. Un an et demi plus tard, dans un contexte de forte inflation – 5,8% sur un an en juin selon l’Insee – on ne feint même plus l’indifférence. La ministre de l’Enseignement supérieur et la Recherche, Sylvie Retailleau, a bien profité de la présentation du projet de loi pouvoir d’achat, débattu depuis lundi à l’Assemblée, pour annoncer quelques mesures d’urgence comme la revalorisation des bourses de 4%, un chèque alimentaire de 100 euros pour les boursiers et bénéficiaires APL à la rentrée ou le maintien du repas Crous à 1 euro. Mais une grande partie devrait passer directement par voie de décrets.
«Le litre d’huile de 2 à 5 euros, ce n’est pas possible»
Ce soir-là, qu’ils soient étrangers, boursiers ou non, tous les étudiants se retrouvent sous la triste bannière de la précarité. «Autour de moi, de plus en plus de gens viennent aux distributions, c’est limite devenu normal, constate amèrement Rania, 25 ans, étudiante algérienne en master 1 de management. Et heureusement qu’il y a ça, parce que sinon on ne pourrait pas manger correctement.» Elle et son amie Meriem, aussi Algérienne, subissent de plein fouet la hausse des prix. En particulier cet été, où elles se retrouvent sans stage et dans l’attente d’un boulot. «Le plus marquant, ça a été au début de la guerre en Ukraine, se souvient Meriem. Le litre d’huile est passé de 2 à 5 euros, ce n’est pas possible…»
A l’intérieur, les bénévoles, souvent des étudiants précaires eux aussi, s’activent. Les premiers cabas se remplissent. Jonathan, 25 ans, licence de cinéma en poche, observe, un brin soulagé, les sept kilos de nourriture et de produits d’hygiène récoltés. «C’est devenu vital, note-t-il. Avant, je pouvais me permettre de ne venir que deux fois par mois. Avec l’inflation je suis condamné à venir chaque semaine.» Ce grand gaillard, lunettes sur le nez, s’étend sur sa vie d’étudiant faite de privations. «Après deux ans de Covid, je reste cloîtré, parce que je n’ai pas le budget pour sortir, s’indigne-t-il. Pourtant c’est important pour mes études, pour développer mes intérêts. Et puis c’est un besoin psychologique, pour sortir de la solitude.»
Entre son loyer parisien hors de prix, ses dépenses de transports et d’internet qu’il réduit comme il peut, le jeune homme assure ne pas avoir plus de 40 ou 50 euros par mois pour son alimentation, ses loisirs, et ses besoins matériels. Selon une étude de Linkee publiée en juin 2022, c’est le cas pour 65 % des 4 000 étudiants qu’ils ont interrogés un peu partout en France dans leurs distributions.
«Poudre de perlimpinpin»
«Deux ans après, rien n’a changé, constate amèrement Julien Meimon, président de Linkee. On a l’impression que pour les autorités, le fait de manger des pâtes quand on est étudiant, c’est quelque chose de normal, un mauvais moment à passer. Ce n’est pas possible de penser comme ça. Surtout à un moment où une grande quantité d’étudiants se retrouve à sauter des repas faute de pouvoir se les offrir.»
Problème : les propositions du gouvernement ne sont «pas à la hauteur», selon Julien Meimon. Comme le chèque alimentaire de 100 euros : «C’est un pansement. Et en plus, tout le monde n’y aura pas droit.» A la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), on souligne aussi que l’augmentation de 4 % des bourses ne rattrape même pas l’augmentation des prix de 5,8 %. «Il faut proposer des solutions pérennes, d’autant plus avec l’inflation, plaide Anne-Laure Syrieix, vice-présidente chargée des Affaires sociales. Les étudiants ont besoin d’une hausse de leur pouvoir d’achat.» Imane Ouelhadj, présidente de l’Union nationale des étudiants de France (Unef), parle de «poudre de perlimpinpin» : «Aujourd’hui on sait qu’il n’y a pas assez d’argent sur la table, alors on préfère donner des clopinettes aux étudiants plutôt que de vraiment se questionner sur ce qui se passe dans l’enseignement supérieur.»
Angle mort de l’arsenal du gouvernement à ce stade : les étudiants non boursiers. Depuis la rentrée 2021, ils ne peuvent plus prétendre aux repas au Resto U à 1 euro. La hausse des prix n’a pas conduit à une révision de la copie : le chèque alimentaire sera accessible uniquement aux étudiants boursiers ou touchant les Aides personnalisées au logement (APL). «On peut ne pas être boursier et être précaire quand même», insiste Imane Ouelhadj, déplorant le manque d’universalité des mesures annoncées. Constat partagé par Benjamin Flohic, président de Co’p1 – Solidarités Etudiantes. Depuis 2020, comme Linkee, l’association organise elle aussi des distributions alimentaires plusieurs fois par semaine à Paris et Angers. Dans une étude commanditée par Co’p1 en 2021, le constat était clair : «63% des étudiants nous sollicitant ne sont pas boursiers, soit la majorité d’entre eux.» L’étude sur 2022, prévue pour fin septembre, fait état de chiffres similaires.
Du côté du ministère de l’Enseignement supérieur et la Recherche, on défend des mesures pour faire face à «l’urgence» de l’inflation. Le chèque de 100 euros devrait a priori concerner 1,5 million de personnes, soit plus de la moitié de la population étudiante, fait-on valoir. Autre motif de fierté ministérielle: la hausse de 4% des bourses «la plus haute depuis des années». Pour ce qui est des réformes de fond, une «réflexion structurelle» est en cours, notamment en ce qui concerne les bourses, et une concertation commencera à la rentrée, assure-t-on de même source.
L’angoisse de la rentrée
Cette réforme des bourses est le principal fer de lance des organisations étudiantes depuis des années. Pour les revaloriser mais aussi les élargir et assouplir les conditions d’accès. A l’heure actuelle, le montant le plus élevé pour un étudiant est de 573,60 euros par mois, soit une somme bien inférieure au seuil de pauvreté, fixé à 1 102 euros mensuels pour une personne vivant seule.
Eliot, 23 ans, a fait les frais de critères trop excluants: sa demande a été refusée à cause des revenus de ses parents. «Le Crous estime qu’il est en mesure de m’aider et me refuse la bourse, il ne me considère pas comme indépendant», déplore l’étudiant en langues étrangères appliquées, qui ne reçoit pourtant aucun soutien financier de sa famille. Pour s’en sortir, il travaille de nuit dans l’hôtellerie, quitte à ce que cela empiète sur ses études. Cette année, Eliot a tenté de se tourner vers l’Aide spécifique annuelle, destinée aux étudiants en difficulté n’étant pas boursiers, sous certaines conditions mais la réponse ne tombera pas avant septembre.
Comme de nombreux jeunes, Eliot prépare sa rentrée la boule au ventre. Pour anticiper le coût de la vie étudiante, il continue à travailler cet été, bien qu’il soit épuisé. «Les vacances d’été devraient être un moment pour permettre aux étudiants de souffler, se remettre d’une année qui a été éprouvante, déballe Anne-Laure Syrieix de la Fage. Au lieu de ça, ils se retrouvent à chercher un emploi, et parfois à travailler de jour comme de nuit. Ils n’ont pas de moment de pause.»
Après des années de mobilisation étudiante, pour dénoncer des pouvoirs publics sourds à leurs revendications, la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur de la Recherche, ancienne présidente de Paris-Sud, est attendue au tournant. Il faut une «concertation pour la revalorisation des bourses à partir de la rentrée», réclame Imane Ouelhadj de l’Unef, qui «attend de voir ce qui va se passer en septembre» sans trop d’espoir. Et ne peut s’empêcher de lâcher : «On se demande comment c’est possible que ce soit comme ça aujourd’hui en France : des étudiants qui vivent à la rue ou dans leur voiture.»
Cassandre Leray et Benjamin Delille
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Pouvoir d'achat: "Les étudiants se retrouvent à travailler jour et nuit"
Il faut parfois se coller au mur pour éviter les coups de massue du soleil de ce juillet caniculaire à Paris. Surtout quand il s'agit d'attendre sur un trottoir goudronné où l'ombre se fait ...