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Vivement l'Ecole!

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La mobilisation des vacataires à l’université : comment faire entendre la voix des invisibles

19 Avril 2023 , Rédigé par The Conversation Publié dans #Education, #Université

Globalement, le nombre de vacataires dans les universités a augmenté...

La mobilisation des vacataires à l’université : comment faire entendre la voix des invisibles
Alessio Motta, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Dans plusieurs universités de France, des organisations et enseignants comptent retenir les notes des étudiants en ce deuxième semestre 2023 à l’appel du collectif vacataires.org. L’objectif : soutenir la revendication consistant à augmenter la paie des enseignants vacataires. Ce personnel sous-payé et précaire, sur lequel reposerait environ un quart des heures de cours en universités, représente pourtant moins de 1 % des dépenses pour l’enseignement supérieur, d’après les calculs faits par le collectif.

Les enseignants vacataires sont un contingent d’environ 130 000 intervenants rémunérés à l’heure de cours selon des conditions fixées par un décret de 1987. Leur taux de rémunération est d’un peu plus de 40 euros brut pour une heure face aux étudiants, incluant les préparations de cours, corrections et autres tâches, ce qui est de l’ordre du tiers des taux appliqués aux personnels moins précaires.

Destiné en principe à accueillir des professionnels intervenant ponctuellement dans les formations universitaires, ce statut – nettement moins coûteux qu’un contrat de travail – a été utilisé de façon extensive et croissante par les universités. Ce seraient ainsi quatre millions d’heures de cours annuelles qui seraient délivrées à moindres frais, notamment par des doctorants ou docteurs en situation précaire.

Malgré leur forte présence à tous les niveaux, ces jeunes chercheurs bénéficient d’une très faible reconnaissance et ne sont généralement pas considérés par les universités comme faisant partie de leur personnel. Leur mobilisation nous renvoie à une grande question des sciences sociales : comment lutter collectivement quand on fait partie des oubliés, quelle stratégie adopter pour se faire entendre quand on relève des invisibles, des « sans » ?

Les « mobilisations improbables »

Se mobiliser efficacement quand on fait partie d’un groupe invisible, défavorisé ou privé de ressources est une chose difficile. C’est la situation à laquelle sont confrontés les enseignants vacataires des universités, qui additionnent a priori les handicaps. Très faiblement payés, devant cumuler parfois plusieurs emplois, ils occupent une position particulièrement dévalorisée dans un environnement universitaire complexe même aux yeux des habitués, où les enseignants sont divisés en statuts multiples, titulaires, contractuels, PRAG, PRCE, ATV, CEV…, qui ont tous leurs difficultés et revendications.

Par ailleurs, les enseignants vacataires les plus précaires enseignent dans des universités différentes chaque année, souvent pour des périodes de 3 ou 4 mois et craignent de ne pas retrouver de contrat. Ces conditions sont très peu propices à l’action collective. Du moins si l’on en croit l’approche traditionnelle de l’étude de la « mobilisation des ressources » de l’action collective. Celle-ci montre l’importance, pour agir ensemble, de former un collectif uni, conscient et disposant d’importants moyens et réseaux de communication pour se coordonner, et de rétributions incitant ou permettant aux militants potentiels d’y prendre part.

Les vacataires de l’université de Rouen réalisent un flash mob sur leurs conditions de travail (Paris Normandie, 2020).

Les recherches sur les « mobilisations improbables » parmi lesquelles le travail fondateur de Lilian Mathieu sur les mobilisations de prostituées lyonnaises depuis les années 1970, ont cependant apporté de nouveaux éléments à l’étude des ressources permettant les mobilisations collectives. Certes, les similarités entre les cas des prostituées et des enseignants vacataires ne sautent a priori pas aux yeux. Mais leurs situations face à des perspectives de mobilisation présentent objectivement des points communs : elles et ils sont éparpillés et disposent d’une faible reconnaissance par les autorités. Beaucoup d’universités ne sont même pas en mesure de fournir des chiffres précis sur leur propre recours aux vacataires lorsqu’on les interroge…

Surtout, les syndicats ou grandes associations militantes ne leur ont longtemps accordé qu’une attention limitée puisqu’elles considéraient que l’enjeu principal était moins l’amélioration de leurs conditions de travail que l’abolition de leur statut tel qu’il existait.

Dans les cas étudiés par Lilian Mathieu, l’objectif revendiqué de plusieurs organisations vers lesquelles se sont tournées les prostituées comme le mouvement catholique du Nid, était à la base l’abolition de la prostitution. Dans le cadre universitaire, le niveau de rémunération des vacataires a longtemps été un oublié des luttes, le problème perçu comme central étant le recours abusif à ce statut précaire destructeur de postes pérennes.

Quelles ressources pour l’action collective, avec ou sans syndicats ?

Le travail de Lilian Mathieu a montré que des groupes relativement dépourvus parvenaient parfois à construire des mobilisations visibles en érigeant en ressources des caractéristiques originales. Ainsi, le fait d’être un groupe dont les médias n’attendaient pas la mobilisation peut être un atout pour décrocher des alliés extérieurs à leur condition.

C’est ainsi que des prostituées protestant contre le harcèlement policier ont occupé l’église lyonnaise de Saint-Nizier en 1975, créant un précédent marquant. Puis elles ont multiplié les actions dans les décennies suivantes avec l’aide d’organisations issues d’univers ne partageant a priori pas l’ensemble de leurs revendications, comme des mouvements féministes ou celui du Nid.

Retards de paiements pour les précaires de l’université Jean Jaurès (France 3 Occitanie, 2018).

Au même titre que pour les prostituées, l’une des questions que soulève la mobilisation des collectifs d’enseignants précaires des universités concerne le soutien qu’apporteront à leur action les personnels enseignants titulaires et les fédérations syndicales. Pour celles-ci, s’engager pour une cause inhabituelle et dans un mode d’action encore nouveau ne va pas toujours de soi. Car la rétention des notes n’est devenue une façon reconnue d’agir en universités que dans la deuxième moitié des années 2010. Elle a été principalement mise en œuvre par des collectifs de précaires, certaines fois avec le soutien de sections syndicales locales ayant des membres communs avec ces collectifs, mais sans impliquer les fédérations.

On touche là à l’une des difficultés mises en évidence en 1977 par les sociologues Richard Cloward et Frances Piven dans leur travail portant notamment sur des mouvements d’ouvriers et de chômeurs. Si les grandes organisations de mobilisation disposent d’atouts évidents, leurs traditions, leurs logiques d’organisation et le poids de leur bureaucratie tendent à les enfermer dans des stratégies et modes d’action classiques. Cela complique les choses lorsqu’il s’agit de s’associer à des façons de faire plus originales ou offensives. Difficile de dire à ce stade, donc, si les précaires à l’initiative de cette mobilisation réussiront le tour de force d’y joindre les fédérations syndicales.

Mais qu’ils y arrivent ou non, ces enseignants ont construit au cours des toutes dernières années un tissu d’associations dans lesquelles, certes, seule une minorité de vacataires est impliquée, mais une minorité qui bénéficie d’un soutien croissant et a réalisé plusieurs précédents de rétention, souvent couronnés de succès. Ces précédents jouent un rôle extrêmement important en ce qu’ils rendent pensable non seulement la possibilité de reproduire une telle action à plus grande échelle, mais aussi celle de décrocher une victoire.The Conversation

Alessio Motta, Enseignant chercheur en sciences sociales, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Les étudiants engagés contre la réforme des retraites : une mobilisation inédite ?

6 Avril 2023 , Rédigé par The Conversation Publié dans #Education, #Université

Les étudiants engagés contre la réforme des retraites : une mobilisation inédite ?
Les étudiants engagés contre la réforme des retraites : une mobilisation inédite ?
Robi Morder, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Alors que se poursuit la mobilisation contre la réforme augmentant l’âge de départ à la retraite, les étudiants et les lycéens sont beaucoup plus nombreux à descendre dans les rues, lors des journées nationales de manifestations mais aussi lors de rassemblements locaux, qu’ils rejoignent depuis les universités et lycées, en grève ou bloqués.

Si on a noté la présence des syndicats étudiants aux côtés des syndicats de salariés dès le début du mouvement contre la réforme des retraites, le déclic semble avoir été l’utilisation de l’article 49.3 permettant l’adoption du texte sans vote par l’Assemblée nationale. C’est à partir de là que la sympathie de la jeunesse envers le mouvement social actuel s’est convertie en engagement concret.

En effet, si les retraites peuvent sembler une perspective lointaine à beaucoup d’étudiants, l’utilisation du 49.3, les obstacles mis aux actions de groupe (fermetures d’établissements, interdiction de se réunir) et les interventions brutales des forces de l’ordre constituent à leurs yeux une atteinte à la dignité collective.

Plaque sensible de la société, le mouvement étudiant retrouve ainsi son rôle historique de fer de lance contre les injustices et les atteintes aux libertés publiques et individuelles, comme il l’a fait depuis les révolutions de 1848 en Europe. Comme chaque mobilisation d’ampleur, celle de 2023 réactive des modes d’action bien connus mais elle révèle aussi de nouveaux liens entre monde étudiant et monde du travail.

Le blocage, un mode d’action plus fréquent

Ce n’est pas la première fois que la jeunesse scolarisée investit le terrain social général. Lors des grèves de décembre 1995 contre la réforme proposée par Alain Juppé, Premier ministre de Jacques Chirac, même si le mouvement étudiant s’était retrouvé « noyé » dans la masse des manifestants du secteur et de la fonction publics, il n’en existait pas moins avec ses assemblées générales, ses cortèges, ses coordinations nationales. En 2006, c’est le mouvement étudiant qui avait été la locomotive du mouvement contre le contrat première embauche, ou CPE, réformant le code du travail, et de l’intersyndicale mise alors en place.

Le répertoire d’action collective mis en œuvre demeure celui pratiqué depuis au moins les années 1968 par les étudiants : comités de mobilisation, assemblées générales, coordinations nationales, grèves, manifestations, actions spectaculaires pour obtenir l’attention des médias, piquets de grève.

Grève du 15 mars : étudiants et lycéens bloquent contre la réforme des retraites (L’Obs).

Le mouvement lycéen contre la loi Fillon de 2005 y avait ajouté des « blocages », outils repris largement par le mouvement étudiant en 2006. On note d’ailleurs une évolution du vocabulaire : désormais, organisations de jeunes comme autorités publiques ne dressent plus un bilan des établissements « en grève », mais des établissements « bloqués ». Cela révèle-t-il une difficulté à se réunir en AG dans l’établissement, et donc de voter la grève ?

Dans certains cas non, le blocage n’est que la dénomination actuelle de l’ancien piquet de grève – qui peut être « explicatif » (« filtrant », ou « dissuasif » (bloquant), il est voté en AG de grévistes. Dans d’autres, c’est effectivement le seul moyen qui reste pour signifier la participation à l’action, notamment dans les lycées, où la tenue de réunions est subordonnée aux autorisations de l’administration, qui peut les octroyer ou non, ou quand les élèves considèrent ne pas avoir le rapport de forces suffisant pour ce faire.

Du côté des étudiants, comme des délégués à la coordination nationale des 1er avril et 2 avril l’ont noté, s’il y a beaucoup de participation aux manifestations, les assemblées générales demeurent – sauf exception – relativement plus restreintes, autour de 300 ou 400 en moyenne.

Solidarité entre salariés et étudiants

L’une de particularités de la mobilisation étudiante et lycéenne actuelle, c’est le lien concret qu’elle établit avec les grèves et actions des salariés. L’affirmation de la « solidarité étudiants travailleurs » n’est certes pas une nouveauté, elle a déjà été proclamée en mai 1968, mais la pratique était plus délicate.

Paris : quelques dizaines de lycéens bloquent le lycée Racine (Le Parisien, 2023).

Le 17 mai 1968, le cortège qui s’élance de la Sorbonne occupée vers « la forteresse ouvrière » en grève de Renault à Boulogne-Billancourt se heurte aux grilles fermées. On se parle, mais au travers de grilles. La méfiance est souvent de mise contre les « enfants de bourgeois » qui feraient une crise d’adolescence avant de devenir les « patrons de demain ». Cette sociologie était déjà erronée, mais c’est elle qui demeurait dans l’imaginaire collectif.

La présence étudiante et lycéenne est maintenant manifeste non seulement dans les cortèges – ce fut déjà le cas dans les mouvements de 1995, et dans les manifestations sur les retraites des années 2000 et 2010 – elle l’est aussi désormais à la base. Dans de nombreux établissements, étudiants et lycéens décident dans leurs AG et réunions de prêter main-forte aux piquets de grève de salariés, par exemple en Île-de-France sur les sites de traitement de déchets, et l’on a eu aussi des cas où des salariés grévistes viennent renforcer des blocages de lycéens pour les protéger face à la police. La nouveauté réside dans la systématisation de ces rencontres, leur multiplication, et que cela « va de soi » pour les acteurs.

En réalité, ces actions sont le révélateur de l’évolution profonde du monde du travail et en amont, du monde étudiant, univers étroitement intriqués et pour l’essentiel inséparables dans leurs origines, leur présent et leur avenir.

Une jeunesse précarisée

Nous sommes loin du « petit monde des étudiants », considéré comme privilégié. Ce sont trois millions de jeunes qui sont dans l’enseignement supérieur. Leur sociologie ne correspond pas à celle de la France, ouvriers et employés demeurant sous-représentés au-delà du bac (27 %) mais on ne saurait assimiler les professions intermédiaires (14 %) et tous les cadres et professions intellectuelles et supérieures mêlées dans les statistiques (34,7 %) aux couches les plus privilégiées. L’écrasante majorité des étudiants a des parents salariés (et même 12 % de retraités et « inactifs »), seuls 10 % sont issus de familles propriétaires de leurs entreprises : commerçants, artisans, agriculteurs.

Au cours de leurs études, 40 % des étudiants travaillent. Si le pourcentage n’a guère varié au cours de ces dernières décennies – c’est un pourcentage déjà mis en avant dans les années 1950 – c’est le nombre qui s’est démultiplié. 40 % de 250 000 étudiants ou de 2 500 000 étudiants ne donnent pas une même force sociale. Aujourd’hui, c’est plus d’un million d’étudiants qui travaillent, ce qui représente 6 à 7 % du salariat du privé. Autrement dit, un million de salariés, de travailleurs sont aussi étudiants.

La massification du supérieur des dernières décennies a transformé également le salariat, et modifie donc sa connaissance, et partant sa vision du monde étudiant. 60 % de la population active possède le bac ou équivalent, 41,5 % a suivi des études supérieures, 27 % a au moins bac +2 et les chiffres sont plus élevés encore dans les couches les plus jeunes (diplôme le plus élevé selon l’âge et le sexe).

Selon l’OIT, le salariat français comptait en 2015 45 % de personnel hautement qualifié. L’accession de Sophie Binet au secrétariat général de la CGT, ancienne responsable syndicale étudiante à l’UNEF au moment de la grève contre le CPE, elle-même diplômée et cadre, est une illustration de ces mutations.The Conversation

Robi Morder, Chercheur Associé au Laboratoire Printemps, UVSQ/Paris-Saclay, co-président du Groupe d'études et de recherches sur les mouvements étudiants (Germe), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Après la thèse, pourquoi faire un postdoctorat ?

16 Mars 2023 , Rédigé par The Conversation Publié dans #Education, #Université

Appel à candidature –Post-Doc (Fev-2023) (Projet BIORESOL-IRESEN)

Après la thèse, pourquoi faire un postdoctorat ?
Albane Grandazzi, Grenoble École de Management (GEM) et Juliette Senn, Montpellier Business School

De la collecte de données à la valorisation de ses travaux en passant par la publication d’un premier article scientifique, L’expérience de la thèse en management documente les défis qui se posent aux doctorants. En s’appuyant sur les retours de terrain de jeunes chercheurs, les coordinateurs de l’ouvrage, Hugo Gaillard, Julien Cloarec, Juliette Senn et Albane Grandazzi, invitent les lecteurs à remettre en perspective les questionnements qui surgissent à chaque étape de leur parcours. Ci-dessous, voici un extrait de la cinquième partie de l’ouvrage consacrée au choix de poursuivre en postdoctorat.


Les bonnes raisons d’effectuer un postdoc

Plutôt qu’un contrat, il serait plus adéquat de parler d’une période de transition entre la thèse et la prise de poste, tout comme le décrit le récent Code de la recherche qui statue sur les différentes « modalités particulières d’emploi scientifique ». En pratique, le chemin peut être long et parsemé d’embûches, d’autant plus qu’il intervient déjà après la longue période de la thèse. Cette transition nous paraît un bon choix si le postdoc donne les bons outils pour obtenir le poste que l’on vise ensuite. Il faut donc l’envisager comme une première étape dans sa carrière. En effet, « faire un postdoc pour faire un postdoc » n’est pas une bonne option. En revanche, quatre raisons nous semblent particulièrement pertinentes pour poursuivre dans cette voie.

a) Développement des compétences pour trouver un poste

Le postdoc est avant tout un bon moyen de compléter son profil de recherche, qui passe souvent par la publication de travaux liés à la thèse, et le bien nommé « job market paper » dans le monde anglo-saxon. La tendance du postdoc est donc largement soutenue par la nécessité de publier à l’ère du « publish or perish ». C’est donc l’occasion de publier des résultats de sa thèse par exemple, ou d’un autre projet de recherche débuté en parallèle. Comme explicité plus haut dans l’introduction, il n’est pas dans cette optique un moyen de retarder la prise de poste, encourageant les postures indécises.

Ce serait biaisé pour autant de ne penser uniquement le postdoc au travers de la recherche. Il permet de compléter son profil dans tous ses aspects, par exemple celui de l’enseignement dans le cas où l’on aurait peu enseigné : par exemple, lors des thèses CIFRE où l’enseignement est optionnel. Il permet également de développer son « réseau », à savoir s’intégrer dans des communautés scientifiques françaises et internationales. Ainsi, le postdoc va pouvoir se construire un statut dans sa communauté, ce qui pourra lui offrir des opportunités de carrière.

Enfin, il est un moment privilégié pour sa recherche de poste : un moyen de gérer la « file d’attente » découlant du fait qu’il y a beaucoup plus de docteurs que de postes disponibles. Les postes de maîtres de conférences (MCF) sont en déclin depuis 10 ans alors que le nombre de candidats qualifiés augmente, même si cela dépend des disciplines. À titre d’illustration, il est très difficile de trouver des candidats en comptabilité. Par ailleurs, il permet de répondre à une internationalisation du marché du travail, en particulier dans des écoles où le recrutement s’étend largement au-delà de nos frontières : les doctorants français, ayant soutenu leur thèse de doctorat en université, sont en concurrence avec des PhD qui ont quatre à cinq ans d’expérience, avec des publications déjà intégrées à leur thèse. De ce point de vue, s’engager dans un postdoc après l’obtention d’un doctorat français peut paraître logique si l’on désire obtenir un poste en école où le recrutement est fortement internationalisé. A noter que le postdoc est aussi courant pour des PhD ayant déjà 4 à 5 ans d’expérience.

b) Cultiver la dimension internationale

L’évolution de la formation doctorale encourage une culture académique internationale. Pour autant, faire un postdoc n’implique pas nécessairement de partir dans un pays étranger. Tout dépend de l’endroit où l’on souhaite poursuivre sa carrière. Partir à l’étranger pendant la période postdoctorale peut paraître en effet comme un atout : style d’enseignement, nouvelles idées qui façonnent le travail de recherche, ou encore l’exposition à une culture académique différente. La dimension internationale est surtout synonyme de nouvelles connexions avec d’autres chercheurs internationaux, ouvrant les portes à plus d’opportunités de co-écriture en particulier. En cela, c’est avant tout un élargissement des perspectives de recherche, de la visibilité de son travail, et des codes appris jusqu’alors. Cependant, il nous semble important de mentionner qu’« internationaliser » son postdoc est également envisageable en restant dans son pays d’origine. Par exemple, beaucoup de grandes écoles de commerce sont insérées dans des réseaux internationaux de par leur recrutement. Le chercheur peut donc s’engager dans cette dimension internationale à plusieurs niveaux.

c) L’émancipation du jeune chercheur

Enfin, un des atouts indéniables du postdoc est de s’émanciper de son laboratoire d’origine, de son directeur ou directrice de thèse, d’affirmer son projet, et en fin de compte, de contribuer grandement à construire son identité d’académique. Pour Olivier Germain et Laurent Taskin « toute relation entre le directeur et son doctorant devrait constituer un espace d’émancipation et de confrontation », discutant l’étude de Wright, Murray et Geale sur la typologie des rôles de directeurs de thèse et leurs finalités.

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En effet, le doctorat en France reste très marqué par la présence visible d’un directeur ou d’une directrice de thèse. Cette personne guide tant les recherches, que les réseaux académiques dans lesquels « son » doctorant (le pronom possessif étant lui-même révélateur) s’inscrit. Même si on note des évolutions importantes sur ce point, en particulier avec la forte augmentation des thèses co-dirigées depuis dix ans, ou par l’instauration de comités de thèse qui suivent l’évolution du doctorant avec des professeurs externes, il n’en demeure pas moins que le doctorat à la française privilégie encore une relation bilatérale. Nous ne souhaitons pas critiquer cet aspect : c’est aussi ici que se joue la beauté du compagnonnage académique selon nous, même s’il n’est pas exempt de certaines dérives, et nous ne pouvons que le déplorer. Pour autant, il nous semble important qu’un jeune docteur puisse travailler en direct avec d’autres collègues, professeurs, au sein d’un laboratoire qui n’est pas celui qui l’a d’abord vu comme doctorant.

Par ailleurs, au-delà de cet aspect identitaire, cela lui apportera aussi de nouvelles méthodes de travail, de fonctionnement d’un département, d’une équipe de recherche, des traditions théoriques pouvant être complémentaires. Les relations entre collègues, l’environnement de recherche et d’enseignement, les relations avec les étudiants sont des points qui peuvent varier fortement d’une institution à l’autre. Le postdoc permet donc de développer sa recherche qui peut être vue comme un processus d’apprentissage qui s’étire parfois jusqu’à plusieurs années après l’obtention du doctorat (Höhle et Teichler, 2013). Ce processus structure l’identité du chercheur. En cela, le postdoc permet de développer sa propre identité scientifique et de sortir de ce qui est parfois considéré comme la « coupe » du directeur ou directrice de thèse.

En ce sens, le postdoc peut permettre de savoir quoi viser précisément dans sa recherche de poste. D’après les retours d’expériences dont nous disposons, il est parfois nécessaire pour affiner son projet professionnel, en découvrant d’autres univers académiques. C’est donc un jeu d’équilibriste entre chercher un postdoc cohérent avec son projet professionnel, tout en conservant une certaine latitude pour le faire évoluer.

1.2. Les risques et les pièges

Pour autant, nous avons conscience que le postdoc est souvent nécessaire pour obtenir un poste, tant les exigences sont multiples et élevées et parfois contradictoires : avoir conduit une recherche doctorale de qualité, avoir publié pendant sa thèse ou montrer des projets de publications déjà bien développés, avoir enseigné un nombre suffisant d’heures auprès de publics variés, être intégré dans les réseaux de sa communauté scientifique, être engagé dans la vie de son département et/ou de son équipe, etc. Le postdoc serait donc à ce titre l’étape souvent indispensable, et parfois non désirée par le doctorant lui-même, pour construire ce qu’on appelle souvent un profil du « mouton à cinq pattes ». À ce titre, il entraîne un certain nombre de risques et de pièges, qu’il nous semble particulièrement important de discuter ici.

a) Le postdoc, à la recherche du temps perdu ?

En premier lieu, le postdoc présente le risque de ne pas bien négocier le contenu exact de son poste, en particulier son temps de recherche. Les activités sont souvent mêlées entre recherche collective, personnelle, les services au laboratoire, des missions plutôt orientées sur la gestion de projet, l’organisation d’évènements scientifiques ou à destination de professionnels. Il est alors aisé de s’y perdre. Quel équilibre viser entre tous ces éléments ? Il est important d’expliciter le temps de recherche dont on veut disposer dans la négociation de son poste. C’est là une condition importante pour accepter ou non la proposition que vous aurez. D’après notre expérience et de celles de nos jeunes collègues, avoir 50 % du temps dédié à la recherche personnelle dans un postdoc constitue un bon équilibre. Ce chiffre pourrait paraître élevé dans certains contextes institutionnels, mais il est souvent indispensable pour pousser ses projets de l’après-thèse et trouver un poste permanent. Cela place réellement le postdoctorant dans une posture d’enseignant-chercheur, prêt à démarrer son premier poste académique.

b) L’engagement dans une institution

Le postdoc est souvent vu comme un temps précieux pour se concentrer sur son développement intellectuel, parfois en privilégiant certains aspects par rapport à d’autres. À l’inverse d’un poste d’enseignant-chercheur donc, il n’est pas surprenant d’observer une participation plus minime à la vie de l’institution : responsabilités administratives, projet d’encadrement, programme d’enseignement, service et même l’attachement affectif ne doit pas être comparable entre le postdoctorat et le poste. Notre propos n’est pas ici de décourager un investissement dans l’institution du postdoc, bien au contraire, mais de veiller toujours à respecter un certain équilibre entre cet engagement institutionnel et le développement de votre recherche.

En particulier si le jeune docteur se trouve bien identifié dans une institution, une sorte de « sur » engagement est parfois la pente naturelle que prennent de nombreux collègues. Sans présager de mauvaises intentions de la part des institutions qui les accueillent, les chercheurs postdoctoraux sont rarement encouragés, et encore moins obligés, à consacrer du temps à préparer une prise de poste future. Les méthodes de travail distribuées et souvent individuelles du métier académique ne permettent pas de donner à voir tous ces éléments aux yeux de l’institution qui vous emploie. Pour autant, la recherche et la préparation d’une prise de poste constituent une stratégie essentielle. Là aussi, c’est au postdoc de trouver le bon équilibre entre sa recherche personnelle, dont il doit veiller à la protection, et le développement de ses réseaux académiques, éléments indispensables dans l’obtention d’un poste permanent.

c) Les raisons personnelles

La décision de faire un postdoc est intrinsèquement liée à nos conditions et à nos étapes de vie personnelles. Cela peut paraître évident, mais pour réussir son postdoc, il faut pouvoir le réaliser dans de bonnes conditions, dans l’objectif de chercher un emploi par la suite. La précarité de ce type de contrat est bien trop souvent mise en avant, mais les situations sont variables d’une institution à l’autre. Sa situation personnelle, en particulier sa situation conjugale, mais aussi familiale et amicale, est essentielle à considérer. À notre sens, elle ne doit pas rester un des multiples éléments dans la balance, mais offrir les conditions de possibilités d’un postdoc conduit avec succès.

En confrontant nos expériences respectives, on peut par exemple trouver de nombreuses tensions caractérisées par le statut de chercheur féminin qui mettent à jour une tendance à invisibiliser la question du genre dans les carrières académiques. L’équilibre vie personnelle-professionnelle est souvent construit comme une tâche impossible et préjudiciable à la carrière des femmes (Toffoletti et Starr, 2016). La maternité est par exemple souvent reculée à l’obtention d’un poste permanent (voir, par exemple, Huppatz et coll., 2019). Autre exemple, les couples peuvent être à distance, à des centaines, et parfois des milliers de kilomètres. Notre intention n’est pas ici de donner un avis personnel, ou un guide de conduite à suivre. Pour autant, il nous semble important d’avoir ces éléments en tête pour poser un choix éclairé. Le postdoc peut ouvrir des portes professionnelles. Reste à savoir à quel prix…The Conversation

Albane Grandazzi, Professeur Assistant, Grenoble École de Management (GEM) et Juliette Senn, Assistant Professor, Montpellier Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Grève étudiante du 9 mars : derrière la réforme des retraites, la précarité de la jeunesse

9 Mars 2023 , Rédigé par Libération Publié dans #Education, #Université

L'université de déperdition | Laformation.ma

Les syndicats étudiants appellent à une journée de mobilisation contre la précarité des jeunes ce jeudi 9 mars. Une occasion de peser sur les négociations en cours pour la réforme des bourses.

Et si on parlait de la précarité de la jeunesse en plein mouvement sociale contre la réforme des retraites ? Voilà le pari des organisations étudiantes pour ce 9 mars, avec un focus précis : la réforme des bourses étudiantes. Embourbé dans la séquence sur les retraites, ce nouveau chantier peine à aboutir. Pourtant, Sylvie Retailleau a ouvert le dossier dès son arrivée au ministère de l’enseignement supérieur, en mai. La réforme doit se faire en deux temps : d’abord une amélioration paramétrique du système actuel dès la rentrée 2023, puis une refonte structurelle du système de bourses pour 2024. Mais le contenu de la mise à jour pour 2023 se fait attendre. Il ne faut pas, pour le gouvernement, donner aux étudiants une raison de plus de rejoindre la colère sociale qui s’exprime à propos de la réforme des retraites. Les syndicats organisent une manifestation et un meeting festif à Paris ce jeudi 9 mars pour faire monter la pression sur le gouvernement.

D’après les premiers éléments sortis dans la presse (par l’agence AEF et le Monde), les pistes envisagées pour la rentrée prochaine coûteraient quelques centaines de millions d’euros à l’Etat (sur un coût total des bourses de 2,3 milliards par an). Une revalorisation du barème des bourses, ce qui permettrait d’augmenter de 10 % le nombre de boursiers, serait sur la table. Le ministère aimerait aussi annuler les effets de seuil, quand le passage d’un échelon à un autre fait diminuer drastiquement le montant perçu. Enfin des dispositifs d’avance de trésorerie ou de coup de pouce dans les régions chères (Ile-de-France, DOM-TOM) seraient aussi dans les tuyaux. Des ébauches de décisions qui vont «dans le bon sens», pour Félix Sosso, porte-parole de l’organisation étudiante majoritaire, la Fage. Encore faut-il que ces fuites soient bien le projet du gouvernement. L’Unef juge ces propositions «insuffisantes». «Il manque des éléments sur la défamiliarisation, un étudiant doit pouvoir faire une demande de bourse avec un revenu fiscal personnel et des dispositifs pour les étudiants étrangers. On a vu pendant la crise sanitaire, qu’ils étaient particulièrement précaires», avance sa présidente, Imane Ouelhadj. De son côté, l’Alternative réclame que les bourses les plus élevées soient revalorisées à hauteur du seuil de pauvreté et que le montant soit ensuite dégressif jusqu’à concerner la moitié des étudiants. Une proposition reprise par la députée écologiste Sophie Taillé-Polian dans une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale et chiffrée à onze milliards d’euros.

Mesures d’urgence

Le sujet est politiquement sensible. Face à l’opposition du parti de la majorité présidentielle, le PS a échoué à faire adopter par l’Assemblée nationale – à une voix près – le repas à un euro pour tous les étudiants. Depuis l’épidémie de Covid-19, les files d’attente ne faiblissent pas lors des distributions alimentaires gratuites«Les députés Renaissance et LR ont rejeté notre proposition pour […] le repas à 1 euro pour tous les étudiants. Pour que tous les étudiants puissent manger à leur faim. Le combat continue», avait alors tweeté le président du groupe Boris Vallaud. Contacté par Libération, le ministère détaille toutes ses mesures pour faire face à l’urgence de la précarité étudiante : repas à un euro pour les boursiers et les précaires sur demande, revalorisation de 4 % des bourses, gel des droits d’inscription et des loyers du Crous, indemnité exceptionnelle de 100 euros, aide aux associations… Mais il sait être attendu sur ses mesures de long terme.

Concernant la réforme structurelle du système de bourse prévue pour 2024, les syndicats sont unanimes pour demander une forme d’universalisation de l’aide étudiante. En clair, un revenu garanti pour tout étudiant qui en ferait la demande. «Il est important de décorréler l’aide à la situation familiale des étudiants pour garantir l’égalité des chances. Notre proposition coûterait 14 milliards de plus à l’Etat», résume Félix Sosso. Pour Imane Ouelhadj, pas question d’envisager un revenu en dessous du seuil de pauvreté. Du coté du ministère, on reconnaît la nécessité de «faire évoluer le système pour mieux répondre aux difficultés des étudiants», mais on vante une approche plus globale de la vie étudiante incluant des politiques d’accès au logement, à la santé et à la culture, notamment. Ces discussions pourraient traîner, le temps que l’opposition à la réforme des retraites se calme.

Olivier Monod

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Gauche ou droite : qui mettra en place le «revenu universel» pour les étudiants ?

24 Février 2023 , Rédigé par Liberation Publié dans #Universite, #Jeunesse

Confondre la droite et la gauche : pourquoi cela touche les dyslexiques ?

Le rejet par l’Assemblée nationale du projet de loi socialiste instaurant un repas à un euro pour tous les étudiants souligne le flou idéologique qui entoure l’universalité des allocations à la jeunesse.

La cantine à un euro pour tous les étudiants, l’idée pouvait paraître consensuelle. Pourtant, la proposition de loi portée par la socialiste Fatiha Keloua-Hachi qui visait à réformer les tarifs du Crous a été rejetée par l’Assemblée nationale le 9 février après un vote très serré : 184 voix contre 183. Le Rassemblement national a soutenu la proposition défendue bec et ongles par la Nupes ; la majorité, elle, s’est massivement opposée : selon elle, il serait «injuste» d’en faire profiter les étudiants de milieux favorisés, ce tarif s’appliquant déjà «aux étudiants boursiers et précaires», ainsi que cela fut mis en place pendant la pandémie. Il a été opposé aux députés Renaissance que les enfants de riches ne mangeaient évidemment pas au Crous, et que cette réforme aurait bénéficié aux étudiants qui n’entrent pas de justesse dans les critères d’obtention des bourses (lesquels n’ont pas été révisés depuis 2013).

La justice consiste-t-elle à rendre universel un avantage ou à en faire bénéficier les plus démunis ? Le débat crée la confusion dans les partis. Si la Nupes a porté une mesure universelle pour la cantine des étudiants, souvenons-nous que le Parti socialiste de François Hollande avait affirmé, avec force, le principe de modulation selon les ressources, en supprimant les allocations familiales universelles – une universalité alors défendue par la droite, mais aussi par le Parti communiste.

Une réforme d’ampleur en sommeil

La confusion persiste concernant la possibilité d’un revenu universel étudiant. Cette réforme d’ampleur, en sommeil dans l’agenda de plusieurs courants politiques depuis une trentaine d’années, serait sur le point d’émerger selon l’économiste Philippe Aghion qui milite pour ce qu’il appelle un «revenu universel de formation» : «Je sais qu’il y a au gouvernement des gens qui y sont favorables», confie le professeur au Collège de France à Libération, sans préciser qui. «Ce serait tout de même bienvenu pour contrebalancer l’impopularité de la réforme des retraites», observe celui qui a l’oreille d’Emmanuel Macron depuis qu’ils ont travaillé ensemble pour la commission Attali en 2007.

En lieu et place des bourses, la proposition de Philippe Aghion consiste à rémunérer étudiants et apprentis pour leur donner «une plus grande autonomie et les moyens de décider de leur avenir». Ils sont potentiellement trois millions à être concernés par une mesure qui coûterait environ 4 milliards d’euros selon un rapport de Terra Nova datant de 2011. L’économiste propose 890 euros (la moitié du salaire médian) pour tout étudiant qui ne figure plus sur la déclaration fiscale de ses parents.

Chez la majorité des enseignants-chercheurs, qui sont «confrontés à une précarité grandissante au contact des étudiants de familles populaires qui n’auraient pas accédé au supérieur il y a encore dix ans», l’idée ne fait plus débat : le sociologue Camille Peugny l’a défendue dans son livre Pour une politique de la jeunesse (Seuil, 2022) en s’inspirant du modèle danois : «Il consiste à proposer une allocation d’études universelle pour tous les jeunes jusqu’au master. Au Danemark, c’est 750 euros par mois pendant six ans.»

La mesure est conçue pour aider les jeunes «quelles que soient leurs origines sociales. Cela lève le frein financier à la poursuite d’études pour les enfants des milieux populaires, et cela permet aux autres d’étudier dans de meilleures conditions», résume Camille Peugny. Dans ce modèle, les jeunes sont soumis à des impératifs d’assiduité et de réussite de leurs études, comme c’est le cas avec les bourses sur critères sociaux en France.

Le principal obstacle demeure idéologique

Mais pour que cette mesure soit vraiment universelle, il faudrait une «extension immédiate de l’âge d’accès au RSA à 18 ans au lieu des 25 actuels, estime le politiste Tom ChevalierA l’instant T, un étudiant peut être précaire, mais s’il valide ses études, il aura accès à un emploi de qualité et sera protégé du chômage. Il est impensable de faire l’allocation études sans ouvrir le RSA à tous», tranche le chargé de recherches au CNRS. Les près de 100 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme chaque année ne peuvent guère bénéficier que du contrat d’engagement jeune (CEJ) mis en place le 1er mars 2022, en remplacement de la garantie jeunes (GJ). «Ce dispositif vient aussi des pays scandinaves, rappelle Camille Peugny. Les jeunes reçoivent une allocation mensuelle pendant un an en échange d’un suivi individualisé pour trouver un emploi. Mais les missions locales n’ont pas les moyens de véritablement suivre les dossiers, et le CEJ n’a fait que renforcer la partie “contrôle” de cette aide.»

Selon le chercheur, le principal obstacle à l’instauration d’un revenu universel demeure idéologique : «Je rappelle que l’extension du RSA aux jeunes de 18 à 25 ans a été refusée consécutivement par Sarkozy, par Hollande, puis par Macron durant son premier mandat, avec le même argument : on ne peut pas donner comme signal aux jeunes qu’on les assiste», déplore-t-il. «Il y a toujours des gens qui disent que ça encourage la paresse ; c’est les réacs. Et puis, il y a les plus progressistes», résume Philippe Aghion. «C’est en tout cas un débat qui n’est pas clair d’un point de vue partisan, complète Tom Chevalier. Même au sein de la gauche, il y a des discussions.»

Une revendication formulée depuis 1946

Pourtant, la revendication d’un «salaire étudiant» a été formulée par l’Unef en 1946 dans sa charte de Grenoble. Ce modèle a été porté à bas bruit par les communistes avant un retour dans les années 90 sous le nom d’«allocation d’autonomie ou d’études». «Le débat a toujours été le même, explique Tom Chevalier : est-ce qu’on fait une stratégie “Robin des bois” en taxant les plus riches, ou est-ce qu’on choisit l’universalité ? En France, on a opté pour un entre-deux, c’est-à-dire les bourses, et donc la familiarisation des dispositifs. Ce système est complètement obsolète.» Verser les allocations aux parents d’enfants de plus de 18 ans qui poursuivent des études dit beaucoup de notre conception de la jeunesse, selon les deux chercheurs. Ils plaident pour que les jeunes de 18 ans soient «considérés comme des adultes», et qu’on arrête donc de les considérer jusqu’à 25 ans comme les enfants de leurs parents. «Si on est adulte et citoyen à 18 ans, on doit arrêter de renvoyer les jeunes à leurs origines sociales, comme c’est le cas avec cette histoire de repas à un euro réservé aux boursiers», acte Camille Peugny.

Une étude de Tom Chevalier sur les effets de l’action publique dans la confiance institutionnelle des jeunes en Europe (Revue française de sociologie, 2019) pourrait hâter les indécis : «Plus les Etats reconnaissent le statut d’adulte des jeunes, plus les jeunes ont confiance dans les institutions. Les jeunes Danois disent qu’ils sont en pleine confiance avec l’Etat. En France, on dépense beaucoup d’argent pour eux, mais cela demeure invisible puisque cet argent passe par les familles. Quand il est versé directement dans la poche des jeunes, ça devient visible, ils savent que l’Etat fait quelque chose pour eux.»

Adrien Naselli

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«Reprenons nos universités, expulsons les gauchistes» ou la renaissance du GUD

14 Décembre 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education, #Universite, #Politique

Drapeau du GUD lors des manifestations opposées au mariage homosexuel en mai 2013 I THOMAS SAMSON / AFP

Néofascisme

A Paris, le retour du GUD électrise l’extrême droite violente

Marque historique de l’activisme néofasciste, le mouvement, en sommeil depuis 2017, a été relancé en novembre. De premiers tracts appellent à la violence contre la «vérole gauchiste».

En sommeil depuis 2017, le GUD, tristement célèbre pour sa violence et son néofascisme décomplexé, est de retour. C’est à ce stade via une unique section locale, à Paris, lancée début novembre mais, selon nos informations, ce renouveau fait grand bruit chez les militants d’extrême droite – activistes fascisants ou du parti zemmouriste Reconquête – qui fantasment toujours les faits d’armes du groupe. Et si on attendait plutôt les gudards collectionner les bagarres, pour le moment ils dessinent des tags belliqueux dans le Quartier latin et… tractent. Ces feuillets, dont Libé s’est procuré un exemplaire, promettent toutefois bien un retour violent.

«Reprenons nos universités, expulsons les gauchistes», annonce le recto du tract frappé du nouveau logo du groupuscule qui reprend l’iconique rat noir des origines. Selon l’historien spécialiste du sujet Nicolas Lebourg, le slogan est le même que celui du premier prospectus distribué par Unité radicale, groupuscule dissous après la tentative d’assassinat de Jacques Chirac par Maxime Brunerie en 2002. Le ton est donné. Le verso, arborant la croix celtique des néofascistes français, n’est pas en reste. L’ennemi désigné, cette «vérole gauchiste», ces «excités marxistes» et autres «crétins abreuvés de théories wokistes, islamistes, LGBT, immigrationnistes et féministes», dessine en creux les obsessions de ces nationalistes. Outre les syndicats Unef et SUD, les «enseignants collabos» en prennent aussi pour leur grade. Le GUD en appelle à faire front «par tous les moyens» – «même légaux», aurait ajouté Maurras.

Le groupe a aussi lancé un Cercle Oswald Spengler, auteur phare de la Révolution conservatrice allemande. Ce petit club propose de la littérature typiquement gudarde et glorifie les milices racistes armées. Une réactivation de plus : au début des années 70, alors dirigé par Philippe Péninque, le GUD d’Assas avait fondé cette structure «afin de renforcer le niveau de formation politique» de ses troupes, rappelle le livre les Rats maudits, qui narre la légende du GUD par les gudards sous la direction notamment de Frédéric Chatillon, vieil ami de Marine Le Pen et prestataire du Rassemblement national. Signe des temps, ce «cercle» a désormais un compte sur Instagram et sa dernière photo de propagande montre des militants pratiquant des sports de combat…

Gros bras néonazis

Ce programme séduit de larges pans des activistes d’extrême droite radicale. Les nouveaux gudards se sont affichés faisant le show, fumigènes en main, dans le dernier rassemblement anti-GPA de la Marche pour la vie, fin novembre. Alors que les effectifs du groupe restent flous à ce stade, leurs comptes sur les réseaux sociaux dessinent les contours de leur auditoire. Anciens membres de Génération identitaire, jeunes de l’Action française, sympathisantes des «féministes identitaires» de Némésis, militants de Reconquête ou de Génération Z – le mouvement de jeunesse zemmourien –, pullulent dans les «likes» sous les publications des nouveaux rats noirs. Les doubles, voire triples, appartenances n’étant pas rares. Sans oublier les héritiers du Bastion social dissous en 2019 pour sa violence.

Et, bien sûr, les Zouaves Paris, déjà ersatz du GUD, interdits en janvier. Selon nos informations, ses membres semblent tenir bonne place dans ce nouveau groupe. A l’image de Marc de Cacqueray-Valménier, gosse de la vieille aristocratie devenu cogneur mi-hooligan mi-néonazi. A coups de poing, le jeune homme de 24 ans s’est hissé au rang de leader des Zouaves. Il était en première ligne quand le groupe jouait les émeutiers dans les manifestations de gilets jaunes entre 2018 et 2019. C’est lui qui envoyait un SMS félicitant les troupes après l’attaque, en plein jour, du bar antifasciste parisien le Saint-Sauveur en 2020. La même année, il s’affichait kalashnikov en main et badge «totenkopf» nazi sur le torse au Haut-Karabakh. C’est lui enfin qui est identifié par Mediapart dans les cogneurs qui passent à tabac des militants de SOS Racisme au meeting de Villepinte de Zemmour, en décembre 2021. Lui encore qui est reconnu par Libé à la tête d’un cortège d’extrême droite dans une manif anti-pass sanitaire en janvier 2022. Cette dernière violation d’un contrôle judiciaire qui s’est resserré au fil de ses méfaits lui a valu un passage en détention provisoire, dont il est sorti avant l’été.

Pas vacciné par ce séjour derrière les barreaux, Cacqueray-Valménier posait récemment devant un graffiti du GUD Paris réalisé «avec [ses] camarades de la Cagoule», un collectif de graffeurs reprenant le nom du groupe terroriste d’extrême droite actif dans les années 30. Si le visage de Marc de Cacqueray-Valménier est dissimulé, Libé a pu l’identifier grâce aux tatouages caractéristiques dont ses jambes sont bardées, dont un symbole nazi. Il n’a pas répondu à nos sollicitations.

«Jihad chrétien»

Son CV colle avec l’ADN du GUD. Au départ fondamentalement anti-communiste avant de prendre un virage néofasciste, le groupe présentait des listes aux élections étudiantes, mais l’essentiel de son activisme consistait dans l’action violente. Son antisémitisme a pu le mener à défendre la cause palestinienne au nom de l’antisionisme. A partir des années 90, rappelle Nicolas Lebourg, le rat noir adopte le keffieh des fedayin et prend notamment pour slogan «A Paris comme à Gaza, intifada». Le nouveau GUD Paris semble à son tour adhérer au mythe d’une France «occupée» du fait du grand remplacement, théorie raciste et complotiste voulant que le peuple français «de souche» soit au bord de la submersion démographique.

Hasard ou coïncidence, le GUD Paris apparaît également lié à un compte Instagram nommé White sharia. Ces fondus de la race, fondamentalistes chrétiens et réactionnaires sont décriés jusque dans les rangs de l’extrême droite pour leur vision rétrograde de la place de la femme dans la société notamment. Ils appellent au «jihad chrétien», glorifient la famille traditionnelle et les armes. Leur nouveau signe de reconnaissance : lever l’index comme peuvent le faire les djihadistes. Sur plusieurs photos de propagande, des militants du GUD Paris font le même geste.

Maxime Macé et Pierre Plottu

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Georges Duby, historien : "Nous devons nous adresser à un public plus étendu que celui de nos amphithéâtres"

5 Décembre 2022 , Rédigé par France Culture Publié dans #Education, #Histoire, #Universite

Radioscopie - Georges Duby [3] (1981) - YouTube

En mai 1978, l’historien et médiéviste Georges Duby était l’invité de l’émission "Les discours de l'Histoire" sur France Culture, sur le thème "Aujourd'hui l'historien".

Avec Georges Duby

C’est par la lecture des premières lignes du "Temps des cathédrales", célèbre essai de l’historien Georges Duby publié chez Gallimard en 1976, que s’ouvre cette émission : "Très peu d'hommes. Des solitudes qui vers l'ouest, vers le nord, vers l'est s'étendent, deviennent immenses et finissent par tout recouvrir. Des friches, des marécages, des fleuves vagabonds et les landes, les taillis, les pacages, toutes les formes dégradées de la forêt que laissent derrière eux les feux de broussaille et les ensemencements furtifs des brûleurs de bois". Le comédien Jean Topart, de sa voix grave et inspirée, invite ainsi les auditeurs à entrer dans les profondeurs du Moyen Âge, à travers ces quelques lignes oniriques et visuelles signées par le grand médiéviste français (1919-1996).

"Le discours historique est une création dans laquelle l’art d’écrire et la sensibilité jouent un rôle considérable."

« Quelle que soit l’efficacité des méthodes, précise d’emblée l’historien au cours de cet entretien, le discours historique est une création dans laquelle l’art d’écrire et la sensibilité jouent un rôle considérable". Interrogé sur son métier d’historien professionnel et sa manière d’écrire l’histoire, Georges Duby rappelle sa filiation avec l’École des Annales fondée par Marc Bloch et Lucien Febvre à la fin des années 1920, et le courant historiographique de "la Nouvelle Histoire" ouvrant la discipline historique à l’ensemble des sciences humaines.

L’historien aux aguets du monde

"L’historien doit être aux aguets de tout ce qui se passe autour de lui, précise Georges Duby.  Il me semble avoir mieux compris la société médiévale après avoir lu ce que des ethnologues ou des ethnographes ont rapporté des sociétés extra-européennes".

Sensible à l'engouement toujours plus grand du public pour l'histoire, Georges Duby souhaitait rendre accessible les travaux des historiens au plus grand nombre, notamment grâce aux institutions médiatiques. "Nous devons nous adresser à un public plus étendu que le public de nos amphithéâtres" considère l’historien et académicien dont l’œuvre a été publiée dans la prestigieuse collection de la Pléiade.

Production : Raymond Bellour et Philippe Venault

Réalisation : Jean-Jacques Vierne

1ère diffusion : 15/08/1978

Edition web : Sylvain Alzial, Documentation Radio France

Archive INA-Radio France

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Enseignement supérieur et recherche : les efforts budgétaires du gouvernement « absorbés » par l’inflation

1 Décembre 2022 , Rédigé par Public Sénat Publié dans #Université, #Education

Lors de l’examen des crédits du budget 2023 consacrés à l’Enseignement supérieur et à la recherche, les sénateurs ont salué la tenue des engagements budgétaires pris par l’exécutif dans la Loi de programmation de la Recherche (LPR). Toutefois, ces hausses budgétaires vont être « absorbées » par l’inflation en 2023, et le Sénat a donc enjoint Sylvie Retailleau de revoir la trajectoire budgétaire l’année prochaine.

LPM, LOPMI, LPR… Les acronymes se suivent, mais les augmentations budgétaires ne se ressemblent pas. Si les sénateurs avaient salué des engagements budgétaires pérennes pour la défense avec la loi de programmation militaire (LPM) et pour la sécurité avec la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI), c’est un peu plus compliqué pour le budget de la Recherche. Certes, formellement, le gouvernement a tenu ses engagements tel que codifiés par la loi de programmation de la Recherche (LPR). Mais en juillet déjà, un rapport sénatorial alertait sur les dangers que faisait peser l’inflation sur la montée en charge budgétaire prévue par le gouvernement. Quatre mois plus tard, force est de constater qu’avec 30,8 milliards d’euros dans ce budget 2023, soit une hausse de 5 % par rapport à 2022, la trajectoire « établie en 2020 sans tenir compte de l’inflation », « aura surtout protégé la mission d’une érosion de ses moyens liée à l’inflation », rappelle le rapporteur du budget Jean-François Rapin (LR).

« La loi de programmation de la Recherche ne doit pas être détournée pour compenser les surcoûts de l’inflation »

Les sénatrices et sénateurs présents ont tous alerté sur des efforts budgétaires « absorbés » par l’inflation, voire un objectif de la LPR « détourné pour compenser les surcoûts de l’inflation », pour Jean-Pierre Moga, sénateur centriste rapporteur pour avis de la commission des Affaires économiques. Il rappelle que la loi de programmation de la recherche avait pour objectif de « permettre de soutenir nos activités de recherche et porter notre effort national de recherche à 3 % du PIB alors que nous sommes à 2 % depuis des années. » Yan Chantrel, orateur du groupe socialiste sur ce sujet, déplore une « trajectoire de la LPR en apparence respectée », mais des moyens « en baisse dans les faits, dès qu’on intègre l’inflation. »

Sur la revalorisation des doctorants, Laure Darcos salue tout de même les efforts de la ministre Sylvie Retailleau, d’être allée « plus loin que la PLR quand la situation le nécessitait », en étendant notamment les revalorisations aux contrats en cours. « Il serait faux de dire que vous n’agissez pas », estime quant à lui son collègue du groupe LR Jacques Grosperrin. Sylvie Retailleau a ainsi estimé porter un « budget conséquent », et des efforts budgétaires d’autant plus « notables » qu’ils s’inscrivent « dans un contexte économique compliqué. »

La gauche dénonce une « réponse pas à la hauteur » sur la précarité étudiante

La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a défendu les 400 millions d’augmentation du budget au titre de la LPR, qui se concentrent notamment sur les mesures « de ressources humaines » d’amélioration des rémunérations et des carrières. Avec 160 millions d’euros supplémentaires, le budget de l’Agence nationale de la Recherche (ANR) atteint plus d’1,2 milliard pour financer des appels à projet. De 16 à 17 % de projets soumis effectivement financés en 2020, au lancement du dispositif, les efforts budgétaires consentis permettront de faire passer ce « taux de réussite » à 23,7 % en 2023, s’est par exemple félicité Jean-François Rapin. À gauche, Monique de Marco s’est opposée à cette « philosophie » de l’Agence nationale de la Recherche, dont l’augmentation des moyens « sera une bonne nouvelle pour les prochains lauréats des appels à projet », mais dont la généralisation ne serait « ni gage d’excellence, ni d’efficacité », et attiserait « la concurrence et les inégalités entre laboratoires. »

Enfin, Sylvie Retailleau a défendu un budget qui « traduit les mesures majeures annoncées avant l’été » pour lutter contre la précarité étudiante, avec 85 millions consacrés à l’augmentation des bourses sur critères sociaux, et 50 millions destinés à compenser le coût pour les Crous des repas à 1 euro pour les boursiers. Des efforts insuffisants pour la gauche, qui a dénoncé par la voix du sénateur communiste Pierre Ouzoulias une « contrainte budgétaire qui méconnaît la situation dramatique des étudiants, avec 40 % des étudiants vivants seuls qui sont en situation de pauvreté. » Le sénateur socialiste Yan Chantrel a aussi dénoncé une « réponse pas à la hauteur » et « une rustine temporaire » du gouvernement, avec une hausse des bourses « insuffisante » par rapport, par exemple, à un coût de la rentrée scolaire qui a augmenté de 7 %, et une inflation sur les produits alimentaires bien plus importante que l’inflation globale de 6 % constatée sur l’année 2022.

Le Sénat appelle la ministre à se saisir de la « clause de revoyure » de la LPR en 2023

L’inflation sur les denrées alimentaires fait d’ailleurs craindre largement au-delà de la gauche, puisque même la majorité sénatoriale a alerté le gouvernement sur les risques que faisait courir l’inflation sur la situation financière du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) et les Crous. « La hausse du coût des denrées alimentaires pourrait engendrer un effet ciseaux, avec le nombre de repas à servir qui augmente et un renchérissement des matières premières », explique Vanina Paoli-Gagin, rapporteure Les Indépendants du budget de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en évoquant une « possible » hausse supplémentaire de 50 millions d’euros pour le Cnous au titre des repas à 1 euro.

Et le pire reste à venir, pour un parc universitaire français composé d’un tiers de passoires thermiques. L’explosion des prix de l’énergie a généré un surcoût de 100 millions d’euros pour les établissements du supérieur en 2022, et la facture devrait quintupler en 2023, avec encore 400 millions d’euros supplémentaires dus à la crise énergétique. Un fonds de compensation de 275 millions a été mis en place par le projet de loi de finances rectificatif, adopté définitivement il y a quelques jours, dont 125 millions seraient dégagés par la baisse du nombre d’étudiants boursiers, d’après Vanina Paoli-Gagin. Le reste devra être financé par le « dégel » des crédits de réserve et des fonds de roulement des universités, alors même que l’évolution des prix de l’énergie sur l’année 2023 reste par nature incertaine.

« Avec la mise en place de la LPR, depuis 2 ans j’ai pris l’habitude de dire que je n’auditionne que des gens heureux. Cette année je les trouve heureux, mais soucieux », résume ainsi Jean-Pierre Moga. Pour répondre aux inquiétudes que fait peser l’inflation sur la trajectoire financière définie par la LPR, celle-ci prévoit une « clause de revoyure » en 2023, qui permettrait de la redéfinir en prenant en compte l’évolution des prix et la crise énergétique. Les sénateurs ont ainsi enjoint l’ancienne présidente de l’université Paris-Saclay, Sylvie Retailleau, à en profiter pour saisir le kairos.

 

Louis Mollier-Sabet
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Discrimination et racisme à l’université : un constat alarmant

29 Novembre 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Universite, #Racisme

Discrimination et racisme à l’université : un constat alarmant
Discrimination et racisme à l’université : un constat alarmant
Géraldine Bozec, Université Côte d’Azur; Cécile Rodrigues, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Christelle Hamel, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et KARIMI Hanane, Université de Strasbourg

Fin 2018, partant du constat d’une faible production de connaissances sur les discriminations dans l’enseignement supérieur et de la recherche, une équipe de chercheuses et chercheurs en sciences sociales a initié une vaste enquête de victimation sur ce sujet, intitulée ACADISCRI, dont nous livrons ici les premiers résultats statistiques.

Le projet vise à mesurer les expériences de traitements inégalitaires dans les établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche, et analyser les variations, au sein des établissements et entre eux, selon les disciplines, niveaux d’inscription, services ou encore grades, au regard des principaux critères de discrimination : sexe, ethnicité, catégorie sociale, handicap, orientation sexuelle, affiliation syndicale ou politique…

Le questionnaire de l’enquête enregistre toute une gamme de traitements inégalitaires vécus, allant des micro-agressions (gestes ou remarques dévalorisantes du quotidien, souvent renvoyés à de « l’humour » par leurs auteurs ou autrices, mais humiliants ou dégradants pour celles et ceux qui en sont les cibles) aux formes plus violentes que sont les injures, les menaces de violences physiques et violences physiques, en passant par le harcèlement moral, les situations discriminatoires identifiées comme telles par les personnes enquêtées, et encore le harcèlement et les agressions à caractère sexuel…

Le questionnaire permet également de recueillir des informations sur les effets de ces situations sur les « victimes », sur leurs conditions d’étude ou de travail, sur le contexte de déroulement des faits, sur leurs auteurs et leurs autrices, ainsi que les témoins, ou encore sur les réactions et recours éventuels. Après une enquête pilote menée au printemps 2020, puis l’adaptation en conséquence des outils et de la stratégie d’enquête, la collecte de données a jusque-là été conduite dans cinq autres établissements de configuration et de taille diverses.

Une singularité du projet ACADISCRI est de reposer sur un intéressement des établissements – lesquels ont des obligations, comme tout employeur et organisme de formation, en matière de non-discrimination, et une responsabilité sociale liée aux enjeux de lutte contre le harcèlement sexuel ou encore de « combat résolu contre le racisme et l’antisémitisme ». Les établissements qui s’engagent bénéficient d’un diagnostic à leur échelle, sur la base de données pondérées, représentatives de leur population. Les résultats présentés ci-dessous concernent l’une des premières universités impliquées.

Une expérience massive des discriminations

La collecte au sein de cette université a permis de récolter 1 733 questionnaires complets auprès des étudiantes et étudiants et 278 auprès du personnel, soit un taux de réponse de 6,2 % pour les premiers et de 10,1 % pour les seconds.

Au sein de cet établissement, les traitements inégalitaires déclarés s’avèrent massifs, pour les personnels plus encore que pour les étudiantes et étudiants. Plus d’une personne salariée sur deux (50,9 %) et plus d’un étudiant ou étudiante sur six (17,7 %) déclarent avoir vécu au moins une forme de traitement inégalitaire depuis son entrée dans l’enseignement supérieur.

On peut voir dans ces différences de proportion entre étudiantes ou étudiants et personnels plusieurs pistes explicatives : la première est liée à l’ancienneté dans l’établissement, puisque sur ce sujet le questionnaire invite à se remémorer l’ensemble de la carrière ou de la trajectoire d’études. Il est logique que la durée souvent plus longue de présence dans l’établissement (notamment entre salariés et étudiants) expose davantage au risque de traitements inégalitaires.

Néanmoins, les données de l’enquête montrent que la très grande majorité des faits déclarés a eu lieu récemment. Par exemple, les cas d’agression sexuelle et de menaces et/ou d’agressions physiques liées au sexisme ont eu lieu pour plus d’un tiers des cas durant l’année universitaire en cours, puis pour près de 6 cas sur 10 dans les cinq années précédentes.

Une autre piste d’explication peut être liée au degré de conscientisation acquis au fil de l’expérience, conduisant des personnes ayant une fréquentation plus longue de l’université à être plus attentives aux discriminations. Il n’en demeure pas moins que ces taux indiquent que le contexte du travail et d’étude à l’université est, pour beaucoup, loin d’être serein et policé.

Les différents motifs de discrimination

Comme le montrent les tableaux suivants, les faits déclarés sont en premier lieu les micro-agressions. Les faits plus graves sont heureusement moins fréquents. Ils n’en sont pas pour autant négligeables, telles les situations identifiées comme discriminatoires : 6,6 % des membres de la communauté étudiante et 22 % des personnels en déclarent. Les menaces de violences physiques ou violences physiques concernent 2,7 % des membres de la communauté étudiante et 7,8 % des personnels.

Champ : Étudiant·e·s de l’Université Pilote, 2019-2020. Données pondérées. Lecture : 10,5 % des étudiant·e·s inscrit·e·s dans l’Université Pilote en 2019-2020 ont déclaré avoir subi des micro-agressions depuis leur entrée dans l’ESR, et 3,4 % l’ont attribué à un motif sexiste. NB : Plusieurs motifs pouvant être déclarés pour un même fait, le total des motifs identifiés (addition des 7 colonnes) est supérieur au pourcentage de faits déclarés (1ère colonne). Fourni par l'auteur
Source : Enquête ACADISCRI-Université Pilote, 2020. Champ : Personnels de l’Université Pilote. Données pondérées Lecture : 38,3 % des personnels de l’établissement ont déclaré avoir subi des micro-agressions depuis leur entrée dans l’ESR, et 10,7 % l’ont attribué à un motif sexiste. Fourni par l'auteur

Concernant les situations pour lesquelles les personnes enquêtées ont déclaré un motif discriminatoire, les données laissent entrevoir que l’incidence du motif varie selon le type de fait. Par exemple, si les micro-agressions sont plus souvent liées au sexisme (3,4 % pour les membres de la communauté étudiante, 10,7 % pour les personnels), les injures sont plus souvent déclarées en raison des engagements syndicaux et politiques (1,1 % des membres de la communauté étudiante et 3,5 % des personnels), tandis que le harcèlement moral est plus souvent rattaché au classisme (1,5 % des membres de la communauté étudiante et 4,9 % des personnels).

Enfin, pour l’ensemble des types de faits relevés, les « victimes » n’identifient pas toujours de motif discriminatoire spécifique : c’est par exemple le cas pour près des trois quarts personnels déclarant des situations de micro-agressions. Cette difficulté peut être liée à une incertitude sur le motif réel, que la psychologie sociale qualifie d’ambiguïté attributionnelle. Mais cela témoigne sans doute aussi du fait que les discriminations prennent place dans un environnement d’étude ou de travail dégradé, où les agressions et les sentiments d’injustice sont relativement courants.

Le racisme vécu par les personnels

Une des innovations de l’enquête ACADISCRI est de traiter simultanément des différents critères de discrimination reconnus par la loi, là où la plupart des enquêtes réalisées par les établissements actuellement se concentrent généralement sur les seules violences sexistes et sexuelles. Elle permet notamment d’investiguer la prégnance et la diversité des formes d’expression du racisme au sein de l’espace académique. Dans le même sens, nous privilégions ici une focale sur le personnel, habituellement peu concerné par des enquêtes majoritairement centrées sur la vie étudiante.

Compte tenu de la faiblesse des effectifs sur un seul établissement, il n’est pas possible ici, d’affiner l’exposé du motif « racisme », pour distinguer par exemple les expériences d’antisémitisme ou d’islamophobie. Elles sont donc traitées ensemble, avec le racisme proprement dit. Afin d’identifier les profils les plus exposés plusieurs questions ont été posées aux personnes enquêtées sur leur pays de naissance et nationalité, sur ceux de leurs parents, sur leur affiliation religieuse, et enfin sur la façon de se percevoir et d’être catégorisé ou catégorisée par autrui dans des catégories racialisantes (« Blanc » ou « Blanche », « Arabe », « Noir » ou « Noire », etc.). Dans cet article nous rendons compte de deux variables synthétiques construites à partir de ces données :

  • le lien à la migration, construit en trois catégories : le groupe majoritaire qui rassemble les individus nés en France hexagonale de deux parents nés français en France hexagonale ; les descendants d’immigrés, nés en France d’un ou deux parents nés étrangers à l’étranger ; les immigrés nés étrangers à l’étranger ;

  • l’assignation par autrui à une catégorie racialisante présentée ici, compte tenu de la limite des effectifs, en deux catégories agrégées : « Blanc » ou « Blanche », « Arabe ou Noir » ou « Arabe ou Noir·e ».

Les données pour cet établissement suggèrent que l’exposition au racisme varie selon le statut : ce phénomène est déclaré presque deux fois plus par les personnels administratifs et techniques (BIATSS) que par les enseignants-chercheurs ou chercheuses (12,8 % contre 6,9 %). Il faut toutefois interpréter ces données avec prudence, car il y a une forte corrélation entre ces statuts et le lien à la migration, par exemple plus de sept personnes descendant d’immigrés ou originaires d’outre-mer sur dix ont un statut de BIATSS.

Mais surtout, les déclarations de traitements inégalitaires à caractère raciste varient très fortement selon le lien que les individus entretiennent à la migration et leur assignation à telle ou telle catégorie racialisante. Si 5,3 % des majoritaires déclarent avoir subi du racisme, ce taux triple parmi les personnes immigrées (14,5 %) et quintuple chez les descendantes et descendants d’immigrés et les originaires d’outre-mer, avec 27,8 %.

Source : Enquête ACADISCRI-Université Pilote, 2020. Champ : Personnels de l’université Pilote. Fourni par l'auteur

La déclaration d’au moins un traitement inégalitaire en raison d’un motif raciste apparaît également presque cinq fois plus souvent pour les individus catégorisés comme « Arabes ou Noirs » que pour ceux catégorisés comme « Blancs » (graphique ci-dessous). En outre, ces minoritaires sont plus nombreux à subir des traitements inégalitaires, avec ou sans motifs discriminatoires, en comparaison des personnes perçues comme « Blanches » (respectivement 60 et 52,4 %,).

Source : Enquête ACADISCRI-Université Pilote, 2020. Champ : Personnels de l’université de Pilote. NB : Les rares personnes ayant refusé d’indiquer comment elles étaient perçues par les autres ont été classées dans la catégorie « Blanc.he.s ». Fourni par l'auteur

Dans une enquête de ce type, les difficultés potentielles de remémoration des expériences, ainsi que de déclaration des traitements inégalitaires, laissent supposer que les données recueillies pourraient sous-estimer la victimation réelle. Quoiqu’il en soit, les premiers résultats de l’enquête ACADISCRI laissent déjà entrevoir à la fois l’ampleur considérable du phénomène et sa configuration complexe.

L’enquête suggère ainsi la nécessité de mettre en rapport l’expérience discriminatoire avec les relations de pouvoir qui structurent l’enseignement supérieur et la recherche. Elle suggère aussi l’importance d’une approche qui prend en compte simultanément et de façon articulée les différents rapports sociaux. L’exploitation à venir des résultats concernant la première série d’établissements enquêtés permettra d’en savoir plus. (À suivre… sur le site de l’enquête ACADISCRI).


ACADISCRI est un travail de recherche collectif et cet article a été rédigé par l’ensemble de l’équipe, aujourd’hui composée de Tana Bao, Géraldine Bozec, Marguerite Cognet, Fabrice Dhume, Camille Gillet, Christelle Hamel, Hanane Karimi, Cécile Rodrigues et Pierre-Olivier Weiss.The Conversation

Géraldine Bozec, Sociologue, enseignante-chercheuse, Université Côte d’Azur; Cécile Rodrigues, Ingénieure d'études, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Christelle Hamel, Sociologue, spécialiste de l'étude des discriminations et des violences contre les femmes, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et KARIMI Hanane, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Violences sexuelles dans la recherche : «Doctorante, on est le premier maillon de la chaîne alimentaire»

28 Novembre 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Universite, #Feminisme, #Droit des femmes

Comment les universités luttent contre le harcèlement sexuel - Le Figaro  Etudiant

Dans l’intimité d’un laboratoire ou lors d’un colloque international, les jeunes chercheuses sont les premières victimes de comportements abusifs à connotation sexiste ou sexuelle. Pour «Libération», plusieurs doctorantes ou ex-doctorantes témoignent. Les procédures disciplinaires demeurent incertaines, malgré une attention accrue du ministère de l’Enseignement supérieur.

Après huit mois de thèse, Julia (1) jette l’éponge. L’ambiance toxique de son laboratoire a raison de son doctorat. Elle mène à l’époque, en 2021, une recherche en physique nucléaire, une discipline identifiée comme masculine. Dans son équipe, les brimades sexistes, qui s’apparentent à du harcèlement sexuel aux yeux de la loi, sont monnaie courante. «Dans les couloirs, à la cafèt, lors de mes présentations, c’est toujours une petite remarque glissée, malveillante.» Du genre «t’es bien une femme pour faire des jolis PowerPoint». Quand ce n’est pas des allusions et des blagues plus douteuses. «On vous compare à un chien, on rit de vous parce que vous avez la bouche pleine. C’est du niveau collège, et tout le monde se marre.» La jeune femme raconte un lourd climat sexiste entretenu par son directeur de thèse en personne. Très vite, elle sollicite un référent du pôle «égalité et parité» de son département, qui lui propose une médiation avec ses «harceleurs». L’idée d’une confrontation directe la met en pleurs. Elle refuse.

Julia peine à alerter la direction de son université de l’Est de la France. «J’ai fait face à des murs», dit-elle. Entamer des démarches pour changer de tuteur, de laboratoire voire de département de recherche peut s’avérer très complexe : le contrat doctoral, principale forme de soutien, notamment financier, attribué aux étudiants souhaitant se lancer dans une thèse, est fléché en fonction de projets scientifiques validés en amont par des pairs et en concertation avec le directeur de thèse lui-même. Dans la plupart des cas, ce dernier est aussi à l’initiative de la composition du comité de suivi de thèse, bureau chargé de veiller au bon déroulement de la formation doctorale. Ecœurée, elle finit par s’isoler. «J’avais peur de sortir de mon bureau pour aller aux toilettes, fumer une clope ou rester tard le soir.» Après deux mois et demi d’arrêt maladie, elle fait un abandon de poste et parvient à négocier son licenciement.

«Mon directeur m’a dit : “Je te baise”»

Un rapport soutenu par la Défenseuse des droits et rendu public en octobre fait état de conditions d’études «grevées par un climat sexiste et sexualisé» dans le milieu universitaire en France, doctorat compris. Au point de «conduire à l’abandon des études ou à des difficultés à suivre des enseignements». Un constat qui corrobore le panorama brossé dans Comment l’université broie les jeunes chercheurs (Autrement, 2022), une enquête effectuée par questionnaire en ligne auprès de 1 800 doctorants et docteurs par Adèle B. Combes, elle-même docteure en neurobiologie : 25 % des répondants disent y avoir «subi une situation à connotation sexuelle ou sexiste au moins une fois durant leur doctorat». L’encadrant de thèse est souvent cité comme l’auteur des agissements, même si de telles situations impliquent aussi des collègues aux statuts variés et sensiblement du même âge que les victimes. «Une fois, mon directeur m’a dit : “Je te baise”», confie une ancienne doctorante à Adèle B. Combes.

Proche de la quarantaine, Sandrine (1) est aujourd’hui une chercheuse titulaire en sciences de la Terre. Elle dit avoir été violée par son supérieur hiérarchique alors qu’ils étaient en mission sur le terrain. Les faits remontent à une dizaine d’années mais elle ne porte plainte qu’en 2020, comme l’atteste un procès-verbal consulté par Libération«J’étais jusqu’à il y a peu dans une situation précaire où j’enchaînais les contrats s’étalant de quelques mois à quelques années. Je reste persuadée que si j’avais parlé, je n’aurais fait que briser mon rêve de devenir chercheuse. Il s’agit d’un petit monde où les relations professionnelles s’entremêlent aux liens amicaux. Ça m’aurait porté préjudice sans que ça l’atteigne lui. C’est quelqu’un de très charismatique, j’étais fière de travailler avec lui. Je n’ai rien vu venir.»

D’après son récit, ni son désir ni son consentement n’ont été interrogés pendant l’acte. Après les faits, elle raconte des années «en mode pilote automatique» et un travail de longue haleine chez des psychothérapeutes et des gynécologues pour retrouver le «goût de la vie». En parallèle de la procédure judiciaire, une enquête administrative est en cours au sein de l’institut parisien employeur du mis en cause au moment des faits.

Certaines doctorantes en viennent à redouter les colloques scientifiques. Cadre idéal pour diffuser ses résultats et débattre entre pairs, les séminaires et autres congrès internationaux sont aussi des lieux propices aux situations de harcèlement et d’agression. Aujourd’hui jeune docteure en études politiques, Manon (1) se souviendra toujours de son premier colloque et ses commentaires dégradants. Alors que son directeur de thèse la présente à des collègues, l’un d’eux remarque : «On comprend pourquoi tu l’as choisie, tu t’emmerdes pas mon salaud.» «Comme si je n’étais pas là», se remémore-t-elle.

Selon elle, les gestes déplacés lors de ce type de rencontres sont récurrents. «Lors d’un nouveau colloque à l’étranger, je parle avec un ponte de mon domaine, quelqu’un de plus âgé et dont je cite les écrits dans mes recherches. On logeait dans le même hôtel. En rentrant, il me propose un verre au bar. Je préfère montrer me coucher. Il m’accompagne et fait le piquet devant la porte de ma chambre. C’était en 2018, je finissais ma thèse, j’étais effrayée et sans recours. Avec le recul, je comprends qu’il a interprété mon intérêt pour son travail comme un blanc-seing.»

«Vieux profs un peu dégueu»

Les colloques constituent «un observatoire privilégié pour analyser la ligne de tension entre consentement et abus de pouvoir», écrit Farah Deruelle, doctorante en sociologie à Toulouse Jean-Jaurès, dans la revue Terrains et Travaux (Cairninfo, 2022). «Ainsi, si la proximité physique entretenue par les colloques autorise les transgressions de toutes sortes, leur confinement géographique assoit le sentiment d’omnipotence des auteurs de violences, constate-t-elle au terme d’une enquête menée au sein d’une délégation régionale du CNRS. Dans un mouvement parallèle, il favorise aussi leur non-dénonciation, chez des victimes plutôt résolues à les subir.»

Car ces journées d’études, où circulent promesses d’embauche, projets de publication, opportunités de collaboration avec des entreprises et d’intégration de sociétés savantes, sont des espaces d’échanges informels indispensables au développement d’une carrière naissante. «En recherche, il se passe plein de trucs au bar. Moi, c’est comme ça que j’ai trouvé mon postdoc», raconte une chercheuse en biologie à Farah Deruelle.

Pour Manon, être une femme, jeune et de surcroît doctorante, c’est la triple peine. «On doit supporter les autres doctorants, les docteurs, les enseignants-chercheurs un peu plus installés et certains vieux profs un peu dégueu en fin de carrière, résume l’ancienne thésarde. En fin de compte, jeune doctorante, on est le premier maillon de la chaîne alimentaire.» Un statut d’autant plus vulnérable que le secteur de la recherche, où les titularisations sont rares, est marqué par une forte concurrence.

L’horizon professionnel s’assombrit plus encore pour les femmes : trois ans après l’obtention de leur doctorat, elles gagnent en moyenne 7 % de moins que leurs homologues masculins et sont 63 % à accéder à un emploi stable contre 68 % des hommes, d’après les données du ministère de l’Enseignement supérieur. Et si elles sont aussi nombreuses que les hommes en doctorat, toutes filières confondues, elles ne sont que 35 % à occuper des directions de thèses et 29 % à devenir professeures des universités, l’un des postes les plus prestigieux du monde académique.

Les situations abusives ne se déroulent pas que dans l’intimité d’une relation de subordination propre à l’encadrement doctoral. En septembre 2021, Léa vient à bout de sa thèse en mathématiques au prix d’une dégradation de son état de santé physique et morale. En cause, le harcèlement sexuel qu’elle subit de la part d’un collègue de labo pendant près d’un an, jusqu’à l’agression. «Dès qu’on se croisait, il me faisait des réflexions sur mes fesses, mes seins ou comment j’étais habillée, que je mette un col roulé ou une jupe. Je me suis surprise à réfléchir à quelle tenue j’allais mettre le matin pour être tranquille au bureau. Puis, il a commencé à me toucher, à mettre ses mains sur mes épaules, au niveau de la taille sans s’apercevoir que ça me gênait.» A plusieurs reprises, elle lui demande d’arrêter. Il insiste et tourne sa requête en dérision. Un soir lors d’un verre entre collègues : «Il m’a glissé la main sur la cuisse et l’a remontée sous ma robe jusqu’à mon sexe. Je lui ai tout de suite retirée. Je lui ai fait comprendre que je ne voulais pas mais il m’a quand même suivie jusqu’à chez moi.»

Opacité des procédures disciplinaires

Après l’agression, Léa déserte autant que possible le campus et consulte un médecin spécialisé en psychiatrie à plusieurs reprises. Elle n’envisage aucun recours en justice mais dépose une main courante pour signaler la situation. «L’ambiance de travail est déjà assez pourrie avec les histoires de manque d’argent, de manque de postes… On est tous un peu dans la même merde, je ne voulais pas que ça aille trop loin.» Ce n’est qu’en apprenant que d’autres doctorantes ont elles aussi eu affaire à son agresseur, que son directeur de thèse était au courant de faits similaires précédents et qu’après une suspension de contrat son collègue avait été autorisé à reprendre son poste, qu’elle porte plainte. Elle se constitue partie civile. Son dossier remonte au procureur de la République qui retient le qualificatif de «harcèlement sexuel». Son agresseur est notifié d’un rappel à la loi assorti de l’obligation d’une indemnisation de 800 euros en échange de la fin des poursuites judiciaires, selon les pièces du dossier consultées par Libération.

Pour prévenir les faits de harcèlement et de violences physiques, un arrêté du 26 août 2022 a renforcé les missions de détection et d’alerte des comités de suivi de thèses, introduits dans la réglementation nationale en 2016. Les écoles doctorales ont désormais l’obligation de signaler à une cellule d’écoute au sein de l’établissement tous les «actes de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel ou d’agissements sexistes» dès qu’elles en ont connaissance.

Tout en reconnaissant qu’il y a «des cas d’abus dans les organismes de recherche comme dans tout milieu professionnel», les garde-fous «sont plus vertueux qu’ailleurs», assure Sylvie Pommier, présidente du Réseau national des collèges doctoraux (RNCP), qui a publié en octobre un guide de suivi de thèse destiné aux écoles doctorales. «A la différence des entretiens annuels en entreprise, les comités de suivi de thèse ne se font pas avec le n + 1.»

De son côté, le CNRS a mis sur pied cette année une cellule de signalements assurant «l’organisation des enquêtes administratives jugées nécessaires», explique le Centre de recherches. «Il y a un réel décalage entre toutes ces évolutions qui sont très récentes et théoriques, et la réalité encore loin de permettre aux victimes de s’exprimer en toute confidentialité», explique May Morris biochimiste au CNRS et coordinatrice d’un programme de mentorat des doctorantes au sein de l’association Femmes et Sciences.

En octobre, la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, annonçait dans le Parisien doubler le budget annuel alloué contre les violences sexistes et sexuelles en 2023, de 1,7 à 3,5 millions d’euros. Si l’institution se décide à agir, les démarches pouvant mener à des procédures disciplinaires relèvent encore du parcours du combattant, pour de multiples raisons : longueur et opacité des procédures, sanctions peu dissuasives ou encore bon vouloir du président d’université, seul à pouvoir décider de saisir une section disciplinaire, selon le code de l’éducation.

«Il reste beaucoup à faire, commente Anne (1), maîtresse de conférences à l’université Toulouse Jean-Jaurès, qui a alerté sur le comportement d’un professeur des universités, déjà mis en cause par le passé. Il y a un véritable plafond de verre, ajoute-t-elle, un professeur des universités qui siège dans un conseil d’administration ou occupe un rôle syndical important reste intouchable car il a trop de pouvoir.» Après n’avoir jamais été inquiété, l’intéressé a pris sa retraite et s’est vu décerner l’éméritat, un titre honorifique. Ce qui l’autorise à continuer d’encadrer des thèses.

Simon Blin

(1) Les prénoms ont été modifiés.

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