sociologie
Le temps des passions tristes : inégalités et populisme - François Dubet (Vidéo)
François Dubet vous présente son ouvrage "Le temps des passions tristes : inégalités et populisme" aux éditions du Seuil. Entretien avec Yves Déloye de Sciences-Po Bordeaux.
Jeunes de France périphérique : les invisibles de la République ? (Vidéo)
On ne les voit pas. On ne parle pas d’eux. Ils ne font pas de bruit. Ces millions de jeunes de la France périphérique, dispersés sur le territoire, s'ils ont un fort potentiel, sont pourtant oubliés et se trouvent face à un véritable parcours d’obstacles : autocensure, manque d’informations et de mobilité, fragilité économique, absence de réseaux, fracture numérique…
Salomé Berlioux, présidente de l'association Chemins d'avenirs – une association qui informe, accompagne et promeut des milliers de jeunes issus des zones isolées – débat aux côtés de Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies d'entreprise de l'Ifop, à l'occasion de la sortie de son essai, rédigé avec Erkki Maillard, "Les Invisibles de la République. Comment on sacrifie la jeunesse de la France périphérique" (Robert Laffont, 2019).
La rencontre est animée par Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès.
Un·e jeune âgé·e de 18 à 29 ans sur six a perdu son emploi depuis le début de l'épidémie...
La génération Z pourrait être marquée durablement par le coronavirus
Si les jeunes ne sont pas les plus frappé·es par l'épidémie de coronavirus, la génération Z –née à partir de 1997– sera quand même marquée par le sceau du virus, prévient l'Organisation internationale du travail (OIT), un organisme dépendant de l'ONU. La crise liée au Covid-19 affectera l'économie et le futur de cette génération qui entre à peine dans la vie active.
L'ONU affirme qu'à travers le monde, un·e jeune sur six âgé·e de 18 à 29 ans a perdu son emploi durant le confinement. Les individus de cette tranche d'âge ayant conservé leur emploi ont vu leur nombre d'heures de travail chuter de 23% en moyenne. Un constat terrible pour une génération déjà très affectée à l'échelle mondiale par le chômage. En 2019, près de 14% de jeunes étaient sans emploi, un taux supérieur à celui de toutes les autres tranches d'âge.
Des emplois précaires
Si la génération Z est la plus touchée par la crise économique liée au Covid-19, c'est parce qu'elle totalise une part très importante des emplois précaires du marché du travail. Un·e jeune de 15 à 24 ans sur dix travaille dans un secteur durement touché par le coronavirus, d'après un article de CNBC. Parmi ces individus, 77% étaient employés en contrat précaire. Soit 17% de plus que chez les personnes âgées de plus de 25 ans.
Les conséquences de l'épidémie et du confinement dans les secteurs de l'emploi et de l'éducation pourraient affecter les jeunes «de façon disproportionnée», selon l'OIT. Quatre-vingt-dix-huit pourcent d'entre elles et eux confient d'ailleurs avoir vu leur centre de formation ou école fermer depuis le début des événements.
Pour Guy Ryder, directeur général de l'OIT, une action sérieuse et immédiate doit être menée sous peine que «le talent et l'énergie des jeunes ne soit mis de côté par le manque d'opportunités et rende la reconstruction d'un futur un peu plus difficile».
Louise Beda-Akichi
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La génération Z pourrait être marquée durablement par le coronavirus
Un·e jeune âgé·e de 18 à 29 ans sur six a perdu son emploi depuis le début de l'épidémie. Si les jeunes ne sont pas les plus frappé·es par l'épidémie de coronavirus, la génération Z -...
http://www.slate.fr/story/191082/generation-z-marquee-durablement-coronavirus-covid-19
Conférence Nouveaux Dissidents - Nouveaux Résistants - Les Interventions en 13 vidéos... Des idées à foison!
Les autres interventions
Introduction par Olivier Christin
https://www.youtube.com/watch?v=u3Nw15FSuwY&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=3&t=0s
Laura Boldrini
https://www.youtube.com/watch?v=9txk7B_7-W0&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=4&t=0s
William Bourdon
https://www.youtube.com/watch?v=QO_vyE7Ipko&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=5&t=0s
Cynthia Fleury
https://www.youtube.com/watch?v=4OIUjCapofs&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=6&t=0s
Jean-Marie Delarue
https://www.youtube.com/watch?v=NWcgl8qQ9-M&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=7&t=0s
François Sureau
https://www.youtube.com/watch?v=P_DQQ4m6Iuk&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=8&t=0s
Etienne Piguet
https://www.youtube.com/watch?v=I-6bsaEVkWs&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=9&t=0s
Miguel Gotor
https://www.youtube.com/watch?v=ydNHFSOM19A&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=11&t=0s
Francesca Guarnieri
https://www.youtube.com/watch?v=aH7nUCOYI5g&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=12&t=0s
Félix Treguer
https://www.youtube.com/watch?v=aTa-vIqu27c&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=13&t=0s
Michael Foessel
https://www.youtube.com/watch?v=4CZjVVeg-cI&list=PLJx9ed1GxmZDqyA8bDI_uqzLQWHvSDaad&index=14&t=0s
François Dubet : "L'épreuve du confinement révèle des inégalités qui peuvent devenir haine"...
EXTRAITS
LE MONDE D'APRES. "Capacité politique collective" : de sa vitalité ou de son apathie, révélées par la gestion de la pandémie, dépendra, selon François Dubet, l'état de santé de la société française au moment où elle devra entamer sa reviviscence. Et les enjeux sont considérables. Parmi eux, gérer les "petites inégalités" que l'épreuve du confinement aura révélées et qui potentiellement peuvent s'exacerber jusqu'à "la haine", le complotisme, l'imaginaire populiste. Redéfinir ce qui est et fait solidarité. Opposer aux inévitables traumatismes - deuils, chômage, endettement, défiance envers les responsables - une capacité d'action renouvelée, offrant de "repenser" (la justice des inégalités, la mondialisation, le rapport à la nature, etc.). Enfin, juguler la propagation du virus de la déresponsabilisation, plus dévastateur encore que le covid-19. Et c'est d'ailleurs à exercer strictement et "dans la raison" son devoir de responsabilité, que le sociologue enjoint tout citoyen. Au risque, sinon, que la société s'encalmine, pire ne se relève pas. La "capacité politique collective", c'est-à-dire la "capacité politique de la société démocratique" qui déterminera l'avenir post-pandémie, apparaît dans ces conditions en effet plus que cardinale : vitale.
(...)
Nous ne sommes pas en guerre - formule maladroite - mais c'est comme une guerre : tout devient urgent, essentiel, vital, et personne n'anticipe réellement la fin. Non seulement se posent des questions de survie, mais nous savons bien que demain, les choses ne retrouveront par leur cours normal et que nos débats ne seront plus les mêmes : appauvrissement, endettement, rupture des échanges, explosion du chômage...
On ressent bien la sorte de "panique" qui s'empare de nous, y compris chez ceux dont le métier est de réfléchir et de faire de la science : beaucoup deviennent épidémiologistes du jour ou lendemain. Et comme toujours quand on ne sait pas vraiment ce qui arrive et ce qu'il faut accomplir, les théories les plus étranges et les plus complotistes prennent le pas puisque rien n'est pire que ne pas nous expliquer ce qui survient.
N'importe quelle explication plutôt que le vide, et plutôt des intentions de nuire plutôt que des enchaînements de causes... Dans cette situation, je m'efforce de faire confiance à ceux qui savent et à ceux qui agissent, parce que je n'ai pas d'autre choix raisonnable. Aussi j'essaie de n'être pas connecté toute la journée afin de garder un minimum de raison.
(...)
... les inégalités sont vécues comme des discriminations et des manifestations de mépris d'autant plus insupportables que le sentiment de l'égalité fondamentale de tous n'a pas cessé de se renforcer, conformément au grand récit de la "providence" démocratique de Tocqueville. Par exemple, durant une trentaine d'années, les inégalités entre les femmes et les hommes se sont "objectivement" réduites, mais celles qui subsistent sont nettement plus insupportables.
Autre exemple, jusque dans les années 1970, les grandes inégalités scolaires opposaient les jeunes qui accédaient à l'enseignement supérieur à ceux qui travaillaient ; or, aujourd'hui, tous ou presque étudient, mais ils ne suivent pas les mêmes études, ils sont triés à l'intérieur même du système scolaire, et le sentiment d'injustice face à ces "petites inégalités" scolaires est bien plus vif qu'au temps où seule une minorité étudiait.
(...)
Nous découvrons aussi à quel point nos vies dépendent de l'État providence et des services publics : le travail du couple exige un système scolaire, des aides diverses et des prises en charge pour les vacances scolaires. Les personnes âgées sont une affaire d'État plus que de familles. Alors que la France est plutôt bien armée en matière de protection sociale, il n'est pas exclu que la pandémie nous conduise demain à des révisions déchirantes au profit des solidarités locales, familiales, des aménagements des temps de travail. Peut-être que tout ce qu'on dénomme "travail de soin", le care, devra être redéfini, réparti d'une autre manière aussi au sein des familles d'une part, et entre les familles et les collectivités d'autre part.
Solidarité : la pandémie questionne en effet de manière brûlante ce qui la compose, ce qui, dans nous et dans la société, l'irrigue et l'éteint, et la cause des aînés en est une cristallisation peut-être salutaire...
Evidemment, je ne souhaite pas un retour aux seules solidarités domestiques supportées par les femmes, mais la division du travail au sein des familles et entre les familles et l'État révèle aujourd'hui sa fragilité dans la société française qui, je le répète, n'est pas la moins protectrice et la moins redistributrice. De la même manière qu'un modèle de développement économique ne sera plus tenable, un modèle d'État providence et de solidarité ne le sera plus. Nous devrons demander à la collectivité de nous aider à être solidaire, plutôt que de confier, par délégation, la solidarité au seul État.
(...)
Je n'ai jamais cru au déclin du travail et de la civilisation du travail. Nous avons été tellement obsédés par l'emploi que nous avons parfois fini par oublier que le travail est un lien social, une solidarité, une identité, et l'une des expressions majeures de la créativité humaine. Il suffit d'observer l'expérience du chômage pour constater que le travail n'est pas seulement une "obligation fâcheuse pour gagner sa vie". Or, sans reprendre les critiques convenues du néolibéralisme et du néo-management, il est clair que nous avons souvent dégradé les conditions de travail, nous avons ignoré les fiertés, les identités professionnelles, nous avons agi comme si la richesse n'était produite que par des managers brillants. On ne peut pas imaginer que le retour souhaitable de la solidarité ne conduise pas à une réhabilitation du travail.
Le problème n'est pas nouveau, en France notamment où les capacités de négociation collective restent particulièrement faibles, aussi faibles que le sont les syndicats qui pensent n'avoir pas d'autre choix que l'affrontement, face à des dirigeants qui pensent n'avoir pas d'autre choix que celui de l'assouplissement des statuts et de la flexibilité des travailleurs.
(...)
Personne ne peut anticiper l'état personnel et collectif dans lequel nous serons après six semaines de confinement, en France et dans la plupart des pays. Seule certitude, ce ne sera pas "comme avant". A priori ce sera pire, puisqu'une explosion du chômage, un endettement accru, une défiance exacerbée envers les responsables de toute nature, semblent assurés... Ce sera pire aussi car beaucoup d'entre nous seront traumatisés et endeuillés. Mais, si nous en avons les dispositions politiques et intellectuelles, nous pouvons imaginer un renouvellement de nos capacités d'action : comment reconstruire une mondialisation qui ne fragilise pas toutes les économies, comment refaire solidarité et égalité, comment agir dans la nature et pas contre elle ? Toutes ces questions qui étaient enfermées dans les critiques plus ou moins "hors sol", deviennent essentielles.
(...)
il faudra bien que nous comprenions ce qui est arrivé et pourquoi nous avons agi comme nous l'avons fait. Mais c'est moins le rôle de la justice que celui des institutions démocratiques. Et c'est pourquoi la métaphore de la guerre est dangereuse : le virus n'est pas une armée ennemie et la guerre appelle des traîtres et des héros, ce qui n'est pas le cas de la pandémie qui exigerait plutôt de la responsabilité et de la fermeté de caractère.
(...)
Il n'était pas nécessaire d'attendre la pandémie pour constater que la longue période de massification scolaire est aujourd'hui à bout de souffle. La promesse de justice sociale n'a été tenue que très partiellement et c'est désormais à l'intérieur même du système scolaire que se multiplient les inégalités. La promesse du capital humain, celle de l'accroissement général des compétences n'a été tenue que pour les vainqueurs de la compétition scolaire - les autres sont confrontés à la dévaluation des diplômes et au déclassement. Enfin, la promesse démocratique, selon laquelle l'éducation de masse devait renforcer la confiance démocratique et la confiance tout court, n'est tenue que pour les plus diplômés qui constituent une élite culturelle, politique et sociale contre laquelle se retournent les vaincus de la complétion scolaire. Aujourd'hui, les électorats sont davantage définis par les niveaux de diplôme que par les critères classiques de classe sociale.
Si l'enjeu dominant de la sortie de la pandémie est celui de la solidarité et de la confiance démocratique, je ne vois comment l'école ne pourrait pas être interrogée. Plus que le fonctionnement de l'école, c'est le modèle éducatif français lui-même qui sera bousculé. Evidemment, les parents ne seront pas transformés en enseignants, mais les relations aux apprentissages, au temps de travail, aux évaluations scolaires, ne sortiront pas indemnes de cette crise. On peut cependant être optimiste quand on voit à quel point les enseignants, souvent perçus comme frileux et repliés sur leurs traditions pédagogiques, se mobilisent, inventent, se lient à leurs élèves, ne comptent pas leur temps. Il semble que 10% des élèves soient aujourd'hui à l'écart. C'est beaucoup, mais je n'aurais pas spontanément parié sur un chiffre aussi faible. Peut-être que la pandémie transformera davantage l'école et l'université que n'ont pu le faire les ministres.
(...)
Mes espoirs concernent notre capacité politique collective, c'est-à-dire notre capacité de dessiner un avenir et de gérer nos conflits. Mes inquiétudes concernent aussi cette capacité. Quand on est confiné, quand on perd l'expérience directe du monde social, les espoirs et les inquiétudes flottent et changent sans cesse. Et ça, c'est épuisant.
François Dubet est professeur émérite à l'université Bordeaux-II et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Dernier ouvrage paru : Le Temps des passions tristes : Inégalités et populisme, (Coédition Seuil-La République des idées, mars 2019).
L'entretien complet est à lire en cliquant ci-dessous
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François Dubet : "L'épreuve du confinement révèle des inégalités qui peuvent devenir haine"
LE MONDE D'APRES. "Capacité politique collective" : de sa vitalité ou de son apathie, révélées par la gestion de la pandémie, dépendra, selon François Dubet, l'état de santé de la sociét...
Une aventure pandémique contre-intuitive - Par Cynthia Fleury...
Il faut conserver la responsabilité commune retrouvée pendant ce confinement, où nous vivons la solidarité par la distance.
C’est un temps un peu suspendu, comme désarticulé tel un pantin. Un temps où la collectivité est connectée, confinement 3.0 oblige. Un temps où l’on croit partager le même quotidien mais c’est déjà là une première illusion car il y a une grande frontière, hermétique, entre les asymptomatiques ou encore ceux qui sont peut-être déjà sur le chemin de la fabrique de l’immunité collective, et puis ceux qui produisent des formes sévères, craignant pour leur vie, perdant leur vie. «Comorbidité» on appelle cela, ou comment on ne meurt pas de «sa» mort - certes, vision illusoire , mais d’une combinaison d’effets qui, confrontés à la singularité des corps, produit un phénomène entropique dont on ne revient pas. Ce carrefour des destins donne un sentiment de responsabilité collective, complexe : un mélange de gravité car l’on sait que s’obliger à la discipline du confinement protégera les services de réanimation de la saturation, et que chacun aura ainsi un peu fait de sa part dans cette grande tâche de rester vivants ensemble ; une vraie compassion pour ceux qui sont déjà dans les services luttant pour maintenir leur souffle, comme pour tous ceux déjà malades et qui vivent avec angoisse la possible contagion, et la difficulté de suivre son traitement initial ; enfin, cette sérénité mi-morbide mi-lumineuse, qui accueille le ralentissement espéré des vies, la joie d’un ordinaire encore préservé. Il faut accepter cette vérité sans grâce : c’est en ne faisant rien que certains préservent ceux qui font tout.
Il y aura eu dans cette aventure pandémique des enseignements très contre-intuitifs : une manière de vivre la solidarité, par la distance, la prise en considération de la gravité d’une situation, surtout quand elle ne nous touche pas directement. Des enfants heureusement protégés mais principalement vecteurs de l’épidémie. Des services hospitaliers qui étaient dans un inédit de crise, jamais égalé, et qui pourtant produisent encore et encore un effort grandiose. Des grands défenseurs du libéralisme dérégulé et de la main invisible du marché, des flux incessants de la globalisation, qui redécouvrent le bien-fondé de l’Etat de droit et social, éternel Janus bifrons de la démocratie. Une létalité réelle, mais au pourcentage très milité, et qui malgré tout provoque un séisme absolument tonitruant, enchâssant les crises sanitaire, économique, démocratique, les unes dans les autres. Se relever après, non pas retourner à l’ancienne manière de vivre, mais comprendre comment ne pas provoquer à nouveau ce type de dérèglement mondial profond, tel est l’enjeu, et l’on sait déjà à quel point celui-ci sera difficile à assumer. Camus nous l’enseigne dans la Peste (1947), celle-ci peut venir et repartir «sans que le cœur des hommes en soit changé». Dans les lignes conclusives, le narrateur sait qu’il n’existe aucune victoire définitive sur la peste, qu’elle se maintient tapie dans les linges, les recoins, prête à resurgir et à produire son chaos. Bien sûr, la peste métaphorise chez Camus la banalité du mal arendtien, l’archaïsme meurtrier et minable des hommes, leur folie toute-puissance, leur haine de l’autre, leurs valeurs inversées. «Pour le malheur et l’enseignement des hommes», la peste peut se réveiller. Dans nos vies, nous ne pensions pas faire ne serait-ce que l’expérience infime de cela : un pas de deux avec le grand tout de la société, avec cet enfer des autres que nous avons appris à tenir à distance moralement et physiquement, et là tout d’un coup, devenu omniprésent bien que disparaissant. Il y aura beaucoup de réjouissances une fois l’épreuve traversée. Faites qu’il y ait également dans cette joie une gravité réelle, et le désir d’une responsabilité commune restaurée.
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Une aventure pandémique contre-intuitive
C'est un temps un peu suspendu, comme désarticulé tel un pantin. Un temps où la collectivité est connectée, confinement 3.0 oblige. Un temps où l'on croit partager le même quotidien mais c'e...
https://www.liberation.fr/debats/2020/03/27/une-aventure-pandemique-contre-intuitive_1783365
"Même s'ils le voulaient, les Etats n'auraient pas les concepts pour changer" - Bernard Stiegler/Qu'est-ce que panser?
EXTRAITS
Dans son dernier essai, le philosophe analyse non pas le manque de volonté mais l’inaptitude des Etats et des entreprises à répondre à la colère de Greta Thunberg. Agir face aux changements environnementaux nécessite de décloisonner les savoirs et de rendre la science autonome par rapport au capitalisme.
Avant de s’approcher de Bernard Stiegler, il faut avoir les idées claires sur deux concepts centraux dans son travail philosophique : «l’entropie» et «la néguentropie». L’entropie définit la dissipation de l’énergie : contrairement à l’énoncé «rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme», il y a dans l’univers des pertes d’énergie. Donc, l’univers aura une fin, son refroidissement. Vient alors l’entropie négative, ou néguentropie : la capacité à différer dans le temps la dissipation de l’énergie. Voilà. C’est en utilisant cette clé de lecture que le philosophe Bernard Stiegler, également directeur de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI), a développé ces dernières décennies sa réflexion sur les sciences et la technique.
Pour ce qui concerne la biographie, on peut l’éliminer rapidement en résumant son parcours singulier : lors d’un séjour en prison où il atterrit pour braquages à main armée, il découvre la philosophie et noue une relation avec Jacques Derrida. S’il dit souvent «nous», c’est qu’il travaille avec des collectifs qu’il initie en tous lieux et pour toutes disciplines, à l’image du groupe de réflexion Ars Industrialis qu’il a fondé en 2005.
Après Qu’appelle-t-on panser ? 1) l’Immense Régression (Les Liens qui Libèrent), il a publié en janvier 2) la Leçon de Greta Thunberg, dans lequel il s’interroge sur l’inaptitude des Etats et des entreprises à répondre à la colère de la jeune Suédoise. C’est que, pour Bernard Stiegler, être en mesure de répondre au problème de notre époque nécessite de réinterroger l’intégralité des savoirs et les réarticuler entre eux, en mettant la question de l’entropie au cœur des connaissances.
Pourquoi consacrer un livre à Greta Thunberg ? Mérite-t-elle qu’une théorie soit forgée à partir d’elle ?
Greta Thunberg est génératrice de bifurcation, notamment par sa colère. Il me semble qu’il y a dans son discours quelque chose d’Antigone. Mais Antigone a le discours tragique des Grecs : si elle dit que nous n’échapperons pas à la mort, il y a l’idée que l’âme a une vie après la mort. Greta appartient au monde «plus que tragique», celui qui dit que tout disparaîtra, l’univers en totalité. Et cela provoque des réactions terribles !
Un article du Monde diplomatique, qui traitait Greta Thunberg, de manière fort méprisante, de «Messie 2.0», ainsi que l’appel au meurtre émis après son discours à l’Assemblée nationale cet été ont fait bifurquer la rédaction de mon essai pour s’attacher à la «génération Thunberg». Initialement, j’écrivais Qu’appelle-t-on panser ? (en détournant le titre d’un ouvrage de Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?) parce que je crois qu’aujourd’hui la pensée ne panse plus, elle ne soigne plus.
J’ai récemment créé un collectif international qui mobilise aussi bien des chercheurs que des jeunes de la génération Thunberg, avec lequel nous essayons de répondre à une question : «Comment diminuer l’augmentation du taux d’entropie ?» Pour schématiser, il y a un schisme entre les jeunes mobilisés et les vieux qui ne font rien.
Mais la rhétorique qui consiste à valoriser les générations futures n’est-elle pas dangereuse, voire démobilisatrice ?
Vous avez parfaitement raison. Il y a une destruction des rapports entre générations. Et il faut le reconstruire parce qu’une société s’arrête quand il n’y a plus de transmission entre générations. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le marketing est générationnel : il a consisté à viser la fameuse «ménagère de 50 ans», découper la population en tranches et les isoler pour cibler ses publicités.
Ça a abouti à une catastrophe sociale. Revenir sur cette histoire permet de se rendre compte que «la génération» n’est pas un phénomène biologique ni anthropologique : c’est, à partir du XXe siècle, un phénomène médiatique.
Avec les Amis de la génération Thunberg, nous voulons reconstruire le lien transgénérationnel. Il ne s’agit pas de refiler notre responsabilité aux générations futures. Il s’agit de permettre aux générations futures de prendre leurs responsabilités avec nous.
«Les pouvoirs auxquels s’adresse Greta Thunberg sont dans l’incapacité de lui répondre», écrivez-vous. Qui pourrait lui répondre, et comment lui répondre ?
Effectivement, même s’ils le voulaient, les Etats et les multinationales ne sauraient pas comment répondre, parce qu’ils n’ont pas les concepts pour changer. Il faudrait, pour pouvoir le faire, établir une nouvelle critique de la science dans le monde industriel. La science est intégralement soumise au développement du capitalisme industriel, elle n’est donc plus du tout autonome, contrairement au XVIIIe siècle. Il y a, depuis cette époque où la physique newtonienne est devenue fondamentale, un refoulement de la question de l’entropie. La raison est simple : la recherche est soutenue par l’industrie, et parler d’entropie remettrait en cause l’organisation macroéconomique sur laquelle elle repose.
Voici un exemple : pour qu’un avion vole, il faut respecter un certain nombre de lois de la gravitation et de la physique. On sait le faire, les avions volent très bien. Mais, ce faisant, on ne prend en compte que le court terme : si on choisissait de ne certifier les avions qu’à condition qu’ils ne bouffent pas toutes les ressources pour les mille années à venir, ils ne seraient pas autorisés à voler.
(...)
Votre livre est une réaction par rapport à un article sur la «collapsologie». Voyez-vous la collapsologie comme un outil ou une menace ?
Ce n’est pas une menace mais une hypothèse, que je partage. La collapsologie dit qu’à l’époque où l’avenir de la totalité du vivant est menacée sur Terre - ça, c’est une donnée scientifique -, le protéger devient la priorité des priorités. Donc toutes les sciences doivent se remettre à bosser en fonction de ça. Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, dans l’Evénement anthropocène (Seuil, 2013), proposaient face à cette hypothèse de créer des groupes d’études transdisciplinaires sur l’anthropocène. Il faut arrêter de faire des maths dans un coin, de la biologie dans l’autre, car cela a eu des conséquences catastrophiques. Je crois qu’aujourd’hui, l’enjeu est de réarticuler les savoirs entre eux.
Bernard Stiegler Qu’appelle-t-on panser ? 2) La leçon de Greta Thunberg Les Liens qui libèrent, 304 pp., 25,50 €.
L'entretien complet est à lire en cliquant ci-dessous (abonnés)
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Bernard Stiegler : "Même s'ils le voulaient, les Etats n'auraient pas les concepts pour changer"
Dans son dernier essai, le philosophe analyse non pas le manque de volonté mais l'inaptitude des Etats et des entreprises à répondre à la colère de Greta Thunberg. Agir face aux changements ...
A lire... "La France telle qu'elle est. Pour en finir avec la complainte nationaliste" - Laurent Mucchielli
Un démenti point par point, à la manière d’une rubrique de fact checking, aux arguments qui tentent de faire croire que l’identité française est menacée. Une réponse à Eric Zemmour, Michel Houellebecq, Alain Finkielkraut – et à beaucoup d’autres.
L’identité française est-elle menacée ? Une immigration africaine massive est-elle à nos portes ? L’islam est-il contraire aux lois de la République et est-il en train de s’insinuer sournoisement un peu partout avec ses voiles, sa nourriture hallal et ses terroristes ? Les descendants des immigrés sont-ils responsables des violences qui accablent depuis des décennies les banlieues ? C’est ce qu’affirment les nationalistes racistes depuis toujours, et ce n’est pas surprenant de leur part. Ce qui l’est davantage, c’est l’audience croissante dont jouissent ces idées dans le débat public.
Démontrant l’inanité de ces discours, ce livre parcourt l’histoire de France depuis la Révolution de 1789. Il montre que nous sommes un pays d’immigration qui ne s’assume pas, que l’ampleur et les vraies raisons de ces migrations sont largement méconnues, que la peur de la violence ou de la subversion que porterait en elle cette immigration relève du fantasme, que notre roman national doit être sérieusement révisé, et qu’il est urgent de nous déprendre des deux types de nationalismes empêchant de penser la France telle qu’elle est pour affronter ensemble les défi s économiques, sociaux et environnementaux de demain.
Laurent Mucchielli est directeur de recherche au CNRS (Laboratoire Méditerranéen de Sociologie) et enseignant à l’Université d’Aix-Marseille.
Laurent Mucchielli est directeur de recherche au CNRS (Laboratoire Méditerranéen de Sociologie) et enseignant à l’Université d’Aix-Marseille.
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"La France telle qu'elle est", Laurent Mucchielli
L'identité française est-elle menacée ? Une immigration africaine massive est-elle à nos portes ? L'islam est-il contraire aux lois de la République et est-il en train de s'insinuer sournoisem...
https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-france-telle-quelle-est-9782213716800