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JEUNESSE NAUFRAGÉE - Témoignages sur les parcours de mineurs secourus par l'Aquarius et l'Ocean Viking
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"Au début je n’avais pas peur car je ne pouvais rien voir. Mais quand le soleil s’est levé, j’ai été terrifiée de me retrouver au milieu de la mer. J’ai vu les autres pleurer, vomir, prier. Je n’ai pas bougé, je voulais pleurer mais j’avais trop peur de tomber à l’eau. J’étais paralysée par la peur.”
Esther, 17 ans, originaire du Ghana
Ils s’appellent James, Esther, Sélim, Souleyman, Yasmine, Magdi, Youssouf, Abdo, Hamid et Yussif. Avant d’être des « migrants », ce sont avant tout des adolescents avec des histoires singulières éprouvantes. Leur âge, leur isolement et les dangers qui jalonnent la route migratoire maritime la plus mortelle au monde en Méditerranée centrale les rendent tout particulièrement vulnérables.
Les droits humains fondamentaux et les besoins essentiels de ces jeunes - exposés à de multiples exactions durant leur trajet, leur séjour en Libye et la traversée de la Méditerranée - doivent être garantis en toute circonstance : le premier de ces droits est celui de vivre.
Le devoir d’assistance à personne en danger de mort devrait s’imposer sans ambages à terre comme en mer : c’est pourquoi SOS MEDITERRANEE réclame depuis sa création en 2015 que des flottes navales européennes soient mobilisées sans plus attendre pour secourir toutes ces embarcations de fortune perdues en haute mer.
A défaut, des ONG comme SOS MEDITERRANEE continuent de porter assistance aux femmes, aux hommes et aux enfants qui fuient l’enfer libyen au péril de leur vie. La protection de tous les rescapés à bord des navires de SOS MEDITERRANEE demeure une priorité jusqu’au débarquement dans un port sûr, comme le prévoit le droit maritime international. Une attention particulière est portée à ces rescapés mineurs doublement vulnérables.
Outre sa mission de sauvetage et de protection des rescapés, l’association porte également une mission de témoignage tout aussi vitale. Ce dossier rassemble des extraits de dix témoignages de jeunes recueillis entre 2016 et 2020, mettant en lumière le drame qui se déroule en mer aux portes de l’Europe dans l’indifférence quasi générale, afin de donner un visage et une voix à cette jeunesse naufragée.
Illustrations : Hippolyte, reporteur graphique.
![[DOSSIER] JEUNESSE NAUFRAGÉE - Témoignages sur les parcours de mineurs secourus par l'Aquarius et l'Ocean Viking](https://image.over-blog.com/rtbBPy0p8m8MZ14RwOFkeUtSxUA=/170x170/smart/filters:no_upscale()/https%3A%2F%2Fwww.sosmediterranee.fr%2Fmedias%2FjeunessenaufrageV2.jpg)
Mineurs naufragés : un devoir de protection Près du quart des rescapés secourus par l'Aquarius et l'Ocean Viking, les navires de SOS MEDITERRANEE, sont mineurs, dont la grande majorité voyagent...
https://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/dossier-mineurs
29 décembre 2019... Des migrants se noient tous les jours en Méditerranée...
France 2019 - Expulsion d'une élève de huit ans!
Une centaine de parents d'élèves de l'école du Contour Saint-Aubin à Rennes se sont réuni mercredi 09 octobre à 08h00 pour former une chaîne humaine. Une action symbolique pour montrer leur indignation après l'expulsion en Géorgie d'une élève de huit ans vendredi 4 octobre dernier.
Chacun arrive de son côté, avec des sacs, des cordelettes, des pinces à linge, pour accrocher les dessins des enfants sur les murs de l'école. Une enceinte et un micro sont installés, le café est chaud. Les parents ne font pas qu’emmener leurs enfants à l'école, comme d'habitude, ce mercredi 9 octobre au matin ; ils se mobilisent, solidaires envers Mariam, élève de l'école, âgée de 8 ans, expulsée vendredi 4 octobre vers la Géorgie depuis l’aéroport de Rennes, avec 5 autres familles.
Une mobilisation presque improvisée, mais très émouvante. Une chaîne humaine est formée devant le portail pour défendre cette école qui est devenue pour l'occasion "Zone d'enfance protégée" : "Il faut arrêter les expulsions dans les établissements scolaires "affirme Jean-Paul, un parent d'élèves. "La menace elle est pour les enfants expulsés, mais aussi pour nos enfants qui ne comprennent pas que de telles décisions soient prises".
Elle n'a pas pu dire au revoir à ses copines
L'incompréhension. C'est le mot qui règne chez les parents, mais aussi chez les élèves. Pour exprimer leur émotion, les enfants dessinent, écrivent des messages avec leurs propres mots candides. Des dessins exposés et affichés sur le portail de l'école. On peut y lire : "Tu es ma meilleure amie", "Revient, je t'aime beaucoup". "Comment expliquer à sa fille de huit ans que sa meilleure amie a été emmenée par des policiers, dans un avion, sans dire au revoir à ses copines ?" s'interroge une maman, les larmes aux yeux.
Surtout que la petite fille était très bien intégrée. Elle participait aux fêtes d’anniversaire, aux sorties scolaires. Désormais elle vit en Géorgie dans la peur de la mafia. "Aujourd'hui elle est confinée en Géorgie, sa mère à peur de la scolariser, elle s'est même teinte les cheveux" explique Aveline, une parent-d'élèves qui a régulièrement des nouvelles de Mariam et de ses parents.
Les associations et collectifs de soutien aux sans-papiers se réunissent aussi ce mercredi 09 octobre à 14h00 devant la préfecture Beauregard, en attendant la décision de la Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA) qui doit statuer sur le cas de la famille de Mariam ce mercredi
Maxime Bossonney, France Bleu Armorique, France Bleu
#immigration - "80% des réfugiés sont accueillis au sud de la Méditerranée, pas au nord"...
Immigration : Najat Vallaud Belkacem tient à rappeler que "les réfugiés n'ont pas eu le choix"
À l'initiative de l'écriture de la chanson "Lampedusa" sur le sort des migrants, Najat Vallaud Belkacem est l'invitée de Matthieu Belliard. Invité(s) : Najat Vallaud Belkacem, ancienne ministre...
Changer de regard pour transformer le monde : les réfugiés - Najat Vallaud-Belkacem/Universités d’été de l’économie de demain, septembre 2019
Changer de regard pour transformer le monde : les réfugiés
Intégralité de la conférence "Changer de regard pour transformer le monde : les réfugiés".Universités d'été de l'économie de demain, septembre 2019. #UEED2019Avec Najat Vallaud-Belkacem de...
Classes populaires et migrants, fausse opposition et débat vicié...
Avec le Président, encore une fois, l’immigration pose «problème». Les difficultés, dans les quartiers populaires, ce ne sont pas les populations venues d’ailleurs, ce sont les conditions de vie et le sentiment de relégation permanent que subissent leurs habitants. Il serait temps de passer aux choses sérieuses et de se donner les moyens de bien les accueillir.
Tribune. Le 16 septembre, s’invitant au pot de rentrée des parlementaires de son camp, Emmanuel Macron a prévenu ses troupes qu’il comptait désormais «regarder en face» le sujet de l’immigration (débattu le 30 septembre à l’Assemblée nationale, le 2 octobre au Sénat). Puis il a ajouté en substance ceci : «Les bourgeois n’ont pas de problèmes avec [elle] : ils ne la croisent pas. Ce sont les classes populaires qui vivent avec.» Textuellement, vivre avec l’immigration, avec des immigrés, serait donc un problème. Les commentaires ont, dans les jours qui ont suivi, souvent fait le lien avec les propos décomplexés de Nicolas Sarkozy. En réalité, ces deux présidents de la République empruntent un sillon largement creusé depuis quarante ans et les premières poussées du Front national aux européennes de 1984. Bien avant eux, Jacques Chirac parlait en juin 1991 du bruit et de l’odeur des immigrés. Aucun de ces trois-là n’a jamais vécu dans un quartier populaire - et quand bien même d’ailleurs, cela n’autorise personne à parler au nom de l’ensemble d’une «classe populaire» fantasmée.
Il se trouve que j’ai grandi, passé toute mon enfance dans des quartiers très populaires, des cités de la banlieue parisienne que l’on qualifiait alors de «cités-dortoirs» ou de «clapiers». Parmi nos voisins, ceux qui étaient français depuis plus de deux générations - comme ma famille, d’origine italienne mais au-delà de mon grand-père - étaient très largement minoritaires. La plupart des habitants des tours et des barres venaient d’Algérie et du Mali. Est-ce que nous vivions cela comme «un problème» ? A vrai dire, je ne m’étais jamais posé la question avant d’entendre des élus en parler. J’étais heureux, nous étions heureux, je crois, de vivre là. Mes parents étaient entrés un peu racistes dans leur première cité HLM, ils ne l’étaient plus en repartant. Ce qui posait «problème», c’étaient les conditions de logement, la mauvaise insonorisation, les volets qui tombaient en panne et que l’office HLM public ne voulait jamais réparer ; c’étaient les conditions de transport qui nous maintenaient loin de la ville et nos parents du travail. Mes copains étaient très logiquement d’origine algérienne, malienne, française. Nous ne nous en rendions pas réellement compte, ou alors au moment des vacances - je les enviais un peu lorsqu’ils partaient au bled, le soir tombé, dans des voitures aux toits chargés. Vivre «avec l’immigration» n’était pas un problème.
Oui mais c’était un autre temps, celui du plein-emploi, des Trente Glorieuses, immigrés et cités n’étaient pas encore un problème. Plus précisément, je pense qu’ils n’étaient pas encore perçus par une partie de la classe politique, et du pays, comme tel. A dire vrai, ils étaient invisibles. Tant qu’ils n’inquiètent pas les centres-villes, les quartiers populaires n’intéressent jamais personne - ce qui parfois rend l’émeute inéluctable, lorsqu’il faut secouer, faire peur, pour être pris en compte.
Plus tard, au milieu des années 90, alors que le chômage de masse était tombé sur ces quartiers, que des émeutes secouaient très régulièrement les cités, je suis retourné vivre dans l’une d’elles parce que j’étais déjà père de famille et encore étudiant, puis jeune journaliste. Le préfet de l’Essonne, département où je commençais à travailler pour Libération, s’est d’ailleurs étonné un jour qu’un journaliste habite dans ce qu’il pensait être l’un des pires quartiers de son département. J’y ai passé, nous y avons passé des années heureuses. J’ai retrouvé avec plaisir la vie particulière, les liens sociaux plus intenses, les solidarités de la cité. Les enfants ont regretté notre départ, comme j’avais regretté quinze ans plus tôt de quitter ma cité.
Tout n’était pas rose pour autant. Pour tout dire, il est souvent plus fatigant de vivre dans une cité qu’à la campagne ou dans un quartier calme de centre-ville. Mais ce ne sont pas les étrangers, les immigrés, l’autre, qui fatiguent. Du moins pas en tant qu’immigrés. Pas plus qu’un jeune Français ne m’a jamais fatigué en tant que jeune Français. Ce qui fatigue dans les cités, c’est le bruit des scooters le soir, lorsqu’ils tournent en boucle, dans des quartiers où tout résonne et où la police entre rarement. Ce qui fatigue, c’est le contrôle social imposé par les réseaux de vente de drogue, ou par tous ceux, virils, qui tiennent le pavé ou les murs. Ce qui fatigue, ce sont les ruptures de charge dans les transports, le manque d’emploi, l’ennui, la malnutrition, le sentiment de relégation. On se trompe toujours de frontière. Ce qui doit faire distinction, c’est la loi. De quel côté se trouve le citoyen, français ou étranger ? Dans la légalité ou dans l’illégalité, qu’il soit natif d’ici ou immigré. Ce n’est pas qu’une question morale de rétablir ainsi ce qui nous distingue les uns des autres, dans les quartiers populaires comme ailleurs. C’est une question très pragmatique aussi. A se tromper de frontière constamment, à confondre, consciemment ou non, immigration et délinquance (ou plus largement tout ce qui pose «problème»), on se prive d’alliés précieux. Ceux qui vivent dans les quartiers populaires sont très majoritairement ceux qui n’ont pas les moyens de vivre ailleurs. Les loyers modérés des cités enclavées, ainsi que les politiques implicites de logement, font que les quartiers les plus populaires sont généralement peuplés d’immigrés - qui majoritairement fatiguent, eux aussi, du bruit, du contrôle social hors-la-loi et de tous les problèmes que l’on voudrait leur faire porter. Continuer d’opposer immigrés et français, au lieu d’opposer hors-la-loi et dans la loi, c’est se priver d’entraîner l’ensemble des citoyens de ce pays, y compris ceux issus de l’immigration, dans la mobilisation nécessaire contre tout ce qui nuit aux conditions d’existence, de vivre ensemble, dans les cités comme ailleurs.
Emmanuel Macron se trompe, comme Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy avant lui, de frontière (je me demande d’ailleurs souvent par quels biais, quels filtres on leur rapporte ce que les habitants des quartiers populaires sont censés penser). Quelles traces leurs propos réitérés laissent-ils dans ces cités, au bout de trente ans ? Comment s’étonner de l’attitude parfois «sécessionniste», selon les mots de Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur reparti tenter de conserver sa ville après avoir laissé une loi qui résume assez bien toute son action locale et nationale vis-à-vis des étrangers : leur mener la vie dure, les écœurer pour les dissuader de venir ou de rester. Lorsque je travaillais sur les mécanismes d’émeutes urbaines pour Libération, j’avais souvent le sentiment que le rejet des centres-villes, de ce pays, était une forme d’orgueil du rejeté, cachant parfois un désir profond d’intégration.
Depuis quarante ans (mais cela s’était déjà produit dans le passé, avec d’autres vagues d’immigration, italiennes, polonaises), on monte les citoyens français et immigrés les uns contre les autres. Pratique ancienne qui permet au passage de masquer les abandons des pouvoirs et des services publics, sur ces territoires, dans ces cités. Une démocratie adulte, lucide, soucieuse de continuer de vivre ensemble, sans sécession, sans relégation ni stigmatisations (les unes entretenant soigneusement les autres) devrait enfin passer aux choses sérieuses. Faciliter, travailler sur l’intégration si l’on doit accueillir plus. Se donner les moyens pour cela, et donner des clés à ceux qui arrivent ainsi que l’envie d’appartenir à une communauté, à un destin national éventuellement. En s’y sentant pleinement partie et responsable, et non régulièrement stigmatisé.
Olivier Bertrand journaliste et auteur des «Imprudents» (le Seuil)
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Classes populaires et migrants, fausse opposition et débat vicié
Avec le Président, encore une fois, l'immigration pose "problème". Les difficultés, dans les quartiers populaires, ce ne sont pas les populations venues d'ailleurs, ce sont les conditions de vie et
Immigration - Didier Fassin : «Sauver des vies est devenu illégitime et condamnable» (Vidéo)
Dans son dernier livre, «la Vie, mode d’emploi critique», l’anthropologue démontre que même si les Occidentaux affirment que toutes les existences sont sacrées, ils n’accordent pas la même valeur à chacune, comme le montre notamment le traitement infligé aux migrants.
La vie n’a pas de prix. Mais les vies ne se valent pas toutes. Il y a huit ans, Didier Fassin tirait de sa double expérience de médecin et d’anthropologue une hypothèse : les sentiments moraux et la compassion, le fait de sauver des vies, étaient devenus, depuis les années 70, un ressort essentiel des politiques contemporaines. C’était le cœur de son essai la Raison humanitaire (Seuil), qui ressort ces jours-ci augmenté d’une postface inédite. Mais peut-on en dire autant aujourd’hui, quand l’Europe laisse à la Turquie le soin de gérer l’afflux de migrants à ses portes et que le gouvernement français hésite à leur offrir des points d’eau dans le Calaisis ? Dans son dernier livre, la Vie, mode d’emploi critique (Seuil), issu de conférences données à l’Institut de recherche sociale de Francfort, le professeur de sciences sociales à l’Institut d’étude avancée de Princeton revient sur un paradoxe : jamais la vie n’a été aussi sacralisée dans nos sociétés occidentales. Mais rarement les vies n’ont paru si inégales.
(...)
Suite et fin en cliquant ci-dessous
Sonya Faure
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Didier Fassin : "Sauver des vies est devenu illégitime et condamnable"
Dans son dernier livre, "la Vie, mode d'emploi critique", l'anthropologue démontre que même si les Occidentaux affirment que toutes les existences sont sacrées, ils n'accordent pas la même vale...
Najat Vallaud-Belkacem : « Pour qu’au courage des réfugiés nous répondions avec la force de notre honneur »
A l'heure où le Président de la République affirme vouloir "regarder l'immigration en face", volonté manifestement populiste, sans prise en compte de la transversalité du "dossier" migrants/réfugiés et sans propositions très éloignées de celles du Rassemblement National, il est nécessaire et salutaire de lire ou relire d'autres mots, de réfléchir à d'autres pistes, bref de faire et penser autrement.
C'est ce que propose Najat Vallaud-Belkacem, femme de gauche, socialiste et engagée.
Christophe Chartreux
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Aujourd’hui, partout dans le monde, les militants des droits humains se mobilisent pour informer, alerter, appeler les opinions publiques et les gouvernements à la responsabilité afin de faire respecter les droits fondamentaux des personnes déracinées, et d’améliorer leurs conditions de vie. On parle des demandeurs d’asile, des apatrides, des rapatriés, des personnes déplacées au sein même de leurs pays, des réfugiés. En 2017, ils étaient 70,8 millions à travers le monde, selon les Nations unies. Sans doute, ils sont plus nombreux aujourd’hui, et le seront plus encore demain.
Le courage de ces enfants, femmes et hommes pour affronter ces vies de déracinement, de fuite, d’exil et persévérer à se construire dignement un avenir, en dépit des dangers et des persécutions, puis de la défiance ou l’indifférence qu’ils rencontrent partout sur leur route, est proprement inimaginable.
Il faut pourtant faire cet effort d’humanité, d’empathie, d’intelligence et de savoir pour mettre fin au cercle vicieux qui nous mène à la catastrophe globale : toujours plus de peur, de crainte, et d’hostilité, mais aussi de contestation des faits et des chiffres, et donc d’ignorance chez celles et ceux qui ont la chance de pouvoir vivre et rester chez eux, et donc, d’accueillir. Si nous voulons que notre honneur soit à la hauteur de leur courage, alors il nous faut briser cette mécanique infernale qui prospère à l’ère de la « post-vérité », et rétablir les conditions d’un vrai débat démocratique, raisonné, informé, éclairé, juste et humain.
L’immigration – qu’elle soit la conséquence de la guerre, de la misère ou du changement climatique – s’est imposée, au cours des dernières années, comme un des défis politiques majeurs posés à nos sociétés. Elle est au cœur de ce qui préoccupe les opinions à travers les débats sur l’accueil des réfugiés, le degré d’ouverture de nos sociétés ou les modalités d’intégration des nouveaux arrivants.
On peut regretter cette place prépondérante dans le débat. Il reste que, pour espérer la ramener à sa juste mesure, il faut d’abord l’accepter, et la comprendre.
Mais peut-on seulement parler de débat ? Aux Etats-Unis, en Angleterre, ici en France, ou encore en Italie, partout où je me suis déplacée ces derniers mois, en guise de débat, je n’ai souvent assisté qu’à des dialogues de sourds, quand ce ne sont pas des manipulations rendues possibles par les réseaux sociaux et des algorithmes qui trient les informations qui nous parviennent, et modèlent nos émotions, influencent nos avis et nos consciences.
Résultat : deux camps se font face, apparemment irréconciliables. Ceux qui, études à l’appui, avancent les statistiques et les preuves concrètes illustrant l’apport économique, culturel, démographique de l’immigration à nos sociétés. Et, face à eux, une immense majorité qui redoute un recul de son niveau de vie, une dilution de son identité ou de ses valeurs dans le grand bain de la mondialisation.
Les uns se prévalent de leurs chiffres, les autres restent campés sur leurs positions, incrédules, défiants, en colère. Nous qui mesurons régulièrement les perceptions savons par exemple que 65 % des citoyens au niveau mondial estiment que leur gouvernement leur « cache » le coût réel de l’immigration. Dans aucun des 28 pays étudiés, cette proportion ne descend en dessous de 50 %, et elle est de 63 % en France (enquête Ipsos « World Refugee Day. Global attitudes towards refugees » réalisée en avril-mai auprès d’un panel international). Plus surprenant, le degré d’adhésion à cette forme de « complotisme light » ne varie pas, en France, avec le niveau de revenu ou avec l’âge. De la même manière, près de la moitié des personnes interrogées souscrivent à l’idée que leur gouvernement cherche délibérément à altérer la composition ethnique de leur société en ouvrant les vannes de l’immigration. 43 % des Français, par exemple, le pensent.
On comprend, dès lors, que le débat paraisse impossible, et que la délibération démocratique bute face à un mur. Voilà pourquoi il est urgent que chacun prenne ses responsabilités, partout dans la société. Beaucoup le font déjà : les ONG, celles qui relèvent leurs manches pour aller secourir les migrants en mer, comme celles qui se fixent pour mission d’ouvrir les yeux des décideurs. La fondation Tent est de celles-là, qui se consacre à mobiliser les grandes entreprises du monde pour qu’elles contribuent à accueillir et intégrer les réfugiés par l’emploi ; et les entreprises elles-mêmes, qui s’engagent dans une telle aventure, et elles sont de plus en plus nombreuses en France à franchir le pas, au nom de leurs besoins économiques autant que de leur mission sociale.
Comprendre les blocages de la société
On ne dira jamais combien ces efforts émanant de la société civile dans toute sa diversité sont précieux. Mais leur permettre de réussir, dans la durée, nécessite de mieux comprendre les soubassements des blocages auxquels il s’agit de faire face et de pouvoir identifier les leviers de leur dépassement.
C’est la raison pour laquelle il est plus important que jamais d’investir dans la science, des humanités aux neurosciences, en passant par la data science, pour comprendre les fonctionnements profonds des opinions et des comportements dans nos sociétés. Il convient de soutenir celles et ceux qui, à l’instar d’un François Héran [sociologue, anthropologue et démographe, titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France], poussent l’idée d’un GIEC sur la question migratoire globale afin de mener un combat comparable à celui qui est mené contre le climatoscepticisme, et qui finit par donner ses fruits. Un tel effort porté à l’échelle internationale, associant la recherche publique aux acteurs privés qui, comme Ipsos, décident de se saisir résolument du sujet, serait en mesure de nous aider, mieux que toutes les initiatives politiques, à mieux comprendre, mieux débattre et mieux agir, collectivement, comme citoyens.
Pour qu’enfin, au courage des réfugiés, nous puissions collectivement répondre avec la force de notre honneur, et le sens de la fierté retrouvée. Après tout, 70 % des Français se disent fiers et confiants que la France accueille des personnes persécutées dans leur pays. Lorsque la raison peine à infléchir les opinions à elle seule, pourquoi ne pas faire appel, nous aussi, à la puissance des sentiments et des émotions en convoquant aussi la fierté d’agir en êtres humains, d’abord guidés par les valeurs, le sens moral, et la volonté de construire une société meilleure, à l’avenir plus solidaire et plus juste pour toutes et tous ?
Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’éducation nationale (2014-2017), est présidente du conseil stratégique de la fondation d’aide aux réfugiés Tent, et directrice des affaires publiques internationales du groupe Ipsos.