Pour son interview au JT de 13 heures de TF1, Emmanuel Macron avait choisi comme cadre une salle de classe dans un village de Normandie, avec un mur bleu lumineux et des dessins d’enfants. Façon de souligner l’importance qu’il accorde à l’éducation («la base de tout», selon ses mots) et surtout, d’essayer de se défaire de cette image d’un président fermant à tour de bras des écoles de campagne. «A la rentrée prochaine, il y aura 20 000 élèves en moins qui rentreront en CP dans les zones rurales. Et pourtant, on va ouvrir 1 000 classes dans le rural», a-t-il déclaré. Pas sûr que ses propos aient l’effet escompté.

D’abord, parce qu’Emmanuel Macron s’est emmêlé dans les chiffres. Vérification faite auprès du ministère de l’Education, les 1 000 ouvertures de classes dont parle le Président concernent la France entière, et pas seulement les zones rurales. «Les chiffres que nous avions communiqués il y a quelques semaines restent valables», assure le ministère de l’Education. Soit 783 ouvertures annoncées de classes rurales pour 990 fermetures. Le Snuipp (principal syndicat du primaire) conteste ces chiffres. Le syndicat a fait les calculs de son côté, en compilant les données de terrain fournies par les sections locales. Ça donne : 1 097 fermetures et 289 ouvertures. Et donc un solde de 808 suppressions de classe rurales, contre 207 pour le ministère…

Il n’existe pas de définition officielle d’une école rurale

Comment expliquer un tel écart ? «Parce qu’il n’y a pas de définition officielle du rural, et donc cela laisse place à toute interprétation», répond Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp. Il n’existe en effet pas de définition officielle de la ruralité, l’Insee classe les communes entre les «peu denses», les «très peu denses» et les «très peu denses et isolées, hors influence des pôles». Par ricochet, les écoles rurales n’ont pas, elles non plus, de définition officielle.

Pour le Snuipp, «ce sont les écoles situées dans des communes où les services ont quasiment tous disparu». Le ministère a une autre méthode : les chiffres communiqués correspondent aux ouvertures et fermetures de classe dans les 45 départements les plus ruraux, que ce soit donc dans les villes ou les villages. A l’inverse, les écoles de campagne dans les départements considérés comme urbains ne sont pas prises en compte par le ministère. «Nous sommes en train de modifier la méthode pour justement se rapprocher au plus près de la situation de chaque territoire», explique l’entourage de Jean-Michel Blanquer, qui explique au passage que c’est parce que la méthode de calcul est en pleine restructuration, que les comparaisons dans le temps avec les autres quinquennats ne sont pas possibles…

«Une querelle sur les chiffres qui paralyse le débat»

Pierre Champollion, chercheur en sciences de l’éducation, a fondé avec des confrères il y a vingt ans un observatoire des écoles rurales (devenu depuis l’Observatoire éducation et territoire) pour justement mieux cerner les particularités des écoles rurales. Il se désole qu’aujourd’hui encore le débat soit paralysé sur ces querelles de chiffres, d’autant plus stériles que l’école rurale est difficile à caractériser. «On peut appréhender l’école rurale à travers son organisation spécifique : ce sont souvent des classes multiniveaux, ou uniques. Mais ce critère ne suffit pas, car on trouve des classes multiniveaux dans d’autres endroits, et cela va même en se développant.» Autre façon de faire : «Rentrer par le territoire, en disant que ce qui est rural, c’est ce qui n’est pas urbain… Mais on se retrouve à mettre dans le même panier des réalités éloignées. Nous, on a choisi de s’appuyer sur les flux quotidiens domicile-travail, même si on sait que cela comporte des biais.» Pour lui, il est urgent de prendre le problème autrement. «Il faut réfléchir à des politiques publiques par type de territoire et non pas vouloir apporter une seule reponse globale

Marie Piquemal