Mardi, la préfecture de police a pratiqué la pêche au gros au lycée Arago (XIIe arrondissement de Paris). La manifestation des fonctionnaires venait de prendre fin quand une centaine de jeunes sont entrés dans l’établissement, tout proche du lieu de dispersion du cortège, pour organiser une assemblée générale contre Parcoursup et la sélection à l’université. Les cours étaient alors terminés et le lycée fermait ses portes. Tous interpellés, les occupants comptaient dans leurs rangs une soixantaine de lycéens mineurs, selon les associations de parents d’élèves. Après deux jours de garde à vue, ils étaient nombreux à ressortir sans poursuites et les charges retenues contre les autres sont faibles.

Rappel à la loi

Pour justifier son intervention, la préfecture de police expliquait dans un communiqué publié le soir même «qu’une réquisition a été établie par le chef d’établissement». Contactée par Libération, la préfecture précise les conditions de son intervention : «La manifestation s’est terminée vers 18 h 30. Environ 45 minutes plus tard, la proviseure nous a demandé d’intervenir parce que l’établissement était occupé. Elle dit avoir constaté des dégradations. Toutes les personnes présentes dans le lycée à notre arrivée ont été interpellées et placées en garde à vue.»

Cette situation rappelle les très nombreuses interpellations qui avaient suivi la manifestation du 1er Mai et abouti, pour l’immense majorité des cas, à de faibles poursuites judiciaires. A l’issue de la manifestation du 22 mai, ce sont 128 personnes qui ont été placées en garde à vue pendant près de deux jours, dont 102 étaient présentes dans le lycée Arago selon le parquet de Paris. Au bout du compte, 67 ont été déférés (40 majeurs et 27 mineurs), dont de très nombreux en vue d’un simple rappel à la loi ou de mesures de réparation pénale. Et aucune comparution immédiate n’a été organisée dans la journée de jeudi.

Selon le parquet de Paris, les deux infractions majoritairement retenues lors des gardes à vue et, ensuite, pour les poursuites judiciaires sont l’«intrusion dans un établissement d’enseignement scolaire» et la «participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations». Deux délits passibles chacun d’un an de prison et, respectivement, de 7 500 euros et 15 000 euros d’amende. Mais qui permettent surtout une application très extensive : dans le premier cas, le simple fait d’être entré dans le lycée est constitutif de l’infraction. Dans le second, le délit de participation à un groupement a récemment été utilisé très largement pour poursuivre des manifestants, notamment après le défilé du 1er Mai, marqué par des affrontements avec la police. «Dans cette affaire, il y a une volonté de dissuader les lycéens de manifester avec l’utilisation de ces gardes à vue punitives», estime Me Arié Alimi, avocat de plusieurs jeunes.

«Délais logistiques»

Autre point de crispation important de ces deux derniers jours : de nombreux parents ignoraient totalement l’interpellation de leur enfant. D’autres étaient «sans nouvelle du lieu où [il-elle] se trouvait», assurait l’association de parents d’élèves FCPE dans un communiqué publié jeudi. Beaucoup ont eu des difficultés à trouver les commissariats où ils étaient retenus. Une situation anormale pour des gardés à vue mineurs : une ordonnance de 1945 sur les mineurs prévoit ainsi que l’officier de police judiciaire a l’obligation d’informer les responsables légaux des enfants dès la notification de leur placement en garde à vue.

Si l’information des parents a pris du temps, c’est, selon la préfecture, à cause du nombre élevé d’interpellés qui a suscité des «délais logistiques» : «Il faut prendre les identités, mais tout le monde n’a pas sa carte d’identité. Puis on devait aussi dresser les procès-verbaux, répartir les gardés à vue dans les commissariats en fonction des places disponibles, veiller à bien séparer les majeurs et les mineurs, les hommes et les femmes.» Autant de tâches chronophages pour la police qui a interpellé sans distinction la centaine d’occupants du lycée Arago.

Ismaël Halissat Photos Michaël Bunel. Hans Lucas , Fabien Leboucq