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Vivement l'Ecole!

politique

Le "bon sens" comme retour à l’ordre pédagogique...

12 Juillet 2018 , Rédigé par Questions de Classe(s) Publié dans #Education, #Politique, #Pédagogie

  Le "bon sens" comme retour à l’ordre pédagogique...

1er juillet 2018

Publiée hier, une interview commence à faire un peu parler d’elle : celle de Souâd Ayada, l’actuelle présidente du CSP, à la manœuvre dans les « ajustements de programme ». Si la semaine dernière nous essayons de voir ce qu’entre les lignes, ces modifications disaient du projet politique et pédagogique du ministère, dans cette interview, la présidente du CSP est explicite. Et ça fait peur. Il ne s’agit pas ici d’un soutien acritique aux programmes tels qu’ils sont aujourd’hui, mais de tenter de comprendre les opinions pédagogiques (et donc d’une certaine manière toujours politiques) des personnes aujourd’hui au pouvoir dans le champ de l’éducation.

Le retour des « leçons » : un rappel à l’ordre pédagogique et social ?

Dans les ajustements, une phrase m’avait interpellé sans que j’en comprenne les enjeux : « la leçon de grammaire et de vocabulaire […] doit être pratiquée dans le cadre de séances régulières ». Pourquoi préciser une telle évidence ? On le comprend mieux quand on lit le chapô de cette interview du Point :

« à la rentrée prochaine, les élèves redécouvriront […] les leçons de grammaire » !

C’est vrai qu’avec les programmes de 2015, on ne faisait plus de leçon de grammaire (on se demande d’ailleurs dans quel cadre était étudié le si décrié « prédicat »)… Le mot « leçon » ici est en réalité utilisé comme mot-fétiche, choisi pour sa connotation traditionnelle contre presque un siècle de réflexions et recherches pédagogiques (voire plus : « vos leçons doivent être plus en actions qu’en discours » écrivait déjà Rousseau dans L’Emile, « Ne donnez à votre élève aucune espèce de leçon verbale ; il n’en doit recevoir que de l’expérience »). Derrière le mot « leçon », il y a le cours magistral, un modèle transmissif de l’enseignement ; bref, une pédagogie traditionnelle faisant l’économie d’une réflexion sur l’appropriation des savoirs par les élèves, en se basant sur l’hypothèse qu’un savoir bien exposé doit être assimilé par l’élève (si ce n’est pas le cas, c’est la faute de l’enfant). Modèle pédagogique aujourd’hui souvent de retour sous couvert de pédagogie de l’explicite : au prétexte, que pour apprendre les élèves ont besoin qu’on lève les implicites (ce que je ne remets pas en question), on leur transmet des procédures à appliquer sans nécessité de réflexion, de prise de décision et de construction de savoir.

Ainsi, s’il n’y a pas de « retour à la leçon », il y a cependant un usage des mots qui en dit long. Pour la présidente du CSP, il s’agit explicitement de mettre au placard des décennies de recherches en didactique et en sciences de l’éducation, et d’expérimentations quotidiennes des pédagogues dans leur classe. C’est bien l’héritage des pédagogies actives, puis des didactiques constructivistes et socioconstructivistes (inspirées de la psychologie et de la sociologie des sciences) qu’il s’agit de mettre à mal sous prétexte de retour au bon sens. « Je ne souscris pas à l’idée que l’élève construit ses savoirs » explique Souâd Ayada. Bien entendu, le socioconstructivisme et les approches qui en découlent1 n’imaginent pas que les élèves réinventent la grammaire chaque année : le point de vue est de dire que pour que les élèves apprennent et surtout comprennent, il faut qu’ils/elles pratiquent, expérimentent et observent les règles qu’ils ont à acquérir. Le rôle de l’enseignant est alors de les guider dans cette découverte. Pour la présidente du CSP, l’élève qui apprend est un élève passif : « Ce ne sont pas des « observateurs » de la langue, contrairement à ce que laissent croire les programmes actuels, analyse-t-elle. Ce sont des « usagers » de la langue, non des linguistes ! ». L’ordre traditionnel est maintenu en dépit de tout souci d’appropriation du savoir par les élèves. Il n’est pas inintéressant d’observer que les considérations pédagogiques de madame Ayada réutilisent des catégories qui structurent l’ordre social : celle de la division entre travail intellectuel (« non des linguistes ! ») et travail manuel (« des « usagers » de la langue »). Dans la poursuite de la rhétorique des « fondamentaux » chère au ministre, on retrouve une définition conservatrice de ce que tou.te.s les élèves doivent connaitre : non pas des ambitions d’émancipation intellectuelle par une approche réflexive, mais bien la formation d’ « usagers », maitrisant suffisamment bien les outils de la langue pour être un.e travailleur.se efficace.

Le « bon sens » : obscurantisme et poujadisme pédagogique

Les arguments de madame Ayada ne sont pas véritablement nouveaux : François Fillon en avait fait son slogan de campagne («  la révolution du bon sens ») tout comme Pierre Poujade et bien d’autres. Manifestement, le scientisme du ministère de l’éducation nationale n’empêche pas parallèlement un anti-intellectualisme, qui ne soyons pas dupe, n’a pas pour objectif de rendre hommage au sens pratique et à l’expérience quotidienne des professeur.e.s. Comme on l’a vu, l’appel au « bon sens » est un rappel à l’ordre pédagogique : chacun à sa place, les élèves dans la passivité de réceptacle docile, les enseignants dans la posture magistrale du détenteur exclusif du savoir. Adieu tous les concepts qui tentaient (peut-être de manière un peu complexe et peu lisible) de rendre compte de ces dynamiques : « Ne me demandez pas ce que cela veut dire ! Bien que difficilement compréhensibles, ces formulations étaient dans les programmes de français » déclare, pleine de mépris, madame Ayada à propos de certaines formules des programmes de 2015. Déjà en 1957, Roland Barthes analysait l’usage du « bon sens » par Pierre Poujade : « M. Poujade verse au néant toutes les techniques de l’intelligence, il oppose à la « raison » petite-bourgeoise les sophismes et les rêves des universitaires et des intellectuels discrédités par leur seule position hors du réel computable »2. En effet, ce qui se joue dans l’affirmation du « bon sens », c’est comme toujours un enjeu de définition du réel. Roland Barthes ajoute donc :

« Nous savons maintenant ce qu’est le réel petit-bourgeois : ce n’est même pas ce qui se voit, c’est ce qui se compte ; or ce réel, le plus étroit qu’aucune société ait pu définir, a tout de même sa philosophie : c’est le « bon sens », le fameux bon sens des « petites gens », dit M. Poujade. La petite-bourgeoisie, du moins celle de M. Poujade […], possède en propre le bon sens, à la manière d’un appendice physique glorieux, d’un organe particulier de perception : organe curieux, d’ailleurs, puisque, pour y voir clair, il doit avant tout s’aveugler, se refuser à dépasser les apparences, prendre pour de l’argent comptant les propositions du « réel » […]. Son rôle est de poser des égalités simples entre ce qui se voit et ce qui est, et d’assurer un monde sans relais, sans transition et sans progression. Le bon sens est comme le chien de garde des équations petites-bourgeoises : il bouche toutes les issues dialectiques, définit un monde homogène, où l’on est chez soi, à l’abri des troubles et des fuites du « rêve » (entendez d’une vision non comptable des choses) »

Aujourd’hui comme hier, le « bon sens », c’est l’argument obscurantiste pour défendre l’ordre social, pour défendre le réel tel que les dominants souhaitent qu’il soit.

Où est l’exigence ?

Pour madame Ayada, et pour les détracteurs des « pédagogos », à coup sûr, le camp de l’exigence, c’est eux/elles. « On ne peut pas se réjouir de l’appauvrissement de la langue » assène-t-elle avant de regretter : « Dans un passé récent, les promoteurs d’une conception très exigeante de la langue n’étaient pas tous des « conservateurs ». C’est certain, elles et ses collègues sont dans le camp de l’exigence ; exigence qu’elle veut au service de la justice sociale. Pour elle, ne pas enseigner toutes les personnes du passé simple : c’est faire preuve de « mépris de classe » et de « cynisme ».

Le journaliste du Point ne relève pas que la présidente du CSP vient d’expliquer longuement que les élèves n’ont pas à réfléchir sur la langue et qu’ils et elles sont de simples usagers. Elle vient d’expliquer longuement qu’on ne peut attendre des élèves qu’ils « observent » et qu’ils « construisent » leur savoir. Tout comme le « bon sens » est une arme pour affirmer la vision dominante du réel et réaffirmer l’ordre social, l’exigence ici aussi est un enjeu de débat et de définition. Pour madame Ayada, l’exigence c’est le respect des normes, et notamment des normes de l’écrit dont on sait qu’elles sont l’outil de tri social le plus puissant de l’école (Baudelot et Establet notaient déjà que l’école voulait des enfants qui « parlent comme des livres »3, Bernard Lahire soulignait les difficultés des enfants de classe populaire à rentrer dans un rapport « scriptural-scolaire » aux savoirs4). Tandis que pour celles et ceux que madame Ayada attaque, celles et ceux qui défendent que les élèves doivent observer et expérimenter pour construire eux/elles-mêmes leur savoir, où se situe l’exigence ? L’exigence est avant tout une exigence de réflexion et d’autonomie, voire d’esprit critique : il s’agit autant de savoir appliquer les règles que de les comprendre. Irène Pereira écrivait à la fin de son ouvrage sur les pédagogies critiques5 : « la formation proposée, à toutes et à tous, doit être exigeante, d’un haut niveau intellectuel et culturel et s’articuler avec un enseignement polytechnique ». Bref, le camp de l’émancipation n’a pas renoncé à l’exigence, nous en avons juste une définition autrement plus ambitieuse que celle de madame Ayada pour qui – dans une forme de poujadisme pédagogique - l’intelligence semble se borner à savoir conjuguer au passé simple…

L’exigence et le réel : histoire rapide de la grammaire scolaire

Tous ces discours sur l’exigence sonnent d’ailleurs bien creux quand on voit la quantité d’erreurs qu’ils charrient. Sur Twitter, les réactions n’ont pas tardé : l’historienne Laurence De Cock ironise : « celles et ceux qui prétendent lutter contre "les pédagogistes" au nom de la primauté des savoirs, se désintéressent totalement du fait que les propositions qu’ils font pour l’Histoire reposent sur des savoirs totalement dépassés ». La linguiste Laélia Véron s’exclame quant à elle : « Cet entretien (biaisé) contient bon nombre d’âneries cachées sous le prétexte du pseudo "bon sens" », avant de conclure : « sous prétexte de fermeté, de ne "pas négocier", on véhicule de la langue une image fausse, figée, anhistorique : la langue doit s’apprendre par coeur, sans réflexion ».

Madame Ayada semble convaincue que les règles de la grammaire scolaire traditionnelle sont là depuis toujours, qu’elles seraient incluses dans la langue elle-même. L’historien André Chervel s’est particulièrement intéressé à la naissance de la « grammaire scolaire »6. Il explique qu’elle nait avec le premier enseignement de l’orthographe dans les années 1820 : « on élabore des méthodes, des exercices, une théorie grammatical ad hoc, celle de Noël et Chapsal, difficile, abstraite, rébarbative, mais qui est en mesure de répondre aux besoins d’un public encore limité ». Puis, avec la démocratisation scolaire, un nouveau public (souvent « patoisant ») arrive sur les bancs de l’école et la grammaire Chapsal ne fonctionne plus. Apparait alors au sein des écoles normales, une nouvelle théorie grammaticale : la « théorie des fonctions », encore utilisée aujourd’hui, qui distingue différents compléments (COD, COI, CDN, CC). « C’est là une théorie purement scolaire, purement opératoire, visant explicitement à enseigner les difficultés de l’orthographe française » mais qui gagnera finalement ses lettres de noblesse en linguistique. « Dans ces diverses évolutions, c’est la transformation du public scolaire qui a obligé la discipline à s’adapter » note l’historien. N’en déplaise à la présidente du CSP, la grammaire scolaire traditionnelle a elle aussi une histoire (pas si ancienne) fruit de la rencontre entre un nouveau public scolaire et les finalités pédagogiques et politiques de l’époque.

Entre l’injonction à l’innovation et le conservatisme des réécritures de programmes, entre passion pour les neurosciences et le déni de dizaines d’années de recherches pédagogiques, il n’est pas facile de formuler le projet blanquerien pour l’école. Ce qui semble certain, c’est que ce n’est pas une école qui se donne pour finalité l’autonomie, la liberté et l’émancipation. Ce qui est certain encore, c’est que l’innovation pédagogique pour Blanquer n’a pas pour but d’interroger la relation entre enseignant.e et apprenant.e, ni la division du travail intellectuel ou même encore la société... L’école "de la confiance" reste une école "du bon sens", du réel réduit à sa dimension comptable, où la pédagogie est enrôlée au service de l’efficacité dans l’acquisition de connaissances pour s’insérer sur le marché du travail.

Arthur

1 - On peut penser aux méthodes "naturelles" de Freinet, aux approches de groupes comme le gfen, mais aussi des méthodes devenues classiques dans l’institution comme Ermel en mathématiques ou la grammaire Picot.

2 Roland Barthes, "Pierre Poujade" in Mythologies , Paris, Seuil, 1957

3 - « Apprendre à lire et à écrire implique qu’on coupe systématiquement la parole à qui veut la prendre sans se conformer aux lois du texte écrit : seuls sont autorisés à parler ceux qui parlent comme des livres. »
in Christian Baudelot et Roger Establet, L’ecole capitaliste en France, Paris, Maspero, 1971

4 - Bernard Lahire, La Raison scolaire. Ecole et pratiques d’écriture, entre savoir et pouvoir, Rennes, PUR, 2008
Il importe toutefois de ne pas caricaturer l’enjeu de l’écrit dans une opposition oral-écrit factice. De même, le projet d’étude et d’observation de la langue ne peut se passer du support écrit comme outil pour penser. nous sommes toutefois ici dans un rapport qui n’est normatif comme celui de la présidente du CSP.

5 - Irène Pereira, Paolo Freire, pédagogue des opprimé.e.s, Paris, Libertalia, 2017

6 - André Chervel, La Culture scolaire, une approche historique, Paris, Belin, 1998

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Des pauvretés en milieu rural...

11 Juillet 2018 , Rédigé par christophe Publié dans #Education, #Politique

Des pauvretés en milieu rural...

Le Président de la République annonce un "Plan pauvreté".

Alors parlons DES pauvretés. A commencer par celles vécues en milieu rural..

Depuis plus de trente ans dans le même collège rural en Pays de Caux (Seine-Maritime, quelque part entre Rouen et Dieppe, sur les bords de la vallée de la Scie), je suis bien placé pour observer les ravages provoqués par les pauvretés de toutes sortes, pauvretés alourdies par le fait qu'elles naissent et se développent en milieu rural :

- pauvreté financière;
- pauvreté intellectuelle;
- pauvreté des ambitions. (Comment être ambitieux quand il y a si peu à ambitionner);
- pauvreté des situations familiales (Mères isolées ; divorces difficiles);
- pauvreté des moyens de divertissements (A peine 10% des enfants du collège partent en vacances)... etc...

J’utiliserai le mot « pauvre » dans sa signification la plus large tout au long de ma réflexion... On parle souvent, et à juste titre, des difficultés des enfants des cités. Beaucoup moins souvent de celles des élèves en milieu rural. Elles sont certes d'un autre ordre mais mériteraient une attention plus soutenue. En tout cas pas l'affaiblissement actuel provoquée par des fermetures de classes.

Ce tableau très noir n'est évidemment pas le seul. Il existe un tableau blanc. Avec des élèves et des familles heureuses. Mais la croissance des « grandes misères » doit nous inquiéter. Leur gravité et leur durée également.

Tout enseignant ne peut ignorer, lorsqu'il est dans sa classe, qu'il a face à lui des élèves évidemment, mais toutes et tous porteurs d'un vécu social, bagage léger pour certains, extraordinairement lourd pour d'autres. Aucun professeur ne peut ignorer cela, sous peine de passer à coté d'une réalité qui vit et qu'il vit pourtant chaque jour sous ses yeux et que les « enfants/pré-adolescents » ne cherchent même plus à cacher.

Sans verser dans la compassion, il est néanmoins criant d'évidence que lorsqu'on est pauvre, quelle que soit cette pauvreté qui n'est pas circonscrite à la misère financière (on peut être riche et « pauvre »...), l'effort demandé à l'élève pour s'élever est souvent surhumain. Contrairement à des idées reçues et véhiculées par confort ou par lâcheté, l’École est certes un havre de paix, de transmissions de savoirs et de savoirs-faire, mais elle n'est pas, par je-ne-sais quel enchantement, dispensée des malheurs qui frappent celles et ceux dont nous partageons les journées.

Il nous faut donc repenser la pauvreté, repenser nos manières d'y répondre, cette pauvreté aux mille visages qui frappe des filles et des garçons auxquels on demande l'excellence sans se soucier parfois des obstacles invisibles, cachés, tus dans un lourd silence qui rendent l'objectif absolument inaccessible. Alors ils deviennent des « mauvais élèves ». Et s'ils étaient déjà en difficultés, c'est la double peine qui les attend au sortir des conseils de classe : pauvres chez eux et pauvres en classe, pauvres partout.

Pourtant - et je me pose souvent la question - le « mauvais élève » n'est-il pas tout simplement un bon élève laissé à lui-même, depuis la maternelle ? Les seules explications culturelles à la pauvreté sont très éloignées de la réalité. Très insuffisantes en tout cas. Si seulement on pouvait comprendre vite, très vite et très tôt, que beaucoup de « mauvais » élèves le seraient moins si l'institution les aidait, ainsi que leurs parents, à prendre les bonnes décisions, à faire les bons choix, à saisir les bonnes opportunités, à s'engager dans la bonne orientation.

Hélas, ces bonnes décisions, ces bons choix, ces bonnes opportunités, ces bonnes orientations semblent encore trop souvent réservés à ceux qui ont échappé - et heureusement pour eux ! - aux pauvretés accablantes, qu'elles soient sociales, morales, intellectuelles ou toutes à la fois !

Christophe Chartreux

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Un lepénisme ouvrier? (Vidéo)

11 Juillet 2018 , Rédigé par La Vie des Idées Publié dans #Politique, #Histoire

Le spécialiste de sociologie électorale Florent Gougou montre que le vote ouvrier pour la droite, puis l’extrême droite, est alimenté par une double dynamique : l’abandon de la classe ouvrière par les partis de gauche, et la radicalisation d’une nouvelle génération, unie par sa commune hostilité à l’immigration, en faveur du Front national à partir des années 1980.

Florent Gougou est maître de conférences en science politique à Sciences Po Grenoble. Spécialiste de sociologie électorale, il a travaillé sur les évolutions du vote des ouvriers en France et en Allemagne depuis 1945.

Il a récemment publié : « Les ouvriers et le vote Front national. Les logiques d’un réalignement électoral », dans Sylvain Crépon, Alexandre Dézé, Nonna Mayer (dir.), Les faux-semblants du Front national, Paris, Presses de Sciences Po, 2015.

Marieke Louis, « Un lepénisme ouvrier ?. Entretien avec Florent Gougou », La Vie des idées , 18 avril 2017. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Un-lepenisme-ouvrier.html

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Le Conseil supérieur des programmes est encore miné par des conflits ...

11 Juillet 2018 , Rédigé par Mediapart Publié dans #Education, #Politique

Le Conseil supérieur des programmes est encore miné par des conflits ...

EXTRAITS

Le Conseil supérieur des programmes traverse une phase de turbulences. Alors que de nouveaux contenus éducatifs doivent être validés pour la rentrée, trois de ses membres contestent des propos de sa présidente Souâd Ayada. En toile de fond s’expriment des clivages éducatifs plus profonds. 

Le Conseil supérieur des programmes semble être maudit. L’instance indépendante chargée d’élaborer les contenus éducatifs est traversée par une nouvelle crise. Sous la houlette de la philosophe Souâd Ayada, qui le préside depuis novembre, cet organe lié au ministère de l'éducation nationale s’est attelé à repenser les contenus éducatifs destinés aux élèves. Les ajustements et correctifs, selon les termes du ministère, ont été rendus publics fin juin.

La nouvelle mouture programmatique (à découvrir ici dans le détail) sera discutée le 12 juillet lors du Conseil supérieur de l’enseignement (CSE), composé des principaux syndicats enseignants, lycéens et de parents d’élèves. Elle sera ensuite validée – sans trop de surprise – par le ministère de l’éducation, qui peut toutefois choisir de les amender avant leur passage devant le CSE et conserve le dernier mot. L’application des programmes est elle aussi express, puisqu’ils sont censés être mis en œuvre pour la rentrée prochaine, dans deux mois.

La présidente du CSP – qui n'a pas souhaité répondre à nos questions – justifie ce toilettage dans le Journal du dimanche en expliquant que « les textes ont beau n'être entrés en vigueur qu'en 2016, ils posent des difficultés de mise en œuvre et d'appropriation ». Problème : la vision portée par la présidente ne colle pas à celle de certains membres de l’instance présents depuis plusieurs années en son sein.

Jean-Michel Blanquer ne s’en est jamais caché depuis son arrivée rue de Grenelle, il ne goûte pas les programmes concoctés par la précédente majorité. Il a donc demandé au CSP de les réajuster, même si le Conseil est indépendant et a été conçu en ce sens. Ce n'est pas un hasard, la présidente du Conseil possède quelques convergences idéologiques avec le ministre, d’où sa nomination en novembre 2017. En témoigne son audition à l’Assemblée nationale fin janvier par la commission des affaires culturelles ou ses interviews dans différents médias. Celle-ci y défend une vision traditionnelle de l’école et s’en remet au « bon sens », cette boussole qui guide la politique en Macronie.

Mais c’est un entretien dans Le Point qui a particulièrement irrité une partie des membres du CSP. À tel point que trois d’entre eux sont sortis de leur réserve.

(...)

Plus largement, des membres dénoncent un fonctionnement désormais vertical, moins collégial, ce qui rend le dialogue difficile.

Créé en 2013 par la loi dite pour la refondation de l’école de Vincent Peillon, cet organe visait à donner un cadre formel et réel à l’élaboration des programmes. Il s’agissait de sortir cette prérogative des bureaux de la direction générale de l’enseignement scolaire. Pour éviter tout soupçon de collusion idéologique, ses membres proviennent de différents horizons et ont surtout des sensibilités politiques diverses.

Sur le papier, tout devait bien se passer. Des polémiques, consubstantielles à la politique éducative, ont néanmoins émaillé l’existence de ce Conseil. Des brouilles largement médiatisées ont porté sur les programmes d’histoire ou la grammaire avec le désormais fameux prédicat, supprimé des futurs programmes qui ont, selon le ministère de l’éducation nationale, été « ajustés ».

Légalement, le ministre n’a pas le pouvoir de démettre le président du CSP de ses fonctions.

Ses deux ex-présidents, Alain Boissinot et Michel Lussault, ont tous les deux démissionné en 2014 et fin 2017. Le premier car il jugeait la structure mal adaptée eu égard à la lourde tâche d’écriture des programmes, le second pour signifier sa vive opposition aux orientations idéologiques de l’actuel ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer.

En septembre 2017, Michel Lussault racontait à Mediapart ce qui a conduit à cette décision : « J’ai fait le choix de démissionner car j’avais très nettement le sentiment que le ministre ne tenait pas particulièrement à activer le CSP tant que je le dirigeais. Je n’ai décelé aucun signe de sa volonté de nous faire travailler. Je n’ai pas l’habitude de faire de la figuration ou d’être une plante verte sur l’estrade. Je n’ai que faire d’une distinction honorifique. »

Quelques mois plus tard, en février, c’était au tour de la vice-présidente, la linguiste Sylvie Plane, d’abandonner sa fonction. Elle dénonçait le fait que le CSP « a été petit à petit complètement dépossédé de ses missions ». Elle déplorait par ailleurs que l’indépendance des membres soit remise en question. Sylvie Plane souhaitait expliquer dans un texte que non, le passé simple n’a pas disparu des programmes. La présidente de l’instance, raconte-t-elle, lui a demandé de se présenter sous sa seule étiquette de linguiste et de taire son appartenance au CSP pour éviter de « susciter une polémique dont le Conseil n’a pas besoin ».

(...)

Ces programmes, de l'aveu de leurs concepteurs, sont perfectibles mais pas pour les mêmes raisons que celles avancées par la présidente du CSP. Cette dernière a déclaré, dans ce désormais fameux entretien au Point, la chose suivante : « Nous n’avons pas la même conception de la grammaire. Pour mon prédécesseur, la grammaire, c’est quelque chose de négociable. Je ne pense pas que la grammaire soit négociable. » Depuis 2015, cette formule colle à la peau de Michel Lussault, bien qu’elle ne soit jamais sortie de sa bouche, et fait les délices des réseaux sociaux et des commentateurs.

Ce concept de « grammaire négociable » est évoqué dans un billet de blog hébergé par le site de Télérama, écrit à propos des programmes d’alors par une certaine Lucie Martin, professeure de français. Elle décrit une formation dispensée par l’éducation nationale sur l’étude de la langue et en critique les préconisations. Mais la phrase fait florès et l’article devient viral.

La seule chose qu’a dite Michel Lussault à ce propos est que « la grammaire n'est pas un dieu, mais un moyen d'accéder à la langue écrite et orale ».

Un poil provocateur, le géographe considère aujourd’hui que ces commentaires de la présidente du CSP ont été faits à dessein et visent à « finir de refermer la parenthèse de la refondation de l’école » initiée par Vincent Peillon lors du quinquennat de François Hollande.

Il souhaite rétablir la vérité : « Souâd Ayada me prête des propos inexacts, elle les déforme, on peut attendre mieux d'une présidente du CSP. J’ai dit le contraire, c’est curieux et aberrant. La grammaire est explicable. J’ai insisté sur le fait que c’était un fétiche à ne pas révérer comme un dieu mais comme un outil. Il faut prendre comme point de départ les erreurs des élèves et travailler à partir de celles-ci. »

Les trois auteurs, eux aussi, rejettent cette formule : « Par ailleurs, il n’avait bien évidemment jamais été question dans ces programmes de permettre aux enseignants de “négocier la grammaire avec les élèves”. »

Ils démentent aussi une autre fausse information tenace : « Quant à l’affirmation selon laquelle on aurait alors remplacé le complément d’objet direct (COD) par le prédicat, quoique souvent répétée depuis 2015, elle est fausse également dans la mesure où cette notion, classique chez les grammairiens et utilisée dans les autres pays francophones, comprend bien sûr tous les compléments essentiels du verbe que les programmes de 2015 n’avaient pas effacés pour autant. »

(...)

Étant donné le contexte explosif, aucun des autres membres du CSP n’a souhaité s’exprimer. Ils s’astreignent au silence, car le Conseil supérieur des programmes est encore chargé d’une mission de la plus haute importance : réécrire les programmes du lycée dans le cadre de la réforme du baccalauréat voulue par Jean-Michel Blanquer, qui sera effective en 2021. Les groupes de travail ont déjà été constitués et devront rendre compte de l’avancée de leurs réflexions aux membres du CSP, lesquels devront dégager un consensus malgré tout.

Faïza Zerouala

L'article complet est à lire en copiant-collant le lien ci-dessous (Pour abonnés)

https://www.mediapart.fr/journal/france/100718/le-conseil-superieur-des-programmes-est-encore-mine-par-des-conflits?page_article=2

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De l’utilisation opportuniste des rumeurs sur les programmes scolaires...

11 Juillet 2018 , Rédigé par AOC Publié dans #Education, #Politique

De l’utilisation opportuniste des rumeurs sur les programmes scolaires...

EXTRAITS

Que les programmes subissent des modifications n’a en soi rien de scandaleux : il est normal qu’on réactualise régulièrement la définition des connaissances à acquérir par les élèves. En revanche, créer de faux débats à partir d’éléments tronqués, entretenir des rumeurs pour justifier une intervention sur les programmes scolaires, cela est profondément malsain.

Or la manière dont a été organisée la publication récente des projets d’ajustements et de clarifications des programmes, et tout particulièrement la partie concernant la grammaire, montre un bel exemple de la façon dont on a exploité la vulnérabilité du grand public, à coup de rumeurs et d’insinuations infondées, afin de servir un dessein politique. Les programmes scolaires actuellement en vigueur ont été publiés en novembre 2015 et appliqués à partir de la rentrée 2016. Élaborés par le Conseil supérieur des programmes (CSP), ils couvrent toute la scolarité obligatoire depuis l’entrée à l’école maternelle jusqu’à la dernière année de collège. Le demande d’« ajustements » et de « clarifications » de la part du ministre intervient donc moins de deux ans après leur entrée en vigueur.

(...)

Le prédicat, objet opportun de rumeurs enflammées

Lorsque les programmes paraissent en novembre 2015, différents points sont discutés, mais rien de saillant ne se dégage. Dans le champ politique, les programmes sont sous le feu de regards critiques, mais la grammaire ne fait pas l’objet de remarques particulières. Dans le livre intitulé l’École de demain qu’il publie en octobre 2016, Jean-Michel Blanquer, qui se positionne en futur ministre, traite des nouveaux programmes mais n’évoque pas la grammaire. Il déplore qu’on ait renoncé aux programmes publiés sous Sarkozy mais déclare qu’il ne convient pas « d’engager une énième guerre des programmes ». Il s’agit là d’une concession raisonnable mais couteuse et, manifestement, si l’occasion se présentait de revenir sur les programmes, elle serait appréciée.

Or, brusquement, en janvier 2017, un blog attire l’attention sur le prédicat. Ce blog est tenu par Lucie Martin, professeure de lettres qui publie un article intitulé « En 2017, la grammaire est simplifiée, voire négociable ». Son titre fera florès, comme on le verra plus loin. Prenant comme point de départ le récit d’une formation, elle attaque les programmes et dénonce tout particulièrement les risques qui pèsent sur l’apprentissage de l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir, lorsque le complément est antéposé, du fait de l’introduction tardive de la dénomination « COD ». Son texte se trouve opportunément cité et relayé par les réseaux sociaux. Les médias classiques s’emparent de la question. En quelques jours l’opinion s’enflamme. Le prédicat se trouve accusé de tous les maux. Mis à part quelques journalistes scrupuleux, personne ne va lire la définition du prédicat dans les programmes, personne ne va non plus vérifier si le COD est ou non présent dans les programmes. Et les bruits les plus fumeux circulent.

Sur Europe 1, le 12 janvier, il est question de « La notion de « prédicat », qui remplace les COD et les COI dans les nouveaux programmes de grammaire ». Le 19 janvier, le Dauphiné Libéré écrit : « L’inquiétude grandit autour de cette notion de grammaire introduite depuis septembre dans les programmes scolaires. Selon certains, il signerait la mort de la grammaire française». L’Express associe le prédicat à la réforme de l’orthographe, laquelle date de 1990…TF1 interroge trois passants dans la rue et leur demande de définir « prédicat », ce qu’ils ne savent pas faire. Le magazine d’extrême-droite Causeur titre le 23 février : « Le prédicat, un nivellement par le bas ». L’argument selon lequel le prédicat desservirait les élèves les plus faibles circule abondamment dans la presse de droite, très compatissante. Les forums se déchainent. Bref, la France a peur, comme aurait dit un journaliste célèbre. En quelques mois, en pleine campagne électorale, plus d’une soixantaine d’articles à charge sont publiés. Sans que leurs auteurs aient pris la peine de consulter les textes qu’ils incriminent.

Le 13 septembre 2017, Jean-Michel Blanquer, devenu ministre, déclare solennellement dans l’Express que le prédicat a vocation à disparaitre.

Le passé simple, ou l’art de susciter une polémique

Une nouvelle polémique éclot vers la fin de 2017. Elle concerne cette fois le passé simple. Comme elle met en scène moins de participants et que ceux-ci sont plus avisés, on a l’impression d’assister au championnat de France de la mauvaise foi.

(...)

La palme revient à Souad Ayada pour son interview publiée dans Le Point du 30 juin sous le titre « Programmes : « Je ne pense pas que la grammaire soit négociable » ». Cette Inspectrice générale nommée par Jean-Michel Blanquer à la présidence du CSP, à la suite de la démission de Michel Lussault, a piloté le projet de révision des programmes demandé par le ministre. Reprenant à nouveau la formule extraite du blog cité plus haut, elle affirme « pour mon prédécesseur, la grammaire c’est quelque chose de négociable », et poursuit « c’est irresponsable de dire aux élèves qu’ils peuvent négocier l’orthographe, la grammaire », instillant ainsi, de façon infondée – puisque Michel Lussault n’a jamais rien dit de tel – l’idée que son prédécesseur serait laxiste et irresponsable et que les programmes manqueraient de la plus élémentaire rigueur. Elle reprend tous les bruits qui ont couru dans les médias et les forums à propos du prédicat et du passé simple. Pour montrer la complexité du prédicat, elle en donne une définition qui était celle du XVII° siècle et qui n’a rien à voir avec celle figurant dans les programmes. Ses commentaires sur le passé simple lui fournissent l’occasion d’exprimer toute sa compassion pour les plus démunis, et de reprendre ainsi une thématique issue de la communication ministérielle. Elle enchaine les jugements à l’emporte-pièce : selon elle, le traitement du passé simple montrerait que, dans les programmes, « la langue orale serait la norme de la langue écrite » et elle ajoute même « le langage SMS ne doit pas devenir la norme ». Enfin, elle diffuse une information tronquée empêchant ainsi ses lecteurs de voir que l’apprentissage complet du passé simple figure dans les programmes qu’elle critique : elle se plaint en effet du choix qui aurait été fait de « de n’enseigner le passé simple qu’aux troisièmes personnes », permettant ainsi à la journaliste de se réjouir qu’enfin à la rentrée « les élèves apprendront de nouveau le passé simple à toutes les personnes »…

(...)

Sylvie Plane

Professeur émérite de sciences du langage, Ancienne vice-présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP)

Le billet complet est à lire en copiant-collant le lien ci-dessous

https://aoc.media/opinion/2018/07/11/de-lutilisation-opportuniste-rumeurs-programmes-scolaires/

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Les enseignants: mérite, prime et émancipation... Par Claude Lelièvre...

10 Juillet 2018 , Rédigé par Mediapart - Claude Lelièvre Publié dans #Education, #Politique, #Histoire

Les enseignants: mérite, prime et émancipation... Par Claude Lelièvre...

Le ''mérite'' et l'''émancipation'' sont les deux maîtres-mots du dernier discours présidentiel. Cela mérite une prime : celle de « l'avancement au mérite » ou celle d' « une prime au mérite » ? Historique d'une émancipation.

Ceux qui sont un peu au fait de la situation et de la position des enseignants (mais sans en connaître vraiment les arcanes) sont souvent étonnés que les professeurs acceptent volontiers dans les faits « l'avancement au mérite » (sous les espèces du « grand choix », du « petit choix » et de « l'ancienneté »), alors même qu'ils se déclarent volontiers hostiles à l'institution d' « une prime au mérite ».

Cela s'explique sans doute en partie parce qu'il ne s'agit pas le plus souvent des mêmes critères d'attribution (si tant est que ceux-ci existent vraiment sans contestation possible, qu'il s'agisse de « l'avancement au mérite » ou bien d' « une prime au mérite »...)

Cela s'explique aussi (et sans doute surtout) parce que ce ne sont pas foncièrement les mêmes ''autorités'' qui peuvent s'avérer importantes dans les évaluation et les répartitions à faire. Il s'agit plutôt des autorités ''pédagogiques'' (relativement ''lointaines'') pour l' « avancement au mérite » ; et plutôt des autorités ''administratives'' (relativement ''proches'') pour « une prime au mérite ».

Et c'est ainsi que l'on retrouve la partition complexe ''émancipation'' et '' mérite''.  Or, cela a pour le moins autant à voir avec un ''bonapartisme au petit pied'' qu'avec des moments aigus'' libéraux'' (voire ''ultralibéraux''), comme le montre l'historique suivant (assez longuet, mais significatif)

Il faut savoir en effet que dans son œuvre de réorganisation de l’enseignement secondaire, le Premier consul Napoléon Bonaparte a créé en 1802 les ‘’lycées’’ (dominés par la forte autorité du ‘’proviseur’’) qui ont succédé aux ''écoles centrales’’ issues de la Révolution française (qui – elles - avaient une direction collectives). Il a aussi institué les ‘’inspecteurs généraux’’ (chargés de visiter les lycées tous les ans, afin d’examiner « toutes les parties de l’enseignement et de l’administration », et qui n’avaient alors aucune spécialité disciplinaire particulière). Devenu Napoléon Ier, il a créé en outre, par le décret impérial du 17 mars 1808, les académies et leurs responsables : les recteurs, assistés d’inspecteurs d’académie.

Les professeurs de lycée sont inspectés par les inspecteurs généraux au moins tous les deux ans, souvent tous les ans.  Ils reçoivent aussi ‘’la visite’’ du recteur et/ou d’un inspecteur d’académie au moins une fois par an. Tous les ans, les proviseurs (pour les lycées) et les principaux (pour les collèges municipaux) adressent une notice sur chacun de leurs professeurs, qui est complétées par les appréciations successives de l’inspecteur d’académie et du recteur (et qui est envoyée finalement au ministre de l’Instruction publique)

Avec le temps, ’’l’inspection’’ (la ‘’surveillance’’ ?) va être de plus en plus distante dans le temps et l’espace (de plus en plus espacée dans le temps, et de moins en moins le fait des autorités administratives et/ou de ‘’proximité’’). Elle va aussi être de plus en plus ‘’spécialisée (par la discipline et le grade) et de moins en moins ‘’intrusive’’ (les autorités de proximité ne pénétrant plus en principe dans les classes pour ‘’inspection’’, et les inspecteurs ‘’disciplinaires’’ prévenant nettement à l’avance de leur venue).

Au début de la troisième République, la notice (remplie par les Inspecteurs généraux) intitulée « Renseignements confidentiels » cède la place à une fiche « Notes et propositions », avec comme critères : « 1) Conduite, caractère, considération personnelle ;2) Exactitude, zèle dans l’accomplissement des devoirs professionnels ;3) Aptitude pédagogique :a) discipline, autorité sur les élèves, usages des punitions ;b) enseignement : savoir, méthodes, qualités diverses, résultats obtenus » ».

Au début de la troisième République également, dans les années 1880, la visite globale par les inspecteurs généraux cède le pas à une visite essentiellement dans la classe, ce qui amène la spécialisation disciplinaire en trois groupes : lettres, sciences, langues vivantes. Et à partir de la fin du XIXème siècle, le mouvement fédératif des professeurs de lycée dénonce le jugement de membres de l’administration qui ne peuvent être compétents dans d’autres disciplines que la leur. Il lui est donné assez vite raison sous la troisième République.

L’attachement des agrégés à ne pas subir d’inspection de la part de non agrégés explique qu’en 1964 on ait décidé de ne recruter les Inspecteurs pédagogiques régionaux (nouvellement créés) que parmi les agrégés. Enfin, depuis le ministère  d’Alain Savary, en 1983, l’inspection ne doit plus être inopinée.

Ce mouvement général ne s’est pas fait sans mal, sans à coups et tout d’un coup. Mais les professeurs tiennent à ces ‘’acquis’’ et ne peuvent que voir d’un très mauvais œil tout ce qui (de loin ou de près)  peut leur apparaître comme un retour en arrière et une menace sur leurs ‘’libertés ’’, voire leur ''émancipation''.

Claude Lelièvre

https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/100718/les-enseignants-merite-prime-et-emancipation

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CP à 12... Un mantra gouvernemental face aux réalités du terrain...

10 Juillet 2018 , Rédigé par Le Monde Publié dans #Education, #Politique

CP à 12... Un mantra gouvernemental face aux réalités du terrain...

EXTRAITS

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Difficile de retracer l’émergence du « CP à 12 », slogan de campagne d’Emmanuel Macron qui résonne, aujourd’hui, comme la mesure sociale de ce début de quinquennat. « C’est la première chose dont nous avons parlé avec Emmanuel Macron lorsqu’il préparait sa campagne », écrit Jean-Michel Blanquer dans son dernier livre, Construisons ensemble l’école de la confiance (Odile Jacob, 240 pages, 17,90 €). Dans L’Ecole de demain (Odile Jacob, 2016), celui qui était encore directeur de l’Essec plaidait déjà pour une division par deux de la taille des classes, mais plutôt à l’école maternelle.

(...)

... Les dédoublements sont aussi au cœur du « plan pauvreté » qui devrait être présenté en juillet. Dans le champ des solidarités et de la santé, à la cohésion des territoires, dans les ministères, dans les cabinets et dans les assemblées, l’expression est dans toutes les bouches. Une illustration de l’idée, partagée en Macronie, que « faire du préventif vaut mieux que du curatif ».

Dans les classes, en revanche, le dispositif est encore circonscrit. Même si les dédoublements montent en puissance en septembre 2018 – pour concerner quelque 5 400 classes de CP et désormais aussi de CE1 –, la division des effectifs ne concerne, jusqu’à présent, que 2 200 classes dans les réseaux d’éducation prioritaire renforcés – les REP+. Et encore : si, pour les quatre cinquièmes d’entre elles, un enseignant fait classe à une douzaine d’élèves, dans le cinquième restant, à défaut de pouvoir « pousser les murs », comme disent les professeurs, ils sont deux à se partager une classe de 24 enfants.

(...)

Mais ces enseignants racontent aussi, même si c’est dans une moindre mesure, la pression hiérarchique qui s’est accrue ; des tensions avec les « collègues » qui voient, en CM1 et CM2 notamment, les effectifs dans leur classe « grimper » ; enfin, leur incompréhension face à l’objectif assigné par le gouvernement : atteindre « 100 % de réussite au CP ». Comme si le fait d’être douze, d’un coup de baguette magique, pouvait gommer toutes les difficultés.

Budgétairement, même si 3 881 créations de poste sont prévues au primaire pour 2018-2019, mettre en place des classes de 12 élèves n’en relève pas moins du pari. Le dispositif du « plus de maîtres que de classes », porté par la gauche, a dû rendre des postes – les trois quarts, estime-t-on au SNUipp-FSU. Les territoires ruraux et les maternelles ont aussi été contraints de se serrer la ceinture, même si le gouvernement, baisse des effectifs d’élèves à l’appui, dément le « jeu de vases communicants » dénoncé sur le terrain. Autrement dit, qu’il « déshabillerait » les zones rurales pour « rhabiller » les zones prioritaires.

(...)  d’après l’Observatoire des inégalités, un peu plus d’un quart des élèves défavorisés du primaire bénéficient des dédoublements de CP sur l’ensemble du territoire. Même si la mesure se déployait tout au long du quinquennat, encore beaucoup d’enfants passeraient entre les mailles de ce « filet pédagogique », soit parce qu’ils sont scolarisés ailleurs qu’en ZEP, soit parce qu’ils ne sont ni au CP ni au CE1. « On ne peut pas parler d’une politique sociale quand on touche un tel ratio de la population ciblée », dénonce le sociologue Louis Maurin. Selon une note du service statistique du ministère de l’éducation publiée en février, les écoles labellisées REP+ accueillent moins de 8 % des écoliers du public.

Comme d’autres spécialistes, Louis Maurin s’interroge sur le choix du « seuil » de 12 élèves. « A 16, on dégagerait des moyens pour réduire, plus largement, la taille des CP », assure-t-il. C’est aussi le calcul qu’a fait l’universitaire Pierre Merle, arguant d’une dépense en professeurs et en espaces « bien moindre » à quatre élèves près. « Grâce aux moyens économisés en CP et en CE1 avec des classes de 16 élèves, il serait possible d’appliquer aussi cette mesure, en REP+, aux classes de 6e, pour favoriser la transition entre l’élémentaire et le collège », fait valoir ce chercheur.

(...)

Mattea Battaglia

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Hier c'était donc Versailles... (+ commentaire)

10 Juillet 2018 , Rédigé par Olivier Faure - Facebook Publié dans #Politique, #Histoire

Hier c'était donc Versailles... (+ commentaire)

Hier c'était donc Versailles.

Le président qui a théorisé le vide laissé par la mort du roi, aime Versailles. Mais abandonnons le faste présidentiel pour nous intéresser au fond.

Il y a un an, à la tribune du Congrès, j’exposais en réponse au Président notre ligne de conduite :

"Chaque fois que vos décisions conduiront la France sur les chemins d’un progrès partagé, nous serons là pour approfondir et consolider.
Mais à chaque fois que vos décisions auront pour effet d’accroitre les inégalités, de précariser les plus désarmés, d’affaiblir les services publics qui sont le patrimoine de ceux qui n’ont rien mais qui ne sont pas « rien », vous rencontrerez notre ferme opposition. Vous vous êtes engagé à faire entrer la politique dans une nouvelle ère et la France dans un nouveau monde, nous vous jugerons donc sur vos actes et sur vos actes uniquement".

Nous ne voulions pas condamner par principe ou par sectarisme. Hélas, nous n'avons rapidement plus eu l'occasion de soutenir une politique démissionnaire sur le plan écologique, injuste sur le plan fiscal, sans résultat sur le plan international, stigmatisante pour les plus fragiles etc.
Depuis, nombre de ceux qui ont quitté la gauche pour rejoindre les marchistes me/nous reprochent de ne pas accompagner le nouveau pouvoir. A celles et ceux-là je voudrais donc décrypter ce que j'ai entendu à Versailles.

Il y avait jusqu'ici cette théorie en vogue qui voulait que le président marche sur deux jambes. La gauche finirait bien par suivre la droite. Au cours des dernières semaines, de nombreux élus ou soutiens de la première heure d'Emmanuel Macron ont lancé des appels à une inflexion sociale de sa politique. Depuis hier après-midi ils ont la réponse : elle ne viendra pas. Ni demain. Ni jamais.

Certains autres pensaient que c'est une vision tactique qui guidait le chef de l'Etat : après avoir fracturé la gauche, il aurait pour dessein de fracturer la droite. Une fois son forfait achevé, il pourrait rééquilibrer sa politique. Depuis cet après-midi, chacun sait qu'il n'y aura aucun rééquilibrage. Ni demain. Ni jamais.

Pourquoi? parce que Emmanuel Macron a devant le Congrès défini sa politique. Elle est néo-libérale.

L'ambition affichée est sensée rassurer sa gauche. Le président parle d'émancipation individuelle, d'Etat providence du 21ème siècle. Mais les réponses apportées sont toutes d'inspiration libérale.

Emmanuel Macron croit aux premiers de cordée. Ceux qui le sont et ceux qui pourraient le devenir. L'égalité se résume à l'égalité d'accès au marché. Chaque individu doit pouvoir y contribuer par ses talents. Ensuite c'est le marché qui sélectionne et récompense les mérites de chacun. Pour Emmanuel Macron, la lutte contre les inégalités ne passe plus par la redistribution des richesses produites. Les inégalités de revenus ne sont plus un sujet. Le président l'exprime sans ambages. Seules comptent les "inégalités de destin". Chacun doit avoir sa chance par la formation, mais ensuite chacun doit accepter le marché pour seul juge. Chacun est responsable de son destin, donc de son chômage, de sa pauvreté, de son statut, dès lors que l'Etat a garanti des conditions de départ équitables. C'est la justification de la réforme de l'assurance chômage qui mettra chaque chômeur devant sa "responsabilité" en l'obligeant à accepter les offres d'emploi qui lui seront soumises. Le rôle de l'Etat se limite à fluidifier le marché et à assurer un filet minimal de sécurité pour éviter tout risque d'explosion sociale.

La rhétorique est tristement classique. Comment est-on "juste"? "il faut être plus forts pour être plus justes" et "la clé d'une économie forte, c'est l'investissement" Emmanuel Macron ne fait donc pas de cadeaux aux plus riches, il aide les entreprises, donc les salariés "pour partager le gâteau, il faut qu'il y ait un gâteau". Tout cela a l'apparence du bon sens.

L'apparence mais pas la réalité. Pourquoi ? D'abord parce que pour Emmanuel Macron, comme pour les libéraux, pour que le gâteau prenne, il faut baisser les impôts des plus aisés et baisser la dépense publique donc les services publics. C'est ainsi qu'habilement, il donne à miroiter des baisses d'impôts tout en prévenant que cela aura pour corollaire la baisse des services rendus. Pour Emmanuel Macron, la redistribution ne passe pas non plus par des services publics renforcés.

Cette théorie du gâteau est en réalité aussi indigeste que celle de la richesse qui finit toujours par ruisseler de haut en bas. Que se passe-t-il une fois le gâteau sorti du four? Comment chacun pourrait-il disposer de sa juste part quand les dividendes sont désormais moins imposés que le travail, quand l'impôt sur la fortune a été abrogé sans exigence d'investissement dans les entreprises françaises? Comment laisser penser que l'argent, quand il s'investit, l'est au bénéfice exclusif de l'économie réelle? En bref comment assurer une juste répartition quand les outils de la répartition sont abandonnés?

Les politiques sociales sont honteusement disqualifiées dans le discours présidentiel : "Quelle gloire peut-on tirer de politiques sociales qui ont condamné à la pauvreté un enfant sur cinq?" Comme si c'était les politiques sociales qui avaient "condamné" à la pauvreté ces enfants ! Comme si la question ne devait pas au contraire être posée de savoir combien d'enfants pauvres supplémentaires nous aurions, si ces politiques n'avaient pas existé !

En introduction à son intervention, Emmanuel Macron nous disait se souvenir des conditions de son élection. On pouvait l'espace d'un instant espérer un sursaut. Que ses souvenirs lui rappellent qu'il a été élu face au Front national qui menaçait le modèle français, mais pas pour le détruire lui-même... ce n'était qu'une figure rhétorique. Il a visiblement oublié.

Le modèle français n'est pas le sien. Il voit dans les décennies passées une suite d'échecs. La solidarité, la redistribution, la lutte contre les inégalités, ne sont pas son affaire. Il promettait de remettre la République en marche; dans les faits, il la transforme en marché.

Ce qu'il propose, sa terre promise n'est pas un nouveau monde. C'est une politique qui, partout où elle a été appliquée, a conduit à plus de pauvreté, plus d'inégalités, plus d'austérité et de précarité. Les politiques qu'il condamne n'ont pas permis d'éradiquer le malheur. Mais elles ont au cours des décennies passées au moins permis d'assurer la cohésion sociale. Elles doivent être repensées, améliorées mais leur logique est celle d'une plus grande justice. Qu'est-ce que la force sans la justice? Une jungle.

Le président a l'apparence de la modernité, mais il est le dernier avatar d'une pensée datée.

Sa vision ne manque pas de cohérence. Elle n'est pas la mienne. Je suis, pour reprendre la formule de Lionel Jospin, "favorable à l'économie de marché, mais contre la société de marché".

Pour le dire autrement, mon capital à moi, c'est l'Humain.

Olivier Faure/Premier secrétaire Parti Socialiste

Merci cher Olivier.

Hier, le Président de la République a tenu le discours d'un populiste. A l'instar des populistes réactionnaires utilisant le peuple comme un marchepied vers le pouvoir pour le contraindre ensuite de toutes les manières, il n'était qu'un populiste néo libéral utilisant le marché pour affaiblir les corps intermédiaires.

Emmanuel Macron devrait relire l'introduction au Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau.

"L'Homme est né libre et partout il est dans les fers".

Sans doute alors comprendrait-il que celles et ceux qui ont choisi la virtualité, à l'époque, de la "liberté naturelle" contre la réalité des très nombreuses contraintes imposées au peuple, celles et ceux-là ont engendré rien moins que la Révolution Française...

Christophe Chartreux

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L'entêté de Versailles...

9 Juillet 2018 , Rédigé par Liberation Publié dans #Politique

L'entêté de Versailles...

L'entêté de Versailles

Trop long, comme toujours. Ainsi que dirait Audiard : c’est curieux, chez Macron, ce besoin de faire des phrases… Une heure et demie de discours devant le Congrès réuni à Versailles. Pour un président concentré sur les grandes orientations du pays, voilà une prolixité contre-productive, comme s’il fallait conjurer par l’abondance des mots les critiques et les déceptions exprimées dans le pays. Comme si, au passage, il n’y avait plus de Premier ministre, puisqu’on a assisté au double développement d’un plaidoyer touffu sur l’action passée et d’une description détaillée de la politique à venir, habituellement dévolues au chef du gouvernement. Un chef réduit au rôle ingrat d’exécutant transparent du plan tombé de l’Olympe.

«Je suis humble», dit le président. On pense au mot de Sacha Guitry : «en matière de modestie, je suis imbattable». Celui qui proclame son humilité se met d’autant plus en valeur. Mais au fond, l’intention est bonne. Laissons ce point au président.

Plus sérieux : dans ce mélange de mea culpa et de profession de foi, un point retient l’attention, sur lequel le président s’accroche comme à un credo. Macron n’est pas le «président des riches», dit-il, mais celui qui veut mettre fin aux «inégalités de destin». Louable volonté : c’est un fait que l’inégalité des chances s’est enkystée en France, malgré les efforts de tant de gouvernements. Qui peut se plaindre qu’on tente d’arracher chacun à l’assignation sociale née de son origine, de favoriser la mobilité sociale, de «réparer l’ascenseur social». Chaque homme du rang, tel le soldat de l’an II, a son bâton de maréchal dans sa giberne : quoi de plus républicain ? Mais cet appel à l’émancipation individuelle s’oppose, bien sûr, à l’égalitarisme socialisant du «vieux monde». Aide-toi et la société t’aidera : voilà qui économisera «un pognon de dingue».

Problème : tout le monde ne peut pas être «premier de cordée», même si cette place enviable est ouverte à tous. Macron raisonne comme si, pour ne plus être le «président des riches», mais celui de tous les Français, il suffisait que tous les Français deviennent riches. Version «en marche» du rêve américain, qui est un mythe utile, mais un mythe tout de même. Le bon vieux socialisme professait à l’inverse que chacun, quelle que soit sa place dans la société, en bas, en haut ou au milieu, avait droit à une protection, une dignité, une sécurité, quand bien même ses rêves d’ascension, d’enrichissement, seraient déçus. Il remarquait aussi que «l’inégalité de destin» était souvent déterminée par l’inégalité tout court, celle de la situation d’origine, et que réduire la deuxième, c’était aussi combattre la première. Bref, qu’une politique égalitaire englobait tout l’être social, et pas seulement la capacité à échapper au déterminisme de classe. Mais c’était, il est vrai, la naïve ambition du vieux monde… Place à la compétition, à la concurrence, à la course implacable vers le sommet, du moment que tous soient sur la même ligne de départ. Libéralisme contre social-démocratie : on n’en sort pas.

Laurent Joffrin/Libération

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Quand les enfants des classes populaires deviennent ceux qui restent en ville pendant les vacances...

7 Juillet 2018 , Rédigé par Fondation Jean Jaures Publié dans #Education, #Politique

Quand les enfants des classes populaires deviennent ceux qui restent en ville pendant les vacances...

EXTRAITS

En février 2018, Jérôme Fourquet évoquait dans sa note 1985-2017 : quand les classes favorisées ont fait sécession le déclin des colonies de vacances précisément parce que c’est un indicateur fort témoignant du séparatisme social croissant entre les classes favorisées et les classes moyennes et populaires en France. En résonance, l’historienne Laura Lee Downs livre un regard historique sur le sujet et revient sur les défis contemporains de ce secteur d’éducation populaire.

Depuis plus d’un siècle, les colonies de vacances occupent en France une place essentielle dans la vie sociale, politique et ludique des enfants des milieux populaires. Mais aujourd’hui, la fréquentation des colonies est en chute libre. Elles sont remplacées soit par des vacances en famille (pour les enfants des classes aisées), soit par le centre de loisirs sans hébergement (pour les enfants de familles à revenus modestes), soit… par rien. Selon le rapport parlementaire de Michel Ménard présenté en juillet 2013, 25 % des jeunes de 5 à 19 ans (c’est-à-dire 3 millions d’entre eux) ne partent jamais en vacances[1]. Depuis, la situation ne s’est guère améliorée[2].

Dans sa note fort intéressante sur la « sécession » des classes favorisées[3], Jérôme Fourquet évoque le déclin des colonies de vacances précisément parce que c’est un indicateur fort témoignant du séparatisme social croissant entre les classes favorisées et les classes moyennes et populaires en France. Pourquoi ? Parce que, depuis ses origines dans les années 1881-1883, la colonie est censée assurer un certain brassage social entre les différentes classes sociales. Cette mission sociale est devenue d’une importance cruciale au sortir de la Seconde Guerre mondiale, quand la colonie est devenue un élément central dans la reconstruction d’une société déchirée par cinq ans de guerre, d’occupation et de collaboration. Au lendemain de ces années noires qui ont remis profondément en cause la solidarité du pays, politiciens et acteurs du champ socio-éducatif ont mis en avant la capacité de la colonie à recréer du lien social grâce à la mixité sociale : « Les différences de fortune, de situation sociale des parents – voire de race ou de nationalité – ne compteront que fort peu en regard de la richesse personnelle », déclare le pédagogue mariste Philippe-Alexandre Rey-Herme en 1955. « Le personnage ne comptera plus guère, et la personne seule demeurera[4]. »

Que reste-t-il aujourd’hui de cette mission de mixité sociale à une époque où la République est passée de la « fracture sociale » des années 1990 à la franche « sécession des riches » qui s’affirme aujourd’hui dans plusieurs domaines de la vie sociale ? Pour répondre à cette question, il faut revenir brièvement sur l’histoire des colonies afin de comprendre leur rôle en tant que structures socio-éducatives par rapport à l’État providence. Cela nous permettra de saisir la nature pluraliste et parapolitique de cette institution d’éducation populaire. En effet, il ne faut pas oublier que la colonie de vacances n’a jamais été une institution étatique. Elle émane de la société civile, dont elle reflète toute la diversité. Pourtant, si la colonie de vacances n’est pas une institution de l’État, elle est néanmoins souvent perçue comme faisant partie de l’État providence. C’est pourquoi l’effondrement récent de la fréquentation des colonies que souligne le rapport parlementaire de Michel Ménard en juillet 2013[5] est fréquemment interprété comme un signe inquiétant du déclin de l’État providence.

L’histoire de cette institution qui puise dans les énergies de la société civile a donc quelque chose d’important à nous apprendre sur la longue histoire de l’organisation de la protection sociale en France et sur la forte implication de la sphère associative dans cette histoire. En effet, son caractère d’institution de proximité, assuré par son enracinement dans la société civile, donne à la colonie une nature pluraliste qui influe sur ses structures pédagogiques ainsi que sur la conception de l’éducateur/animateur de colonie de vacances. Comme c’est justement son caractère d’institution de proximité qui est de plus en plus dénaturé depuis les années 1980 par la commercialisation de la colonie, il est encore plus urgent de comprendre la nature de cette institution de loisirs et d’éducation civique et sociale aujourd’hui transformée en bien de consommation.

(...)

Depuis ses origines, le mouvement autour des colonies de vacances n’a jamais cessé de promouvoir l’idée que les vacances étaient un droit social de l’enfant : « Que puissent bientôt des milliers d’enfants du peuple essaimer tour à tour vers la montagne ou la mer[36] », écrit en 1886 Edmond Cottinet, fondateur des premières colonies scolaires parisiennes. Pourtant, l’idée que le droit des enfants aux vacances fait partie de la justice sociale – idée qui semblait acquise dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale – reprend aujourd’hui une place centrale dans les discours sur les colonies de vacances. Ainsi, les militants de l’enfance ne cessent d’insister sur les inégalités croissantes dans l’accès des jeunes aux vacances, et d’afficher des slogans tels que « Le départ en vacances des enfants : un devoir de justice sociale[37] ». Or, si tout le monde s’accorde sur l’importance des vacances pour le bien-être des enfants, ce « droit » se révèle fragile, surtout depuis la dernière décennie de crise de fréquentation  des colonies de vacances. La baisse depuis dix ans est importante sur le plan symbolique, puisque la fréquentation des colonies est passée sous la barrière symbolique d’un million entre 2007 (1,3 million) et 2016 (environ 800 000)[38]. Mais la chute depuis les années 1960, époque où les colonies accueillaient 4 millions d’enfants chaque été, est encore plus frappante[39]. Service socio-éducatif qui s’ancre dans l’espace parapolitique de la protection sociale, et non dans les structures plus durables de l’État providence, la colonie d’aujourd’hui est victime des coupes budgétaires juste au moment où elle doit faire face à des frais de fonctionnement qui ne cessent d’augmenter. Si son ancrage dans la sphère associative assure à la colonie l’énergie et le zèle des jeunes militants de l’éducation populaire, il est aussi un facteur de faiblesse économique qui rend l’institution extrêmement fragile. Quand 3 millions de jeunes ne peuvent pas partir en vacances[40], n’est-il pas urgent de trouver un moyen de renouer avec la mission fondatrice des colos ?

Laura Lee Downes

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