Drôle de rentrée pour les nouveaux lycéens : les élèves de seconde suivront les mêmes cours que leurs prédécesseurs, avec les mêmes programmes, et en même temps, ils passeront dans trois ans le nouveau baccalauréat mis en place par le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer. Si rien n’a donc vraiment changé en cette rentrée, l’année scolaire 2018 sera largement consacrée à ces transformations : le baccalauréat a été modifié par un décret et sept arrêtés publiés au beau milieu de l’été, le 17 juillet, et une nouvelle organisation de la scolarité se mettra en place dès la rentrée 2019. Il faut y travailler avec les enseignants, informer les élèves et les familles. Cela ne s’improvise pas.
A vrai dire, ceux qui ont lu l’Ecole de demain, ouvrage de 2016 dans lequel Jean-Michel Blanquer présentait ses projets en cas de retour au pouvoir de la droite, n’ont pas été surpris : les mesures qui viennent d’être publiées au Journal officiel y figuraient déjà. Il annonçait la réduction du nombre d’épreuves au bac, l’introduction du contrôle continu dans les notes du bac, la réorganisation des séries de bac, le lycée modulaire.
Officiellement, les réformes engagées par Blanquer, devenu ministre, étaient censées s’appuyer sur le rapport commandé à Pierre Mathiot en novembre 2017 et sur la consultation des représentants des enseignants, à défaut de concertation. Pourtant, après la remise du rapport, une fois débarrassé du rituel de consultation, le ministère a adopté les mesures figurant dans le projet de Blanquer. Etait-il vraiment utile de mettre en place une mission et une consultation des enseignants ?
Jean-Michel Blanquer a été à la tête de la toute-puissante Direction générale de l’enseignement scolaire sous Nicolas Sarkozy, il connaît les maux dont souffre le bac : le cursus en lycée est complexe, avec des voies (pro, techno, générale) et des séries (L, ES, S, STMG, ST2D…) étanches et hiérarchisées, des enseignements obligatoires, de spécialité, optionnels obligatoires (sic), facultatifs… L’organisation de l’examen est compliquée et coûteuse ; la fin d’année scolaire est problématique car les enseignants sont mobilisés par les corrections. Certaines difficultés tiennent à l’empilement des réformes successives, chacune ajoutant de la complexification. Mais le fond du problème vient de ce que le lycée français est dans une sorte d’entre-deux, si on le compare à celui d’autres pays. Ainsi, en Angleterre chaque élève choisit les 4 matières qu’il étudie au lycée ; il n’y a donc pas de filières, et on accepte l’idée que les lycéens n’aient pas tous la même culture de base. A l’inverse, en Italie, tous les lycéens suivent les mêmes enseignements, ils se spécialiseront par la suite. En France, à vouloir en même temps que les élèves étudient toutes les disciplines et qu’ils se spécialisent, on a fini par construire une machine compliquée, offrant la possibilité de ruser à ceux qui savent en décrypter les faiblesses. Une réforme du bac est donc utile. Mais, vu les enjeux, cette réforme n’aurait pas dû se faire à la va-vite, à partir d’un projet fourni tout construit.
La réforme apporte des simplifications mais augmente en même temps la complexité. Elle supprime les séries, mais les rétablit sans les nommer par le jeu des spécialités que les élèves choisiront. En effet, les élèves devront choisir deux enseignements de spécialité en seconde, puis trois en première et à nouveau deux en terminale, à partir d’une liste. A ces enseignements, s’ajoutent un enseignement optionnel en première et deux en classe terminale. Apparemment donc, une partie du menu est à la carte. Mais tout ne pourra pas être offert partout : il existe virtuellement 36 combinaisons d’enseignements de spécialité en seconde, 57 en terminale et 265 en première. Sans parler des combinaisons d’options. Certes, toutes les combinaisons ne sont pas raisonnables, mais il en reste assez pour que les proviseurs passent des nuits blanches à chercher comment étaler ou superposer les cours pour rendre possibles les combinaisons demandées par les élèves. Les lycées de taille moyenne ne pourront pas fournir la même offre que les grands lycées. Soit quelques combinaisons domineront, reconstituant des filières, soit l’inégalité s’instaurera entre établissements.
Le nombre d’épreuves terminales est réduit, ce qui diminue le coût de l’examen. Mais l’effort d’organisation est reporté sur les lycées qui devront mettre en place un dispositif complexe avec des examens partiels, des concertations sur le choix des épreuves communes, des sessions de rattrapage pour les absents… Beaucoup de temps sera consacré aux évaluations, il en restera moins pour les enseignements. Une commission académique veillera à l’harmonisation des notes, mais on n’empêchera pas que des soupçons pèsent sur les notes de contrôle continu et que le bac obtenu dans tel lycée soit considéré comme de moindre valeur que celui obtenu dans tel autre. Ce n’est pas le cas avec des épreuves nationales : un 16 à l’épreuve de maths atteste des compétences d’un élève, qu’il vienne d’un lycée prestigieux ou d’un établissement modeste. En contraignant les lycées à assumer des responsabilités incombant à l’administration centrale, la réforme réussit le tour de force d’apporter à la fois plus de centralisme et plus de localisme.