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Vivement l'Ecole!

politique

De la géométrie variable des radicalités politiques: entretien avec Cécile Alduy (mené par Jean Corcos) / Extrait

20 Février 2023 Publié dans #Politique, #Citoyenneté, #Sémiologie

grand_entretiens_-_visuel_site_cecile_alduy.jpg

Cécile Alduy est Professeur de littérature et de civilisation française à l’Université Stanford (USA) et chercheuse associée au CEVIPOF (centre d’études de la vie politique française) à Sciences Po Paris. Spécialiste de l’extrême droite en France, de la communication présidentielle et de l’analyse du discours politique, elle a publié La Langue de Zemmour (Seuil, 2022) et Ce qu’ils disent vraiment. Les politiques pris aux mots (Seuil 2017), une analyse comparative des candidats à la présidentielle 2017. Elle est aussi l’auteur de Marine Le Pen prise aux mots. Décryptage du nouveau discours frontiste (Seuil, 2015), lauréat du prix « Penser la société » 2015 du Panorama des Idées. Journaliste politique, elle écrit régulièrement dans Le Monde, L’Obs, Libération, Politico, Foreign Affairs, The Atlantic, The Nation, The Boston Review, CNN, et a publié de nombreux articles universitaires sur le Front national et les mythes politiques. Elle répond dans cette interview aux questions de Jean Corcos pour la Revue Civique.

-La Revue Civique: Le non-respect de l’Etat de droit et des atteintes à la forme républicaine de la société – telles que incitations à la haine ou à la violence, attaques contre des élus, atteintes graves à l’ordre public et bien sûr terrorisme – définissent-ils la radicalité politique ? Depuis les années 80 et les attentats d’Action Directe, l’ultra-gauche inspire moins ces dérives : les seules sources de violence à redouter sont-elles l’islamisme radical et l’ultra-droite ? Le mouvement des Gilets Jaunes, souvent violent, sans propositions et dont les meneurs ont basculé presque tous vers l’extrême-droite ne relevait-il pas de cette radicalité ?

-Cécile ALDUY: La radicalité politique se situe sur un continuum avec des positions plus modérées du même camp : elle se définit davantage par un degré d’intensité ou d’intransigeance du discours et des mesures proposées plutôt que par un positionnement politique spécifique sur l’échiquier « droite/gauche ». Il peut donc exister une radicalité de droite ou de gauche, une radicalité écologique ou néo-libérale, et l’on voit avec cette liste que ce n’est pas la transgression du cadre républicain, ni la violence physique, qui permettent de définir spécifiquement la radicalité, mais plutôt le passage à une forme extrême, absolue, sans compromis, d’un discours qui existe aussi sous une forme modérée. Si l’action violente participe des phénomènes de radicalisation, elle en est le point ultime de basculement mais la radicalité politique ne s’y réduit pas : elle peut se situer dans l’argumentaire, dans le ton, le discours, les mesures proposées.

« Ne pas confondre radicalité et extrémisme. En outre, le curseur de la normalité peut varier au cours du temps. »

Il ne faut d’ailleurs pas confondre radicalité et extrémisme : même à l’extrême droite il y a des formes de discours plus adoucies, moins radicales dans leur expression, même si l’idéologie sous-jacente est aussi excluante, xénophobe et anti-démocratique que des formes plus abruptes. Ainsi de la différence de style – mais pas de fond – entre les discours de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour lors de la campagne présidentielle 2022. Si l’on regarde leurs programmes, notamment sur l’immigration et la thématique identitaire, il y a une feuille de papier à cigarette entre leurs propositions respectives. Pourtant, Marine Le Pen a euphémisé ses positions et joué la carte d’une normalisation de pure forme, quand Éric Zemmour revendiquait de parler sans ambages de « race » et de « grand remplacement ».

(...)

Propos recueillis par Jean Corcos

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Chloé Morin : "On est dans le culte du buzz et de la petite phrase, on n'a plus le temps des arguments"

20 Février 2023 , Rédigé par France Inter Publié dans #Medias, #Politique

On aura tout essayé..., Chloé Morin | Fayard

Chloé Morin, politologue, auteure de "On aura tout essayé" (Fayard), est l'invitée de 7h50. Elle y pose la question de la dégradation du débat public.

Avec

Chloé Morin Associée à la Fondation Jean-Jaurès et spécialiste de l'opinion publique, ancienne conseillère en charge de l'opinion publique au sein du cabinet du Premier ministre de 2012 à 2016.

Dans "On aura tout essayé", Chloé Morin se demande pourquoi, aujourd'hui, la France est si difficile à gouverner, et pourquoi tout tourne au psychodrame dans notre pays. "On a essayé la droite avec Nicolas Sarkozy, on a essayé la gauche avec François Hollande, on a essayé le "ni droite ni gauche" avec Emmanuel Macron, et on est toujours déçu, on a l'impression que la politique ne change rien. Pire, on a le sentiment d'un déclassement terrible. La question, c'est donc : est-ce qu'on a tout essayé, et est-ce qu'il reste à essayer, ce n'est pas le Rassemblement national ?" pose Chloé Morin dans son livre, qui se base sur une série d'entretiens avec des personnalités politiques.

Parmi ces personnalités, Marine Le Pen, qui a posé ce récit de manière assez "inéluctable, qu'il est difficile de démonter, c'est pour cela que je suis allée voir des dirigeants pour leur demander pourquoi on en est dans cette situation, pourquoi on a besoin de réformer sans jamais y arriver". Et selon ses interlocuteurs, ce qu'il manque aujourd'hui, c'est le temps : "On est dans le culte du buzz et de la petite phrase, on n'a plus le temps de poser des arguments". En ligne de mire notamment, la lutte contre le réchauffement climatique : "On sait qu'il nous reste quelques mois, quelques années à peine, pour arriver à éviter le pire. C'est précisément à ce moment-là que les responsables politiques bloquent le système".

La réforme des retraites, "c'était mission impossible"

Dans le cas de la réforme des retraites, qu'est-ce qui a été raté ? "C'était mission impossible", selon Chloé Morin, qui rappelle qu'à l'origine, "les conditions d'élection d'Emmanuel Macron posent problème : les institutions, aujourd'hui, ne donnent plus assez de force politique au président élu pour mener des réformes au-delà de six mois". L'abstention est en partie la cause de cela, "puisque tous ceux qui n'ont pas voté auraient peut-être voté quelque chose d'autre", mais par ailleurs, tous les responsables politiques affirment que "les institutions politiques ne sont plus adaptées", et conduisent souvent à l'élection d'un président qui n'a plus beaucoup de puissance.

Les deux dernières semaines "donnent une image désastreuse de la vie politique, les Français ont raison de se dire que leurs responsables politiques, dans le moment, ne sont pas au niveau". D'après Chloé Morin, c'est d'autant plus appuyé par les chaînes d'info en continu, et les réseaux sociaux : "L'hystérie envahit tout : dès qu'il y a un esclandre, on ne parle plus que ça et on oublie les débats de fond".

"Tentation de la violence"

L'autre chose qui a changé, c'est que le temps des "poids lourds" de la politique est passé. "Or, c*'est précisément maintenant qu'on a besoin de leaders qui nous donnent à voir ce que sera la société de demain*", selon la politologue. "Dans ce moment-là, il faut rappeler que l'engagement politique est nécessaire et faire en sorte qu'il soit moins compliqué", dit-elle, estimant notamment que la transparence sur la vie privée est excessive.

Comment expliquer, par ailleurs, que Philippe Martinez s'en prenne à Jean-Luc Mélenchon et à la France Insoumise ? "Déjà, quand je l'ai rencontré, il m'a dit qu'ils s'attachaient trop à la communication, qu'ils n'étaient pas assez sur le fond, qu'ils ne travaillent pas assez, et que ce n'est pas parce qu'on a été syndicaliste lycéen qu'on connaît le monde du travail". Et ce qui fait peur aux leaders syndicaux, c'est "la tentation de la violence" : "C'est quand on commence à être violent que le gouvernement cède, et quand on manifeste entre Bastille et Nation, il ne se passe rien. Cette tentation de la violence, ils y résistent bien et il faut les saluer pour ça".

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A lire (en anglais) - Renaissance italienne et démocratie d’en bas

10 Février 2023 , Rédigé par La Vie des Idées Publié dans #Histoire, #Politique

Amazon.com: Popular Protest and Ideals of Democracy in Late Renaissance  Italy: 9780192849472: Cohn Jr., Samuel K.: Books

EXTRAIT

À propos de : Samuel K. Cohn, Jr., Popular Protest and Ideals of Democracy in Late Renaissance Italy, Oxford University Press

Par Julien Le Mauff

Sous le tumulte des guerres d’Italie, la Renaissance est aussi un temps de révoltes sociales et de résistances collectives. Par l’élaboration de concepts et idéaux démocratiques, la contestation serait-elle le creuset de notre modernité politique ?

En près de trois décennies, Samuel Cohn a fait sien le thème de la révolte et de la rébellion à la fin du Moyen Âge et pendant la Renaissance, avec une demi-douzaine d’ouvrages relatifs au sujet, consacrés tant à l’Angleterre qu’à l’Italie, à la France ou la Flandre. Le sujet était plus à la mode dans les années 1960 à 1980 – notamment en France avec quelques ouvrages devenus classiques comme les Fureurs paysannes de Roland Mousnier, les Ongles bleus de Michel Mollat et Philippe Wolff, ou les Croquants et Nu-pieds d’Yves-Marie Bercé. Puis il avait souffert d’un certain enfermement dans la querelle entre historiens marxistes et non-marxistes, mais aussi de diverses relectures sous l’influence des sciences sociales, de la psychologie et des « représentations mentales », rarement accompagnées d’un véritable approfondissement des sources.

L’arrière-plan social des guerres d’Italie

À l’inverse, Cohn s’est efforcé de refonder l’étude des révoltes, en débutant par le Moyen Âge, pour dresser ouvrage après ouvrage une histoire sur la longue durée, s’émancipant de la distinction classique entre un « modèle » moderne – la révolution – et des formes pré-modernes, forcément inabouties. Il s’est aussi éloigné, dès l’origine, des études n’éclairant les mouvements contestataires que sous l’angle social et ne voyant souvent là que des phénomènes structurels, dépourvus d’organisation réelle comme de revendications pleinement politiques, au-delà du règlement d’une situation momentanée de crise (difficultés alimentaires, résistances à l’impôt).

Samuel Cohn aborde les révoltes populaires italiennes de la Renaissance à l’intérieur d’un cadre strict : celui des guerres d’Italie (1494-1559), période propice aussi bien aux résistances contre les incursions étrangères, qu’aux soulèvements face à l’impact économique et social des conflits. Sur le plan méthodique, Cohn se saisit d’une collection de sources aussi vaste que possible. Le propos est ainsi fondé sur le démontage minutieux d’archives diplomatiques et judiciaires, en particulier les suppliques adressées aux gouvernants, ou encore les registres criminels mentionnant certains rebelles et leurs actes. S’y ajoutent les sources narratives, d’une incomparable richesse pour la période : chroniques, mais aussi correspondances publiques et privées, journaux et mémoires, émanant souvent de l’important personnel administratif et diplomatique des cités et républiques italiennes (p. 7-10).

Le travail quantitatif réalisé à partir de ce corpus a permis à l’auteur de recenser pour la période 751 événements sur la péninsule italienne, dont témoigne au moins une source (on peut cependant regretter l’absence de tableau récapitulant les données). Une analyse fine met aussi en évidence leurs facteurs principaux, et leur localisation (p. 18-21). La répartition géographique des événements corrige d’ailleurs quelques a priori : si Milan ou Naples sont les principaux théâtres de révoltes sur la péninsule (respectivement 63 et 54 pendant la période), il en va presque tout autant de Modène (49). À l’inverse, Florence, surexposée dans l’historiographie des révoltes populaires du fait du caractère éminent des événements la concernant (le renversement des Médicis et l’avènement de Savonarole en 1494, puis l’établissement de la République, le rétablissement des Médicis en 1512, et ainsi de suite) connaît en réalité comparativement assez peu de troubles à la même période (p. 18).

Repolitiser la révolte

Pour mener à bien son entreprise de réévaluation, l’auteur s’extrait aussi des querelles de définition. Révolte ? Rébellion ? Émeute ? En multipliant les catégories, l’historiographie a souvent fragmenté l’histoire des mouvements populaires en autant d’objets distincts, tout en fixant une distance radicale entre ceux-ci et la révolution, phénomène moderne, canonique et sans précédent. Revenant encore aux sources, Cohn constate d’ailleurs l’existence d’une grande variété de termes dont il n’est guère possible de tirer des catégories claires (p. 12) : du bruit de l’émeute (rumoreclamore) à l’agitation de la foule (tumultosubleveranze) jusqu’aux manifestations plus vigoureuses (mutinaremovimentifar movesta). Dès lors, on comprend le parti de l’auteur, qui à son habitude réunit l’ensemble des expressions de révolte ou de résistance sous l’idée générale de contestation (popular protest).

(...)

Julien Le Mauff

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En grève !

7 Février 2023 , Rédigé par christophe Publié dans #Politique, #Societe

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Clément Viktorovitch : la réforme des retraites, un choix de société (Vidéo)

5 Février 2023 , Rédigé par France Info Publié dans #Politique

À l’occasion de la réforme des retraites, émerge en filigrane un autre débat, celui qui oppose "valeur travail "et "droit à la paresse".  Il est urgent de sortir de cette alternative. C'est un débat mortifère parce qu’il a été posé n’importe comment, mais qui nous confronte malgré tout, à des questions fondamentales. Tout cela est parti d’une déclaration de Sandrine Rousseau en septembre dernier, sur franceinfo contre Fabien Roussel, qui critiquait "la gauche des allocations", elle revendiquait au contraire "le droit à la paresse". À l’époque, cela avait créé une vive controverse… controverse qui ressurgit, aujourd’hui, avec la réforme des retraites. Le week-end dernier, dans Le Parisien, Gérald Darmanin a fustigé "le gauchisme paresse et bobo", auquel il oppose "les belles valeurs du travail, de l’effort, et du mérite."

Revendiquer la "paresse", n’est-ce pas un peu étonnant de la part d’une responsable politique ? Il s’agit en fait d’un clin d’œil au livre Le droit à la paresse, écrit à la fin du XIXe siècle par Paul Lafargue, un militant marxiste français. Le seul problème, c’est que, dans le contexte actuel, cette référence a tout obscurci. Parce que oui, il existe effectivement un débat autour du travail, mais il n’a rien à voir avec une quelconque revendication à la paresse.

Sortir du rapport marchand au travail

Il faut en revenir au sociologue Bernard Friot. Ses travaux nous confrontent à un paradoxe perturbant : comment se fait-il que nous soyons incapables de percevoir le travail en dehors d’un rapport marchand ou salarial ? Je m’explique, avec des exemples très simple. Une femme qui reste chez elle pour s’occuper de ses enfants : on dira qu’elle ne travaille pas ; elle est femme au foyer. En revanche, une assistante maternelle qui fait la même chose, elle s’occupe d’un ou plusieurs enfants : elle, elle travaille. Un prof de français qui, sur son temps libre, offre des cours d’alphabétisation, c’est un engagement. Un prof embauché par une association pour faire de l’alphabétisation, c’est un travail ! Un passionné de musique qui passe ses weekends à tourner avec sa fanfare : c’est un loisir. Le même musicien décroche des cachets et obtient son intermittence, là soudain, c’est un travail. Pourtant, à chaque fois, l’activité est la même. Et, surtout : la valeur créée pour la collectivité est la même !

Pour comprendre ce paradoxe,  il va falloir en revenir à la définition même de ce qu’est le travail. Du point de vue de l’idéologie dominante, c’est-à-dire l’idéologie libérale capitaliste, le travail en tant qu’activité, le travail concret, n’a pas de valeur. Ce qui lui donne de la valeur, c’est quelque chose de beaucoup plus abstrait. C’est le fait d’aller vendre son activité sur un marché. Soit le marché des biens et des services, pour les travailleurs indépendants : boulangers, plombiers, avocats, soit, le plus souvent, le marché du travail, pour les salariés qui acceptent de vendre leur force de travail à un employeur. Voilà ce que ne disent pas ceux qui revendiquent à tout bout de champ la "valeur travail". Pour eux, le travail n’a pas de valeur en soi, c’est le marché qui lui donne sa valeur. Ce que propose Bernard Friot, c’est de sortir de cette conception, et de considérer que les êtres humains sont par nature travailleurs. Notre activité concrète, au quotidien, est un travail – même quand elle ne s’insère sur aucun marché.

Concrètement, qu’est-ce que ça change ? S’agissant des retraites justement, ça change tout. Parce que, si on accepte ce changement de paradigme, alors, une bonne partie des retraités n’exercent pas un droit au repos, encore moins un droit à la paresse : ils travaillent ! Mais avec une différence, ils travaillent librement puisque leur pension tombe quoiqu’il arrive chaque mois, ils ne sont soumis ni à la pression de leurs clients, ni au bon vouloir de leur employeur. Et que constate-t-on ? C’est que, de fait, ça marche ! Les retraités travaillent ! Et d’ailleurs, je n'ai pas totalement choisi mes exemples au hasard. La production culturelle, l’engagement associatif, la prise en charge de la petite enfance, le soutien aux personnes, ce sont trois secteurs qui reposent largement sur le travail libre des retraités. Prenons un seul chiffre, d’après une étude de la DREES publiée cette semaine, entre 60 et 65 ans, près d’une personne sur quatre déclare apporter une aide régulière à un proche en perte d’autonomie.

Sanctuariser ou non le temps passé en retraite

Il ne s'agit pas d'une utopie, c’est quelque chose qui est déjà là. En 1945, quand est créé le régime général de la sécurité sociale, la retraite est conçue comme un "salaire continué". Un salaire, parce que les retraités restent intrinsèquement travailleurs. En 1982, quand François Mitterrand avance l’âge de la retraite à 60 ans, c’est la même idée : garantir une période de la vie où les individus sont encore assez en forme pour pouvoir contribuer à la société comme ils l’entendent, en toute liberté.

Toute la question, aujourd’hui, c’est de savoir si nous voulons préserver cette ambition. Auquel cas, la priorité, c’est de sanctuariser le temps passé en retraite. Et tant pis si cela implique d’augmenter un peu les cotisations, voire d’aller chercher d’autres sources de financement. Mais à l’inverse, on peut aussi se satisfaire d’une appréhension plus capitaliste de la retraite. Se dire que c’est le marché qui confère au travail sa légitimité. Et exiger, donc, que les individus restent sur ce marché aussi longtemps qu’ils le doivent pour équilibrer le système. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que le débat a été mal posé. Personne, aujourd’hui, ne revendique sérieusement de se rouler dans la paresse. Tout le monde souscrit à l’idée qu’il y ait de la valeur dans le travail. La vraie question, c’est de savoir quel sens nous voulons donner au travail. Quand on présente les choses comme ça, on se rend compte que, ce qui est devant nous, ça n’est pas une réforme technique. C’est un véritable choix de société.

Clément Viktorovitch

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En 2023, résister à la pente réac...

1 Janvier 2023 , Rédigé par Liberation Publié dans #Politique, #Medias

Fichier:Millennium Force1 CP.JPG — Wikipédia

Derrière le spectacle obscène des médias bollorisés, il y a le risque d’un glissement général vers l’extrême droite. La gauche n’a pas encore trouvé quoi lui opposer.

C’est comme une lente glissade, une douce accoutumance, un progressif état général de léthargie démocratique. Ça passe par d’incessants débats sur l’identité, la religion, sur le moyen d’être toujours plus en sécurité. C’est ne plus faire la différence entre un éditorialiste conservateur et un polémiste populiste et d’extrême droite, c’est continuer à inviter sur les antennes des prétendus philosophes qui se complaisent à décrire un monde terrible et des villes pleines de «no go zones» pour transformer leur trouille en clairvoyance, c’est le délire «woke» surestimé décrit en puissant terrorisme par des réacs en pleine panique. C’est considérer Greta Thunberg comme plus dangereuse qu’Eric Zemmour.

Dîner de cons

Cette pente est tout entière résumée par la face hurlante et haineuse de ce notable du PAF, vieillissant et cachetonneur sur la chaîne CNews de Vincent Bolloré : Jean-Claude Dassier. Dassier qui lors d’un récent débat (à propos d’immigration bien sûr) invectivait ainsi un universitaire historien égaré sur ce plateau : «Mais les musulmans, ils s’en foutent de la République, ils ne savent même pas ce que ça veut dire !» Dassier représente parfaitement cet affaissement d’une partie d’anciens cadres de la télé qui se vautrent dans la diatribe raciste à coups de bon sens bourgeois. Le pire, c’est de voir sur ces plateaux des journalistes et des universitaires tenter de venir prêcher la bonne parole, de porter le fer au cœur de la bête. Ils sont en fait les invités de marque d’un vaste dîner de cons.

Dans les émissions de la chaîne, il ne s’agit pas de débattre mais de créer un spectacle vif et pas cher. On a viré les vrais journalistes, on a remplacé les éditorialistes par des polémistes, on ne s’embarrasse pas de reportage, on cherche le moindre fait divers qui met en scène des immigrés pour en faire des faits significatifs et banals. La chaîne n’est pas la plus regardée mais son modèle économique (des heures de vieux polémistes avides de continuer à exister médiatiquement) coûte moins cher que d’envoyer des reporters vérifier, contextualiser et expliquer la réalité. Et la puissance des réseaux sociaux qui relaient les tirades, insinuations et clashs aide à répandre cette médiocrité boueuse.

Mort de la nuance

Et mine de rien, ça infuse sur les autres chaînes d’infos. Les débats n’opposent plus des spécialistes d’un sujet dont les avis divergent, mais des personnes aux avis diamétralement opposés, peu importe qu’elles aient ou non étudié la question. Le clash donne l’illusion de la liberté de ton. Il n’en a que le bruit. C’est la mort de la nuance. Ce fut, avec l’irruption d’Eric Zemmour, émule de CNews, la plaie du débat national de 2022. Tout est réuni, l’écosystème médiatique, la conjoncture économique, les effets du réchauffement sur les mouvements inévitables de population, pour que la glissade se poursuive.

Ces derniers temps, la gauche, les progressistes, les humanistes, n’ont su donner de la voix qu’en proposant une forme de populisme inverse. Ça n’a rien stoppé. Le mythe de la séduction des «fâchés pas fachos» par une radicalité éructante n’a fait qu’alimenter la polarisation. L’enjeu de 2023 pour la gauche, bien au-delà du personnel politique, sera de renouer avec la nuance. Comme bonne résolution, c’est certainement plus compliqué que de se promettre de perdre trois kilos, d’arrêter de fumer, ou de réduire de moitié sa consommation de Twitter et Instagram.

Thomas Legrand

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«Reprenons nos universités, expulsons les gauchistes» ou la renaissance du GUD

14 Décembre 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education, #Universite, #Politique

Drapeau du GUD lors des manifestations opposées au mariage homosexuel en mai 2013 I THOMAS SAMSON / AFP

Néofascisme

A Paris, le retour du GUD électrise l’extrême droite violente

Marque historique de l’activisme néofasciste, le mouvement, en sommeil depuis 2017, a été relancé en novembre. De premiers tracts appellent à la violence contre la «vérole gauchiste».

En sommeil depuis 2017, le GUD, tristement célèbre pour sa violence et son néofascisme décomplexé, est de retour. C’est à ce stade via une unique section locale, à Paris, lancée début novembre mais, selon nos informations, ce renouveau fait grand bruit chez les militants d’extrême droite – activistes fascisants ou du parti zemmouriste Reconquête – qui fantasment toujours les faits d’armes du groupe. Et si on attendait plutôt les gudards collectionner les bagarres, pour le moment ils dessinent des tags belliqueux dans le Quartier latin et… tractent. Ces feuillets, dont Libé s’est procuré un exemplaire, promettent toutefois bien un retour violent.

«Reprenons nos universités, expulsons les gauchistes», annonce le recto du tract frappé du nouveau logo du groupuscule qui reprend l’iconique rat noir des origines. Selon l’historien spécialiste du sujet Nicolas Lebourg, le slogan est le même que celui du premier prospectus distribué par Unité radicale, groupuscule dissous après la tentative d’assassinat de Jacques Chirac par Maxime Brunerie en 2002. Le ton est donné. Le verso, arborant la croix celtique des néofascistes français, n’est pas en reste. L’ennemi désigné, cette «vérole gauchiste», ces «excités marxistes» et autres «crétins abreuvés de théories wokistes, islamistes, LGBT, immigrationnistes et féministes», dessine en creux les obsessions de ces nationalistes. Outre les syndicats Unef et SUD, les «enseignants collabos» en prennent aussi pour leur grade. Le GUD en appelle à faire front «par tous les moyens» – «même légaux», aurait ajouté Maurras.

Le groupe a aussi lancé un Cercle Oswald Spengler, auteur phare de la Révolution conservatrice allemande. Ce petit club propose de la littérature typiquement gudarde et glorifie les milices racistes armées. Une réactivation de plus : au début des années 70, alors dirigé par Philippe Péninque, le GUD d’Assas avait fondé cette structure «afin de renforcer le niveau de formation politique» de ses troupes, rappelle le livre les Rats maudits, qui narre la légende du GUD par les gudards sous la direction notamment de Frédéric Chatillon, vieil ami de Marine Le Pen et prestataire du Rassemblement national. Signe des temps, ce «cercle» a désormais un compte sur Instagram et sa dernière photo de propagande montre des militants pratiquant des sports de combat…

Gros bras néonazis

Ce programme séduit de larges pans des activistes d’extrême droite radicale. Les nouveaux gudards se sont affichés faisant le show, fumigènes en main, dans le dernier rassemblement anti-GPA de la Marche pour la vie, fin novembre. Alors que les effectifs du groupe restent flous à ce stade, leurs comptes sur les réseaux sociaux dessinent les contours de leur auditoire. Anciens membres de Génération identitaire, jeunes de l’Action française, sympathisantes des «féministes identitaires» de Némésis, militants de Reconquête ou de Génération Z – le mouvement de jeunesse zemmourien –, pullulent dans les «likes» sous les publications des nouveaux rats noirs. Les doubles, voire triples, appartenances n’étant pas rares. Sans oublier les héritiers du Bastion social dissous en 2019 pour sa violence.

Et, bien sûr, les Zouaves Paris, déjà ersatz du GUD, interdits en janvier. Selon nos informations, ses membres semblent tenir bonne place dans ce nouveau groupe. A l’image de Marc de Cacqueray-Valménier, gosse de la vieille aristocratie devenu cogneur mi-hooligan mi-néonazi. A coups de poing, le jeune homme de 24 ans s’est hissé au rang de leader des Zouaves. Il était en première ligne quand le groupe jouait les émeutiers dans les manifestations de gilets jaunes entre 2018 et 2019. C’est lui qui envoyait un SMS félicitant les troupes après l’attaque, en plein jour, du bar antifasciste parisien le Saint-Sauveur en 2020. La même année, il s’affichait kalashnikov en main et badge «totenkopf» nazi sur le torse au Haut-Karabakh. C’est lui enfin qui est identifié par Mediapart dans les cogneurs qui passent à tabac des militants de SOS Racisme au meeting de Villepinte de Zemmour, en décembre 2021. Lui encore qui est reconnu par Libé à la tête d’un cortège d’extrême droite dans une manif anti-pass sanitaire en janvier 2022. Cette dernière violation d’un contrôle judiciaire qui s’est resserré au fil de ses méfaits lui a valu un passage en détention provisoire, dont il est sorti avant l’été.

Pas vacciné par ce séjour derrière les barreaux, Cacqueray-Valménier posait récemment devant un graffiti du GUD Paris réalisé «avec [ses] camarades de la Cagoule», un collectif de graffeurs reprenant le nom du groupe terroriste d’extrême droite actif dans les années 30. Si le visage de Marc de Cacqueray-Valménier est dissimulé, Libé a pu l’identifier grâce aux tatouages caractéristiques dont ses jambes sont bardées, dont un symbole nazi. Il n’a pas répondu à nos sollicitations.

«Jihad chrétien»

Son CV colle avec l’ADN du GUD. Au départ fondamentalement anti-communiste avant de prendre un virage néofasciste, le groupe présentait des listes aux élections étudiantes, mais l’essentiel de son activisme consistait dans l’action violente. Son antisémitisme a pu le mener à défendre la cause palestinienne au nom de l’antisionisme. A partir des années 90, rappelle Nicolas Lebourg, le rat noir adopte le keffieh des fedayin et prend notamment pour slogan «A Paris comme à Gaza, intifada». Le nouveau GUD Paris semble à son tour adhérer au mythe d’une France «occupée» du fait du grand remplacement, théorie raciste et complotiste voulant que le peuple français «de souche» soit au bord de la submersion démographique.

Hasard ou coïncidence, le GUD Paris apparaît également lié à un compte Instagram nommé White sharia. Ces fondus de la race, fondamentalistes chrétiens et réactionnaires sont décriés jusque dans les rangs de l’extrême droite pour leur vision rétrograde de la place de la femme dans la société notamment. Ils appellent au «jihad chrétien», glorifient la famille traditionnelle et les armes. Leur nouveau signe de reconnaissance : lever l’index comme peuvent le faire les djihadistes. Sur plusieurs photos de propagande, des militants du GUD Paris font le même geste.

Maxime Macé et Pierre Plottu

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