
Dessin de Jean-Marie Olaya pour Les Cahiers Pédagogiques
EXTRAIT
Des circulaires de celui qui fut ministre de l'Education nationale sous le Front populaire sont utilisées pour défendre de nouvelles attaques contre les musulmans. Hélène Mouchard-Zay, sa fille, s'attaque à ce «rapt».
Quand elle a vu ça, elle est «tombée de sa chaise», dit-elle à Libération. Hélène Mouchard-Zay est la directrice du Cercil-Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv d’Orléans. L’objet de sa surprise figure dans le programme de Marine Le Pen, candidate du Front national à l’élection présidentielle. Voici sa proposition n°102, sur les 144 que compte son programme :
«Faire de l’école un "asile inviolable où les querelles des hommes n’entrent pas" (Jean Zay), donc en y imposant non seulement la laïcité, mais également la neutralité et la sécurité.»
Laïcité, neutralité, sécurité ? Le programme de Marine Le Pen ne précise pas ce qu’elle entend par ces mots. S’agirait-il d’aller plus loin que la loi de 2004, qui interdit le port de signes religieux «ostensibles» à l’école ? Et si oui, de quelle manière ? Contacté, le directeur de la communication de la candidate, Florian Philippot, n’a pas répondu.
A défaut de préciser son propos, Marine Le Pen se réfère à une grande figure de l’Education nationale française, Jean Zay. Une figure de gauche aussi : ministre sous le Front populaire, résistant, Jean Zay a été assassiné par la milice française en 1944. Hélène Mouchard-Zay est sa fille et voir son père récupéré par le Front national la dérange beaucoup.
L’école, un «asile inviolable où les querelles des hommes n’entrent pas» : ces mots sont bien de Jean Zay. Ils figurent dans une circulaire signée par le ministre de l’Education nationale le 31 décembre 1936, portant «sur l’absence d’agitation politique dans les établissements scolaires». A cette circulaire en succédera une autre, le 15 mai 1937, «interdisant le prosélytisme religieux». Elles sont toutes deux lisibles dans leur intégralité sur le site de la BNF. Au cours des dernières années, ces deux circulaires ont été régulièrement citées dans les débats sur la laïcité et l’école. Et les voilà qui reviennent donc dans le programme du FN. Mais que disent-elles vraiment ? Et surtout, dans quel contexte ont-elles été adoptées ?
Des circulaires pour contrer l’influence de l’extrême droite
Le contenu, d’abord. La circulaire du 31 décembre 1936 vise des méthodes d’agitation politique menées par des personnes ou des partis non désignés : «Ici le tract politique se mêle aux fournitures scolaires. L’intérieur d’un buvard d’apparence inoffensive étale le programme d’un parti. Ailleurs, des recruteurs politiques en viennent à convoquer dans une "permanence" un grand nombre d’enfants de toute origine scolaire, pour leur remettre des papillons et des tracts à l’insu, bien entendu, de leurs parents et les envoyer ensuite les répandre parmi leurs condisciples», dénonce Jean Zay. «On devra poursuivre énergiquement la répression de toute tentative politique s’adressant aux élèves ou les employant comme instruments, qu’il s’agisse d’enrôlements directs ou de sollicitations aux abords des locaux scolaires», ajoute-t-il.
La circulaire du 15 mai 1937 complète celle de 1936 en précisant que ces recommandations valent aussi pour les «propagandes confessionnelles» : «L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance.»
Le contexte, ensuite. Dans un texte publié sur Facebook, et partagé notamment par l’actuelle ministre de L’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, Hélène Mouchard-Zay le rappelle : «Ceux […] qui, dans les années 30, menacent la laïcité, ce sont essentiellement les ligues d’extrême droite qui, pour détruire la République, maintiennent l’agitation dans les établissements scolaires et cherchent à y introduire leur propagande, par toutes sortes de ruses : tracts, recruteurs, enrôlement, etc. C’est contre les menées de ces ligues que Jean Zay veut protéger les enfants, et par la protection de la loi.»
Plus loin, Hélène Mouchard-Zay rappelle les liens historiques qui rapprochent précisément le Front national de ceux à qui Jean Zay s’opposait : «En 1940, c’est cette même extrême droite qui accueille comme une "divine surprise" (Maurras) l’accession au pouvoir, grâce à la victoire de l’Allemagne, de Pétain et de ce régime qui va s’empresser de mettre à mort la République, avant d’engager les persécutions contre ceux qu’il désigne comme "l’anti-France". Ses journaux, en particulier Gringoire et Je suis partout, ne cessent pendant toute l’occupation d’alimenter la haine contre les juifs et les résistants, et Jean Zay, depuis toujours détesté par l’extrême droite, continue à être l’une de leurs cibles principales. La milice s’engage activement dans cette chasse à mort contre les juifs et les résistants. Cette même milice qui assassinera Jean Zay en 1944… Le FN est l’héritier historique de cette extrême droite française, maurrassienne et pétainiste. Il ne s’en est jamais démarqué, et chacun peut constater l’inspiration maurrassienne des idées qu’il développe.»
Quant à la «neutralité» vantée par Marine Le Pen à travers ces circulaires, là aussi, Hélène Mouchard-Zay estime que la candidate du FN tape à côté de la plaque : «Jean Zay appelle les enseignants à la mobilisation pour la défense de la République et les valeurs qui la fondent. S’il refuse tout militantisme politique, idéologique ou religieux dans l’école, c’est au nom des valeurs qui fondent la République et que combat au contraire Marine le Pen : il veut une école qui apprenne à juger par soi-même et non à applaudir des hommes – ou des femmes – providentiel(le)s. Il veut une République ouverte, fraternelle, solidaire, qui n’exclut personne en raison de ses origines ou de sa religion, et dont le fondement est une école qui accueille tous les enfants, quels qu’ils soient, et qui tente de les ouvrir au monde.»
Une vision aux antipodes donc de celle que défend Marine Le Pen, qui voudrait voir l’interdiction des signes religieux, et notamment des voiles islamiques, étendue à tous les lieux publics… tout en favorisant l’enseignement privé hors contrat.
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Frantz Durupt
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