politique
Campagne présidentielle: #PasDeDébatPasDeMandat, par Adèle Haenel, Annie Ernaux, Barbara Stiegler…
Face à Emmanuel Macron et sa stratégie de la «tacite reconduction» qui n’a pas caché sa volonté de poursuivre sur sa lancée mais en pire, un collectif dont Ariane Ascaride, Laurent Binet ou Alice Zeniter… riposte avec le hashtag #PasDeDébatPasDeMandat.
Oui, il y a la guerre. Mais il se trouve qu’il y a aussi une campagne présidentielle. De qui cette situation fait les affaires, la chose est assez claire pour tout le monde. Une réélection sans campagne, quelle riche idée. Une campagne annulée par cas de force majeure, quelle providence. Nous avions compris que Macron avait pour idéal le renouvellement de son mandat par tacite reconduction. Qu’il y aurait une guerre et qu’il s’en servirait avec le dernier degré d’hypocrisie opportuniste, nous pouvions plus difficilement le voir venir. L’expérience historique enseigne assez qu’un état de guerre soude un pays pour le moins pire ou pour le pire – c’est-à-dire produit sur le débat public un effet comparable à celui d’une pelleteuse sur un parterre floral. On ne parle plus d’aucune autre chose, et on n’en parle plus que pour en dire la même chose.
Or une campagne est un moment où – en théorie… – toutes les autres choses reviennent à l’agenda, et avec elles leur charge de dissensus. Qu’elles en aient été si radicalement chassées est une situation d’une anomalie choquante. Elle l’est d’autant plus que nous voyons assez dans quel état de démolition le quinquennat a laissé le pays, et que s’il est une chose que le candidat-par-tacite-reconduction n’a pas cachée, c’est son «projeeeet» de poursuivre en pire. Comme Bourdieu l’avait fait remarquer très généralement à propos du néolibéralisme, il y a dans le macronisme un désir fanatique de détruire toutes les structures collectives, en particulier les services publics, et jusqu’à l’«Etat de politiques publiques» par cabinets de conseil interposés.
Une politique anti-sociale violente
La réalité après cinq ans de macronisme, c’est que l’hôpital est en ruine, la justice est en ruine, l’école est en ruine, les libertés publiques sont en ruine, la grande cause du féminisme est une blague, Make Our Planet Great Gain est une énorme blague – mais la police est toute-puissante et la surveillance numérique en train de passer des caps orwelliens. La réalité de cinq ans de macronisme, c’est qu’on n’a jamais connu une politique anti-sociale d’une telle violence, si outrageusement occupée des riches, si acharnée à mépriser ceux qui ne le sont pas. Le macronisme nous aura fait découvrir les gilets jaunes qui font un repas tous les deux jours, les étudiants à la soupe populaire, les parents d’enfant décédé dont les jours de congé «pénalisent les entreprises», la recherche d’emploi en traversant la rue, la négation de l’assurance chômage transformée en férule à mettre les individus à la merci des employeurs – et le mensonge et la violence érigés en moyens ordinaires de gouvernement.
Emmanuel Macron en est si satisfait qu’il a l’intention de tout prolonger et de tout aggraver – on comprend que dans son esprit il n’y ait pas lieu d’en discuter puisqu’au menu il n’y a que du même en davantage. Pour toutes celles et ceux sur qui ce «même» va s’abattre, en revanche, on aimerait bien pouvoir en parler un peu : massacre des retraites, démolition de l’université, poursuite des cadeaux fiscaux aux entreprises, abandon des salariés à la vague d’inflation là où ni le capital ni le gouvernement ne lâcheront plus que quelques miettes sur le smic ou sur le point, approfondissement silencieux de la désertification des zones rurales par «rationalisation» (fermetures, regroupements, des services publics).
La démocratie de confiscation
Entré en campagne le plus tard possible, ayant avancé la date du premier tour au plus tôt possible, amateur de «débats» mais seulement devant des auditoires soigneusement composés, promoteur de conventions citoyennes dont il n’écoute rien, nous savons à quel type de «démocratie» va la faveur du candidat : la démocratie de confiscation, faite de conseils de défense, de procédures d’exception, de cabinets restreints, de majorités godillots et d’interviews de complaisance. Tout ceci qui avait déjà été particulièrement odieux pendant cinq ans, devient inadmissible en campagne électorale.
Seule l’idéologie des institutions peut faire croire que les élections sont des périodes de haute politique et de «débat». Passées à la moulinette médiatique, elles sont plutôt des machines à neutraliser et à divertir. Avant même l’Ukraine, le scandale des Ehpad aurait dû mettre tout le débat cul par-dessus tête en exposant le type de société dont le macronisme, en dépit de ses dénégations, est l’incarnation la plus achevée – et rien. Entre-temps, rapport du Giec – et rien. On peut ne pas se faire d’illusion mais ne pas se résigner non plus à ce que l’escamotage de tout prenne des proportions aussi colossales. Ce pouvoir, contesté comme aucun, aura usé et abusé des appels «démocratiques» à attendre patiemment les élections pour exprimer du dissentiment «avec un bulletin de vote». Voilà que le scrutin arrive… et la campagne est dérobée sous nos pieds. Derrière la stratégie de la «tacite reconduction», il y a dans la tête du reconduit des images d’autoroute ou d’open bar. Ne le laissons pas faire. Il se planque ? #OnVaLeChercher. #PasDeDébatPasDeMandat.
Signataires : Bruno Amable Economiste, Joseph Andras Ecrivain, Ariane Ascaride Actrice, Ludivine Bantigny Historienne, enseignante, Eva Barto Artiste, Allan Barte Dessinateur, Loriane Bellhasen Psychiatre, Mathieu Bellhasen Psychiatre, Laurent Binet Ecrivain, Stéphane Brizé Réalisateur, Olivier Cadiot Ecrivain, Aurélien Catin Ecrivain, François Cusset Historien des idées, Laurence De Cock Historienne, enseignante, Caroline De Haas Militante féministe, David Dufresne Ecrivain, réalisateur, Dominique Dupart Ecrivaine, professeure de littérature, Annie Ernaux Ecrivaine, François Gèze Editeur, Robert Guédiguian Réalisateur, Adèle Haenel Actrice, Chantal Jaquet Philosophe, Razmig Keucheyan Sociologue, Stathis Kouvelakis Philosophe, Mathilde Larrère Historienne, Jean-Jacques Lecercle Linguiste, Frédéric Lordon Philosophe, Sandra Lucbert Ecrivaine, Arnaud Maïsetti Ecrivain, Xavier Mathieu Acteur, militant, Guillaume Mazeau Historien, Daniel Mermet Journaliste, Jacques-Henri Michot Ecrivain, Olivier Neveux Philosophe, Ugo Palheta Sociologue, Willy Pelletier Sociologue, Fred Sochard Dessinateur, Barbara Stiegler Philosophe, Julien Théry Historien, Nicolas Vieillescazes Editeur, Gisèle Vienne Chorégraphe, Alice Zeniter Ecrivaine.
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Oui, il y a la guerre. Mais il se trouve qu'il y a aussi une campagne présidentielle. De qui cette situation fait les affaires, la chose est assez claire pour tout le monde. Une réélection sans ...
Macron n’est pas le « président des jeunes »
EXTRAITS
Incursions sur Twitch et TikTok, mobilisation des « jeunes avec Macron », slogans répétés à l’envi sur le soi-disant « président des jeunes »… Les artifices politiques n’effaceront pas un maigre bilan. Retour sur cinq ans de politiques dédiées à la jeunesse.
Le 12 juillet dernier, Emmanuel Macron adressait une partie de son allocution « à notre jeunesse, qui a tant sacrifié alors qu’elle risquait peu pour elle-même ». La seule mesure sociale annoncée leur était dédiée : « Je présenterai à la rentrée le revenu d’engagement pour les jeunes, qui concernera les jeunes sans emploi ou formation, et sera fondé sur une logique de devoirs et de droits. » Cette annonce était le fruit de travaux menés par le ministère du travail depuis janvier 2021, à la suite de la remise du rapport du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) sur l’extension de la Garantie jeunes.
À l’heure où nous écrivons, ni Emmanuel Macron ni le premier ministre n’ont levé le voile sur le détail et la mise en place du tant attendu revenu d’engagement.
Dans une lettre adressée au président le 25 octobre, plusieurs acteurs sociaux comme de la CFDT, ATD Quart Monde, la Fondation Abbé Pierre ou encore la Fédération des acteurs de la solidarité ont écrit leur inquiétude : « Alors que les annonces devaient être faites à la rentrée, nous assistons depuis plusieurs semaines à une série de tergiversations, laissant craindre des renoncements, et parfois de propos stigmatisants à propos de ces jeunes. »
Un jeune sur cinq vit sous le seuil de pauvreté
« Même si la situation économique est meilleure qu’attendu, nous sommes revenus à la situation d’avant la crise, poursuivent-ils. Un jeune sur cinq vit toujours en dessous du seuil de pauvreté et nombre d’entre eux rencontrent d’importantes difficultés pour obtenir un emploi stable. » Le feuilleton de l’année devrait cependant prendre fin.
Après des débats enflammés autour de l’accès au RSA dès 18 ans, des interviews contradictoires et des notes ministérielles lancées comme des ballons d’essai dans la presse, on devrait être fixé dans les prochains jours sur l’extension de la Garantie jeune… Ou plutôt, la naissance du « contrat d’engagement », comme l'exécutif semble vouloir renommer le dispositif mis en place, en janvier 2017, sous François Hollande.
Un rebranding politique qui se cherche encore, après être passé par la « garantie jeunes universelle », puis le « revenu d’engagement », terme utilisé par le président lui-même. Et c’est tout sauf un débat uniquement sémantique.
(...)
Le revenu d’engagement fait pschitt
Lors du lancement du plan « 1 jeune, 1 solution », à l’été 2020, l’exécutif annonçait le doublement des places : on passait alors de 100 000 à 200 000 places en Garantie jeunes.
En janvier 2021, le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) venait bousculer l’autosatisfaction gouvernementale. Selon lui, le dispositif est beaucoup trop restreint.
Les débats portant alors sur l’extension de la Garantie jeunes étaient d’une autre envergure : le COJ imaginait une Garantie jeunes qui ne soit plus un dispositif mais un droit pérenne, qui ne vacille pas à chaque projet de loi de finances. Le Conseil rêvait d’un accompagnement financé, qui ne soit pas dirigé uniquement vers le travail mais aussi un accompagnement social fort. On discutait, alors, d’une Garantie jeunes qui ne soit plus limitée dans le temps mais qui puisse bénéficier aux jeunes jusqu’à leur complète intégration sur le marché du travail.
« Si le gouvernement applique nos 29 propositions sur la Garantie jeunes, on inventera le minimum social de demain et qui sera mieux que le RSA actuellement », lançait même Antoine Dulin auprès de Mediapart, au début de l’année 2021. Les débats internes au gouvernement et leur expression dans les colonnes des journaux ont, depuis, douché son enthousiasme.
(...)
... un papier bien informé des Échos annonçait que « constatant que la reprise de l’emploi est très forte, mais aussi par souci budgétaire, le gouvernement préfère réserver le dispositif promis par Emmanuel Macron à ceux qui en ont le plus besoin ».
Selon le journal, « le revenu d’engagement sera recentré sur les 500 000 jeunes les plus précaires… Précisément, cela passera par une évolution des deux dispositifs principaux d’aide aux jeunes, la Garantie jeunes, opérée par les missions locales, et l’accompagnement intensif des jeunes (AIJ), conduit par Pôle emploi ».
Étant donné que 200 000 jeunes sont déjà accompagnés par les missions locales dans le cadre de la Garantie jeunes, et que Pôle emploi accompagne déjà 240 000 jeunes, l’effort supplémentaire ne serait que de 60 000 places. La montagne accoucherait d’une souris.
Côté gouvernement, on se retranche dans le silence en attendant la prise de parole officielle, qui devrait être faite par le premier ministre ou le président de la République dans les prochains jours. Une chose est sûre, les ambitions ont été revues à la baisse, au détriment des jeunes.
Peu importe. À l’orée de la présidentielle 2022, les soutiens du chef de l'Etat se répandent de plateaux télévisés en vidéos virales pour répéter que « Macron est le président des jeunes ».
Or, en termes de politiques publiques dédiées à la jeunesse, le président le plus jeune de la Ve République s’inscrit plutôt dans une longue tradition de l’inefficacité. Depuis 1977 et le premier plan dédié aux jeunes travailleurs, les mêmes solutions sont proposées aux plus précaires. Le gouvernement s’est contenté de donner un nouveau packaging : le plan « 1 jeune, 1 solution ».
Comme les plans précédents, les dispositifs proposés s’appuient sur des pré-conçus libéraux : le « coût du travail » des jeunes est trop élevé, le marché du travail n’est pas assez flexible et ils ne sont pas assez formés.
(...)
Pour les étudiants, le bilan d’Emmanuel Macron n’est pas meilleur
Selon l’Insee, le niveau de diplôme des Français ne cesse d’augmenter. Et pourtant, une grande partie du plan « 1 jeune, 1 solution » concerne la formation des nouveaux entrants sur le marché du travail. La logique politique est la suivante : puisque le taux de chômage est élevé et que le halo du chômage ne cesse de s’élargir, il faut rendre les jeunes toujours plus compétitifs sur le marché de l’emploi.
Selon Dominique Glaymann, une telle politique publique aura pour seul effet de « modifier l’ordre dans la file d’attente des jeunes chômeurs et précaires favorisant sans doute quelques bénéficiaires de telle ou telle mesure ».
100 000 nouvelles formations qualifiantes ou pré-qualifiantes pour des « métiers d’avenir » sont proposées dans le « Plan d’investissement dans les compétences ». « La compétence est la clé de voûte d’une croissance durable et inclusive », explique le ministère du travail.
Nourrissant le mythe méritocratique, le gouvernement d’Emmanuel Macron a doublé le nombre de places des « cordées de la réussite » et des « parcours d’excellence »… Des dispositifs qui n’enrayeront pas les inégalités sociales du système scolaire français. Selon l’OCDE, les jeunes issus de milieux défavorisés comptent 35 % d’élèves peu performants, contre 7 % pour les plus favorisés.
Le plan « 1 jeune, 1 solution » prévoit aussi des parcours personnalisés pour les décrocheurs qui ont entre 16 et 18 ans, mais aussi des places de formation supplémentaires à la rentrée 2020.
Des places magiques à l’université
À l’été 2021, Frédérique Vidal répétait en effet que 34 000 nouvelles places seraient créées dans les universités. Comme nous l’avions expliqué, 20 000 places étaient déjà prévues par la loi « orientation et réussite des étudiants » (ORE), et 14 000 nouvelles places seront spécifiquement dirigées vers les filières en tension. Par ailleurs, 5 000 nouvelles places de BTS seront ouvertes dans les lycées.
Et pour l’ensemble de ces 19 000 nouvelles places, le ministère annonçait 1 000 nouvelles embauches à l’été 2021. Plusieurs mois plus tard, on ne sait toujours pas comment ont été répartis ces postes.
« C’est de la supercherie, ajoute Julien Gossa, maître de conférences à l’université de Strasbourg. Les universités sont sous-dotées depuis des années, les moyens temporaires qu’a donnés le ministère aux universités vont surtout permettre de recruter des personnels précaires, en échange on ajoutera ci et là quelques places, sans avoir plus de chaises, des salles plus grandes ou plus d’enseignants titulaires. » Depuis 2018, le nombre d’enseignants-chercheurs titulaires n’a fait que baisser.
(...)
L'autre promesse non tenue vis-à-vis des étudiants est celle d’une réforme des bourses : « Nous établirons un système d’aide plus progressif et plus juste », peut-on lire encore aujourd'hui sur le site de campagne. À trois reprises au moins durant le quinquennat, l’exécutif a promis de mettre en place cette réforme... Sûrement se retrouvera-t-elle dans les promesses de campagne d’Emmanuel Macron en 2022.
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Khedidja Zerouali
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Macron n'est pas le " président des jeunes "
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Nos démocraties à la merci des réseaux sociaux (Vidéo)
David Chavalarias présente son ouvrage, Toxic Data, paru le 2 mars chez Flammarion, où il analyse et décrypte comment la manipulation de masse se déploie sur les réseaux.
Février dernier, les convois de la liberté atteignent l’Arc de triomphe. Sur Twitter et sur Facebook, la tension est à son comble. Les anti-pass vont prendre la capitale. Dans leur laboratoire, une équipe de mathématiciens cartographient ce moment de suractivité sur les réseaux sociaux et s’interrogent : Quels comptes s’emploient à relayer tel ou tel message et dans l’intérêt de qui ? Les algorithmes favorisent-ils la montée de telle ou telle colère ? Des robots viennent-ils grossir les rangs des insurgés ? Des puissances étrangères ont-elles intérêt à semer la discorde, chez nous, en France ? Les réseaux sociaux sont-ils la meilleure arme de la Russie et de la Chine cherchant à reconfigurer l’ordre mondial ?
David Chavalarias publie « Toxic Data », tout y est très simplement expliqué : Comment les mouvements d’opinion sont aujourd’hui hautement manipulés et amplifiés sur les réseaux au point que nos démocraties vont y laisser leur peau.
Toxic Data
Comment les réseaux manipulent nos opinions
« Le 5 mai 2017, durant l’entre-deux-tours de la présidentielle, un tweet révèle des milliers de courriels de l’équipe d’En Marche. Il sera massivement relayé pour tenter de faire basculer l’opinion, et avec elle l’élection.
Qui était à la manœuvre de ces MacronLeaks ?
Le GRU russe, qui aurait hacké les boîtes mail, l’alt-right, l’extrême droite française… et 20 000 bots, des robots pilotés par intelligence artificielle. »
D’élection en élection, une lame de fond s’abat sur chaque citoyen : les réseaux sociaux nous manipulent et déchirent notre tissu social. De fait, la science révèle notre dangereuse inadaptation à la nouvelle donne numérique. Comment se prémunir des intoxications à l’heure du vote ? Une analyse stupéfiante doublée de pistes concrètes, tant individuelles que collectives, pour nous protéger et préserver nos démocraties.
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Nos démocraties à la merci des réseaux sociaux
David Chavalarias présente son ouvrage, Toxic Data, paru le 2 mars chez Flammarion, où il analyse et décrypte comment la manipulation de masse se déploie sur les réseaux. Février dernier, les...
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Toxic Data de David Chavalarias - Editions Flammarion
Toxic Data : présentation du livre de David Chavalarias publié aux Editions Flammarion. " Le 5 mai 2017, durant l'entre-deux-tours de la présidentielle, un tweet révèle des milliers de courrie...
Cécile Alduy: "Quelle langue parle Eric Zemmour ?" - Vidéo
«Eric Zemmour ressuscite l’esprit du lepénisme: misogynie, homophobie et violence verbale» - Cécile Alduy
Obsession de la race et de la guerre, torsion du sens des mots, paraphrases d’auteurs chers à l’extrême droite: la chercheuse Cécile Alduy a analysé le discours d’Eric Zemmour. Elle en ressort un livre, «la Langue de Zemmour» qui décrypte une rhétorique à la fois fascinante et fascisante.
Dans un ouvrage court mais précis, la Langue de Zemmour (Seuil), Cécile Alduy, professeure à l’université de Stanford et chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof), analyse comment Eric Zemmour manie la langue française dans ses livres. Si le candidat maurrassien est présenté comme un intellectuel cultivé voire même un historien par ses soutiens, il est surtout un homme qui emploie à outrance la violence verbale et qui joue sur les peurs et les fantasmes.
Que nous disent les mots d’Eric Zemmour sur son positionnement politique ?
Deux types de mots sont surreprésentés et particulièrement révélateurs de son idéologie : le vocabulaire de la guerre (troisième mot le plus représenté dans ses livres) et le vocabulaire racial. Aucun autre responsable politique, pas même Jean-Marie Le Pen, n’utilise autant le terme de «race» : 135 fois sur ses dix derniers ouvrages – contre zéro pour tous ses opposants politiques. Eric Zemmour construit une propagande par la peur qui doit susciter un «instinct de lutte» pour citer le grand analyste de la propagande soviétique et hitlérienne, Serge Tchakhotine.
Il s’agit de terroriser les lecteurs devenus électeurs par des descriptions de scènes de «guerre civile», passées, présentes, ou futures et créer ainsi un réflexe d’auto-défense contre des «ennemis» clairement identifiés. Cette vision du monde morbide et conflictuelle reflète un positionnement politique ultra-nationaliste et xénophobe, au sens propre de «peur de l’étranger» ou phobie de l’autre.
Qui sont ses principaux référents idéologiques et comment les utilise-il ?
Eric Zemmour n’invente rien : il copie. Ses livres sont la paraphrase dans la forme et sur le fond d’un corpus d’extrême droite très classique, assez banal même. Pour la forme, il s’inspire des pamphlétaires comme Edouard Drumont ou Robert Brasillach avec un style acéré, persifleur, qui prend ses exemples dans les faits divers et les marasmes de la vie politique. Pour le fond, il reprend toute une série d’écrivains contre-révolutionnaires et antirépublicains, de Augustin Thierry (historien qui théorise au XIXe siècle la «guerre des races») à Maurice Barrès, et surtout Charles Maurras, qui imprègne toute sa pensée. D’où une proximité idéologique très forte avec Jean-Marie Le Pen, qui a les mêmes référents. A cela Eric Zemmour a ajouté la théorie du «grand remplacement» de Renaud Camus et lui a donné une formidable caisse de résonance.
La violence de son discours alliée à l’ère du buzz et du clash permanent ont-elles favorisé l’émergence d’Eric Zemmour ?
Eric Zemmour disait la même chose il y a quinze ans mais n’était pas entendu. Jean-Marie Le Pen disait la même chose, avec la même violence, il y a trente ans et il était ostracisé. Incontestablement, le succès médiatique et peut-être électoral d’Eric Zemmour aujourd’hui est un symptôme d’un état de la société, du monde politique et du régime de la parole publique aujourd’hui. La commercialisation du conflit et de la violence verbale (autre manière de décrire «l’ère du clash») conduit mécaniquement à promouvoir des «produits» médiatiques à forte audience, car fort potentiel polémique. Eric Zemmour est le candidat parfait d’un système médiatique, j’y inclus les réseaux sociaux, régi par une logique économique et non la création d’un espace de médiation et de délibération démocratique apaisé.
En 2015 vous aviez écrit «Marine Le Pen prise aux mots», quelle est la différence fondamentale entre son discours et celui d’Eric Zemmour ?
Marine Le Pen avait déjà entièrement éliminé du logiciel frontiste tout antisémitisme, et embrigadé la laïcité et le républicanisme dans son combat nationaliste. Elle avait pour stratégie de recentrer son discours pour élargir sa base électorale, et jouer pleinement le jeu de la démocratie électorale. Sa xénophobie antimusulmans se parait même des vertus de la lutte pour les droits des femmes et des homosexuels. Elle avait tourné une page, celle d’un nationalisme passéiste, antisémite, colonialiste, homophobe qui plaçait la France au-dessus de la République et le patriotisme au-dessus, si besoin, des droits de l’homme et des institutions. Sans le dire, Eric Zemmour ressuscite l’esprit premier du lepénisme : misogynie, homophobie, violence verbale, mépris pour la Constitution et les droits de l’homme et des minorités. C’est ce fameux «vive la République, mais surtout vive la France» qui montre un nationalisme exacerbé prêt à jeter aux orties la démocratie. Certes il ne va pas jusqu’aux relents antisémites explicites de Jean-Marie Le Pen, mais la logique de sa pensée est la même : celle d’une lutte à mort entre des peuples définis par le sang et les origines, incapables de vivre ensemble pacifiquement.
Pierre Plottu et Maxime Macé
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"Eric Zemmour ressuscite l'esprit du lepénisme: misogynie, homophobie et violence verbale"
Dans un ouvrage court mais précis, la Langue de Zemmour (Seuil), Cécile Alduy, professeure à l'université de Stanford et chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences-Po ...
A lire... "Au cœur du Z" - Par Vincent Bresson, infiltré dans la campagne d'E Zemmour
« Au cœur du Z », le décryptage d’une stratégie numérique
Vincent Bresson, un journaliste indépendant de 27 ans, « jeune, blanc, et diplômé », dont le prénom a le bonheur de figurer dans le calendrier, constate en septembre 2021 la percée d’Eric Zemmour dans les sondages. Lui qui n’a jamais voté estime que « quelque chose se passe » et décide d’y aller voir. Il postule, sous un faux nom, à Génération Z, et est introduit trois semaines plus tard dans le mouvement.
Le jeune homme colle des affiches, côtoie d’autres militants, cherche à comprendre leurs motivations. Il sursaute lorsque certains cadres parlent devant lui de « Nègres » et observe – le plus souvent d’assez loin – les hauts responsables de l’équipe de campagne. Lorsqu’on lui confie, pour la nuit, la surveillance du quartier général du mouvement, à Paris, il n’en profite pas pour fouiller le bureau d’Eric Zemmour. « Je ne suis pas un espion », écrit Vincent Bresson, qui lit l’historien maurassien Jacques Bainville (1879-1936) pour se mettre à jour.
L’apport majeur de cette plongée chez les partisans du candidat d’extrême droite tient surtout dans le décryptage de leur stratégie numérique et son intégration à « la cellule WikiZédia », qui entend « zemmouriser » les pages Wikipédia.
« Au cœur du Z », de Vincent Bresson (Editions Goutte d’or, 302 pages, 18 euros)
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EXTRAITS
Je viens de rejoindre un nouveau groupe de travail nommé « WikiZédia ». J’avais repéré cette initiative début octobre [2021], sur le canal Telegram « Groupe de discussion », ouvert à 1 400 personnes. Un membre proposait de « Contribuer à Zemmour & Wikipédia : ajouter du contenu qui concerne Zemmour, compléter et rectifier si nécessaire. = > contacter @Choucroutegourmande ».
Je contacte @Choucroutegourmande, le 10 novembre, lui signifie mon envie de contribuer, et me voilà intégré à WikiZédia. Une fois de plus, personne ne vérifie mon identité. Et là, c’est vertigineux : j’ai désormais accès à des stratégies et à des tactiques officieuses, non assumées publiquement.
Cette petite cellule de militants pro-Zemmour ne se réunit jamais physiquement. Les « wikizédiens » se coordonnent uniquement par Internet et échangent à travers différentes messageries. Ils sont huit à converser sur Discord et onze à échanger sur Telegram, principalement les mêmes personnes. (…)
Dans la conversation Telegram, un certain Gabriel se présente comme chargé de la page Wikipédia du Z. Il distille ce conseil : « Pour gagner en crédibilité et imposer ses choix éditoriaux, il ne faut pas paraître orienté. » Ce Gabriel précise en quelque sorte la ligne éditoriale à respecter, une sorte de travail d’équilibriste où, pour pouvoir orienter le contenu, il faut disposer de sources crédibles, ne pas s’appesantir sur un point de détail (donc respecter une règle de proportionnalité) et éviter de se faire révoquer par d’autres contributeurs de l’encyclopédie en ligne, qualifiés par Gabriel de « gauchistes qui polluent la page ».
(...)
A quoi peut bien servir ce travail de fourmi ? Gabriel donne la réponse : « Ne lâchez pas la page du Z, qui est encore vue 50 000 fois par jour (émoticône biceps gonflé). » 50 000 vues par jour. D’après les chiffres fournis par la Wikimedia Foundation, la page « Eric Zemmour » est la plus consultée de France sur l’année 2021. Et de loin : 5,2 millions de pages vues. En seconde position, il y a « Elizabeth II » (4,5 millions), puis « Cristiano Ronaldo » (3,9 millions). Plus la campagne s’intensifiera, plus ce chiffre risque d’être élevé. Voici donc l’enjeu central de cette opération : le contrôle de la « vérité » en ligne. (…)
Cette guerre numérique est patronnée par un certain « Samuel ». Dans les conversations, les membres du projet WikiZédia disent prendre leurs directives auprès de lui. S’il n’y a pas de « Samuel » sur Discord, il y en a bien un, surnommé « Grand Chef », sur la conversation Telegram, et il est loin d’être un inconnu. Son nom apparaît un peu plus loin en entier : Samuel Lafont. A 33 ans, il est le patron de la stratégie numérique de la campagne d’Eric Zemmour.
Dans une conférence à usage interne de Génération Z, à laquelle j’ai pu avoir accès, Samuel Lafont retrace lui-même une partie de son parcours militant, notamment à l’UNI, le syndicat universitaire de droite, qu’il décrit comme son « école de formation ». Il explique y avoir gravi tous les échelons. Il a d’abord créé une section de l’UNI ex nihilo à Nîmes, a continué son activisme à Montpellier et a fini par être élu au conseil national des étudiants de ce syndicat, à Paris. (…)
Le 3 décembre 2021, à 00 h 05, Gabriel- « Cheep » intervient sur la page Wikipédia consacrée à Eric Zemmour. Il ajoute des portraits photo du maréchal Pétain et de Pierre Laval, chef du gouvernement sous le régime de Vichy. Sous les photos, « Cheep » rédige la légende suivante : « Philippe Pétain et Pierre Laval, dont la responsabilité dans la Shoah en France est sujette à débat. » Une affirmation totalement fausse.
(…) Un autre utilisateur de Wikipédia (dont le pseudo est « Lefringant ») annule une première fois la modification mensongère de Gabriel- « Cheep », une minute seulement après sa publication. A 00 h 10, « Cheep » revient à la charge en indiquant « Images appropriées ». « Lefringant » annule de nouveau la modification en commentant : « L’image peut-être, la légende absolument pas ». « Cheep » passe en force en disant : « Il suffit de lire l’article sur Laval. » « Lefringant » annule de nouveau. Une administratrice de Wikipédia (dont le pseudo est « Bédévore ») intervient pour stopper la « guerre d’édition ». Elle immobilise cette page pendant vingt-quatre heures, sans la légende de « Cheep ».
Le lendemain, plusieurs contributeurs expérimentés reprochent à Gabriel- « Cheep » ses modifications contraires à la neutralité de point de vue, l’un des principes fondateurs de Wikipédia. Un administrateur propose un blocage d’une semaine pour « Cheep ». Pour se défendre, « Cheep » demande à ce que l’on suppose sa bonne foi, autre règle fondamentale sur Wikipédia. Il écrit : « Pas de procès d’intention. Il s’agit de l’article consacré à Zemmour, donc il me semblait relativement évident que la légende concernait son avis sur le sujet. » En tant que contributeur expérimenté, il sait pourtant que sa légende ne présentait nullement un point de vue, mais une affirmation générale. Son ancienneté le sauve, il n’est pas bloqué. Sa modification est néanmoins masquée pour « contenu illégal ».
(…)
Le 17 décembre, Samuel Lafont intervient en direct sur la messagerie Discord de Génération Z. La discussion s’intitule « Conférence sur la mobilisation ». Le directeur de la stratégie numérique d’Eric Zemmour parle durant trois quarts d’heure, puis répond à quelques questions de militants. Cette conférence a été enregistrée par un militant et publiée sur YouTube, mais la vidéo a très vite été basculée en un lien privé. J’ai pu la sauvegarder pendant sa courte existence (environ quarante-huit heures) en accès libre.
(...)
En fin de journée, le fameux « Yann », responsable des actions Facebook, m’envoie un message. « La stratégie que l’équipe de Zemmour veut mettre en place est d’investir le plus de groupes Facebook possible sur tous les thèmes et de publier sur ces groupes, commenter les publications avec du contenu sur Zemmour. Je vais t’envoyer une liste de catégories de groupes, pourrais-tu m’en donner trois ? Et je t’enverrai un ensemble de groupes à intégrer et sur lesquels publier. »
Depuis son profil Telegram, où « Yann » porte chemise blanche et cravate, il m’envoie un document listant les 97 thèmes ciblés : « Laurent Wauquiez », « Bonapartistes », « Natio-Poutine », « Juifs », « Musulmans », « Antivax », « Johnny », « Pêcheurs », « Coluche », « Pékin Express », « Cosmétique » ou encore « Pizza ». J’opte pour un choix éclectique : « Mylène Farmer », « Gauchos » et « Foot ».
Dans la foulée, « Yann » m’envoie des liens de groupes liés à mes thèmes : « La France insoumise », « Contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes », « Avec Philippe Poutou », « Anticapitaliste », « Ecosocialiste », mais aussi « RC Lens », « Si toi aussi tu es supporter du Racing Club de Lens et fier de l’être », « Olympique lyonnais », « Olympique lyonnais Fans », « Olympique lyonnais à vie », ou encore « Mylène Farmer-Le Groupe, Fans de Mylène Farmer », « Mylène Farmer : le mythe français ». Pour les groupes d’extrême gauche, l’idée est sûrement de susciter un maximum de réactions. Côté foot, le choix de cibler Lens est-il lié au fait que ce club populaire évolue dans un bassin où le vote pour le Rassemblement national est fort ? Et pour Lyon, est-ce parce que le club est réputé avoir une frange de ses supporteurs estampillée « extrême droite » ? (…)
« Yann » m’envoie un dernier message, qu’il avait déjà publié sur la discussion « Action Facebook » : « Sur ces groupes, il faut que vous publiiez à fond du contenu sur EZ [Eric Zemmour] et commentiez les publications avec des liens vers le site d’EZ, des vidéos, lien vers l’adhésion. » Il conseille de poster massivement, de faire des copier-coller avec les contenus partagés sur « J’agis pour Zemmour », voire de publier le même post sur vingt groupes. Et si on finit par se faire virer d’un groupe ? « Vous me le dites, et je vous en envoie un [autre]. » (…)
L’obsession de Samuel Lafont : saturer les réseaux sociaux et parfois même l’espace médiatique. Donner l’impression que des vagues spontanées se créent chaque fois. C’est la même idée avec la création de sites Internet annonçant des soutiens émanant de diverses professions (les agriculteurs, les maires, les profs, les avocats, les militaires…) : laisser entendre qu’une lame de fond extrêmement large pousse la candidature d’Eric Zemmour. En réalité, ces mouvements sont coordonnés. La dynamique Zemmour sur Internet est donc, du moins en partie, artificielle et à mettre au crédit de ces stratégies souterraines.
« Au cœur du Z », de Vincent Bresson (Editions Goutte d’or, 302 pages, 18 euros)
Coup de coeur... Chloé Morin...
Il fait froid et gris en ce lundi 19 mars 2001, sur l’esplanade déserte qui s’étend devant la mairie de Levallois-Perret. Et presque nuit. Comme si un crépuscule des dieux s’était abattu sur cette ville de la banlieue ouest de Paris, coincée entre la Seine, Neuilly, Clichy et le périphérique, montrée du doigt depuis la réélection la veille de Patrick Balkany, revenu avec son épouse Isabelle de leur exil à Saint-Martin, afin de reconquérir leur fief perdu.
11 heures du matin et un journaliste du service politique de France Inter arpente les lieux à la recherche de témoignages, pour fabriquer un micro-trottoir destiné au journal de 13 heures. Lui qui a couvert l’événement la veille au soir semble pris d’une immense lassitude : il n’y a personne à interroger, l’endroit est désert.
Quand soudain, un habitant de la ville, un seul au milieu de cet immense espace vide, vient à sa rencontre :
— Ah, ma radio préférée ! Bonjour !
— Bonjour monsieur, je cherche des réactions au retour des Balkany, ici, à Levallois. Vous me diriez quelques mots à mon micro ?
L’homme acquiesce. Le journaliste enclenche son magnétophone, la réponse fuse :
— Écoutez, je suis de gauche. C’est quand même inouï que ces gens pourtant condamnés, qui sont partis en exil au soleil, reviennent comme si de rien n’était et se fassent réélire, comme ça !
— Cela vous choque ?
— Évidemment ! Cela donne une piètre image de la démocratie…
— Vous avez donc voté pour son adversaire ?
L’enregistrement tourne toujours, l’homme regarde ailleurs, et répond, un brin gêné :
— Eh bien non, pas du tout. En fait, j’ai voté Balkany.
Stupéfaction.
— Ah bon. Et pourquoi ?
— Eh bien, parce qu’au moins, avec eux, je sais que Levallois est bien tenue, que la ville est propre, on y circule en sécurité, nos écoles sont sûres, nos enfants partent en vacances… Alors oui, je n’ai pas hésité une seconde !
Le journaliste, Jean-François Achilli, range alors son micro et s’en retourne, médusé, à sa voiture de reportage. Inutile d’aller chercher d’autres témoignages, tout vient d’être dit.
INTRODUCTION
Emmanuel Macron portait en 2017 une promesse d’espérance. Celle de nous guérir de notre pessimisme congénital. Remettre la France, déclassée et divisée, doutant d’elle-même et de ses propres capacités, sur la carte. La réconcilier avec la marche du monde, lui permettre de renouer avec un progrès économique et social qui a toujours été notre horizon, et une souveraineté nationale chère à notre imaginaire collectif.
En ce soir de mai 2017, nombreux étaient les Français à espérer pouvoir à nouveau regarder l’avenir avec confiance.
Emmanuel Macron prétendait également nous réconcilier avec le « système » politico-administratif, non sans jouer habilement du dégagisme ambiant. Le « nouveau monde » allait reléguer l’ancien au cimetière politique, l’efficacité redevenir la boussole de la machine législative et administrative. Les politiques seraient mis au pas, croyait-on comprendre en lisant entre les lignes d’un programme qui comportait par exemple la diminution du nombre de parlementaires (ils sont inutiles, donc ils nous coûteront moins cher s’ils sont moins nombreux !).
Il faut sans doute une grande dose de courage, ou bien une certaine forme d’inconscience, voire de folie, pour assumer ouvertement, tout simplement, la promesse qui nous avait été faite : celle de restaurer notre fierté nationale.
Cinq ans plus tard, la déception est, pour beaucoup de Français – souvent ceux qui n’avaient en réalité jamais osé y croire, mais sont presque ravis de s’imaginer, après coup, y avoir cru, comme si la confirmation de la trahison les rassurait quant à leur dégoût du système politique –, à la hauteur des espoirs soulevés. Alors qu’une nouvelle campagne présidentielle bat son plein, un constat s’impose dans une grande partie de l’opinion, gagnée par le déclinisme cher à Éric Zemmour : la France tombe toujours. Déclassée, marginalisée, méprisée, toujours plus divisée, notre nation ressemble de moins en moins à la haute idée que nous nous faisons de son histoire et de la place qui devrait lui revenir dans le monde.
Malgré une reprise économique qui s’affirme chaque jour un peu plus, une résilience admirable démontrée face à l’épidémie de Covid, une part majoritaire de la population rejette le président de la République et, à travers lui, vomit le « système » politique, ses trahisons et ses compromissions, et les « élites » en général.
Chaque fait divers, chaque statistique qui pourrait venir apporter de l’eau au moulin de notre déclinisme congénital est scruté et digéré par cette partie du pays, majoritaire, qui n’y croit tout simplement plus. Et nul pourcentage de croissance supplémentaire ou point de chômage en moins
ne paraît capable de venir à bout des doutes qui tenaillent la France populaire et moyenne, celle des petites villes et des campagnes, la moins diplômée et jamais suffisamment « mobile », comme on dit.
Qui sommes-nous, que faisons-nous ensemble, pouvons-nous encore vivre et construire quelque chose de durable et de désirable ? Telles sont les questions fondamentales auxquelles nous revenons éternellement. Nous y revenons lorsque le hasard d’un drame national – sidération face à un attentat ou basculement dans l’inconnu du « grand confinement » – fait taire un instant le brouhaha des réseaux, des chaînes d’info en continu et des polémistes de tous bords.
Mais ces questions, nous les oublions bien vite, comme incapables d’en affronter les réponses, ce qu’elles impliqueraient de remise en cause de nous-mêmes et de nos convictions comme de nos modes de vie. Nous préférons retourner à nos discussions qui tournent en rond, et à ces débats aussi enflammés que secondaires dont raffolent trop de médias.
Chloé Morin - On a les Politiques qu'on mérite
« Les services publics sont notre avenir, leur réinvention est primordiale » : le plaidoyer de 400 citoyens
EXTRAITS
L’accès de tous aux droits fondamentaux se dégrade, s’alarment, dans une tribune au « Monde », des militants associatifs, des membres de collectifs d’agents publics, des syndicalistes et des personnalités de la culture.
Tribune. Face à la crise sanitaire, notre pays et notre système de santé n’ont tenu qu’à un fil. Au dévouement des infirmiers, des aides-soignants, des médecins de l’hôpital public, parfois épuisés. Au sens du devoir des enseignantes et enseignants de l’école publique, qui ont accueilli les enfants dans des conditions kafkaïennes. A l’abnégation des agents des transports publics, du nettoyage, aux travailleurs et aux travailleuses sociales. La liste est longue, de ces agents et services publics grâce auxquels le pire a été évité.
Tiennent-ils encore, tiennent-ils vraiment ? Ces services publics qui font notre quotidien se dégradent depuis des années, et avec eux l’accès aux droits fondamentaux. Les premiers à en souffrir ont été les personnes les plus démunies ou en situation de handicap. Puis, les habitants des quartiers populaires ou des territoires ruraux qui ont subi les reculs en cascade : bureau de poste fermé, puis centre des finances publiques fermé, puis classes de primaire fermées, etc. Cet effondrement touche maintenant l’ensemble de la société – sauf peut-être ceux que la grande richesse met à l’abri.
Nous, citoyennes et citoyens, militantes et militants associatifs et syndicaux, agents des services publics, alertons : nos services publics ont atteint un point de rupture historique, avec la population, avec leurs agents et avec l’avenir. Rupture avec la population, d’abord. Qui voit les services publics devenir maltraitants : les délais de jugement augmentent, le surtravail des agents ne suffit plus à compenser leur manque de moyens, des guichets ferment tandis que progresse une dématérialisation à marche forcée.
Rupture avec leurs agents, ensuite. Le rationnement de leur temps auprès des usagers rend leur mission impossible. Le mouvement perpétuel des « réformes managériales » désorganise les services. Et lorsqu’ils alertent, ils ont l’impression de prêcher dans le désert, voire sont sanctionnés.
Rupture avec l’avenir, enfin. Quand la lutte contre le réchauffement climatique, quand la formation de la jeunesse ou la prise en charge humaine des personnes âgées sont subordonnées à des objectifs budgétaires et, de fait, sacrifiées.
(...)
Prise de conscience
Nous, jeunes générations qui voulons grandir sur une planète habitable, savons que la protection du climat nécessite des manières nouvelles de décider et d’intervenir en commun. Nous, usagers et usagères des services publics, qui les voyons s’éloigner chaque jour davantage de nos besoins quotidiens, souhaitons prendre toute notre part dans leur reconstruction.
Nous, agents et agentes du service public, ne voulons plus avoir honte du service dans lequel nous sommes parfois contraints d’exercer et voulons retrouver la fierté de nos métiers. Nous, citoyennes et citoyens aux engagements différents, appelons à cette prise de conscience urgente : les services publics ont été gravement délabrés ; leur réinvention est primordiale. Elle doit irriguer tout projet démocratique, écologique et solidaire.
Les services publics craquent, leurs usagers craquent, leurs agents et agentes aussi, et pourtant, jamais nous n’avons eu autant conscience de leur importance. C’est pourquoi nous appelons à construire ensemble un printemps des services publics, d’échanges, de débats et d’interpellation. Nous affirmons que notre avenir est impossible sans une sauvegarde et une refonte des services publics : ils doivent s’organiser à partir des besoins actuels et futurs des populations et de la planète et nous allons, en commun, y travailler.
Clotilde Bato, présidente de Notre affaire à tous ; Arnaud Bontemps, porte-parole Nos services publics ; Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade ; Annie Ernaux, écrivaine ; Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde ; Murielle Guilbert, déléguée générale de l’union syndicale Solidaires ; Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT ; Olivier Milleron, porte-parole du Collectif inter-hôpitaux ; Willy Pelletier, sociologue ; Olivier Py, directeur du festival d’Avignon ; Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature ; Benoît Teste, secrétaire général de la FSU.