EXTRAITS
Lundi 22 janvier 2018, la plate-forme Parcoursup succède à Admission Post-Bac pour s’inscrire dans le supérieur. Des milliers de lycéens vont avoir jusqu'au 13 mars pour entrer leurs vœux dans la nouvelle plateforme. En toile de fond de cette mesure, la question de la sélection à l'université concentre d'ores et déjà de vives contestations.
François Dubet, ex-Directeur de recherche à l’EHESS et auteur de Ce qui nous unit : discriminations, égalité et reconnaissance (Seuil, 2016), nous apporte son regard sur cette réforme et sur « l’idéologie scolaire » portée par le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer.
La réforme de l’université envisage d’introduire la sélection dès lors que le nombre de candidatures sera supérieur à la capacité d’accueil de la formation. Le danger n’est-il pas de sceller le destin professionnel d’un jeune à partir de ses notes au lycée ?
Il faut d’abord voir comment fonctionne notre système d’orientation vers l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, et sans que beaucoup semblent en être scandalisés, près de la moitié des étudiants sont sélectionnés par le biais des classes préparatoires, des concours, des places limitées en IUT, en BTS, en doubles licences sélectives et dans toutes les « petites » grandes écoles publiques ou privées. Souvent même, ils sont orientés sur la base de leur dossier avant d’avoir passé le bac. Les autres, ceux qui ont les moins bons dossiers scolaires, vont à l’université où près de la moitié d’entre eux se découragent, abandonnent ou cherchent une autre formation dès la première année. De ce point de vue, la non sélection à l’université est une sélection indirecte ou négative. Et quand les capacités d’accueil sont inférieures aux demandes, il ne reste que le tirage au sort. Le nouveau système doit sans doute être critiqué, à condition de ne pas ignorer les impasses et injustices du fonctionnement actuel.
Autrement dit, dans les faits, le destin des jeunes est déjà scellé par leurs notes au lycée, par les filières du baccalauréat et, au-delà, bien souvent par les origines sociales des élèves qui pèsent sur leurs résultats scolaires, sur leurs ambitions et sur leurs marges de choix. En ce sens, le « À bas la sélection » à l’entrée dans le supérieur a toujours quelque chose d’un peu suspect quand il ne met pas en cause l’hyper sélection scolaire et sociale des futures élites et des formations à finalités professionnelles précises. Je ne suis pas certain que le nouveau système change sensiblement les choses en termes d’équité. D'ailleurs ce n’est pas son objectif premier puisqu’il vise surtout à réduire « l’encombrement » de certaines filières et à réduire les échecs et les abandons au premier semestre de la licence.
Les quelques étudiants jugés a priori faibles ou issus de filières techniques et professionnelles et qui pouvaient trouver leur voie et leur vocation à l’université pourront être victimes du nouveau système. Pour l'éviter, il faudrait s’intéresser aux motivations et aux profils de tous les candidats, c'est-à-dire se livrer à une analyse « fine » des candidatures. Mais on peut craindre que les universités ne soient pas en mesure de réaliser une analyse fine et individualisée des demandes des étudiants, faute de moyens, de temps et de personnels, et qu’elles se bornent à regarder les notes et les types de baccalauréat. On pourrait imaginer demander à toutes les formations de réserver un quota de places aux étudiants aux « profils atypiques » afin de ne pas leur fermer les portes de manière systématique. Par ailleurs, il est vraisemblable que « l’année zéro » de mise à niveau des étudiants aux « profils atypiques » en découragera beaucoup.
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Quel regard portez vous sur la « méthode Blanquer » consistant à utiliser les sciences cognitives pour justifier ses décisions ? N’y-a-t-il pas un risque d’instrumentalisation des sciences dites « dures » à des fins politiques ?
Le ministre se présente comme un expert dont les choix sont guidés par la science et l’évaluation bien plus que par l’idéologie. Aussi, plus nettement encore que ses prédécesseurs, il s’entoure d’experts et de conseils scientifiques présidés par des personnalités incontestables. Il n’y a pas à discuter ce choix car, après tout, mieux vaut s’appuyer sur des connaissances fiables et rationnelles que sur des croyances. Cela étant dit, quelques remarques s’imposent.
La première rappelle que le savant et le politique ont deux vocations et deux métiers différents et que la décision est toujours politique. C’est le politique qui dicte l’agenda des problèmes et pas la science ; c’est le politique qui dit que le grand problème est celui de la méthode d’apprentissage de la lecture et pas celui des inégalités entre les établissements. Aussi, bien souvent l’évaluation est mobilisée de manière ad hoc : par exemple, quand le ministre dit qu’il réhabilite le redoublement, il laisse penser qu’il était interdit — ce qui est faux — et surtout il ignore toutes les recherches qui en soulignent l’inutilité et le coût. Il n’y a rien de scandaleux à ce que le politique fasse pleinement son travail, il est plus gênant qu’il laisse croire que sa politique est dictée par la science.
La deuxième remarque concerne l’autonomie professionnelle des enseignants. En effet, pour qu'ils mettent en œuvre les méthodes les plus efficaces, et n'appliquent pas aveuglement des directives, il faut une formation professionnelle de haut niveau. Or, Jean-Michel Blanquer tient deux discours. D’un côté, conformément à l’expertise internationale, il en appelle à l’autonomie des établissements ; de l’autre, il édicte les bonnes manières de faire, comme le faisait Jules Ferry. Le point aveugle est celui du recrutement et de la formation d’enseignants capables de mettre en œuvre les meilleures méthodes en fonction des problèmes rencontrés car s’il faut de l’expertise du sommet, il en faut aussi à la base.
Troisièmement, si les sciences cognitives nous en apprennent beaucoup sur les mécanismes d’apprentissage, il y a un gap entre ces connaissances et la construction de pédagogies efficaces et scientifiques. Ce que reconnaissent d’ailleurs beaucoup de spécialistes des sciences cognitives, et on peut craindre que les actes de foi remplacent la connaissance raisonnée. Qui peut croire que la fin de la méthode globale, mise en œuvre avec parcimonie, réglera les problèmes de lecture ? Rappelons que bien des recherches montrent que l’efficacité des maîtres dépend moins des méthodes mises en œuvre que la nature des relations entre eux et les élèves, que du climat scolaire, de la cohésion des équipes éducatives et de la confiance des parents dans l’école. Cela ne signifie pas que toutes les méthodes se valent, mais les méthodes ne sont pas le tout de la pédagogie.
Enfin, la politique scolaire ne peut pas être guidée uniquement par le souci de l’efficacité et, dans une moindre mesure aujourd’hui, par celui de l’équité. Rappelons que l’éducation est aussi portée par un projet moral et social, qu’elle est guidée par la représentation du type d’individu, de sujet et de société qu’elle veut produire. Or, la science ne nous dit rien sur ce point. Et c’est très bien ainsi car c’est là la vocation du politique dans les sociétés démocratiques.
Propos recueillis par Natnaël Bussières
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