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Vivement l'Ecole!

neurosciences

Écoles : les bienfaits de la neuro-éducation sont-ils surévalués ?

11 Décembre 2022 , Rédigé par Télérama Publié dans #Education, #Neurosciences

Écoles : les bienfaits de la neuro-éducation sont-ils surévalués ?

En matière éducative, méfions-nous des solutions miracles : le chercheur en psychologie du développement Édouard Gentaz met en garde contre la fascination qu’exercent les neurosciences sur les politiques scolaires. Il publie un ouvrage à ce sujet. Rencontre.

La neuro-éducation est à la mode. Consacrée par le précédent ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer, qui avait créé un Conseil scientifique de l’Éducation nationale présidé par le chercheur Stanislas Dehaene, elle est souvent présentée comme un remède à tous les maux de l’école. Édouard Gentaz, professeur de psychologie du développement, publie un ouvrage intitulé Neurosciences à l’école. Leur véritable apport (éd. Odile Jacob) qui met en garde contre les « neuro-illusions » de l’époque. De quoi doucher l’enthousiasme suscité par cette spécialité qui repose sur l’imagerie médicale.

« Identifier et valider les pratiques pédagogiques et les outils qui permettent à tous les élèves de réussir était au centre des préoccupations des fondateurs français des sciences de l’éducation », rappelle cependant Édouard Gentaz. À commencer par le pédagogue Henri Wallon – connu pour avoir donné son nom avec Paul Langevin à un plan de réforme du système éducatif à la Libération –, qui avait lancé un laboratoire de psychobiologie de l’enfant. Aujourd’hui, fonder la politique éducative sur des preuves reste un objectif louable… à condition que les chercheurs travaillent main dans la main avec les enseignants. Autant dire que face aux solutions miracles il faut raison garder.

(...)

Marion Rousset

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Les neurosciences et les niveaux cachés de Candy Crush...

3 Janvier 2020 , Rédigé par France Culture Publié dans #Neurosciences

Les neurosciences et les niveaux cachés de Candy Crush...

Le XXe siècle aura eu la psychanalyse, le XXIe aura les neurosciences — ni plus, ni moins.

Les deux premières décennies du nouveau siècle ont ainsi péniblement ressemblé à des couvertures du Point — un enthousiasme à liseré rouge et sage pour salles d’attente de médecins spécialistes : le triomphe des neurosciences, les derniers secrets du cerveau, les aliments qui boostent la mémoire. 

Si je n’ai jamais complètement souscrit à la psychanalyse, sinon comme argumentaire commercial pour architectes d’intérieurs — les cabinets de psychanalyse comme premier étage d’un IKEA planétaire aux alcôves remplies de canapés moelleux —, la prétendue révolution des neurosciences me paraît largement plus fumeuse. On peut d’ailleurs reprocher à Freud, tous les manquements aux règles de la scientificité qu’on voudra, son oeuvre aura été largement confirmée par l'expérience : son Malaise dans la civilisation de 1930 ressort largement de l’écrit prophétique. Qui est, d’une certaine manière, la catégorie scientifique la plus haute. 

On chercherait en vain l’équivalent pour les neurosciences, qui n’ont pour l’heure apporté à l’humanité que des couvertures du Point, des chroniques de Laurent Alexandre, des vains projets de réforme aux ministres de l’éducation nationale.

Et Candy Crush. La saga Candy Crush. La plus désolante des conversions des baby-boomers aux joies mécanisées du gaming. 

Je ne crois pas à la révolution des neurosciences, non pas parce que je crois que les neurosciences soient fausses. D’ailleurs je crois à la révolution des neurosciences — à ce détail près que je pense qu’elle s’est déjà produite, et qu’elle se confond avec l’histoire récente de l’humanité. L’homo sapiens n’est pas autre chose que cela : l’hominidé qui crut aux neurosciences, jusqu’à en faire son outil principal. Acquisition du langage, transmission des techniques de taille de la pierre, implémentation physique d’images mentales dans les dendrites cristallisées des cavernes, invention du politique, du sacré, de la culture et du commerce : cela fait déjà des dizaines de milliers d'années que nous avons reconnu et exploité les principales caractéristiques de notre cerveau — que nous avons fixé la toile des civilisations à ses affordances chimiques.

L’école de demain ne sera jamais qualitativement meilleure que celle d’aujourd’hui : cela fait trop longtemps qu’on déblaie la galerie de la grotte qu’il y a peu de chance qu’on y découvre une nouvelle galerie.

On bien ce sera une galerie artificiellement salée, et recouverte par les gemmes acidulées de Candy Crush.

Il y a plus à comprendre dans un chapitre de L’idiot de Dostoïevski que dans les données cumulées de toutes les IRM du monde — car L’idiot de Dostoïevski résume des millénaires d’expérience mieux que tous les méta-articles des chercheurs en neuroscience. 

Les progressistes voudraient pourtant que le triomphe des neurosciences soit l’opération de désaliénation ultime, comme quand elles ont montré que le sucre, objet probable d’un complot industriel, était aussi addictif qu’un opiacé quelconque. Et on a inventé aussitôt Candy Crush pour réussir à s’en sevrer.

Les progressistes voudraient qu’on utilise les neurosciences pour améliorer les apprentissages et devenir plus heureux. J’ai passé des journées entières à jouer à 2048, le Candy Crush des snobs, et je jure que je n’ai jamais été aussi heureux que quand les cases oranges marquées 128 rougissaient  pour former la case 256 : je vois à peu près vers quel horizon mélancolique tend la révolution des apprentissages.

La seule façon de souscrire pleinement à la révolution des neurosciences, de la vivre vraiment comme une quête exaltante, c’est d’avoir la tentation de l'eugénisme — de rêver dangereusement à des améliorations possibles. 

Mais en attendant notre cerveau est l’unique algorithme universel connu, et il n’y a rien de ce que les neurosciences découvrent qu’il peut faire qu’il n’aura déjà fait. Il n’y aucun docteur Kawashima au bout du chemin, aucune autre programme miracle d’entraînement cérébral que notre histoire elle-même — si décevante et si exaltante à la fois. 

Et en viendrait presque à oublier, tellement attachés que nous sommes à devenir meilleur pour explorer les niveaux cachés de Candy Crush ou pour remonter de quelques places dans le classement PISA, que l’unique miracle connu, c’est que l’esprit existe. Et que le seul objet de la révolution des neurosciences ce serait de réussir à expliquer pourquoi le Parménide de Platon, l’image mentale qu’on se fait d’un film, le souvenir d’un amour partagent cette propriété unique, absurde et délicieuse, de ne pouvoir exister que dans un intervalle de température situé entre 36 et 40 degrés.  

Pour retracer cette fièvre qui parcourt le monde, j’ai plus confiance aux neurosciences appliquées de la littérature qu’à une quelconque révolution heuristique sortie des aimants glacés d’une IRM.

Aurélien Bellanger

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Stanislas Dehaene ou l'incarnation du changement de pied...

22 Janvier 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Education, #Neurosciences

Stanislas Dehaene ou l'incarnation du changement de pied...

Le Ministère de l'Education Nationale est, depuis quelques mois, doté d'un Nième organisme appelé "Conseil Scientifique de l'Education Nationale". A sa tête, un neuroscientifique professeur au Collège de France, Stanislas Dehaene. 

Deux informations circulent au sujet de :

- son avis sur la semaine de 4 jours à l'école primaire ;

- sa position par rapport à l'apprentissage de la lecture.

La semaine de 4 jours

Stanislas Dehaene s'est toujours opposé, comme l'actuel Ministre de l'Education Nationale à une certaine époque, à la semaine de 4 jours à l'école. Par exemple - mais j'aurais pu produire des dizaines d'autres sources - sur le site "Canal Académie" :

« Rien de la lecture n’est évident pour l’enfant. Il faut s’entraîner un peu tous les jours, avec des périodes de sommeil pour consolider l’apprentissage. En ce sens, la concentration de l’apprentissage sur une semaine de 4 jours est une absurdité » poursuit Stanislas Dehaene.

Pourtant, rappelle Jean-Michel Blanquer, la semaine de 5 jours au lieu de 4 existe déjà. « C’est la semaine de 9 demi-journées par semaine que les recteurs et inspecteurs d’académies sont invités à appliquer. Le cadre administratif et juridique le permet déjà. Il faut en effet une bonne répartition du temps comme le dit Stanislas Dehaene, mais jusqu’à présent, le problème n’a pas tellement été un problème d’ordre ministériel, mais un problème de responsabilisation des adultes, localement ». (Voir lien/source 1 en bas de page)

Quelle ne fut pas la surprise générale - sauf peut-être pour quelques médias privés de mémoire et militants politiques devenus très distraits - d'entendre le même néo-Président de commission scientifique affirmer sur France Inter le 11 janvier 2018 : "Semaine de 4 jours : Je ne suis pas sûr qu'il y ait erreur". (A réécouter/Lien 2 en bas de page)

Pour un scientifique, toujours très affirmatif dans ses déclarations, cette soudaine hésitation ne laisse pas de surprendre la communauté éducative. Car n'étant "pas sûr", doit-on comprendre que notre éminent chercheur, s'il cherche incontestablement beaucoup, n'a pas encore trouvé les Graal annoncés avec tambours et trompettes d'une renommée peut-être factice.

L'apprentissage de la lecture

Quant à ses positions sur l'apprentissage de la lecture, le monde des médias et réseaux relaient depuis quelques jours l'absolue confiance de Stanislas Dehaene en la seule méthode syllabique, le fameux B-A/BA.

Pourtant, les écrits et propos de notre chercheur, sont loin d'être aussi tranchés:

"Pour la lecture par exemple, la recherche en sciences cognitives a clairement démontré la supériorité de l’approche « phonique », l’enseignement systématique des correspondances graphème-phonème. Cependant, cela ne signifie en aucun cas que nous faisons l’apologie d’une méthode unique (« la » syllabique). Lorsqu’un ministre de l’éducation a voulu imposer le « b-a ba », j’ai réuni des chercheurs au Collège de France pour rappeler que les choses ne sont pas si simples. La seule chose qui importe au tout début de la lecture, c’est l’enseignement explicite et systématique des correspondances entre l’ordre temporel du langage parlé (la séquence de phonèmes) et l’ordre spatial de ce qui est écrit (l’agencement des graphèmes, de gauche à droite). Méthodes analytiques et synthétiques peuvent être toutes les deux phoniques. Dans l’état actuel des connaissances, on ne peut affirmer que l’une marche mieux que l’autre. On peut assembler des lettres en syllabes et en mots (b+a=ba, approche synthétique), mais aussi partir d’un vrai mot et le décomposer en graphèmes (approche analytique). Encore faut-il employer une progression rigoureuse, qui parte de mots très simples, avec un tout petit nombre de graphèmes connus de l’enfant, avant d’introduire progressivement des mots plus complexes. Partir d’un mot comme « fou », expliquer qu’il est composé de « f » et « ou », que si on change le premier son on obtient « chou »… : c’est une méthode analytique qui fonctionne (et qu’il ne faut surtout pas confondre avec l’approche globale, où l’attention ne se focalise pas sur la composition interne des mots). La recherche continue, et l’on redécouvre par exemple l’importance du geste d’écriture. Ecrire le mot lentement au tableau tout en l’épelant, faire tracer les lettres par l’enfant, sont bénéfiques, notamment parce que ces méthodes soulignent l’organisation  spatiale et temporelle du mot. " (Lien/Source 3 en bas de page)

Nous pourrions, sur ce sujet toujours sensible en France, produire bien d'autres propos de Stanislas Dehaene, tous allant dans le même sens: la méthode syllabique, présentée aujourd'hui sous l'autorité du même Dehaene comme DEVANT être LA méthode à suivre, ne présente aucun caractère miraculeux.

A l'écoute et à la lecture de ces propos, très contradictoires pour le moins, une question se pose : Stanislas Dehaene tient-il un discours lorsqu'il travaille dans son laboratoire et un autre, plus politiquement correct, lorsqu'il siège à la tête de la commission ministérielle? Il serait bon d'obtenir des éclaircissements rapides. Si la nature a horreur du vide, l'éducation a horreur des changements de pied.

Christophe Chartreux

http://www.canalacademie.com/ida9033-Apprendre-a-lire-de-nouveaux-outils-pedagogiques-elabores-a-partir-de-travaux-de-psychologie-cognitive.html

https://www.franceinter.fr/emissions/interactiv/interactiv-11-janvier-2018

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/03/13032014Article635302900918362864.aspx

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Les neurosciences ou l'obsession de la performance... (+ video)

20 Janvier 2019 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education, #Neurosciences, #Sociologie

Stanislas Morel : «Les neurosciences illustrent la dépolitisation actuelle de la question scolaire»

EXTRAITS

Pour le sociologue, spécialiste de l’échec scolaire, la domination des neuroscientifiques dans l’éducation, actée par la composition du nouveau Conseil scientifique, témoigne d’une obsession de la performance. Au détriment d’une approche sociale des inégalités à l’école.

Le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a présenté le 10 janvier les membres du tout nouveau Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN) présidé par Stanislas Dehaene, psychologue cognitiviste et figure française des neurosciences. «Au plus près des besoins des professeurs, explique le ministre, le Conseil fera des recommandations pour aider notre institution et les professeurs à mieux saisir les mécanismes d’apprentissage des élèves.» L’initiative a été reçue assez froidement par les syndicats d’enseignants, qui redoutent une prise de pouvoir des sciences du cerveau sur les méthodes pédagogiques. Le sociologue Stanislas Morel, auteur en 2014 de la Médicalisation de l’échec scolaire (La Dispute), revient sur la position aujourd’hui dominante des neurosciences cognitives dans le domaine de l’apprentissage.

La communication autour de la création du CSEN laisse penser que les neurosciences étaient jusqu’ici peu présentes dans les débats sur l’enseignement. Etait-ce le cas ?

Non. La démarche des neuroscientifiques pour occuper le terrain sur de nombreux sujets de société, comme les apprentissages scolaires, les prises de décision économiques, voire les fondements des goûts esthétiques, a débuté, dans les faits, il y a une vingtaine d’années. Le boom des neurosciences à la fin des années 90 est en grande partie lié aux progrès dans les techniques d’exploration du cerveau, à commencer par l’imagerie cérébrale, qui permettent d’avoir une meilleure connaissance du fonctionnement du cerveau, resté pendant longtemps un organe très mal connu.

C’est une discipline scientifique que vous décrivez, dans le domaine des apprentissages, comme étant «orientée vers l’action»…

Effectivement, le talon d’Achille des neurosciences, c’était avant tout les critiques qui les accusaient d’en revenir à un certain déterminisme biologique. Les neuroscientifiques ont alors joué la carte de l’ouverture en mettant en avant la plasticité du cerveau, sa capacité à évoluer au cours du temps, notamment sous l’influence de facteurs «environnementaux». Ils adoptent donc aujourd’hui un discours intégrateur qui prétend prendre en compte les différents facteurs biopsychosociaux pesant sur les apprentissages. L’idée n’est plus d’éliminer les disciplines et les causalités «concurrentes», c’est de les coordonner, mais aussi de les hiérarchiser, en mettant souvent en avant la causalité biologique. De fait, les neuroscientifiques ont parfois relativisé les questionnements ontologiques (la quête de la cause première des difficultés d’apprentissage) pour privilégier un «pragmatisme» pouvant conduire à des réponses pratiques aux difficultés. Parmi ces réponses : prêter de l’importance à l’explication des consignes, à la répétition des exercices, à la correction des erreurs, aux manières de mémoriser des connaissances ou à l’estime de soi des élèves.

(...)

Les neurosciences fonctionnent surtout comme une mécanique de preuve pour des solutions préexistantes. Finalement, elles n’inventent rien…

Sans doute pas rien, mais c’est vrai que les solutions qu’elles proposent, comme celles préconisées par Stanislas Dehaene pour l’apprentissage de la lecture, sont souvent bien connues des pédagogues. Par exemple, dire aujourd’hui qu’il faut privilégier le décodage de correspondances grapho-phonémiques - la méthode syllabique pour aller vite -, ce n’est plus clivant. Ce qui est vraiment nouveau, c’est la manière d’administrer la preuve de l’efficacité des pratiques pédagogiques en s’appuyant sur les sciences expérimentales dans un univers scolaire qui, pour ses détracteurs, avait sombré dans l’idéologie. Et c’est à partir de l’effet de levier créé par cette forte légitimité scientifique que les neuroscientifiques ont été capables de réasséner de manière très puissante des préconisations qu’eux-mêmes reconnaissent n’être pas spécialement révolutionnaires.

Comme celles issues de la pédagogie Montessori, qui a plus d’un siècle…

Dans l’opinion, Montessori est souvent associée à une forme de pédagogie alternative, nouvelle, destinée aux «bobos» parisiens. On oublie que Maria Montessori était une femme médecin, auteure d’un livre, Pédagogie scientifique, qui cherchait à établir une pédagogie expérimentale. Il y a un lien de parenté entre Montessori et les neurosciences. Il s’agit dans les deux cas d’expliquer à des enseignants dont la pédagogie est jugée intuitive, spontanéiste, ce que les sciences expérimentales ont à dire des apprentissages. Mais il faudrait mieux connaître les pratiques des enseignants et, plus généralement, ce qui se passe dans les classes. C’est à cette condition que l’apport indéniable des neurosciences pourrait être plus utile.

(...)

Le CSEN, c’est finalement moins une révolution qu’une évolution logique de ce qui s’est passé ces dernières années…

C’est tout à fait logique. Les neurosciences incarnent l’avant-garde, les chercheurs sont mobilisés dans la promotion de leur discipline, et Blanquer est convaincu depuis longtemps. Mais ça illustre aussi la dépolitisation actuelle, commune aux différents gouvernements, de la question scolaire. Obnubilé par la performance des systèmes éducatifs, on ne réfléchit plus assez aux buts de l’éducation, aux inégalités scolaires et à la place qu’on veut donner à l’école dans notre société. C’est une question politique qui doit et qui va forcément revenir.

Par Erwan Cario, Dessin André Derainne

 

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Neurosciences et éducation : la bataille des cerveaux...

20 Juin 2018 , Rédigé par Edupass Publié dans #Education, #Neurosciences

Neurosciences et éducation : la bataille des cerveaux...

EXTRAIT

Gaussel Marie & Reverdy Catherine (2013). Neurosciences et éducation : la bataille des cerveaux. Dossier d’actualité Veille et Analyses IFÉ, n° 86, septembre. Lyon : ENS de Lyon.

Disponible au format PDF : 86-septembre-2013

Résumé

Les débats houleux entre neurosciences et éducation existent depuis quelques décennies, mais prennent un nouveau tournant depuis les progrès considérables faits en imagerie cérébrale. Ces techniques produisent aujourd’hui de fascinantes images d’un cerveau qui semble s’activer sous l’effet de la pensée. Qu’en est-il réellement ? Quelles sont les avancées dans ce domaine qui intéressent directement l’éducation et les élèves ? Comment peut-on appliquer ces résultats en salle de classe ?

Ce Dossier d’actualité n° 86 de septembre 2013 aborde la manière dont les neurosciences appréhendent l’apprentissage, notamment à travers les recherches qui portent sur le développement cognitif des enfants. Au cœur de domaines très divers comme la biologie, la psychologie, la médecine, l’informatique, la sociologie ou la philosophie, les études sur le cerveau apportent des éléments de réponse aux mécanismes de construction des connaissances par les élèves, des pistes de recherche sur l’origine de certains troubles de l’apprentissage et permettent d’envisager les enjeux liés à la petite enfance sous un nouvel angle.

Nous évoquons également dans ce dossier les répercussions issues de la fascination et du pouvoir « scientifique » qu’exerce la neuro-imagerie sur le public, les enseignants et les décideurs, avec par exemple la volonté de certains neuroscientifiques de transférer les résultats de leurs recherches en salle de classe et de former les enseignants aux méthodes pédagogiques les plus efficaces. Cette « neurophilie » peut également être à l’origine de mauvaises interprétations des résultats de recherche, appelées ici neuromythes.

Vous trouverez dans ce dossier, légèrement différent de sa forme habituelle, des renvois vers des articles de blog (de notre site Éduveille) qui nous ont permis d’approfondir des aspects techniques et d’illustrer nos propos :

(...)

Catherine Reverdy

Le dossier complet et de nombreux autres liens sont à consulter en cliquant ci-dessous

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Non, les enfants ne sont pas que des machines cérébrales...

24 Mars 2018 , Rédigé par christophe Publié dans #Education, #Neurosciences

Non, les enfants ne sont pas que des machines cérébrales...

Si l'on doit tenir compte des avancées produites par les neurosciences, il est tout aussi capital de redonner tout son crédit à la parole et au langage

Le moins que l’on puisse dire est que les gouvernements se succèdent en affichant la volonté politique de donner la priorité au savoir attaché aux neurosciences. Déjà, en février 2006, Gilles de Robien, alors ministre de l’Education nationale, formulait le vœu de développer les sciences expérimentales cognitives. Pas seulement aux fins de trouver les meilleurs outils pour apprendre, mais surtout avec la croyance très particulière de pouvoir enfin résoudre l’énigme de la fabrication de nos pensées. En nommant Stanislas Dehaene, psychologue neurocognitiviste, professeur au Collège de France, à la présidence du Conseil scientifique de l’Education nationale, le ministre Jean-Michel Blanquer institue ouvertement leur influence majeure dans le champ de la pédagogie.

A lire aussi Stanislas Morel : «Les neurosciences illustrent la dépolitisation actuelle de la question scolaire»

Pour les cliniciens des soins prodigués aux enfants et à leurs familles, le poids de cette influence est devenu une évidence. Les familles nous sollicitent de plus en plus pour des difficultés d’apprentissage ou des «troubles du comportement», souvent sur les conseils de l’école. Les parents sont désormais porteurs d’un diagnostic. Actuellement, le plus paradigmatique d’entre eux est celui de TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité). Il se répand à grande vitesse, puisque à la rentrée scolaire de septembre 2017, les rectorats ont adressé aux enseignants une brochure d’information pour qu’ils en repèrent les signes cliniques. Il est présenté comme un trouble neurocérébral scientifiquement établi, entraînant des problèmes majeurs d’apprentissage. Or, cette entité clinique controversée est plus que contestable : elle n’est pas scientifiquement prouvée et fondée uniquement sur des critères comportementaux et cognitifs qui ne prennent pas en compte la dimension de la parole de l’enfant.

A lire aussi Enseigner n’est pas une science

Malgré de fortes résistances chez nombre d’enseignants, les consignes pédagogiques tendent sensiblement à privilégier les méthodes cognitivistes et comportementalistes, comme si l’enfant n’était plus à appréhender que par l’abord organique de son cerveau. Il devient comme isolé du bain relationnel et humain dans lequel il est venu au monde et vit. Les recherches les plus récentes dans le champ de l’épigénétique devraient pourtant apaiser les passions du tout scientifique, confirmant l’intrication incessante entre l’inné et l’acquis, accréditant la «plasticité neuronale» du sujet humain, confirmant son dynamisme psychique au fil de ses apprentissages.

Scientisme

Pourquoi alors une telle prétention hégémonique des neurosciences qui se veut sans partage, réussissant le tour de force de se mettre à dos beaucoup d’enseignants, d’universitaires des sciences de l’éducation, de pédagogues, ainsi que les professionnels de la pédopsychiatrie ? L’heure est au scientisme, à la foi envoûtante et aveugle en l’imagerie cérébrale, en la neuropsychologie, en la neurogénétique, en la neuroéconomie, au détriment d’une approche humaniste qui, par essence, inscrit le sujet humain dans sa dimension relationnelle d’être parlant. L’enfant se retrouve réduit au fonctionnement de son cerveau, à ses apprentissages, à ses conduites, sans se soucier de la transmission et du type de filiation dans lequel il s’inscrit. Jamais les technologies sophistiquées de l’imagerie cérébrale ne pourront restituer les méandres de l’histoire familiale de chaque enfant.

Nous prétendons que les tenants des neurosciences et les acteurs politiques qui soutiennent l’idéologie du tout scientifique participent à l’abandon grave des enfants des humains. Souhaitons-nous que chacun de nos enfants obéissent aux nouvelles formes de conformité sociale établies par les sciences du cerveau? Qu’ils soient façonnés, programmés pour être toujours plus efficients, plus performants, rejoignant en cela les idéaux ultralibéraux? Il est important de mettre en garde contre l’utilisation politique des neurosciences, si on ne veut pas oublier l’usage qu’en ont fait les régimes totalitaires du siècle dernier. Nous devons faire preuve de vigilance pour éviter de rééduquer et de formater les futurs citoyens du monde à venir.

De la transmission des savoirs

Nous en appelons à de véritables politiques de l’enfance qui ne se contentent pas de jauger le sujet humain à l’aune de ses neurones et de ses connexions. Il ne peut y avoir une seule approche scientifique qui ferait vérité. Il n’est pas possible de nier la pluralité des approches des sciences humaines, ni des diverses méthodes de transmission des savoirs. Il est paradoxal d’octroyer des droits juridiques à l’enfant, droits reconnus internationalement, et en même temps de museler sa parole ou de faire comme si elle était sans valeur ni sans savoir.

A lire aussi Les neurosciences ne font pas une politique de l’école

Nous avons à prendre en compte les avancées produites par les neurosciences, mais à condition que leur approche ne devienne pas une référence unique et coercitive. La qualité de l’enseignement, de l’éducation et des soins ne peut se trouver inféodée à la seule dimension neurodéveloppementale. Si bien qu’il est capital de redonner tout son crédit à la parole et au langage, et non plus seulement aux connexions cérébrales et à la communication, supposées expliciter les difficultés d’apprentissages et les embarras, voire les manifestations psychopathologiques de l’existence. Dans cette perspective, il est important de réaffirmer avec force les apports fondamentaux de la psychanalyse. N’a-t-elle pas démontré la valeur universelle de la parole, puisqu’elle spécifie notre condition humaine ? Sans parole, sans discours, l’être humain n’a idée ni de son être, ni de son corps, ni de son cerveau !

Serions-nous tombés sur la tête à ne considérer les enfants que comme des machines cérébrales ? Le danger ne serait-il pas alors de sacrifier le devenir du petit d’homme, d’abandonner la part d’humanité qui le caractérise, au point d’aboutir à notre déshumanisation programmée ?
 
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Conseil Scientifique de l'Education: de quoi s'interroger... Hubert Montagner parle...

9 Mars 2018 , Rédigé par Le Blog de Bernard Collot Publié dans #Education, #Neurosciences

Conseil Scientifique de l'Education: de quoi s'interroger... Hubert Montagner parle...

EXTRAIT

Pour Hubert MONTAGNER, reconnu depuis longtemps dans la communauté scientifique internationale pour ses travaux, la composition du conseil scientifique mis en place par le ministre Blanquer pose vraiment problème. Si nous avons été nombreux praticiens à nous interroger aussi sur cette composition, n’étant pas des « scientifiques » il nous était assez difficile d’émettre des critiques argumentées en dehors des soupçons « d’enfumage ». Nous savons parfaitement que l’utilisation de la « science » dépend en grande partie du choix des travaux et des scientifiques qui ne troublent pas les systèmes en place, en particulier la chaîne tayloriste scolaire inchangée depuis plus d’un siècle. D’autre part la complexité humaine ne se réduit pas à des mécanismes, fussent-ils neurobiologiques. Je l’avais déjà souligné dans plusieurs billets.  

Les remarques d’un scientifique, qui plus est se bat depuis longtemps pour une école publique respectant la diversité de chaque enfant, confirment une certaine... perplexité ou méfiance à l'égard d'un tel conseil scientifique qui orienterait ou même simplement conforterait les décisions déjà plus ou moins prises. Avec son accord je reproduis ci-dessous des extraits du courrier qu’il m’a envoyé ainsi qu’à d’autres personnes.

Il est étonnant, et surtout consternant qu’il y ait eu peu de réactions à l’annonce de la composition du Conseil Scientifique du Ministère de l’Education Nationale. Présidé par Monsieur Stanislas DEHAENE, il  comprend en effet essentiellement (pour ne pas écrire exclusivement) des universitaires ou chercheurs dont le domaine de recherche est la Psychologie Cognitive. De nouveau, il faut souligner que la Psychologie Cognitive ne se confond pas avec les Neurosciences... loin de là. C’est ce que confirmerait l’ensemble des chercheurs « de  FRANCE et de NAVARRE » dont les études s’inscrivent dans le vaste champ des  Neurosciences, sauf peut-être quelques neurologues ou psychologues ancrés dans le « tout cognitif ». C’est en effet une hérésie d’assimiler les Neurosciences à la Psychologie Cognitive, et inversement. Les collègues étrangers que j’ai informés sont interloqués, et s’interrogent sur les raisons et les buts d’une telle confusion.

Fort heureusement, et bien évidemment, les êtres humains ne sont pas « sous la dictature » des « systèmes cognitifs », et les fonctions d’intégration du cerveau ne se résument pas « simplement » à une mobilisation sélective ou exclusive des « mécanismes » et processus cognitifs pour comprendre et apprendre.

En outre, qui peut extrapoler les résultats obtenus en situation contrôlée de laboratoire aux conduites des enfants placés en classe dans une situation d‘apprentissage, même si les études scientifiques ont été réalisées au moyen de méthodes et technologies sophistiquées telles que celles utilisées dans l’imagerie cérébrale, quelle que soit la rigueur des protocoles ? Dans une perspective éventuelle de « transposition scientifique » du laboratoire « au terrain », est-il ou serait-il pertinent, légitime au plan scientifique et conforme à l’éthique de faire porter à des élèves un casque d’électrodes alors que, en classe ou en situation de classe, ils énoncent, répètent, lisent, écrivent, dessinent, « manipulent »... des lettres, des syllabes, des mots, des phrases, des chiffres...

S’agissant des aspects scientifiques, de nombreuses questions se posent. Par exemple,  dans la « capture » et le « défilement » des images cérébrales, quels paramètres, « formes », particularités, algorithmes... sont pertinents pour décoder et interpréter le sens et la signification des activations, non activations ou désactivations de telle ou telle zone ou structure cérébrale ? Non pas seulement « en situation de laboratoire », mais dans les contextes et situations de classe, selon que les enfants apprennent à lire avec « la méthode » dite syllabique, « la méthode » dite globale ou une autre « méthode » ou sans méthode ?

Plus généralement,  il est évident que le « traitement cognitif » des informations par le cerveau (le « décryptage » du sens et de la signification), les perceptions, les comportements, les conduites, les interactions et relations sociales, les analyses, les synthèses, la réflexion, la pensée... ne sont pas « simplement » façonnés, structurés et « portés » par des processus cognitifs, c’est à dire, en termes plus « ordinaires », par la « rationalité cartésienne » et la « déduction logique », ou apparemment logique. Sans être scientifique et sans être spécialiste de la cognition, chacun sait que la signification et la prise de sens d’une stimulation, d’une information, d’un message, d’une question, d’une énigme, d’une modification ou d’une nouveauté dans l’environnement... sont aussi influencées, façonnées, guidées, structurées, inhibées, « portées »... par les émotions, l’affectivité, les expériences individuelles (conscientes ou non), le vécu, les facteurs sociaux et environnementaux, les interprétations, l’imaginaire, les fantasmes. Parmi d’autres, le livre « L’erreur de Descartes » du neurobiologiste américain Antonio DAMASIO (édité depuis peu par Odile JACOB), est une réponse pertinente, argumentée, documentée et scientifiquement fondée aux dogmes, positions ou allégations des idéologues de la Psychologie Cognitive. Sans compter les autres ouvrages internationaux et les multiples publications scientifiques qui ne réduisent pas les Neurosciences aux seuls processus cognitifs.

Au nom de quelle légitimité, la Psychologie cognitive parle t‘elle au nom des Neurosciences ?   Les conséquences de la confusion entre les processus cognitifs et les fonctions d’intégration du cerveau, pourraient être très dommageables. En tout cas, si on voulait organiser la transmission des savoirs et des connaissances à partir de stimulations, situations, formatages, méthodes, procédés, « recettes »...  qui, selon l’imagerie cérébrale, activeraient au maximum, de façon « sélective » ou apparemment de façon optimale, le fonctionnement des zones ou structures cérébrales habituellement considérées comme impliquées dans le traitement, l’intégration et la mémorisation des informations, au cours ou à l’issue de tel ou tel  conditionnement, acquisition ou apprentissage. En particulier, dans les apprentissages scolaires.

(...)

Hubert Montagner

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Neuroscientisme et pédagogie, un couple dangereux...

5 Février 2018 , Rédigé par Les 39 Publié dans #Education, #Neurosciences

Neuroscientisme et pédagogie, un couple dangereux...

Le Collectif des 39 souhaite réagir à la création à l’Education nationale du nouveau Conseil scientifique par le Ministre J.M. Blanquer, avec à sa tête le Professeur Stanislas Dehaene, spécialiste de psychologie cognitive, et médiatique promoteur des neurosciences.

Ce Conseil scientifique est d’une seule couleur théorique, uniforme et donc réductrice. Blanquer et Dehaene veulent imposer dans l’enseignement une nouvelle pédagogie « fondée sur les preuves » statistiques, à l’image de ce qui se pratique en médecine (Evidence Based Medecine), et que depuis de nombreuses années nos gouvernements successifs tentent d’imposer à la psychiatrie… Pourtant, les résultats de la science statistique peuvent-ils vraiment être directement appliqués, sans recul, ni possibilité de remise en question ? On sait que le moteur de toute(s) science(s) est la capacité de (re)mise en question, de doute fondamental et méthodologique, et que les « bons » résultats d’aujourd’hui constituent parfois les erreurs du lendemain…

 La diversité  – qui fonde la richesse – de nos expériences nous permet d’alerter sur ce défaut de pluralisme. Pluralisme qui devrait toujours présider à la conception d’une instance éducative, qu’elle soit, ou non, issue des recherches dites « scientifiques ». L’appauvrissement des points de vues augmente nécessairement les risques – que nous avons déjà vu se réaliser en psychiatrie par l’intermédiaire de la Haute Autorité de Santé – tels le lobbying et les conflits d’intérêts, en lien avec la commercialisation des dites « bonnes méthodes »…

Nous avons déjà dénoncé* combien cette « HAS » est un outil dévastateur du soin en psychiatrie et combien les liens de subordination entre administration et pratique clinique sont toxiques tant pour les soignés que pour les soignants ! Quant à la connivence entre science et politique, l’histoire nous a appris qu’elle est fondamentalement dangereuse, et que sa légitimité doit être sans cesse questionnée.

Enfin, ce rétrécissement conceptuel favorise l’expansion des diagnostics de « handicap » et la stigmatisation de toutes les formes de développement ou d’apprentissage des « vrais enfants » qui échappent aux normes des « enfants statistiques » utilisées par l’ « evidence based education » (EBE) ou « evidence based medecine » (EBM).

 Comme cela est souvent le cas, c’est en se parant de « neutralité scientifique » ou d’« apolitisme théorique» qu’un mouvement, ici les neurosciences cognitives, déploie un projet précisément politique. Celles-ci se sont implantées dans les instances du pouvoir, et ont réussi à le prendre, en excluant, et/ou en laissant apparaître comme « mineure », toute autre approche que la leur, aussi bien en ce qui concerne la pertinence « théorique » que « pratique ».

 Traiter de la rapidité du déchiffrage dans la lecture pour conclure que les sciences cognitives indiquent la bonne méthode sans prendre en compte les éléments du contexte socio-culturel des enfants et les expertises pédagogiques des enseignants, c’est nier non seulement toute dimension plurielle, mais c’est aussi nier la complexité de cet apprentissage, c’est nier la réalité de la vie.

 Dire que l’importance de « l’imaginaire » dans le développement de l’enfant n’est pas avérée simplement parce qu’il n’est pas un champ exploré par les sciences cognitives (manque de données statistiques), c’est évacuer d’emblée une des dimensions essentielle de l’être humain : la rêverie, la création, l’inconscient…

 Voulons-nous d’une école ECOLE-IRM, où les différences culturelles et sociales, tout comme le psychisme et l’inconscient, ou l’imaginaire et la singularité, s’effacent et disparaissent derrière l’hypothétique robot d’un cerveau machine ?

La déshumanisation statistique préparerait-elle les patients de demain ?

*Meetings des 39 du 1er novembre 2014, et du 16 octobre 2016

Communiqué du SNUipp:                                                                                   https://www.snuipp.fr/actualites/posts/conseil-scientifique-imposer-des-pratiques

Appel du SNUipp ici :

 

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Neurosciences - Une tentation autoritaire dans la prescription du travail enseignant?...

5 Février 2018 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education, #Neurosciences

Neurosciences - Une tentation autoritaire dans la prescription du travail enseignant?...

EXTRAIT

Enseigner n’est pas une science

Ce ne sont pas les neurosciences elles-mêmes qui posent problème, mais la tentation autoritaire dans la prescription du travail enseignant.

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Enseigner n’est pas une science. C’est une pratique sociale, l’exercice d’un métier fondé sur une relation humaine entre des élèves et des professeurs qui transmettent des connaissances et des valeurs.Cette pratique est en constante évolution sous de multiples influences : les programmes, les manuels, les caractéristiques des publics d’élèves, les contextes d’exercice, la formation… Pour l’influencer positivement, autrement dit pour améliorer l’enseignement, il faut tenir compte de toutes ces dimensions. C’est probablement ce que le Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN) aura du mal à faire en raison de sa composition.

L’enseignement a une histoire et s’inscrit dans un contexte. L’exercice du métier de professeur repose sur des savoirs, des savoir-faire et des outils mais aussi sur des systèmes de valeurs, des croyances, des us et coutumes qu’on ne peut ignorer si on veut le transformer. Autant prévenir le cabinet du ministre : il est inutile de tenter d’imposer une technique qui aurait fait ses preuves dans un contexte expérimental, cela ne marche pas. Les études internationales sont unanimes : il n’y a pas d’amélioration sans implication des acteurs, sans construction avec eux des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. Pour cela, les professeurs ont besoin de maîtriser les contenus disciplinaires, mais ils doivent aussi connaître les processus d’apprentissage et les stratégies d’enseignement efficaces. La recherche apporte des éclairages nouveaux sur ces deux activités, et ce serait une erreur de survaloriser la première, apprendre, au détriment de la seconde, enseigner.

La formation professionnelle constitue un levier pour améliorer la qualité de l’enseignement. Elle apporte des connaissances actualisées, des techniques pour agir et de nouveaux instruments intellectuels pour comprendre les réalités linguistiques, cognitives et sociales auxquelles les enseignants sont confrontés. Pour notre part, à l’Espé (Ecole supérieure du professorat et de l’éducation), nous transmettons les connaissances produites dans trois sphères scientifiques : 1) les neurosciences (qui étudient le niveau cérébral) ; 2) les sciences du comportement (la psychologie cognitive, la psychologie sociale et du développement ou la sociologie) et 3) les sciences de l’intervention (dont la didactique et les sciences de l’éducation). Parmi tous les savoirs aujourd’hui disponibles, nous retenons ceux que les maîtres n’ont pas le droit d’ignorer en examinant la compatibilité des trois ensembles de résultats et leurs domaines de validité car ils sont parfois abusivement généralisés ou trop hâtivement transposés en prescriptions. Nous nous efforçons aussi à développer l’esprit critique des étudiants et, avec l’aide des neuroscientifiques, à réfuter les neuromythes. On accole trop souvent le préfixe «neuro» à de vieilles lunes pour les rendre plus modernes ou plus crédibles. Gare aux fake news pédagogiques !

Nous apprenons aux enseignants à ne pas confondre neurosciences et sciences du comportement même si le dialogue entre ces deux disciplines est intense au sein des sciences cognitives : mieux on comprend le niveau comportemental, plus il est facile d’investiguer ses bases neuronales (et réciproquement). Les professeurs découvrent que, pour l’essentiel, les neurosciences valident les modèles élaborés par la psychologie cognitive au cours des trente dernières années dans des domaines transversaux, comme la mémoire, le raisonnement ou la métacognition, et dans des domaines spécifiques, comme la lecture ou le calcul. Nombre de ces connaissances ont déjà été intégrées aux démarches pédagogiques, d’autres sont en passe de l’être grâce au regain d’intérêt pour les sciences cognitives. Nous nous en réjouissons. Il est probable que, dans le futur, les neurosciences ouvriront des voies nouvelles, mais nous devons admettre qu’à l’heure actuelle, elles n’ont pas apporté aux enseignants grand-chose de plus que ce que les autres sciences cognitives avaient déjà mis au jour. Les «quatre piliers de l’apprentissage», définis par Stanislas Dehaene, confortent plus qu’ils ne bouleversent les conceptions des enseignants. Ceux-ci savaient déjà que les élèves apprennent mieux s’ils sont engagés dans les tâches scolaires, s’ils savent réguler leur attention, s’ils bénéficient de feedbacks positifs et s’ils peuvent consolider leurs acquis à travers des tâches de mémorisation bien conçues. Bref, l’imagerie neuronale permet de valider et d’expliquer les fondements scientifiques de leurs savoirs d’expérience. Si l’action pédagogique n’est pas une application de la psychologie expérimentale, elle ne doit pas en ignorer les principaux résultats, a fortiori les contredire lorsqu’ils sont solidement établis.

Ce ne sont donc pas les neurosciences et encore moins les sciences cognitives qui nous inquiètent. Ce sont les modalités de gouvernance du système scolaire qu’elles pourraient servir à cautionner. Une tentation hégémonique et une tentation autoritaire affleurent. Le ministère semble valoriser un seul type de recherches, celles qui testent la supériorité d’une méthode pédagogique par rapport à une autre en comparant un groupe expérimental à un groupe témoin. Ce paradigme expérimental pourrait drainer tous les financements publics et devenir, pour la recherche en éducation, une norme scientifique au détriment des approches qualitatives de type clinique ou monographique et au détriment des approches quantitatives écologiques, celles qui évaluent l’effet des pratiques pédagogiques sans les manipuler expérimentalement. Dans un domaine où les opinions jouent un grand rôle et où les acteurs de la recherche se muent souvent en prescripteurs, la quête de données probantes est indispensable mais l’expérimentation n’est pas la seule voie possible : on peut aussi étudier la diversité des pratiques d’enseignement et apprendre de la variété ainsi décrite.

La tentation autoritaire pointe son nez dans la prescription du travail enseignant, par exemple pour l’apprentissage initial de la lecture. Sous couvert de neurosciences, le ministère envisage d’imposer un manuel basé sur une approche exclusivement syllabique. Or, les neurosciences n’ont pas établi la supériorité de ces méthodes, elles n’ont même jamais essayé de le faire. Les deux seules études scientifiques publiées en France à ce sujet ne l’ont pas démontrée non plus. Le consensus scientifique porte sur la nécessité d’un enseignement explicite des correspondances entre lettres et sons (b.a.-ba) dispensé dès le début du cours préparatoire. Mais cet enseignement, présent dans presque toutes les classes françaises, n’est pas l’apanage des manuels que le ministère recommande. Espérons que le CSEN saura contenir les velléités ministérielles et qu’il aura à ce sujet la même prudence que son président, dans son livre Apprendre à lire : «La connaissance du cerveau ne permet pas de prescrire une unique méthode de lecture. Au contraire, la science de la lecture est compatible avec une grande liberté pédagogique, des styles très variés d’enseignement et de nombreux exercices qui laissent le champ libre à l’imagination de l’enseignant et des enfants.»

Roland GOIGOUX

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Grand flou autour du Conseil scientifique de l’Education...

1 Février 2018 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education, #Neurosciences

Grand flou autour du Conseil scientifique de l’Education...

Alors que les neurosciences en sont à leurs balbutiements, le CSEN, présidé par un neuroscientifique, inquiète la communauté éducative.

Plus que les neurosciences en tant que telles, c’est bien l’utilisation politique qui pourrait en être faite qui suscite des inquiétudes, alors que se tient ce jeudi le premier raout du Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN), créé fin novembre par le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer.

En quoi consistent les neurosciences ?

C’est un pan de recherche pas bien épais pour l’instant, mais dont on parle beaucoup en ce moment. Les neurosciences sont une petite partie d’un domaine plus large, les sciences cognitives, qui tentent de comprendre comment fonctionne notre cerveau. La matière a été révolutionnée par l’arrivée de l’imagerie cérébrale : les imageries par résonance magnétique (IRM) permettent de voir en temps réel et avec précision ce qu’il se passe à l’intérieur du cerveau, et notamment quelle zone s’active et à quel moment.

Jusque-là, c’était un mystère. Les électroencéphalogrammes donnaient bien des pistes, mais le procédé était fastidieux et les images pas nettes. Réservée au départ à la médecine, l’étude du cerveau par IRM (un examen pas anodin) gagne tous les champs de la société. On parle désormais de neurosciences un peu partout, comme en économie pour disséquer l’attitude des consommateurs. Et évidemment dans le secteur de l’éducation.

Qu’apportent-elles en matière d’éducation ?

Pour l’instant «pas grand-chose», répond le professeur de psychologie cognitive à l’université Blaise-Pascal (Auvergne) Michel Fayol, également membre du CSEN. Aujourd’hui, rappelle-t-il, l’essentiel de ce que l’on sait sur les apprentissages, en lecture ou calcul par exemple, on le doit aux études empiriques menées au siècle dernier. Tout simplement parce que les neurosciences sont un champ de recherche qui débute. «On en parle beaucoup dans les médias car les neurosciences donnent le sentiment de rebattre les cartes», juge Fayol. Qui n’a pas rêvé un jour d’être une petite souris capable de regarder dans la tête d’un enfant pour comprendre quels mécanismes s’enclenchent pour apprendre. Les neurosciences nourrissent cet espoir. Le succès du livre les Lois naturelles de l’enfant, de Céline Alvarez (linguiste de formation), qui dit s’être appuyée sur les neurosciences, en atteste - même si sa méthodologie est contestée.

Dans le contexte actuel, où les enquêtes internationales pointent les difficultés du système scolaire français, ce nouveau pan de recherche trouve un écho. «Comme si on allait découvrir la méthode magique pour enseigner, qui marche à tous les coups…» soupire la secrétaire générale du Snuipp, le principal syndicat du primaire, Francette Popineau. C’est ce discours enchanté accompagnant les neurosciences qui l’inquiète. «Le croire, ce serait nier que l’activité cérébrale est parasitée par l’environnement social dans lequel vit l’enfant.» Fin novembre, le Snuipp a lancé un appel signé par soixante chercheurs en sciences humaines appelant à la vigilance sur les intentions de Jean-Michel Blanquer et son Conseil scientifique.

A quoi sert le Conseil scientifique ?

C’est encore flou. Selon les mots du ministre, le CSEN vise à «apporter des éclairages pertinents en matière d’éducation». Par «pertinents», il faut comprendre «validés par des recherches effectuées dans un cadre expérimental», une obsession de longue date de Blanquer, fan assumé des neurosciences. La composition du CSEN inquiète la communauté éducative. En particulier son président, Stanislas Dehaene, titulaire de la chaire psychologie cognitive au Collège de France, souvent présenté comme une référence en matière de neurosciences.

Si le CSEN est censé n’avoir qu’un rôle consultatif pour orienter les décisions du ministre, le Snuipp redoute «que ce Conseil [ne] serve juste à asséner aux professeurs une méthode d’apprentissage plutôt qu’une autre».

Erwan Cario , Marie Piquemal

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