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A lire... "Au cœur du Z" - Par Vincent Bresson, infiltré dans la campagne d'E Zemmour
« Au cœur du Z », le décryptage d’une stratégie numérique
Vincent Bresson, un journaliste indépendant de 27 ans, « jeune, blanc, et diplômé », dont le prénom a le bonheur de figurer dans le calendrier, constate en septembre 2021 la percée d’Eric Zemmour dans les sondages. Lui qui n’a jamais voté estime que « quelque chose se passe » et décide d’y aller voir. Il postule, sous un faux nom, à Génération Z, et est introduit trois semaines plus tard dans le mouvement.
Le jeune homme colle des affiches, côtoie d’autres militants, cherche à comprendre leurs motivations. Il sursaute lorsque certains cadres parlent devant lui de « Nègres » et observe – le plus souvent d’assez loin – les hauts responsables de l’équipe de campagne. Lorsqu’on lui confie, pour la nuit, la surveillance du quartier général du mouvement, à Paris, il n’en profite pas pour fouiller le bureau d’Eric Zemmour. « Je ne suis pas un espion », écrit Vincent Bresson, qui lit l’historien maurassien Jacques Bainville (1879-1936) pour se mettre à jour.
L’apport majeur de cette plongée chez les partisans du candidat d’extrême droite tient surtout dans le décryptage de leur stratégie numérique et son intégration à « la cellule WikiZédia », qui entend « zemmouriser » les pages Wikipédia.
« Au cœur du Z », de Vincent Bresson (Editions Goutte d’or, 302 pages, 18 euros)
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EXTRAITS
Je viens de rejoindre un nouveau groupe de travail nommé « WikiZédia ». J’avais repéré cette initiative début octobre [2021], sur le canal Telegram « Groupe de discussion », ouvert à 1 400 personnes. Un membre proposait de « Contribuer à Zemmour & Wikipédia : ajouter du contenu qui concerne Zemmour, compléter et rectifier si nécessaire. = > contacter @Choucroutegourmande ».
Je contacte @Choucroutegourmande, le 10 novembre, lui signifie mon envie de contribuer, et me voilà intégré à WikiZédia. Une fois de plus, personne ne vérifie mon identité. Et là, c’est vertigineux : j’ai désormais accès à des stratégies et à des tactiques officieuses, non assumées publiquement.
Cette petite cellule de militants pro-Zemmour ne se réunit jamais physiquement. Les « wikizédiens » se coordonnent uniquement par Internet et échangent à travers différentes messageries. Ils sont huit à converser sur Discord et onze à échanger sur Telegram, principalement les mêmes personnes. (…)
Dans la conversation Telegram, un certain Gabriel se présente comme chargé de la page Wikipédia du Z. Il distille ce conseil : « Pour gagner en crédibilité et imposer ses choix éditoriaux, il ne faut pas paraître orienté. » Ce Gabriel précise en quelque sorte la ligne éditoriale à respecter, une sorte de travail d’équilibriste où, pour pouvoir orienter le contenu, il faut disposer de sources crédibles, ne pas s’appesantir sur un point de détail (donc respecter une règle de proportionnalité) et éviter de se faire révoquer par d’autres contributeurs de l’encyclopédie en ligne, qualifiés par Gabriel de « gauchistes qui polluent la page ».
(...)
A quoi peut bien servir ce travail de fourmi ? Gabriel donne la réponse : « Ne lâchez pas la page du Z, qui est encore vue 50 000 fois par jour (émoticône biceps gonflé). » 50 000 vues par jour. D’après les chiffres fournis par la Wikimedia Foundation, la page « Eric Zemmour » est la plus consultée de France sur l’année 2021. Et de loin : 5,2 millions de pages vues. En seconde position, il y a « Elizabeth II » (4,5 millions), puis « Cristiano Ronaldo » (3,9 millions). Plus la campagne s’intensifiera, plus ce chiffre risque d’être élevé. Voici donc l’enjeu central de cette opération : le contrôle de la « vérité » en ligne. (…)
Cette guerre numérique est patronnée par un certain « Samuel ». Dans les conversations, les membres du projet WikiZédia disent prendre leurs directives auprès de lui. S’il n’y a pas de « Samuel » sur Discord, il y en a bien un, surnommé « Grand Chef », sur la conversation Telegram, et il est loin d’être un inconnu. Son nom apparaît un peu plus loin en entier : Samuel Lafont. A 33 ans, il est le patron de la stratégie numérique de la campagne d’Eric Zemmour.
Dans une conférence à usage interne de Génération Z, à laquelle j’ai pu avoir accès, Samuel Lafont retrace lui-même une partie de son parcours militant, notamment à l’UNI, le syndicat universitaire de droite, qu’il décrit comme son « école de formation ». Il explique y avoir gravi tous les échelons. Il a d’abord créé une section de l’UNI ex nihilo à Nîmes, a continué son activisme à Montpellier et a fini par être élu au conseil national des étudiants de ce syndicat, à Paris. (…)
Le 3 décembre 2021, à 00 h 05, Gabriel- « Cheep » intervient sur la page Wikipédia consacrée à Eric Zemmour. Il ajoute des portraits photo du maréchal Pétain et de Pierre Laval, chef du gouvernement sous le régime de Vichy. Sous les photos, « Cheep » rédige la légende suivante : « Philippe Pétain et Pierre Laval, dont la responsabilité dans la Shoah en France est sujette à débat. » Une affirmation totalement fausse.
(…) Un autre utilisateur de Wikipédia (dont le pseudo est « Lefringant ») annule une première fois la modification mensongère de Gabriel- « Cheep », une minute seulement après sa publication. A 00 h 10, « Cheep » revient à la charge en indiquant « Images appropriées ». « Lefringant » annule de nouveau la modification en commentant : « L’image peut-être, la légende absolument pas ». « Cheep » passe en force en disant : « Il suffit de lire l’article sur Laval. » « Lefringant » annule de nouveau. Une administratrice de Wikipédia (dont le pseudo est « Bédévore ») intervient pour stopper la « guerre d’édition ». Elle immobilise cette page pendant vingt-quatre heures, sans la légende de « Cheep ».
Le lendemain, plusieurs contributeurs expérimentés reprochent à Gabriel- « Cheep » ses modifications contraires à la neutralité de point de vue, l’un des principes fondateurs de Wikipédia. Un administrateur propose un blocage d’une semaine pour « Cheep ». Pour se défendre, « Cheep » demande à ce que l’on suppose sa bonne foi, autre règle fondamentale sur Wikipédia. Il écrit : « Pas de procès d’intention. Il s’agit de l’article consacré à Zemmour, donc il me semblait relativement évident que la légende concernait son avis sur le sujet. » En tant que contributeur expérimenté, il sait pourtant que sa légende ne présentait nullement un point de vue, mais une affirmation générale. Son ancienneté le sauve, il n’est pas bloqué. Sa modification est néanmoins masquée pour « contenu illégal ».
(…)
Le 17 décembre, Samuel Lafont intervient en direct sur la messagerie Discord de Génération Z. La discussion s’intitule « Conférence sur la mobilisation ». Le directeur de la stratégie numérique d’Eric Zemmour parle durant trois quarts d’heure, puis répond à quelques questions de militants. Cette conférence a été enregistrée par un militant et publiée sur YouTube, mais la vidéo a très vite été basculée en un lien privé. J’ai pu la sauvegarder pendant sa courte existence (environ quarante-huit heures) en accès libre.
(...)
En fin de journée, le fameux « Yann », responsable des actions Facebook, m’envoie un message. « La stratégie que l’équipe de Zemmour veut mettre en place est d’investir le plus de groupes Facebook possible sur tous les thèmes et de publier sur ces groupes, commenter les publications avec du contenu sur Zemmour. Je vais t’envoyer une liste de catégories de groupes, pourrais-tu m’en donner trois ? Et je t’enverrai un ensemble de groupes à intégrer et sur lesquels publier. »
Depuis son profil Telegram, où « Yann » porte chemise blanche et cravate, il m’envoie un document listant les 97 thèmes ciblés : « Laurent Wauquiez », « Bonapartistes », « Natio-Poutine », « Juifs », « Musulmans », « Antivax », « Johnny », « Pêcheurs », « Coluche », « Pékin Express », « Cosmétique » ou encore « Pizza ». J’opte pour un choix éclectique : « Mylène Farmer », « Gauchos » et « Foot ».
Dans la foulée, « Yann » m’envoie des liens de groupes liés à mes thèmes : « La France insoumise », « Contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes », « Avec Philippe Poutou », « Anticapitaliste », « Ecosocialiste », mais aussi « RC Lens », « Si toi aussi tu es supporter du Racing Club de Lens et fier de l’être », « Olympique lyonnais », « Olympique lyonnais Fans », « Olympique lyonnais à vie », ou encore « Mylène Farmer-Le Groupe, Fans de Mylène Farmer », « Mylène Farmer : le mythe français ». Pour les groupes d’extrême gauche, l’idée est sûrement de susciter un maximum de réactions. Côté foot, le choix de cibler Lens est-il lié au fait que ce club populaire évolue dans un bassin où le vote pour le Rassemblement national est fort ? Et pour Lyon, est-ce parce que le club est réputé avoir une frange de ses supporteurs estampillée « extrême droite » ? (…)
« Yann » m’envoie un dernier message, qu’il avait déjà publié sur la discussion « Action Facebook » : « Sur ces groupes, il faut que vous publiiez à fond du contenu sur EZ [Eric Zemmour] et commentiez les publications avec des liens vers le site d’EZ, des vidéos, lien vers l’adhésion. » Il conseille de poster massivement, de faire des copier-coller avec les contenus partagés sur « J’agis pour Zemmour », voire de publier le même post sur vingt groupes. Et si on finit par se faire virer d’un groupe ? « Vous me le dites, et je vous en envoie un [autre]. » (…)
L’obsession de Samuel Lafont : saturer les réseaux sociaux et parfois même l’espace médiatique. Donner l’impression que des vagues spontanées se créent chaque fois. C’est la même idée avec la création de sites Internet annonçant des soutiens émanant de diverses professions (les agriculteurs, les maires, les profs, les avocats, les militaires…) : laisser entendre qu’une lame de fond extrêmement large pousse la candidature d’Eric Zemmour. En réalité, ces mouvements sont coordonnés. La dynamique Zemmour sur Internet est donc, du moins en partie, artificielle et à mettre au crédit de ces stratégies souterraines.
« Au cœur du Z », de Vincent Bresson (Editions Goutte d’or, 302 pages, 18 euros)
A voir... "Media Crash : qui a tué le débat public ?" - Au cinéma le 16 février
Il y a ce que vous voyez, ce que certains souhaitent que vous voyiez, et ce que vous ne voyez pas. Jamais la France n’a connu une telle concentration des médias privés. Quelques industriels milliardaires, propriétaires de télévisions, radios, journaux utilisent leurs médias pour défendre leurs intérêts privés. Au détriment de l'information d’intérêt public.
En cachant ce qui est essentiel, en grossissant ce qui est accessoire, ces médias façonnent, orientent, hystérisent pour certains le débat. Les grands perdants sont les citoyens.
Les journalistes de Mediapart et de Premières Lignes s’associent pour raconter la coulisse des grands médias. Révéler des censures et des auto-censures. Des journalistes témoignent de pressions. Entre influence et agenda politique de moins en moins caché. Avec la complicité de certains responsables politiques, qui s’en accommodent volontiers, quand ils n’exercent pas des pressions eux-mêmes.
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Le documentaire " Media Crash : qui a tué le débat public ? "
Mediapart est le site d'information indépendant lancé en mars 2008 autour d'Edwy Plenel avec une équipe éditoriale de plus de 35 journalistes. Le site Mediapart est ouvert aux contributions de ...
Un professeur cartonne dans un jeu télé, ses élèves privés de cours
Laurent Ducourneau est devenu une star du jeu de Tf1 "Les Douze coups de midi", comptant des milliers d'euros de gains depuis plus d'un mois, mais personne ne l'a remplacé dans son lycée.
C'est l'histoire d'une success story qui n'en est pas vraiment une pour les élèves de d'un lycée de Libourne (Gironde). Comme l'a révélé Sud Ouest, relayé par France Bleu, Laurent, comme il est appelé sur TF1, est devenue une figure des Douze coups de midi, le célèbre jeu présenté par Jean-Luc Reichmann. Le gagnant actuel de l'étoile est encore loin des grandes figures de l'émission, à commencer par Bruno et ses 252 participations, pour plus d'un million d'euros de gains. Pour le moment, avec ses 30 victoires, il est classé à la 37e position, mais totalise déjà de son côté plus de 155.000 euros de gains.
Une réussite donc. Sauf que Laurent Ducourneau est professeur dans la vraie vie, de philosophie précisément. Comme nos confrères le rappellent, si sur le plateau l'animateur Jean-Luc Reichmann est dithyrambique sur son poulain, estimant que "les élèves sont comme des fous à Bordeaux et ailleurs", à Libourne, la musique n'est pas la même. Des parents commencent à s'inquiéter à quelques semaines du baccalauréat.
Retour à la rentrée ?
Car depuis trois semaines, Sud Ouest nous informe que le rectorat n'a pas trouvé de remplaçant à Laurent Ducourneau. Donc les élèves n'ont pas cours de philosophie depuis. Comme il a pris un congé sans solde, le rectorat se retrouve coincé. Néanmoins, pas de craintes, puisque les cours ratés vont pouvoir être rattrapés, assure-t-on du côté de l'académie. Quant à Laurent Ducourneau, il sera de retour après les vacances d'hiver de février. Reste à savoir maintenant à quel stade du jeu il s'arrêtera. Pour rentrer dans le top 10 des plus grands gagnants du jeu de TF1, il lui faudrait rester encore plus d'un mois. Réponse dans les jours à venir.
Xavier Martinage
Un professeur cartonne dans un jeu télé, ses élèves privés de cours - Capital.fr
Quand le CNRS passe Cyril Hanouna au crible - Vidéo - France Inter
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L'élection présidentielle 2022 vue par Cyril Hanouna. 1. La pré-campagne (automne 2021)
Claire SécailChargée de recherche CNRS au Cerlis / Université de Paris / claire.secail@dauphine.psl.eu Menée dans le cadre du groupe de travail Médias-Élections, cette étude porte sur le tra...
Gérard Darmon et Edwy Plenel: tremblements sur un plateau
Face au duo d’animateurs Ruquier et Salamé, le fondateur de Mediapart est sommé de répondre, sous les rires, à la «charge» que vient de lui asséner l’acteur de sa voix cuivrée. Que lui reproche-t-on? Tout simplement d’enquêter.
C’est l’attaque en piqué la plus inattendue de l’histoire récente des polémiques de plateau. Devant les animateurs de France 2 Laurent Ruquier et Léa Salamé, le comédien Gérard Darmon se déclare d’abord «troublé : Edwy Plenel est un homme qui tremble quand il parle». Ciel, que signifie donc ce tremblement ? Plenel aurait-il donc métabolisé en son corps quelque obscure tragédie ? Plus mystérieux encore, et enrobant l’attaque de miel («vous soulevez des problèmes qui existent, qui sont là, qui sont réels»), Darmon reproche au fondateur de Mediapart «de lancer des infos, d’appeler, de passer des coups de fil en loucedé». Eurêka : c’est une incontrôlable passion investigatrice, qui fait trembler le corps de Plenel.
Tout d’abord, effet de surprise, on écoute Darmon. Quelque chose chez Gérard Darmon respire la sagesse. L’âge, cette belle voix cuivrée. Le téléspectateur n’a rien contre Gérard Darmon. On peinerait à identifier un seul de ses films dans l’immédiat, mais Darmon fait partie des meubles du cinéma français. C’est donc le cinéma profond qui par sa bouche exprime de profondes réflexions, comme il y a une France profonde, un Etat profond.
Mais avec l’accusation de «passer des coups de fil», on dégringole de catégorie. On est dans autre chose. Ça sent le témoignage vécu. Celui qui parle a été témoin direct des fameux «coups de fil», et de leurs ravages. On a souvent reproché à Mediapart d’enquêter à charge, unilatéralement, à sens unique, de feuilletonner ses enquêtes, de mettre en exergue des aspects secondaires, Ibiza, les homards, mais c’est la première fois, sur un plateau, qu’il lui est reproché… d’enquêter tout court.
Le pote du garde des Sceaux
On s’est beaucoup interrogé sur les motivations de Gérard Darmon, inconnu jusqu’alors sur le front de la polémique télévisée, visage mille fois vu dans des films français, dans des rôles de vieux truand ou de vieux flic, rôles à voix sentencieuse, qu’il incarne à merveille. Et ce soir encore. On s’est demandé quelle mouche avait piqué Gérard Darmon, jusqu’à ce qu’on le découvre, dans les archives des réseaux sociaux, pote du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti. Voilà. Il vengeait donc son copain, lui-même cible récurrente de Mediapart pour sa situation de conflit d’intérêts de ministre, ancien avocat et, tout récemment, à propos de l’acquisition d’une Maserati avec des fonds provenant des Seychelles.
Deux jours durant, Darmon est donc la star malgré lui des réseaux. Mais ce soir-là, il n’est pas seul sur le plateau face à Plenel. Y siègent aussi l’écrivain Frédéric Beigbeder et le duo Ruquier et Salamé. Beigbeder se range du côté de Darmon. Non seulement Plenel tremble, mais la gauche est triste. «Pourquoi est-ce que la gauche moralisatrice emmerde les gens ? Pourquoi elle ne fait plus rêver, la gauche ?» Plenel évoque-t-il une comparaison de Serge Klarsfeld entre Zemmour et Hitler ? Beigbeder, goguenard : «On vient d’assister à un point Godwin en direct. Hitler est arrivé dans le débat.»
Restent les deux animateurs, impartiaux en apparence. D’ailleurs ils ont invité Plenel, et prennent bien soin de lui demander de répondre à la «charge lourde» de Darmon. Voilà bien la preuve qu’ils lui donnent la parole, que les portes du service public ne lui sont pas fermées. Mais on est dans une émission de divertissement. Il ne faudrait pas que le débat devienne trop plombant. «Edwy Plenel, neuvième candidat de la gauche !» lance Salamé, enjouée. Ruquier : «A chaque invitation, quand vous prononcerez Mediapart, on mettra dix euros qu’on offrira à de bonnes œuvres.» Et c’est vrai qu’il est facilement ridiculisable, Plenel, avec son réflexe de prophète en promo permanente, de citer Mediapart toutes les trois phrases, depuis quatorze ans que ça dure.
Mais voilà. Si prompts à moquer Plenel sur des pointes d’épingles, ils ne reprennent jamais Darmon. Ils ne lui disent pas : «Mais enfin, reprochez-vous donc à Mediapart d’enquêter ? C’est bien ça ?». Ontologiquement, le comédien sur un plateau est incontestable. Ils rient à sens unique, comme le désormais immortel duo de présentateurs de Don’t Look Up rit de la jeune doctorante en astrophysique, qui alerte sur la comète. Quoiqu’il arrive, quel que soit le sujet, le rire a le dernier mot, et ce soir il a choisi son camp.
Daniel Schneidermann
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Gérard Darmon et Edwy Plenel: tremblements sur un plateau
Face au duo d'animateurs Ruquier et Salamé, le fondateur de Mediapart est sommé de répondre, sous les rires, à la "charge" que vient de lui asséner l'acteur de sa voix cuivrée. Que lui ...
L'instit des «grandes gueules» - Souvenirs d'un prof dans les médias - Texte intégral
EXTRAIT
Invité pendant 12 ans à des débats radio/TV, je livre une analyse des mécanismes de fabrication du buzz et pointe la dérive de ces médias. Une conviction : la zemmourisation médiatique encourage la trumpisation politique. Il ne s'agit pas de «cracher dans la soupe», mais de comprendre pourquoi elle a désormais si mauvais goût. Ce récit a fait l'objet de l’émission Arrêt sur images du 26/03/2021.
On peut retrouver ci-dessous le lien vers l'émission du 26/03/2021 d'ARRÊT SUR IMAGES de Daniel SCHNEIDERMANN entièrement consacrée à cette série d'articles. Cette interview d'une heure a immédiatement suscité de très nombreuses réactions sur Twitter, notamment des deux journalistes/présentateurs/animateurs, mais aussi de leurs nombreux followers, preuve qu'on peut parler d'une émission sans même avoir pris le temps de la regarder. Mais il n'est pas trop tard ! Surtout si l'on veut sortir des caricatures.
Emission d'ARRÊT SUR IMAGES => Grandes Gueules : "On achète notre liberté de parole pour créer le clash".
PARTIE 1
Invité douze années à une émission de radio pionnière dans les débats médiatiques, j’analyse ici cette expérience inédite, d’autant plus importante qu’elle annonçait l’avènement du « buzz » et de la zemmourisation des grands médias privés. Occasion aussi de réfléchir aux moyens d’en finir avec cette lente dégradation qualitative et démocratique de notre système d’information.
Avant d’entrer dans les détails de mon expérience, je veux exposer ici ce qui motive mon écriture. L'univers médiatique est relativement hermétique, peu accessible si on n'y travaille pas. Certes, il arrive que les uns et les autres y fassent quelques incursions le temps d'un reportage, d'une interview, d'une invitation. Mais il est rare qu'une personne totalement étrangère à ce domaine y vienne si souvent, aussi longtemps, qui plus est dans un groupe TV/radio/presse en pleine expansion.
Mon précédent billet, dans l'urgence d'une réponse à la nouvelle offense qui était faite à mon métier, ne faisait que dévoiler ce que j'avais pu découvrir. Je souhaite ici prendre le temps d'une plus longue description et d'une analyse plus profonde. On ne peut imaginer uniquement des médias publics, même si - à titre personnel - j’en fais grande consommation. A moins de vouloir tout nationaliser, il faut d'urgence réfléchir à ce que peuvent être les modèles - notamment économiques - de médias privés, indépendants à la fois des grandes fortunes qui font main basse sur le secteur, et des logiques financières qui poussent leurs acteurs à rechercher le clash afin d’assurer leur rentabilité au travers d’audiences ainsi dopées. Mais d’abord, pour cette première partie, j’explique d’où je pars et donc d’où je parle.
On parle de quoi ?
Pendant douze ans, j’ai participé plus de 300 fois aux « Grandes Gueules » (ou « GG »), une émission quotidienne de deux à trois heures de débats, novatrice à son lancement (août 2004), diffusée initialement sur la radio RMC puis en simultané à la télévision sur RMC STORY (ex NUMÉRO 23, « chaîne de la diversité ») depuis septembre 2016. Elle est animée, conjointement ou alternativement, par les journalistes Alain MARSCHALL et Olivier TRUCHOT qui officient également sur BFM/TV, chaîne de télévision appartenant au même groupe média NEXTRADIO TV.
Cette émission, qui boucle sa 17e saison, est essentielle dans la stratégie du groupe puisqu'elle est mise à l’antenne, en direct ou en rediffusion, près de 30 heures par semaine (1). Chaque jour, s’y retrouvent trois intervenants parmi les 15 recrutés. Chacun est avant tout présenté selon sa profession : l'avocat (il y en a trois), le fromager (qui est plutôt devenu chef d’entreprise), la prof d'histoire-géo (qui ne l’est plus), l’instit (qui l’était vraiment), l'éducateur (qui est encore bien plus que cela), l'étudiant (qui publie déjà un livre), l’agriculteur (ancien responsable syndical), la fonctionnaire (qui fut porte-parole de Manuel VALLS), l’éditrice (qui est la compagne d’un important homme politique) l’ancienne SDF (qui heureusement ne l’est plus), le directeur marketing (qui fut aussi mannequin)...
Chacun exprime librement son opinion mais sur les sujets retenus préalablement par l’équipe de l’émission. Les thèmes abordés sont présentés sous la forme d'une question assez binaire du type "pour ou contre". Ce concept est ainsi présenté : « Chez nous, c’est comme dans un repas de famille, on se retrouve pour discuter de l’actualité, on s’engueule, parfois des propos dépassent notre pensée. Ce n’est pas grave, on s’excuse et la conversation continue » (Olivier TRUCHOT, lefigaro.fr, 25/09/2018). Bref, des débats à la bonne franquette pour les uns, bien franchouillards pour d’autres, encadrés par deux journalistes expérimentés mais dont le rôle ici sort largement du cadre habituel d'une mission d’information pour glisser vers un show d'opinions (c’est même un slogan de la station, « RMC, votre radio d’opinions »).
(...)
Suite et fin en cliquant ci-dessous
Sylvain GRANDSERRE
Maître d’école en Normandie
Ex-chroniqueur radio/tv
Auteur de « Un instit ne devrait pas avoir à dire ça ! » (coédition ESF / La Classe)
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L'instit des "grandes gueules" - Souvenirs d'un prof dans les média...
Invité pendant 12 ans à des débats radio/TV, je livre une analyse des mécanismes de fabrication du buzz et pointe la dérive de ces médias. Une conviction : la zemmourisation médiatique encou...
Revue de Presse Education... Oh Micro(n)
Une revue hebdomadaire forcément marquée par le rebond du Covid (on révise l’alphabet grec bien malgré nous). Mais cette revue est surtout marquée du sceau d’un grand malaise dans la profession, d’un peu de pédagogie et de pas mal de réflexions sur l’orientation et le supérieur.
Oh Micro(n)
Le nouveau variant faisant flamber la 5è vague, on a encore beaucoup entendu le ministre cette semaine
Libération s’interroge : « Nouveau protocole Covid à l’école primaire : ça passe ou ça classe ?«
“Le ministre de l’Education nationale a annoncé ce jeudi la généralisation d’un dispositif expérimenté jusqu’alors dans dix départements : il n’y aura plus de fermeture de classe mais un dépistage de tous les élèves si un cas est détecté. Des dispositions aux contours encore flous.”
La Dépêche détaille les mesures du nouveau protocole présenté sur France Inter : « autotests obligatoires en 6e, tests en maternelle… les nouvelles annonces de Jean-Michel Blanquer » et notamment celle qui interroge le plus : l’obligation de donner le statut négatif des élèves dès qu’un cas positif se trouve dans leur classe. Comment, alors que le Conseil constitutionnel a rappelé l’obligation du secret médical imposer la divulgation des résultats ?
On va dire que j’ai des chouchous, mais je suis encore une fois totalement d’accord avec l’analyse de Lucien Marboeuf dans son blog que je vous invite à lire si ce n’est déjà fait ! « 5ème vague : l’école dans le sens inverse des aiguilles » !
Pour aller à la source, voici le lien vers la FàQ du Ministère, mise à jour le vendredi 26 novembre.
Corollaire de la flambée des cas et des fermetures de classes (bon, ça c’est terminé, trop de classes fermées = on ne ferme plus… intéressante équation !), le retour du spectre du distanciel.
Libération en parlait dès le 24 novembre : « Covid-19 : à l’école, l’enseignement à distance repose une colle ».
« Le ministre de l’Education a signalé, mardi devant l’Assemblée nationale, une nouvelle augmentation sensible : 6 000 classes, «de l’école primaire en particulier», gardent actuellement porte close, nouveau chiffre le plus élevé depuis la rentrée et près de cinq fois supérieur au recensement paru avant les vacances de la Toussaint. «Je rappelle que l’année dernière, au pic de l’épidémie, quand nous réussissions à maintenir l’école ouverte, nous étions quand même à 12 000 classes fermées», a voulu rassurer Jean-Michel Blanquer. «Il compare des chiffres qui ne sont pas comparables», recadre Guislaine David, du SnuiPP-FSU, syndicat majoritaire dans le premier degré. Car si une classe de maternelle ou d’élémentaire est censée fermer, durant une semaine, dès la détection d’un cas de Covid, ce n’est plus le cas dans le second degré, ou à la marge, en sixième, car les enfants sont trop jeunes pour être vaccinés.
«Les chiffres nous affolent parce que c’est beaucoup plus important que l’année dernière, poursuit la syndicaliste. On risque de se retrouver comme en février-mars.» Un professeur des écoles de l’académie de Versailles, qui voit les classes fermer à grande vitesse autour de lui, résume l’état d’esprit général : «On avait un peu oublié tout ça, et ça revient comme un boomerang.» La preuve dans cette école de l’académie de Toulouse, où aucun enfant n’a contracté le Covid en un an et demi et où c’est la cata depuis cinq jours : une cinquième fermeture de classe, sur les huit que compte l’établissement, devait être décidée mercredi soir.«
Julien Cueille sur son blog évoque lui aussi le distanciel, en avons-nous fait le bilan ? « Le spectre du distanciel hante l’Europe… Mais en a-t-on dressé le bilan? Les voix des « experts » (en technologies numériques, plutôt qu’en pédagogie) continuent de se faire bruyamment entendre, peut-être pour couvrir la parole des enseignant-e-s… et des élèves. » J’avoue trouver qu’une enquête sur 60 enseignants (est-ce un panel représentatif ?) sur 800 000 n’a pas forcément une grande valeur, mais je retiens que la pédagogie et non la technologie doit être à la base des usages du numérique pour les enseignants, cela paraît logique, comme pour toute forme d’enseignement.
(...)
Emilie Kochert
Suite et fin en cliquant ci-dessous
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Revue de presse du dimanche 28 novembre 2021 - Les Cahiers pédagogiques
Une revue hebdomadaire forcément marquée par le rebond du Covid (on révise l'alphabet grec bien malgré nous). Mais cette revue est surtout marquée du sceau d'un grand malaise dans la professio...
https://www.cahiers-pedagogiques.com/revue-de-presse-du-dimanche-28-novembre-2021/
"A la télévision, on entend surtout ceux qui n'ont rien à dire..." - Pierre Bourdieu (Vidéo/52 minutes lumineuses)
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Pierre Bourdieu clashe le petit écran - Ép. 1/4 - Quatre visions de la télé
Après la sortie de "La misère du monde" en 1993, le travail de Pierre Bourdieu se rapproche du journalisme, et son engagement politique va le confronter aux médias. Il détestait la télévision...
Voici ce qu’il se passe réellement avant et pendant une émission de “débat”
Anasse Kazib, champion du retournement de la rhétorique bourgeoise des patrons “créateurs de richesse”.
EXTRAITS
Des « Informés » de France info aux émissions de Public Sénat, j’ai croisé essentiellement, pendant plusieurs années à participer à ces “débats”, des gens étroits d’esprit, manipulateurs et qui ne travaillaient pas leur sujet. Mais plus ennuyeux encore : j’y ai vu comment le débat public autorisé était maintenu dans un cadre idéologique très strict où il est impossible de parler de classe dominante, de propriété ou d’égalité sans passer pour un fou. Et ce, même avant l’arrivée dans les studios. Entre 2015 et nos jours, j’ai participé à ces émissions en essayant d’en changer un peu le ron ron quotidien. J’en ai déduis qu’il n’y avait pas besoin, hélas, d’un Vincent Bolloré pour rendre notre télé imperméable à toute idée un peu critique, voici pourquoi :
Comment se retrouve-t-on à la télévision, à débattre en direct de grandes questions d’actualité, donnant son avis sur les sujets qui concernent la vie des gens ? C’est assez simple et ça n’a rien à voir avec votre valeur, votre « expertise » ou votre honnêteté intellectuelle. Bien au contraire. Tout d’abord, il faut avoir publié quelque chose, être journaliste ou appartenir à une institution un tant soit peu prestigieuse. Une première précaution, peut-on penser, encore faudrait-il qu’on soit nécessairement intelligent ou compétent lorsque l’on est journaliste, universitaire, politologue ou sociologue. Rien n’est moins sûr. Ce qui est sûr en revanche, c’est que statistiquement ce filtre est d’abord social, puisque les diplômés en France sont majoritairement enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures. Ce qui explique pourquoi près de 70% des gens que l’on voit à la télévision, selon le CSA, sont issus de cette catégorie sociale. Et qu’aucun ouvrier ne donne jamais son avis sur des sujets qui les concerne pourtant au premier chef.
Des sujets de débat envoyés 1h à l’avance
Les premiers concernés ne sont jamais présents dans les émissions de débat car le journaliste qui produit une émission de débat veut des “experts”, “neutres” car pas “directement concernés” par l’actualité dont ils vont discuter. Une fois votre premier passage dans une émission réussie (vous n’avez ni bégayé, ni insulté le présentateur, ni vomi de stress : bravo), votre numéro transite de journalistes en journalistes et un boulevard s’offre à vous. Pas grand monde n’ira vérifier qui vous êtes vraiment, ce que vous avez vraiment publié (les journalistes ne lisent généralement pas les livres). C’est ainsi qu’à 26 ans, alors que j’étais encore doctorant en sociologie et militant d’extrême-gauche sur mon temps libre, j’ai reçu mon premier coup de téléphone pour un passage média prévu le lendemain sur le plateau de LCI. Grosse pression ! Lors du premier contact, les producteurs sont toujours extrêmement vagues : “vous interviendrez à 19h10 pour parler de la désaffection des jeunes pour la politique / pour débattre de comment réenchanter la démocratie / de la hausse du déficit public / du trou de la sécu”. Combien de temps, pourquoi, avec qui ? Vous le savez rarement à l’avance.
Cela va sans dire, l’émission aura lieu à Paris. Il est frappant de constater que lorsqu’un journaliste vous appelle, ayant trouvé notre numéro dans son listing « contacts sociologue / gens de gauche », il part du principe que vous habitez dans Paris intra-muros. Depuis que je suis revenu vivre dans ma région d’origine et que je le signale, je recueille le plus souvent un silence surpris de mes interlocuteurs. Ce filtre géographique est évidemment un filtre social : qui vit et travaille dans Paris intra muros ?
Le lendemain, 1h avant l’émission (si vous avez de la chance); vous recevez les informations manquantes : les sujets abordés, les invités avec qui vous allez débattre… Si vous avez un métier à temps plein, comme c’était mon cas, vous avez une dizaine de minutes à la pause pour griffonner quelques idées avant l’émission, et googliser les autres invités pour savoir à qui vous avez à faire. Cette situation, je l’ai connue systématiquement pour l’émission « les informés » de France Info (TV et Radio), qui porte très mal son nom puisque vous êtes invité quels que soient les sujets. Qu’importe qu’il s’agisse de foot, de hausse du prix du kérosène ou du programme de Jean-Luc Mélenchon : vous êtes un « informé ».
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Petite causerie entre copains
Si vous n’êtes pas un expert professionnel rompu au petit cérémonial de la télévision en direct, vos problèmes commencent déjà quand vous montez dans le taxi que la production vous a envoyé. Par réflexe, vous acceptez. Les transports en commun étant ce qu’ils sont et les émissions le plus souvent en direct, le retard n’est pas envisageable. De plus, vous faites ça gratuitement, alors ça vaut bien un trajet gratuit en tacos, merde ! Le voyage en taxi vous plonge dans l’univers ouaté de la bourgeoisie télévisuelle. Vous passez directement de chez vous au studio de l’émission, et votre seul contact socialement éloigné de vous sera le chauffeur. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi nombre de journalistes et experts des plateaux télés citent l’avis de leur taxi ou VTC pour appuyer leurs propos : ils sont sans doute les seuls travailleurs à qui ils ont parlé dans la journée.
Après cet intermède luxueux et calme, l’arrivée dans les studios relève de l’épreuve de force sociologique quand vous ne faites pas partie de ce monde. Tout d’abord, il faut savoir que l’immense majorité des sièges de télévision et radio se situent dans l’ouest de la capitale, c’est-à-dire dans le XVIe arrondissement (Radio France), le XVe (France Télévision), Boulogne-Billancourt (TF1)… Tout est situé dans les quartiers les plus riches de la région parisienne. Autant dire que si vous arrivez à pieds, gueux que vous êtes, le choc sera rude. Vous comprenez d’office, au milieu des costumes, des tailleurs et de quelques baskets blanches, qu’on ne rêve pas ici de justice sociale.
Pour ma part, en général, c’est une productrice enjouée qui vient me chercher dans le hall. Elle vous annonce l’arrivée imminente des autres invités et vous invite à passer au maquillage sans attendre. Car oui, tout le monde est maquillé à la télévision. En quelques minutes, vous ressemblez aux présentateurs irréels de BFM TV. C’est le moment egoboost de la soirée : on n’imagine pas comme le fond de teint de télé peut faire des miracles, faisant disparaître vos cernes, vos insomnies… mais pas votre stress, qui se précise à mesure que l’heure de l’entrée en plateau approche.
Frénétiquement, vous consultez vos notes, tel un élève de 3e avant l’interro de math. Les premières années, je me rendais à ces émissions avec un grand cahier où j’avais pris des notes, entourant de grands chiffres chocs, un stylo, quelques articles imprimés sur les sujets abordés. C’est une habitude que l’on finit par perdre : dans le petit salon attenant au studio, aucun des trois invités avec qui je vais débattre n’a de note. Chacun vient les mains dans les poches et durant le temps qui nous sépare de l’émission, pas grand monde n’évoque les sujets qui seront abordés. « C’est sur quoi déjà ? », demandait régulièrement un éditorialiste de droite invité récurrent des Informés.
Vous voilà face à vos adversaires. Si vous êtes un sociologue de gauche, voire marxiste, et que votre but est de rendre justice à la classe laborieuse en passant à la télévision pour parler de sa réalité, le combat commence maintenant. Mais le format est on ne peut plus déstabilisant. Autour d’un petit café, vos adversaires politologues de Science Po, rédacteur en chef de Challenges, journalistes au Figaro se racontent leurs vacances. Ils s’apostrophent joyeusement car ils se voient presque tous les jours, parfois deux fois dans la journée sur un plateau différent. Durant ce moment de gêne, vous avez tout le loisir de constater que vos chaussures sont élimées et sales et que les souliers à 600€ de vos adversaires brillent comme une Audi neuve. J’ai d’ailleurs fini par comprendre que les bourgeois avaient au moins 15 paires de chaussures. Avec ma seule paire estampillée « ville – émission de télé », à fortiori à 75€, j’étais hors-jeu.
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S’organiser pour exister
« Il faut aller dans les médias porter une parole différente de la doxa néolibérale ». Ce mot d’ordre a du sens car je ne crois pas qu’on puisse réussir à porter dans la société des idées de justice sociale au moins, de révolution sociale au mieux, en snobant les grands médias. Et ce, tout en favorisant le développement de médias dits “alternatifs” qui, comme Frustration et quelques autres, utilisent leurs propres canaux de diffusion.
Mais ce n’est pas un rôle qu’on peut assumer en franc-tireur. Jouer ce jeu-là nécessite des conditions matérielles en préalable : vivre en région parisienne ou se rendre à Paris régulièrement (et donc être en mesure de se payer un billet de TGV, pardon, de “InOui”). Occuper un emploi avec une liberté horaire, qui ne soit ni physique ni trop fatiguant. Il faut pouvoir vous libérer à 17h, filer chez vous vous changer. Si vous avez le trac, votre journée sera fichue et votre nuit passée à ressasser les arguments que vous n’aurez pas sortis sera mauvaise. Oubliez également votre soirée avec votre ami.e, amant.e, amoureux.se. Revenir chez soi survolté, trop maquillé et en colère de n’avoir pu caser que quelques banalités sociale-démocrates n’est pas le gage d’un moment de qualité, je vous le garantis.
Quelles sont les professions des gens qui excellent dans les émissions de débat ? Rédacteurs en chef, journalistes, politiciens, employés d’un institut de sondage, universitaires… Salarié d’un parti politique, c’est par exemple le cas de David Guiraud, porte-parole de LFI et extrêmement efficace face à l’offensive idéologique zemmourienne. Ce sont des professions concentrées en région parisienne qui ne comportent pas de travail manuel et où l’on dispose d’une liberté horaire. Le graal est sans doute de devenir intervenant régulier d’une émission, comme les deux dirigeants du magazine Regards, Pierre Jacquemain et Pablo Pillaud-Vivien, mais il faut supporter le rythme et la difficulté des angles imposés.
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... une chose est sûre : pour infiltrer les médias bourgeois et y faire passer la parole de la classe laborieuse, la bonne volonté et le courage ne suffisent pas. C’est toute une organisation dont on aurait besoin, avec cette fonction-là : envoyer le plus possible d’ouvrières, d’employés, d’indépendants, de chômeurs, de précaires dans des émissions faites par et pour des bourgeois. Se demander comment on s’habille, mettre en commun des exemples, chiffres, argumentaires. Mais aussi se donner de la force avant et après l’émission.
Il ne faut certainement pas surestimer l’importance de ces chaînes dites de “débat”, qui utilisent ce format d’abord pour faire des économies sur leur masse salariale en virant des journalistes et en les remplaçant par la masse de personnages décrits tout au long de l’article. Gonflée artificiellement par les réseaux sociaux qui relaient et s’indignent des polémiques qui s’y créent, les chaînes dites “d’information en continu” méritent-t-elle qu’on y mette de l’énergie à lutter ? 2.2% de part d’audience pour CNews, mais des médias alternatifs qui montent, notamment sur YouTube.
En racontant certains pièges et chausse-trappes des émissions de télé, qui existaient déjà avant que Vincent Bolloré ne rachète et réorganise de nombreux médias pour faire passer la parole fasciste aux heures de grandes écoutes, j’espère avoir contribué à l’élaboration d’une nouvelle stratégie.
Nicolas Framont
Billet complet à lire en cliquant ci-dessous
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Voici ce qu'il se passe réellement avant et pendant une émission de "débat" - FRUSTRATION
Des " Informés " de France info aux émissions de Public Sénat, j'ai croisé essentiellement, pendant plusieurs années à participer à ces "débats", des gens étroits d'esprit, manipulateurs e...
https://www.frustrationmagazine.fr/emission-debat-coulisses/
Claire Sécail : « Oui, “Touche pas à mon poste !” banalise l’extrême droite »
Quel rôle joue le show de Cyril Hanouna dans l’ascension des idées d’extrême droite ? La chercheuse Claire Sécail a analysé toutes les émissions depuis la rentrée : avec 40,3 % de temps d’antenne cumulé, Éric Zemmour est loin devant les autres candidats à la présidentielle.
Quel rôle jouent « Touche pas à mon poste ! » et Cyril Hanouna dans l’ascension d’Éric Zemmour et des idées d’extrême droite ? Chercheuse au CNRS et spécialiste des médias, Claire Sécail a analysé toutes les émissions du programme de la chaîne C8 depuis la rentrée : avec 40,3 % de temps d’antenne cumulé, l’écrivain est loin devant les autres candidats à la présidentielle.
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Claire Sécail : " Oui, "Touche pas à mon poste !" banalise l'extrême droite "
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