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Vivement l'Ecole!

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Pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?

1 Juin 2023 , Rédigé par The Conversation Publié dans #Education, #Médias, #Jeunesse

Papier journal, une seconde vie qui ne rassure pas - Empreintes - Empreintes

Pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?
Laurence Corroy, Université de Lorraine

Il est courant de lire que les jeunes ne se préoccupent plus de l’actualité, qu’ils délaissent les médias traditionnels pour se focaliser sur les contenus diffusés par les réseaux sociaux numériques. Dans ces déclarations, souvent sous forme de déploration, plusieurs approches sont confondues. Ne pas lire de presse papier et ne pas écouter la radio ne signifie pas délaisser l’actualité.

Seulement, il est vrai que la presse quotidienne et magazine est confrontée à un problème de renouvellement des générations qui laisse à penser qu’une véritable gageure est à relever dans les décennies à venir pour relayer son lectorat vieillissant. Un nouveau rapport avec la presse s’instaure, passant par le numérique et davantage basé sur l’information.

Un accès à l’information par les réseaux sociaux

À rebours des idées reçues, les résultats des enquêtes quantitatives et qualitatives confirment depuis plusieurs années l’intérêt des jeunes pour l’actualité, et cette tendance s’est renforcée depuis la pandémie. Quand ils recherchent une information, un quart à un tiers des 18-25 ans a le réflexe de se tourner vers les sites numériques des journaux de presse nationale, qu’ils considèrent comme des sources fiables.

Les jeunes et leur façon de s’informer (France 3 Bourgogne, 2018).

Mais alors que les générations précédentes développaient des préférences pour tel ou tel titre, ils consultent les uns ou les autres relativement indifféremment. Quand on les interroge, lycéens comme étudiants peinent à situer les lignes éditoriales des quotidiens ou leur sensibilité sur l’échiquier politique. Ce qui les intéresse, c’est l’information journalistique, plus que de savoir si elle émane du Monde, de Libération ou du Figaro. Ils ne consultent pas un quotidien pour son positionnement mais pour la garantie de qualité qu’il représente. Ainsi, les grands journaux fonctionnent de manière globale comme des « marques » de référence.

Avant 18 ans, ce sont plutôt les journaux télévisés et les chaînes d’information en continu qui sont regardés et continuent d’être jugés comme des sources fiables. En revanche, la grille horaire des programmes, avec la « grand-messe » du 20 heures n’a plus vraiment de sens pour eux, à moins que les traditions familiales ne perpétuent les dîners en famille devant le JT.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Pour les adolescents, comme pour les jeunes majeurs, la plus grande scission avec les générations précédentes réside dans les usages numériques de l’information. À une écrasante majorité, ce sont les réseaux sociaux numériques qui leur servent de portes d’entrée vers l’actualité, en particulier YouTube, Instagram et Twitter, mais aussi Spotify et TikTok dans une moindre mesure.

Les formes brèves qui sont en usage sur ces réseaux font écho au rapport que les jeunes eux-mêmes entretiennent avec l’écrit, à travers textos et émojis. La mise en image des messages y est appréciée, tout comme la possibilité d’envoyer à ses contacts les informations, éventuellement avec ses propres commentaires, ce qui permet d’adopter une posture plus active face à l’information.

Flux d’actualité et risques d’infobésité

Alors que les seniors demeurent très attachés à la presse papier, les jeunes la jugent souvent difficile à lire, parfois absconse et onéreuse. Surtout, aller en kiosque suppose une démarche volontaire dont ils ne voient pas forcément l’utilité puisqu’ils ont pris l’habitude d’obtenir des nouvelles directement sur leur smartphone, sans aucune sollicitation de leur part, si ce n’est d’avoir activé des notifications sur leur téléphone une fois pour toutes.

Tous les matins, ils sont ainsi alertés des principales actualités : « Quand je regarde mon smartphone, j’ai tout de suite accès à l’essentiel des informations importantes et cela me renvoie vers les grands journaux » nous explique Charlotte, 16 ans, dans une enquête en cours auprès de lycéens et d’étudiants de la région Grand Est. Si le sujet l’intéresse, elle n’a donc plus qu’à cliquer.

Cette manière de s’informer a rendu particulièrement floues les logiques éditoriales. L’intérêt est suscité par la nouvelle, peu importe aux yeux du jeune internaute vers quel journal ou le pure player d’information l’algorithme du smartphone le renvoie.

Au final, le risque serait plutôt celui d’une « infobésité » que d’une anémie informationnelle. Être informé en continu par les réseaux sociaux peut provoquer une anxiété face aux désordres du monde. Nous pourrions parler de « stress informationnel », provoqué par le fait d’être informé en continu. Cela ne laisse aucune respiration et peut même devenir culpabilisant pour celle et celui qui désireraient s’en soustraire. Ainsi, le temps de la lecture que représentait la lecture d’un journal papier a volé en éclats. S’y est substituée une logique du clic et du rebond bien plus chronophage, et sans hiérarchisation éditoriale.

Lorsqu’il s’agit des réseaux sociaux, cela peut aussi laisser la part belle aux « fake news » et à la désinformation puisque la reprise et la viralité des informations échangées sont facilitées, quels que soient leur valeur et leur degré de fiabilité.

Le rôle de l’éducation à l’information

Faudrait-il en conclure que les adultes n’ont plus de place dans le rapport que les jeunes entretiennent avec l’actualité ? Lorsque des journaux et des magazines sont achetés par les parents et laissés à disposition dans la maison, les enfants ont tendance à les feuilleter. Maxence (20 ans), jeune étudiant, lit le journal local acheté par sa mère, tout comme Amel (19 ans) : « Papa laisse sur la table du salon l’Est éclair, ce qui me donne envie de le lire le week-end ». Chloé (19 ans), quant à elle, déjeune avec son grand-père tous les midis et en profite pour lire le journal régional.

L’avis des adultes, et en particulier des professeurs, compte. En témoigne Pauline (17 ans) : « J’ai choisi de recevoir les nouvelles du Figaro sur mon téléphone car c’est un enseignant qui nous l’a conseillé ». Les séances d’éducation aux médias et à l’information en classe portent leurs fruits et sensibilisent les jeunes à la lecture de la presse et à l’actualité. Les pays européens prennent progressivement conscience de son importance, certains ayant par exemple soutenu le programme européen MEDEAnet promouvant l’apprentissage aux médias numériques et audiovisuels.

De la même manière, produire des journaux lycéens et étudiants suscite le goût pour la presse et l’information journalistique, et permet de mieux comprendre les exigences déontologiques de la profession. Ainsi, Lucie (20 ans) se rappelle des séances en EMI au collège qui lui ont fait découvrir les métiers liés au journalisme.

Il revient enfin aux journalistes et aux médias traditionnels de penser davantage aux jeunes, en leur donnant la parole, en traitant de sujets dont ils se sentent proches : l’écologie, les questions de genre, la parité… La participation des journalistes à la semaine de la presse à l’école est aussi un moyen de mieux faire connaître la presse et la diversité de l’offre médiatique, son importance pour vivifier la démocratie.The Conversation

Laurence Corroy, Professeure des universités, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?

30 Mars 2023 , Rédigé par The Conversation Publié dans #Education, #Medias

Pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?
Pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?
Pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?
Laurence Corroy, Université de Lorraine

Il est courant de lire que les jeunes ne se préoccupent plus de l’actualité, qu’ils délaissent les médias traditionnels pour se focaliser sur les contenus diffusés par les réseaux sociaux numériques. Dans ces déclarations, souvent sous forme de déploration, plusieurs approches sont confondues. Ne pas lire de presse papier et ne pas écouter la radio ne signifie pas délaisser l’actualité.

Seulement, il est vrai que la presse quotidienne et magazine est confrontée à un problème de renouvellement des générations qui laisse à penser qu’une véritable gageure est à relever dans les décennies à venir pour relayer son lectorat vieillissant. Un nouveau rapport avec la presse s’instaure, passant par le numérique et davantage basé sur l’information.

Un accès à l’information par les réseaux sociaux

À rebours des idées reçues, les résultats des enquêtes quantitatives et qualitatives confirment depuis plusieurs années l’intérêt des jeunes pour l’actualité, et cette tendance s’est renforcée depuis la pandémie. Quand ils recherchent une information, un quart à un tiers des 18-25 ans a le réflexe de se tourner vers les sites numériques des journaux de presse nationale, qu’ils considèrent comme des sources fiables.

Les jeunes et leur façon de s’informer (France 3 Bourgogne, 2018).

Mais alors que les générations précédentes développaient des préférences pour tel ou tel titre, ils consultent les uns ou les autres relativement indifféremment. Quand on les interroge, lycéens comme étudiants peinent à situer les lignes éditoriales des quotidiens ou leur sensibilité sur l’échiquier politique. Ce qui les intéresse, c’est l’information journalistique, plus que de savoir si elle émane du Monde, de Libération ou du Figaro. Ils ne consultent pas un quotidien pour son positionnement mais pour la garantie de qualité qu’il représente. Ainsi, les grands journaux fonctionnent de manière globale comme des « marques » de référence.

Avant 18 ans, ce sont plutôt les journaux télévisés et les chaînes d’information en continu qui sont regardés et continuent d’être jugés comme des sources fiables. En revanche, la grille horaire des programmes, avec la « grand-messe » du 20 heures n’a plus vraiment de sens pour eux, à moins que les traditions familiales ne perpétuent les dîners en famille devant le JT.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Pour les adolescents, comme pour les jeunes majeurs, la plus grande scission avec les générations précédentes réside dans les usages numériques de l’information. À une écrasante majorité, ce sont les réseaux sociaux numériques qui leur servent de portes d’entrée vers l’actualité, en particulier YouTube, Instagram et Twitter, mais aussi Spotify et TikTok dans une moindre mesure.

Les formes brèves qui sont en usage sur ces réseaux font écho au rapport que les jeunes eux-mêmes entretiennent avec l’écrit, à travers textos et émojis. La mise en image des messages y est appréciée, tout comme la possibilité d’envoyer à ses contacts les informations, éventuellement avec ses propres commentaires, ce qui permet d’adopter une posture plus active face à l’information.

Flux d’actualité et risques d’infobésité

Alors que les seniors demeurent très attachés à la presse papier, les jeunes la jugent souvent difficile à lire, parfois absconse et onéreuse. Surtout, aller en kiosque suppose une démarche volontaire dont ils ne voient pas forcément l’utilité puisqu’ils ont pris l’habitude d’obtenir des nouvelles directement sur leur smartphone, sans aucune sollicitation de leur part, si ce n’est d’avoir activé des notifications sur leur téléphone une fois pour toutes.

Tous les matins, ils sont ainsi alertés des principales actualités : « Quand je regarde mon smartphone, j’ai tout de suite accès à l’essentiel des informations importantes et cela me renvoie vers les grands journaux » nous explique Charlotte, 16 ans, dans une enquête en cours auprès de lycéens et d’étudiants de la région Grand Est. Si le sujet l’intéresse, elle n’a donc plus qu’à cliquer.

Cette manière de s’informer a rendu particulièrement floues les logiques éditoriales. L’intérêt est suscité par la nouvelle, peu importe aux yeux du jeune internaute vers quel journal ou le pure player d’information l’algorithme du smartphone le renvoie.

Au final, le risque serait plutôt celui d’une « infobésité » que d’une anémie informationnelle. Être informé en continu par les réseaux sociaux peut provoquer une anxiété face aux désordres du monde. Nous pourrions parler de « stress informationnel », provoqué par le fait d’être informé en continu. Cela ne laisse aucune respiration et peut même devenir culpabilisant pour celle et celui qui désireraient s’en soustraire. Ainsi, le temps de la lecture que représentait la lecture d’un journal papier a volé en éclats. S’y est substituée une logique du clic et du rebond bien plus chronophage, et sans hiérarchisation éditoriale.

Lorsqu’il s’agit des réseaux sociaux, cela peut aussi laisser la part belle aux « fake news » et à la désinformation puisque la reprise et la viralité des informations échangées sont facilitées, quels que soient leur valeur et leur degré de fiabilité.

Le rôle de l’éducation à l’information

Faudrait-il en conclure que les adultes n’ont plus de place dans le rapport que les jeunes entretiennent avec l’actualité ? Lorsque des journaux et des magazines sont achetés par les parents et laissés à disposition dans la maison, les enfants ont tendance à les feuilleter. Maxence (20 ans), jeune étudiant, lit le journal local acheté par sa mère, tout comme Amel (19 ans) : « Papa laisse sur la table du salon l’Est éclair, ce qui me donne envie de le lire le week-end ». Chloé (19 ans), quant à elle, déjeune avec son grand-père tous les midis et en profite pour lire le journal régional.

L’avis des adultes, et en particulier des professeurs, compte. En témoigne Pauline (17 ans) : « J’ai choisi de recevoir les nouvelles du Figaro sur mon téléphone car c’est un enseignant qui nous l’a conseillé ». Les séances d’éducation aux médias et à l’information en classe portent leurs fruits et sensibilisent les jeunes à la lecture de la presse et à l’actualité. Les pays européens prennent progressivement conscience de son importance, certains ayant par exemple soutenu le programme européen MEDEAnet promouvant l’apprentissage aux médias numériques et audiovisuels.

De la même manière, produire des journaux lycéens et étudiants suscite le goût pour la presse et l’information journalistique, et permet de mieux comprendre les exigences déontologiques de la profession. Ainsi, Lucie (20 ans) se rappelle des séances en EMI au collège qui lui ont fait découvrir les métiers liés au journalisme.

Il revient enfin aux journalistes et aux médias traditionnels de penser davantage aux jeunes, en leur donnant la parole, en traitant de sujets dont ils se sentent proches : l’écologie, les questions de genre, la parité… La participation des journalistes à la semaine de la presse à l’école est aussi un moyen de mieux faire connaître la presse et la diversité de l’offre médiatique, son importance pour vivifier la démocratie.The Conversation

Laurence Corroy, Professeure des universités, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Les professeurs documentalistes face au «gros trou dans la raquette» de l’éducation aux médias

30 Mars 2023 , Rédigé par Libération Publié dans #Education, #Médias

Les professeurs documentalistes face au «gros trou dans la raquette» de l’éducation aux médias

Chargés de sensibiliser les élèves au décryptage de l’information et à la lutte contre les fake news, les profs documentalistes déplorent le manque d’ambition du ministère de l’Education nationale pour un enseignement pourtant crucial.

Plutôt que «fake news», il préfère le terme de «bobard». Un «très beau mot français», s’est pâmé Pap Ndiaye, le ministre de l’Education nationale, dans une interview à l’Association pour l’éducation aux médias publiée ce dimanche dans trois quotidiens régionaux. Et de professer : «On est dans un monde où [les bobards] circulent à une très grande vitesse et rebondissent d’un réseau social à l’autre. Leur détection, leur hiérarchisation, la prudence aussi à l’égard des informations qu’ils recouvrent, c’est essentiel.» Le propos est convenu, l’occasion classique (la Semaine de la presse à l’école, qui a lieu jusqu’à samedi). Et les annonces à côté de la plaque, compte tenu de l’urgence citoyenne.

Pap Ndiaye l’avait esquissé en janvier : il souhaite que «tous les élèves, du cycle 2 [à partir du CP, ndlr] jusqu’à la terminale puissent bénéficier d’une action d’éducation aux médias et à l’information au moins une fois par an». Cette mesure serait «obligatoire au collège et vivement recommandée en CM1, CM2 et au lycée», précise le ministère à Libération, et pourrait se résumer à «une visite d’un journaliste dans un établissement ou [au] déplacement d’une classe dans une rédaction». Outre son manque d’ambition, cette proposition fait peu de cas du travail mené en collège et en lycée par les professeurs documentalistes, pourtant censés être à la manœuvre en matière d’éducation aux médias et à l’information (EMI).

«Des gros trous dans la raquette»

«On est systématiquement mis de côté, oubliés, exclus ou effacés, résume Christophe Barbot, «prof doc» dans un lycée de l’académie de Créteil. On a l’impression que ce qui intéresse l’institution, c’est qu’on ouvre une salle conviviale et agréable aux élèves [le CDI, ndlr] pour qu’ils puissent s’asseoir et travailler, au détriment de nos missions premières.» Lesquelles sont pourtant claires et comptent au premier chef la transmission d’«une culture de l’information et des médias». «C’est notre cœur de métier. Quoi qu’on fasse, de la culture ou de l’incitation à la lecture, on en revient toujours à le rattacher à des compétences d’EMI», assure Sophie Van Ommeslaeghe, professeure documentaliste en lycée à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais).

Problème : l’éducation aux médias n’est pas sanctuarisée dans les emplois du temps des élèves. «Notre mission n’est que ponctuelle, ça reste du saupoudrage», regrette Gaëlle Devin depuis son collège de Givors (métropole de Lyon). Pourtant, estime-t-elle, «la semaine de la presse, ça devrait être toute l’année, on devrait être sollicités tous les jours». Tout repose sur la motivation et l’énergie de chaque prof doc, la collaboration des autres enseignants et le soutien de leur chef d’établissement. «J’ai toujours envie de fédérer les collègues pour différents projets mais eux ont leurs horaires, leurs programmes. Il faut les séduire, trouver des façons de les convaincre», déroule Gaëlle Veillaux, enseignante dans un collège de Lyon.

Dans son lycée, Christophe Barbot travaille «plutôt toujours avec les mêmes collègues, en fonction des affinités». Résultat, «il y a de gros trous dans la raquette. On a des citoyens qui arrivent à l’université sans avoir été sensibilisés aux problématiques de la manipulation de l’information, de la communication politique, de la propagande sous toutes ses formes. Parce qu’ils n’auront pas été dans les bonnes classes au bon moment». Dans leur mission flash sur l’éducation critique aux médias, dont les conclusions sont parues en février, les députés Violette Spillebout (Renaissance) et Philippe Ballard (RN) ont en effet regretté l’existence de «déserts de l’éducation aux médias» et ont noté que «les plus belles initiatives sont celles promues par des professionnels passionnés. Or une politique publique ne doit pas être soumise à “la bonne volonté” de ceux dont elle dépend».

Une matière transversale

Surtout quand les élèves peuvent se mettre à cibler le messager plutôt que d’apprendre à décrypter le message. «Samuel Paty, c’est un prof qui s’est emparé tout seul de ces problématiques, avec courage, alors que la transversalité est extrêmement importante. Il ne faut pas rester isolé dans la classe car on a des élèves qui contestent de plus en plus», s’émeut Catherine Novel, enseignante à Corenc (Isère) et ancienne présidente de l’Association des professeurs documentalistes de l’Education nationale (Apden).

Si l’EMI a toute légitimité à être une matière transversale, tant les enjeux de désinformation peuvent toucher le français comme l’histoire ou les sciences, les «profs doc» en sont officiellement «les maîtres d’œuvre». Mais ils restent souvent vus comme des sous-profs. La preuve ? Leur rémunération, d’abord : ils n’ont pas droit aux heures supplémentaires, ni à la prime de prof principal, à la prime informatique de 150 euros annuels ni à celle dédiée au suivi et à l’orientation des élèves. «Je fais partie d’un programme de lutte contre le harcèlement : mes collègues touchent des heures supplémentaires, pas moi, ce sont des heures péri éducatives», moins payées, illustre Guillaume Guimiot, membre du bureau de l’Apden.

Les profs documentalistes, qui disposent d’un Capes dédié depuis 1989, n’ont par ailleurs pas d’agrégation. «Ça nous bloque dans l’évolution de notre carrière en termes de métier et de rémunération», indique Sophie Van Ommeslaeghe. Dans les autres matières, les agrégés sont mieux payés que les certifiés et peuvent évoluer en devenant inspecteurs, sans passer par la case «personnel de direction». Les profs doc n’ont pas non plus d’inspection dédiée mais sont fondus dans celle consacrée aux conseillers principaux d’éducation et aux chefs d’établissement. «Très souvent, on monte une séance spécialement quand on sait qu’on va être inspecté mais l’inspecteur ne maîtrise pas nos contenus, c’est complètement biaisé», déplore Gaëlle Devin.

«Le CDI est encore fermé»

Les profs doc pâtissent de l’image poussiéreuse de «la dame du CDI», obsédée par le silence et malhabile avec une souris d’ordinateur. La circulaire de 1986 les présentant comme des «personnels exerçant dans les CDI» a été abrogée en 2017, pour mentionner clairement les «professeurs documentalistes», mais cet héritage a la vie dure. «Avec 86 % de femmes, c’est le métier parmi les professeurs, y compris ceux des écoles, le plus féminisé. Ça a peut-être à voir avec la façon dont il est vu et traité par la société», suggère Christophe Barbot.

Des enseignants parviennent aujourd’hui à inscrire des heures d’EMI dans l’emploi du temps et à proposer une vraie progression à leurs élèves. Mais cela s’accompagne inévitablement de la hantise de nombre de chefs d’établissement : la fermeture ponctuelle du CDI. Le lieu «sert souvent à absorber le flux d’élèves qui ne sont pas en salle de permanence», constate Sandrine Vigato, enseignante à Reims. «Les profs doc entendent “le CDI est encore fermé”, mais il est fermé parce qu’il y a un enseignement dedans. On est toujours coincés entre différents choix qui finissent par être usants, culpabilisants», pointe Guillaume Guimiot.

Afin de goupiller enseignement et accueil au CDI, une solution pourrait être de confier la gestion des lieux à des assistants d’éducation formés. Une demande à laquelle le gouvernement reste pour l’heure sourd. Autant qu’aux autres.

Maïté Darnault (Lyon) et Elsa Maudet

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Comment "éduquer aux médias" aujourd'hui ?

28 Mars 2023 , Rédigé par France Culture Publié dans #Education, #Medias

Comment "éduquer aux médias" aujourd'hui ?

Comment parler de l'actualité avec les élèves et répondre à leurs questions dans ce moment si conflictuel ? Et au long cours ?

Avec

Isabelle Feroc-Dumez Directrice scientifique et pédagogique du CLEMI

Sophie Bocquet Professeure documentaliste au collège (académie de Rouen)

Marion Thibaut Directrice du bureau de l'AFP (Agence France-Presse) à Montréal, membre du Conseil d'administration de l'association d’éducation aux médias et à l’information Entre les lignes

Anne Cordier Professeure des universités en sciences de l'information et de la communication à l'université de Lorraine

Bernard Heizmann Ancien professeur-documentaliste à l'ÉSPÉ de Lorraine et ancien responsable de la préparation au concours interne dans l'académie de Nancy-Metz

Dans cette émission Louise Tourret vous propose de revenir sur ce qu’on appelle l'éducation à l’information, alors que le Centre de Liaison de l'Enseignement et des Médias d'Information, le CLEMI, fête ses 40 ans, et que s’ouvre la semaine annuelle de la presse et des médias à l’école. Comment l’actualité et les émotions qu’elle provoque – l’année dernière il s'agissait de la guerre en Ukraine, cette année du mouvement social contre les retraites et il est encore possible d'évoquer le covid ou les gilets jaunes - peuvent devenir un sujet de conversation et de réflexion en classe, alors que le ministre de l’Education appelle de ses vœux la généralisation de l’EMI (éducation à l’information). Quelles sont les ressources pour les professeurs suivant le niveau d’enseignement ? Quel est le rôle spécifique des professeurs documentalistes qui s’occupent plus précisément de ce sujet ? Et quel peut être celui des journalistes, de plus en plus nombreux à intervenir auprès des élèves dans les établissements ?

Louise Tourret en débat avec ses invités, enseignants, journaliste, et chercheuses, qui travaillent sur la question depuis de nombreuses années : Anne Cordier, ancienne professeure documentaliste, professeure des universités en sciences de l'information et de la communication à l'université de Lorraine, chercheuse au Centre de recherche sur les médiations (CREM), co-responsable du Master SIDOC Meef Documentation à Nancy, autrice de Grandir Connectés (C & F Editions, 2015) et de Grandir Informés : Les pratiques informationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes (C & F Editions, à paraitre en mai), Sophie Bocquet-Tourneur, professeure documentaliste au collège (académie de Rouen), Isabelle Feroc-Dumez, directrice scientifique et pédagogique du CLEMI, maître de conférences en Sciences de l'information et de la communication à l'Université de Poitiers et membre du laboratoire Techné (Technologies Numériques pour l’Education), Marion Thibaut, directrice du bureau de l'AFP (Agence France-Presse) à Montréal, membre du Conseil d'administration de l'association d’éducation aux médias et à l’information Entre les lignes, et Bernard Heizmann, ancien professeur-documentaliste à l'ÉSPÉ de Lorraine et ancien responsable de la préparation au concours interne dans l'académie de Nancy-Metz, co-auteur avec Elodie Royer de Le professeur documentaliste (Réseau Canopé, 2019).

la citation

"Il faut rappeler que l'accès à l'information est un droit, que c'est une chance de pouvoir s'informer aujourd'hui, et on pourrait même aller plus loin en disant que c'est une chance de prendre le risque de tomber sur une mauvaise information et d'exercer son esprit critique. On parle de stress et de fatigue, mais il y a une notion qui est importante c'est celle de plaisir, la joie de s'informer en famille ou à l'école, ensemble"Anne Cordier

Illustration sonores

Extrait de la déclaration du ministre de l'Education Nationale Pap Ndiaye sur l'Education aux médias et à l'information le 27/03/23

"Pendant que les champs brûlent", Niagara, 1990

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Chloé Morin : "On est dans le culte du buzz et de la petite phrase, on n'a plus le temps des arguments"

20 Février 2023 , Rédigé par France Inter Publié dans #Medias, #Politique

On aura tout essayé..., Chloé Morin | Fayard

Chloé Morin, politologue, auteure de "On aura tout essayé" (Fayard), est l'invitée de 7h50. Elle y pose la question de la dégradation du débat public.

Avec

Chloé Morin Associée à la Fondation Jean-Jaurès et spécialiste de l'opinion publique, ancienne conseillère en charge de l'opinion publique au sein du cabinet du Premier ministre de 2012 à 2016.

Dans "On aura tout essayé", Chloé Morin se demande pourquoi, aujourd'hui, la France est si difficile à gouverner, et pourquoi tout tourne au psychodrame dans notre pays. "On a essayé la droite avec Nicolas Sarkozy, on a essayé la gauche avec François Hollande, on a essayé le "ni droite ni gauche" avec Emmanuel Macron, et on est toujours déçu, on a l'impression que la politique ne change rien. Pire, on a le sentiment d'un déclassement terrible. La question, c'est donc : est-ce qu'on a tout essayé, et est-ce qu'il reste à essayer, ce n'est pas le Rassemblement national ?" pose Chloé Morin dans son livre, qui se base sur une série d'entretiens avec des personnalités politiques.

Parmi ces personnalités, Marine Le Pen, qui a posé ce récit de manière assez "inéluctable, qu'il est difficile de démonter, c'est pour cela que je suis allée voir des dirigeants pour leur demander pourquoi on en est dans cette situation, pourquoi on a besoin de réformer sans jamais y arriver". Et selon ses interlocuteurs, ce qu'il manque aujourd'hui, c'est le temps : "On est dans le culte du buzz et de la petite phrase, on n'a plus le temps de poser des arguments". En ligne de mire notamment, la lutte contre le réchauffement climatique : "On sait qu'il nous reste quelques mois, quelques années à peine, pour arriver à éviter le pire. C'est précisément à ce moment-là que les responsables politiques bloquent le système".

La réforme des retraites, "c'était mission impossible"

Dans le cas de la réforme des retraites, qu'est-ce qui a été raté ? "C'était mission impossible", selon Chloé Morin, qui rappelle qu'à l'origine, "les conditions d'élection d'Emmanuel Macron posent problème : les institutions, aujourd'hui, ne donnent plus assez de force politique au président élu pour mener des réformes au-delà de six mois". L'abstention est en partie la cause de cela, "puisque tous ceux qui n'ont pas voté auraient peut-être voté quelque chose d'autre", mais par ailleurs, tous les responsables politiques affirment que "les institutions politiques ne sont plus adaptées", et conduisent souvent à l'élection d'un président qui n'a plus beaucoup de puissance.

Les deux dernières semaines "donnent une image désastreuse de la vie politique, les Français ont raison de se dire que leurs responsables politiques, dans le moment, ne sont pas au niveau". D'après Chloé Morin, c'est d'autant plus appuyé par les chaînes d'info en continu, et les réseaux sociaux : "L'hystérie envahit tout : dès qu'il y a un esclandre, on ne parle plus que ça et on oublie les débats de fond".

"Tentation de la violence"

L'autre chose qui a changé, c'est que le temps des "poids lourds" de la politique est passé. "Or, c*'est précisément maintenant qu'on a besoin de leaders qui nous donnent à voir ce que sera la société de demain*", selon la politologue. "Dans ce moment-là, il faut rappeler que l'engagement politique est nécessaire et faire en sorte qu'il soit moins compliqué", dit-elle, estimant notamment que la transparence sur la vie privée est excessive.

Comment expliquer, par ailleurs, que Philippe Martinez s'en prenne à Jean-Luc Mélenchon et à la France Insoumise ? "Déjà, quand je l'ai rencontré, il m'a dit qu'ils s'attachaient trop à la communication, qu'ils n'étaient pas assez sur le fond, qu'ils ne travaillent pas assez, et que ce n'est pas parce qu'on a été syndicaliste lycéen qu'on connaît le monde du travail". Et ce qui fait peur aux leaders syndicaux, c'est "la tentation de la violence" : "C'est quand on commence à être violent que le gouvernement cède, et quand on manifeste entre Bastille et Nation, il ne se passe rien. Cette tentation de la violence, ils y résistent bien et il faut les saluer pour ça".

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L’éducation aux médias est un enjeu fondamental.

7 Janvier 2023 , Rédigé par France Culture Publié dans #Education, #Medias, #Fake

Contre les fake news, un arsenal juridique à l'efficacité incertaine

EXTRAIT

FAKE NEWS - INFOX

Médias : "La lutte contre la désinformation est la principale priorité des Français consultés"

Avec plus de 113 000 participants, une consultation nationale montre que l’éducation aux médias est un enjeu fondamental. Sa généralisation face aux infox est "plébiscitée" dans les résultats analysés par Serge Barbet, du CLEMI, opérateur public dépendant du ministère de l'Éducation nationale.

 

"Comment permettre à chacun de mieux s’informer ?", cette consultation citoyenne nationale menée du 27 juin au 30 septembre 2002 a permis de collecter plus de 2 000 propositions, sur Make.org. Elle s’est faite dans le cadre d’une plateforme bénéficiant du soutien de la Commission européenne : DE FACTO, portée par Sciences Po, l’Agence France Presse (AFP) et le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI).

 

Versant français du collectif européen EDMO, la plateforme DE FACTO entend "ouvrir un espace pluriel, ouvert et indépendant pour mettre en perspective les enjeux de l’information à l’ère numérique en facilitant la vérification, l’analyse et l’éducation aux médias".

 

Le CLEMI est chargé de l’éducation aux médias et à l’information dans l’ensemble du système éducatif français. Cela va de la formation des enseignants à la production et diffusion de ressources pour accompagner les actions auprès des élèves, de la maternelle et au lycée.

 

La lutte contre la désinformation, du point de vue de l’éducation aux médias et à l’information, est justement la principale priorité qui ressort des 526 858 votes, analysés à l’issue de la consultation citoyenne nationale.

 

Entretien avec le directeur délégué du centre pour l'éducation aux médias et à l'information (CLEMI), Serge Barbet.

 

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Benoit Grossin

 

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En 2023, résister à la pente réac...

1 Janvier 2023 , Rédigé par Liberation Publié dans #Politique, #Medias

Fichier:Millennium Force1 CP.JPG — Wikipédia

Derrière le spectacle obscène des médias bollorisés, il y a le risque d’un glissement général vers l’extrême droite. La gauche n’a pas encore trouvé quoi lui opposer.

C’est comme une lente glissade, une douce accoutumance, un progressif état général de léthargie démocratique. Ça passe par d’incessants débats sur l’identité, la religion, sur le moyen d’être toujours plus en sécurité. C’est ne plus faire la différence entre un éditorialiste conservateur et un polémiste populiste et d’extrême droite, c’est continuer à inviter sur les antennes des prétendus philosophes qui se complaisent à décrire un monde terrible et des villes pleines de «no go zones» pour transformer leur trouille en clairvoyance, c’est le délire «woke» surestimé décrit en puissant terrorisme par des réacs en pleine panique. C’est considérer Greta Thunberg comme plus dangereuse qu’Eric Zemmour.

Dîner de cons

Cette pente est tout entière résumée par la face hurlante et haineuse de ce notable du PAF, vieillissant et cachetonneur sur la chaîne CNews de Vincent Bolloré : Jean-Claude Dassier. Dassier qui lors d’un récent débat (à propos d’immigration bien sûr) invectivait ainsi un universitaire historien égaré sur ce plateau : «Mais les musulmans, ils s’en foutent de la République, ils ne savent même pas ce que ça veut dire !» Dassier représente parfaitement cet affaissement d’une partie d’anciens cadres de la télé qui se vautrent dans la diatribe raciste à coups de bon sens bourgeois. Le pire, c’est de voir sur ces plateaux des journalistes et des universitaires tenter de venir prêcher la bonne parole, de porter le fer au cœur de la bête. Ils sont en fait les invités de marque d’un vaste dîner de cons.

Dans les émissions de la chaîne, il ne s’agit pas de débattre mais de créer un spectacle vif et pas cher. On a viré les vrais journalistes, on a remplacé les éditorialistes par des polémistes, on ne s’embarrasse pas de reportage, on cherche le moindre fait divers qui met en scène des immigrés pour en faire des faits significatifs et banals. La chaîne n’est pas la plus regardée mais son modèle économique (des heures de vieux polémistes avides de continuer à exister médiatiquement) coûte moins cher que d’envoyer des reporters vérifier, contextualiser et expliquer la réalité. Et la puissance des réseaux sociaux qui relaient les tirades, insinuations et clashs aide à répandre cette médiocrité boueuse.

Mort de la nuance

Et mine de rien, ça infuse sur les autres chaînes d’infos. Les débats n’opposent plus des spécialistes d’un sujet dont les avis divergent, mais des personnes aux avis diamétralement opposés, peu importe qu’elles aient ou non étudié la question. Le clash donne l’illusion de la liberté de ton. Il n’en a que le bruit. C’est la mort de la nuance. Ce fut, avec l’irruption d’Eric Zemmour, émule de CNews, la plaie du débat national de 2022. Tout est réuni, l’écosystème médiatique, la conjoncture économique, les effets du réchauffement sur les mouvements inévitables de population, pour que la glissade se poursuive.

Ces derniers temps, la gauche, les progressistes, les humanistes, n’ont su donner de la voix qu’en proposant une forme de populisme inverse. Ça n’a rien stoppé. Le mythe de la séduction des «fâchés pas fachos» par une radicalité éructante n’a fait qu’alimenter la polarisation. L’enjeu de 2023 pour la gauche, bien au-delà du personnel politique, sera de renouer avec la nuance. Comme bonne résolution, c’est certainement plus compliqué que de se promettre de perdre trois kilos, d’arrêter de fumer, ou de réduire de moitié sa consommation de Twitter et Instagram.

Thomas Legrand

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Annie Ernaux : France Culture est-elle devenue folle ?

5 Décembre 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Litterature, #Medias

Annie Ernaux : France Culture est-elle devenue folle ?

Sur France Culture, Alain Finkielkraut et Pierre Assouline brossent le portrait d’une Nobel de littérature illégitime, nymphomane identitaire et débordant de ressentiment borné. Reste un mystère : elle est traduite dans 37 langues. Est-ce le monde qui est fou ou France Culture ?

Infortunée Annie Ernaux, qui a cru se voir décerner le Nobel de littérature. En réalité, ce Nobel n’était pas un «vrai» Nobel. C’était surtout un «non Nobel» non décerné à Salman Rushdie. C’est France Culture qui développe cette analyse. D’abord dans l’émission Signe des temps, le 27 novembre, la fake Nobel Ernaux («écrivain des identités fixes, sociale et sexuelle, auxquelles est lié à peu près tout le monde») est opposée au seul Nobel légitime Salman Rushdie, «écrivain du cosmopolitisme et de l’identité changeante». Coupable, Ernaux, comprend-on, de n’être sortie de l’enfance à Yvetot que pour s’installer en mère de famille dans le Val d’Oise, et d’oser faire œuvre d’une vie si ordinaire.

Mais si elle n’était que banale ! Toujours sur France Culture, ils sont deux, pour instruire son procès dans l’émission Répliques, le 26 novembre. L’animateur et académicien Alain Finkielkraut, et l’écrivain (et ancien juré Goncourt) Pierre Assouline. Face à eux, dans le rôle de l’avocate commise d’office aux flags, rame Raphaëlle Leyris, journaliste au Monde. Après un début d’émission consacré à saluer l’œuvre, avec chaleur (Assouline) ou une tiédeur polie (Finkielkraut), commence donc le procès de l’autrice, et militante.

Passons d’abord sur quelques peccadilles. Assouline : «C’est une femme qui aime les hommes. Dès l’âge de 18 ans. Elle est tout le temps à la recherche de l’homme qui la fera vibrer.» Cette imputation de nymphomanie figure-t-elle dans la colonne actif ou passif ? Ce n’est pas précisé. Point de vue caractère, il y aurait aussi beaucoup à dire. Voilà une fille d’épicier que la culture a élevée jusqu’au Nobel, et elle ne manifeste aucune gratitude ? Finkielkraut : «Elle en veut à la culture. Elle en veut au monde cultivé. Elle est pleine non pas de gratitude mais de ressentiment.» Assouline, pédagogue : «C’est la dernière personne à qui vous pouvez demander de la gratitude. Tel que vous lui demandez, vous vous positionnez comme un dominant.» Finkielkraut, piqué dans son être-transfuge : «Je viens d’où je viens.» Bref, «vraiment dommage», cette ingratitude.

Mais au-delà de ces mauvaises notes de conduite, le plus lourd est à venir. D’abord, ce soutien à Mélenchon. A-t-on idée ? Au lendemain de sa nobelisation elle a manifesté, bras dessus bras dessous avec l’insoumis, pour… le pouvoir d’achat ! Alors que tant de nobles causes n’attendaient qu’elle ! Finkielkraut : «Elle n’a pas dédié son prix Nobel à Salman Rushdie, ce qu’elle aurait pu faire. Elle est allée manifester contre la vie chère.» Assouline révèle avoir un jour demandé à l’écrivaine comment elle pouvait soutenir Mélenchon. «Sa seule réponse : «Jusqu’à mon dernier souffle je vengerai ma race.» Politiquement elle est bornée. Comme Sartre.»

Tout faux, sur tous les sujets. Prenez la lutte contre le voile. Assouline : «Elle n’est pas Charlie. Elle dit : «Je suis pour qu’on laisse la religion musulmane tranquille.» Comme si c’était ça le sujet. Pour elle, les musulmans sont les humiliés permanents. Toujours cette vision binaire.»

A ce propos, n’a-t-elle pas jubilé le 11 septembre 2001 ? Retraçant l’attentat contre les Twin Towers, elle écrivait dans les Années : «Le prodige de l’exploit émerveillait. On s’en voulait d’avoir cru les Etats-Unis invincibles. […] On se souvenait d’un autre 11 septembre et de l’assassinat d’Allende.» «Le prodige de l’exploit émerveillait», répète Finkielkraut, incrédule. Il faudra, dans les jours suivants, que la spécialiste de littérature Gisèle Sapiro rappelle la distinction entre le «on» – description de réactions collectives – et le «elle» par lequel l’autrice parle d’elle à la troisième personne.

Tout cela ne serait encore rien. Le pire du pire, c’est son engagement dans le mouvement de boycott d’Israël. Etrange obsession. Quand il y a tant de dictateurs corrompus dans le monde, pourquoi justement s’engager, «comme par hasard, contre la seule démocratie du Proche-Orient» ? Assouline : «Si un jour il y avait une enquête à faire, il faudrait retourner au café-épicerie d’Yvetot et se demander quel genre de conversations il y avait dans ce café dans les années 50. Il y a un fond de sauce raciste là-dedans, qui demande à être exploré», glisse-t-il. Comment insinuer, sans le dire bien entendu, que la nouvelle nobélisée frise l’antisémitisme.

Reste un mystère. Cette nymphomane identitaire, débordant de ressentiment borné, est traduite dans 37 langues, rappelle Assouline. Délectable silence pensif de Finkielkraut : «37 langues, en effet, c’est très impressionnant.» C’est même incompréhensible. Le monde est fou, hors de France Culture.

Daniel Schneidermann

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Boyard-Hanouna : derrière la polémique, le débat confisqué - Par Najat Vallaud-Belkacem

17 Novembre 2022 , Rédigé par l'Obs Publié dans #Medias, #Politique, #Hanouna, #Boyard

Vincent Bolloré, le patron de Cyril Hanouna, condamne le canular homophobe  dans TPMP - Voici

EXTRAITS

Il est temps « d’ouvrir le débat sur la réalité des pratiques économiques prédatrices de certaines entreprises peu scrupuleuses sur le continent africain », estime Najat Vallaud-Belkacem, directrice France de l’ONG One.

Cyril Hanouna a ainsi une nouvelle fois offert lors de son émission Touche pas à mon poste un spectacle affligeant de vulgarité en insultant violemment le député LFI Louis Boyard qui avait osé pointer la responsabilité des activités industrielles du groupe de Vincent Bolloré, propriétaire de la chaîne C8 hébergeant son émission, dans la déforestation et l’appauvrissement de certains pays d’Afrique. Derrière les indignations à peu de frais sur les réseaux sociaux, ce n’est pas seulement l’ARCOM que le député Boyard et son groupe devraient saisir, mais le procureur de la République, sauf à banaliser les injures et les outrages contre les élus, qui sont punis par des peines pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

Mais au-delà de cet incident et de la polémique qui l’accompagne, il nous faut surtout ouvrir le débat sur la réalité des pratiques économiques prédatrices de certaines entreprises peu scrupuleuses sur le continent africain. Car c’est finalement de ce débat de fond que la violence et l’indécence du clash nous ont privés.

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« Le groupe Bolloré n’a pas le monopole de l’absence de scrupules »

Pendant plus de 35 ans, les activités logistiques et portuaires du groupe Bolloré en Afrique, dont il s’est récemment délesté pour la somme record de 5,7 milliards d’euros, ont fait sa fortune. Ce groupe a été un acteur central de l’exploitation forestière et du commerce des bois tropicaux africains, au mépris des ravages de cette exploitation industrielle sur les hommes et l’environnement. Les activités africaines de la multinationale française, implantée dans 46 pays du continent, font l’objet de plusieurs poursuites judiciaires, dont une affaire de corruption présumée de deux chefs d’État pour obtenir la gestion de ports. Quels sont les investissements réalisés par le groupe ? Quel ont été le coût et le bénéfice de ces activités pour les pays concernés ? L’enrichissement de Vincent Bolloré a-t-il contribué à l’appauvrissement des pays africains concernés au lieu d’aider à leur développement ? A-t-il reposé sur la corruption de leurs dirigeants ? Ces questions doivent trouver des réponses.

Mais le groupe Bolloré n’a pas le monopole de l’absence de scrupules français sur le continent. Que dire du gigantesque projet d’exploitation pétrolier enfoui sous le lac Albert en Ouganda, dont Total possède 62 % des parts dans la holding chargée de construire cet oléoduc, qui traverserait 16 aires protégées en menaçant la biodiversité de la région et reposerait sur l’expropriation des habitants de près de sur 172 villages ougandais ? À l’heure de la COP 27, il s’agit d’un vaste chantier anachronique à 10 milliards de dollars visant à extraire un milliard de barils de pétrole pendant une durée de 25 à 30 ans, et qui pourrait émettre au moins 33 millions de tonnes de CO2 par an, soit plus de trente fois les émissions annuelles de l’Ouganda et de la Tanzanie réunis. Il est urgent d’y mettre fin.

(...)

Si le combat contre la censure qu’Hanouna et Bolloré cherchent à imposer est sincère, alors la presse doit enquêter sur ces enjeux et les élus en débattre pour prendre les décisions qui s’imposent. Cela mérite d’occuper plus de temps d’antenne et de place dans les journaux que les outrances et la vulgarité d’une sinistre télé-poubelle.

Par Najat Vallaud-Belkacem
Directrice France de One

https://www.nouvelobs.com/opinions/20221112.OBS65818/boyard-hanouna-derriere-la-polemique-le-debat-confisque.html

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L'affaire Boyard-Hanouna ou la démonstration de l'emprise de Bolloré sur ses affidés (Vidéo)

17 Novembre 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Médias, #Politique, #Hanouna, #Boyard

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