La réforme du lycée et du baccalauréat est menée à marche forcée. Les programmes de l’école élémentaire et du collège, entrés en vigueur en 2015, sont en train d’être revus. La maternelle avait échappé jusqu’à présent au chambardement. Ça n’est plus le cas.
Les faits
Le 10 janvier, France Stratégie, organisme rattaché au Premier ministre, publie une note sur la scolarisation des enfants de 2 ans. Elle signale les difficultés à en évaluer les effets mais ne la remet pas en cause.
Le 3 mars, parution, attendue depuis longtemps, de décrets concernant le statut et les concours de recrutement des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, les Atsem.
Le 15 mars, publication par France Stratégie d’une note d’analyse sur l’école maternelle.
Les 27 et 28 mars se déroulent les Assises de la maternelle dont Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education nationale, a confié l’organisation à Boris Cyrulnik et à l’association Institut petite enfance (IPE) - Boris Cyrulnik qui propose des formations (payantes) aux professionnels de la petite enfance.
Différents rapports, ceux de France Stratégie, comme ceux de l’Inspection générale de l’Education nationale (Igen), publiés peu auparavant, signalent quatre problèmes qui se posent à l’école maternelle : les effectifs surchargés, le faible nombre des Atsem, le manque de formation spécifique des enseignants, la nécessité d’un accueil adapté aux très jeunes enfants.
Pour autant, cela ne veut pas dire que l’école maternelle va mal ou qu’elle ne remplit pas son rôle : une enquête (Harris Interactive, réalisée en 2015) a montré que 85 % du grand public a une idée positive de cette école et estime qu’elle fonctionne bien ; la note de France Stratégie signale que 79 % des enseignants de maternelle sont satisfaits des nouveaux programmes. Mais la coïncidence entre la publication des différents rapports et la tenue des assises incite à penser que pourrait se préparer une réforme de la maternelle.
Le premier indice est fourni par le titre de la note du 15 mars : «Un nouvel âge pour l’école maternelle ?». La note déplore, avec raison, que la maternelle ait pu perdre de sa spécificité en se calquant sur l’école élémentaire et en visant des apprentissages académiques. Mais elle dit aussi que les récents programmes scolaires ont restitué à la maternelle sa spécificité. Toutefois, une formule comme «l’école maternelle française a longtemps bénéficié d’une excellente réputation… Cette réputation est aujourd’hui ébranlée», instille l’idée d’un déclin, conclusion que retiennent certains médias. Le second indice est fourni par le choix des intervenants aux assises : à deux exceptions près, ils ne sont pas spécialistes de l’école maternelle. Une bonne partie d’entre eux sont des formateurs de Boris Cyrulnik qui interviennent d’ordinaire auprès de personnes préparant le CAP petite enfance ou le concours d’Atsem. Beaucoup d’autres sont des neuroscientifiques ou des économistes du Conseil scientifique de l’Education nationale créé par Blanquer. L’Education nationale est représentée par une inspectrice générale nommée en janvier par Blanquer et qui a pour domaine de spécialité les protéines impliquées dans l’olfaction chez la mouche drosophile et la myélinisation. N’aurait-il pas été plus raisonnable de faire appel à des inspecteurs spécialistes de l’école maternelle et à des chercheurs travaillant sur ce domaine ?
Quelle forme pourrait prendre cette réforme ? Si elle a lieu, elle devra se faire sans bruit, réaliser des économies, mettre en œuvre les conceptions éducatives du ministre. La note du 15 mars fournit des pistes à partir desquelles on peut extrapoler. Tout d’abord, comme toute attaque frontale provoquerait de l’émoi, le ministre commencera par afficher combien il aime cette école. Il pourra prendre appui sur une recommandation fort pertinente de la note de France Stratégie conseillant d’atténuer la césure qui intervient lorsqu’à l’âge de 3 ans, quand les enfants quittent la famille ou la crèche pour entrer à l’école. Mais sur le site de France Stratégie, une infographie va plus loin et propose que l’on crée des «structures accueillant les enfants de 1 à 5 ans» (1). Cela rappelle les «jardins d’éveil» que Nadine Morano avait tenté d’instaurer quand elle était aux affaires. La césure aurait alors lieu à 5 ans.
Concernant l’encadrement, la note évoque deux possibilités : doubler le nombre d’enseignants et rejoindre ainsi les standards internationaux ou faire appel à davantage d’Atsem recrutés au niveau CAP. La première hypothèse est manifestement trop coûteuse, le doublement des enseignants de CP dans les quartiers très défavorisés (REP +) a été une entreprise compliquée, et le ministère peine à réaliser sa promesse de dédoubler les CE 1. Aussi est-il tentant de confier plus de responsabilités aux Atsem, surtout si se met en place une structure accueillant les enfants de 1 à 5 ans. Les Atsem sont payés par les collectivités territoriales alors que les enseignants sont des fonctionnaires d’Etat.
Reste la question des apprentissages attendus : entre l’accompagnement éducatif des jeunes enfants et les tests que devront subir les élèves à leur entrée au CP, il y a un grand écart. Il faudra donc que la grande section de maternelle devienne une «classe préparatoire au CP».
Le ministre a sans doute prévu cela, lui qui pense qu’il existe «une» bonne méthode mêlant Montessori et neurosciences. On y ajoutera un peu de théorie sur la résilience, pour se concilier le médiatique docteur Cyrulnik, et il sortira de cela «la» recette qui sera diffusée à l’envi dans les formations.
(1) http://www.strategie.gouv.fr/ publications/un-nouvel-age-lecole-maternelle