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Lycée : surmonter les clichés sur la voie professionnelle
La dernière réforme de la voie professionnelle a été présentée jeudi 4 mai 2023 par le président Macron. Le dossier de presse qui accompagne ces annonces met en avant la nécessité de rendre la filière attractive et d’en faire une voie de réussite et d’excellence. En filigrane, il dresse ainsi le portrait d’un élève en manque de réussite subissant une orientation par défaut et enclin au décrochage.
Ces discours et ces propositions et mesures s’inscrivent dans une longue tradition d’actions en faveur de la revalorisation de la filière professionnelle, mises en œuvre depuis plus de 50 ans.
Rien d’étonnant ici à ce que dans nous retrouvions les habituels lieux communs, faisant du lycée professionnel (LP) un lieu accueillant avant tout des élèves en rupture avec l’école, ou avec certaines disciplines comme les mathématiques.
Mais les jeunes inscrits dans cette filière ont-ils un rapport aux savoirs si différent de celui qu'affichent leurs camarades préparant un baccalauréat général ?
Un rapport pratique aux savoirs ?
Perçue comme un facteur important dans l’échec scolaire de ces élèves, la question du sens qu’ils donnent au fait d’aller à l’école et d’y apprendre des choses nouvelles est centrale dans les réflexions sur la mise en œuvre des formations. Forts du contexte social dans lequel ils évoluent et de leur passé scolaire, les élèves de lycée professionnel ont développé essentiellement un rapport pratique aux savoirs. C’est-à-dire qu’ils mesurent en quelque sorte l’intérêt aux activités proposées et la légitimité des connaissances enseignées à l’aune de leur utilité et de leur caractère pratique.
Ils valoriseraient ainsi fortement l’apprentissage empirique et les savoirs professionnels permettant une action directe sur la réalité, tandis qu’ils rejetteraient la théorie et les savoirs décontextualisés. Cette entrée sociologique dessine une image du public reprise comme soubassement réflexif dans des rapports institutionnels (CNESCO, IGEN) ou des recherches portant notamment sur la mise en œuvre de l’enseignement de mathématiques.
Pour les acteurs éducatifs, l’affaire est entendue pour ainsi dire. Et c’est principalement pour raccrocher ces élèves à l’école que les dernières réformes ont mis en avant les finalités pratiques de la formation à travers la pédagogie de projet ou des dispositifs comme le chef-d’œuvre ou le co-enseignement. Objectif affiché : les aider à retrouver le sens et le goût des études.
La représentation que les acteurs éducatifs se font des élèves est décisive dans la définition des modalités d’enseignement des disciplines générales dans la filière professionnelle. Toutefois, cette focalisation sur la facette sociale des élèves interroge. Pour construire leur cours les enseignants essayent-ils de s’en détacher ? Ou cette facette sociale est-elle considérée en quelque sorte comme un caractère indiscutable de ce public, « être mauvais en mathématiques » faisant partie de la nature des élèves ?
En effet, si ces résultats sont massifs, ils ne sont pas absolus. D’abord, la filière professionnelle n’a rien de monolithique et se décline en de multiples spécialités, dialoguant avec des bassins d’emplois ayant tous leurs particularités et tenant compte des conditions locales de recrutement. Ensuite, si la forme de rapport au savoir indiquée précédemment est majoritaire chez les élèves de cette voie, elle n’est « ni unilatérale, ni fixée dans le temps ».
Une voie professionnelle prisée puis dévalorisée
Au-delà de cette nécessaire prudence, c’est l’image même de l’élève de lycée professionnel mobilisée dans les discours qui est à interroger. A la fois de discipline « outil » et matière désintéressée, souvent juge de paix dans les décisions d’orientation, l’enseignement des mathématiques est un prisme intéressant pour questionner ces représentations.
Quel enseignement de mathématiques mener pour des élèves « en difficulté » et même « incapables d’abstraction », « qui ne peuvent pas apprendre », « en rupture avec les mathématiques » et l’école en général, « les moins doués », « des éclopés du système des enseignements classiques », qui sont uniquement intéressés par le métier, « des visuels », des manuels plus que des intellectuels, des élèves difficiles, qui ont besoin de restaurer une image positive d’eux-mêmes, et qui doivent être réconciliés avec l’école ?
Les termes repris ici agrègent un ensemble de propos tenus par des acteurs éducatifs (inspecteurs, enseignants, etc.) depuis 1945, date de la création de la filière professionnelle scolarisée et montrent que cette question n’est pas nouvelle. Mais sous l’apparente similitude des termes, se cachent en vérité de multiples glissements de la façon dont les élèves sont appréhendés.
Dans la période d’après-guerre, marquée par une pénurie de main-d’œuvre, la filière professionnelle est une voie désirée. Si certains enseignants mettent en avant les difficultés en mathématiques des élèves qui l’intègrent, c’est principalement en plein, dans leurs qualités, dans ce qu’ils ont de plus que les élèves des autres filières que les acteurs éducatifs les évoquent. Ils opposent le goût pour l’action et la matérialité des choses de ce futur professionnel, préparé au monde moderne et apte à travailler au bachelier, mathématicien ou latiniste, enclin à la spéculation intellectuelle, mais qui ne sait rien faire. Fort de ces spécificités l’enseignement des mathématiques est alors pensé dans une perspective de formation complète de « l’Homme, du travailleur et du citoyen », associant apprentissage de savoir-faire, formation de l’esprit et ouverture sur le monde.
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À la fin des années 1960, s’engage un processus de dévalorisation de la voie professionnelle vers laquelle sont orientés les élèves ne disposant de résultats suffisants pour poursuivre en filière générale. La réforme des mathématiques modernes qui s’opère à cette époque dans l’ensemble du système éducatif place la théorie au cœur des apprentissages. L’élève du professionnel est pensé désormais en creux. Un élève comme les autres qui se démarque par ce qu’il n’a pas, une aptitude à apprendre des mathématiques abstraites.
Se « réconcilier » avec les disciplines générales ?
Bien vite, à cette image d’un sujet disciplinaire en difficulté va être substituée durant les années 1980, celle d’un sujet scolaire appréhendé sous sa facette sociale, en rupture avec la discipline, voire avec l’école. Ce deuxième glissement de sens contribue à vider de sa substance le discours pédagogique mis en place au moment de la réforme des mathématiques modernes. L’enjeu est moins d’aider les élèves à surmonter leurs difficultés en mathématiques que de les réconcilier avec la discipline, et de façon plus globale, l’enseignement général ou l’école avec lesquels ils semblent être en rupture.
Il s’agit de rompre avec les méthodes du collège en mettant notamment en avant des projets interdisciplinaires, en limitant les évaluations, en mettant l’accent sur la facette utilitaire de l’enseignement, minorant alors l’appel à la réflexion. Ce qui pose la question de l’abandon d’une vigilance didactique sur les contenus au profit du maintien d’une certaine paix scolaire et de la baisse des exigences d’enseignement.
Mais ces représentations contrastent avec ce que les élèves associent comme émotion, sentiment, vécu à l’enseignement des mathématiques. En fait, de façon générale, ce qui structure leur vécu disciplinaire, positif ou négatif, est moins une opposition entre des aspects pratiques ou théoriques des enseignements que leur participation à la réalisation d’un projet personnel ou professionnel qui leur tient à cœur. En cela ils ne diffèrent pas vraiment de leurs camarades de la filière générale.
Xavier Sido, Maître de conférences en sciences de l'éducation, Université de Lille
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Lycée : surmonter les clichés sur la voie professionnelle
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Lycée professionnel : réaction des chercheurs
EXTRAIT
Fabienne Maillard, sociologue et professeure de sciences de l’éducation à l’université Paris 8 et Vincent Troger, chercheur associé au CREN – Centre de Recherche en Éducation de Nantes sont tous deux des spécialistes de la question du lycée professionnel. Ils réagissent aux annonces présidentielles du 4 mai dernier.
Pour Vincent Troger, il n’y a pas vraiment de changement par rapport à la réforme de 2018. « Partenariats renouvelés avec les entreprises pour l’insertion des jeunes, taux d’insertion de chaque formation rendu public, suppression des filières peu insérantes … Toutes ces annonces n’ont rien de nouveau. Depuis 40 ans, on recycle les mêmes idées. Mêmes l’indemnité de stage est une idée qui remonte à Claude Allègre… ». Le chercheur explique ce recyclage d’idées par le manque de marche de manœuvre possible. « Depuis qu’il existe, le lycée professionnel a pour fonction de former les ouvriers, aujourd’hui des employés. Les solutions ne sont pas multiples. Soit on décide de faire des formations plutôt générales et à la sortie les entreprises finalisent les formations. Soit on décide de faire une formation en adéquation avec le bassin d’emploi en proposant des formations très précises qui font plaisir aux entreprises à court terme Cette dernière solution ne fonctionne jamais. Il faudrait enfin se rendre compte que les jeunes ne font jamais ce qu’ils avaient prévu de faire lorsqu’ils étaient à l’école, que parfois ils entrent dans une formation par défaut… Des jeunes qui cherchent en plus à mettre du sens dans leur métier ». Selon Vincent Troger, cela fait des années que les chercheurs le martèlent, mais les politiques n’entendent rien ou ne veulent pas entendre. « Les métiers changent vite, le marché de l’emploi est variable, les entreprises elles-mêmes ne savent pas trop quels seront les métiers de demain » ironise-t-il.
(...)
Lilia Ben Hamouda
Suite et fin à lire en cliquant ci-dessous
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Lycée professionnel : réaction des chercheurs
Fabienne Maillard, sociologue et professeure de sciences de l'éducation à l'université Paris 8 et Vincent Troger, chercheur associé au CREN - Centre de Recherche en Éducation de Nantes sont to...
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Non à l’instrumentalisation de l’enseignement professionnel
En plein mouvement social, Emmanuel Macron lance sa dernière opération de com : les élèves des lycées pros seront rémunérés ! Mais derrière l’effet d’annonce, cette réforme entend surtout opérer un nouveau tri social et fournir aux entreprises une main-d’œuvre bon marché.
Jeudi 4 mai à Saintes, Emmanuel Macron est venu déployer son nouvel étendard présidentiel : la réforme du lycée professionnel. En plein mouvement social, et tandis que la macronie vient de voler deux années de vie aux travailleuses et travailleurs de ce pays, le Président honni, toute honte bue, lance sa dernière opération de communication sur le dos de l’enseignement professionnel.
Voilà des semaines que syndicats, collectifs, enseignantes et enseignants combattent point par point la réforme annoncée. Mais l’effet d’annonce doit l’emporter sur le reste. Pour tourner la page catastrophique des retraites, Emmanuel Macron a besoin d’un «coup politique», le voici tout trouvé : les élèves seront rémunérés par l’Etat durant leur stage !
On comprend naturellement qu’au premier abord, il soit difficile de s’y opposer. Tout travail ne mérite-t-il pas salaire ?
Mais celles et ceux qui s’intéressent réellement au lycée professionnel depuis longtemps, et qui en connaissent les rouages, savent très bien où se situent les entourloupes, et pourquoi il faut s’opposer fermement à cette nouvelle décision hors-sol d’Emmanuel Macron, et promue dans tous les médias par son ministre Pap NDiaye.
Les élèves de lycées professionnels représentent un tiers des lycéennes et lycéens de France. Ils et elles font partie des catégories sociales les plus populaires, souvent les plus fragiles.
Plus de 90 % des lycées professionnels affichent en effet des indices de position sociale inférieurs à la moyenne nationale, rendant ainsi très alléchante la proposition d’une rémunération de 50 à 100 euros par semaine de stage effectué. Après tout, Emmanuel Macron a toujours considéré que les gens des milieux populaires devaient se contenter de ce que l’on voulait bien leur donner. «Allez à Stains, disait-il lors de sa première campagne en 2017, expliquer aux jeunes qui font chauffeur Uber de manière volontaire, qu’il vaut mieux aller tenir les murs ou dealer.»
Mais que devient la mission traditionnelle du lycée professionnel de former «l’homme, le citoyen, le travailleur» selon la formule ambitieuse du plan Langevin-Wallon ? Il aura fallu un jeudi noir de l’enseignement professionnel et l’annonce d’une énième réforme pour mettre à plat un siècle d’une conception humaniste et émancipatrice de l’enseignement professionnel.
Avec la réforme, les élèves de terminale seront confrontés au choix entre un stage prolongé en entreprises en vue d’une insertion professionnelle immédiatement après le bac, et un module de quatre semaines pour préparer une entrée en BTS. Qui choisira de renoncer à la rémunération, même faible, pour les études supérieures ? Cette mesure institutionnalise le tri social comme une fatalité.
Les élèves défavorisés deviennent des agents économiques qu’il faut vite mener vers les marchés locaux du travail puisque l’Etat propose en plus de corréler sa nouvelle carte de formation aux entreprises locales, au lieu d’assurer une vision globale qui permette aussi les mobilités. L’avenir des élèves pauvres est donc moins soumis à leurs aspirations qu’aux besoins du bassin où ils résident. Ce que l’on appelle la vision adéquationniste. Nous la refusons. Nous continuons d’affirmer que l’enseignement professionnel doit offrir aux élèves un enseignement équilibré entre matières générales (songez qu’ils n’ont toujours pas d’enseignement de philosophie) et formation professionnelle et qu’il n’est pas du rôle de l’Etat éducateur de surfer sur la misère sociale en fournissant aux entreprises une main-d’œuvre bon marché. Rappelons que les élèves en première année de voie professionnelle ont 15 ans… ce sont encore des enfants. Emmanuel Macron et Pap NDiaye se vantent dans les médias de redonner de la dignité à la voie professionnelle et l’arment même d’«excellence». Mais quelle plaisanterie ! Pendant que certains enfants travailleront pour soulager leur famille, Emmanuel Macron et ses ami·e·s continueront d’envoyer les leurs à l’école alsacienne.
Nous ne sommes pas des ingrat·e·s ; nous aurions aimé, nous aussi, nous réjouir de ce milliard alloué à l’enseignement professionnel qui tranche avec l’indifférence à laquelle nous étions jusque-là habitués. Mais à quoi bon ce milliard s’il s’agit de régresser sur la démocratisation scolaire pour contenter le patronat ? On nous répond «grande cause nationale», mais quelles sont les mesures pour réduire les injustices et inégalités scolaires ? Nous ne voyons ici qu’un geste supplémentaire de danse du ventre vis-à-vis du monde de l’entreprise et un profond mépris de l’originalité du lycée professionnel.
Un mépris qui s’étend enfin aux enseignantes et enseignants des lycées professionnels que l’on soumet au fameux «pacte» : 7500 euros annuels annoncés, conditionnés à de très nombreuses tâches supplémentaires, Quant aux collègues qui verront leurs filières (ou leur lycée !) fermer, qu’à cela ne tienne, devenez professeurs des écoles ou allez en collège leur rétorque le ministre !
De la main-d’œuvre interchangeable, «agile», voilà comment la macronie considère celles et ceux qui font vivre l’enseignement professionnel. Ce n’est pas un projet ambitieux, c’est une criante régression.
Premiers signataires
Isabelle Alonso, écrivaine, Manon Aubry, eurodéputée LFI et coprésidente du groupe de la gauche au Parlement européen, Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis, LFI-Nupes, Olivier Besancenot, membre du NPA, Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône, LFI-Nupes, Matthieu Brabant, enseignant de maths-sciences en LP, militant syndical CGT, Sophia Chikirou, députée LFI-Nupes, Alexis Corbière, député de Seine-Saint-Denis, LFI-Nupes, Guislaine David, cosecrétaire générale du Snuipp-FSU, Laurence De Cock, historienne, enseignante, Olivier Faure, premier secrétaire du PS et député de Seine-et-Marne PS-Nupes, Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine, PCF-Nupes, Nicolas Framont, rédacteur en chef de Frustration magazine, Sigrid Gerardin, cosecrétaire générale Snuep-FSU, Philippe Meirieu, pédagogue, Caroline Renson, enseignante Plp Lettre histoire, François Ruffin, député de la Somme, LFI-Nupes, Olivier Salerno, professeur en lycée professionnel, syndicaliste, militant, Fatna Seghrouchni, cosecrétaire de la fédération SUD éducation, Benoit Teste, secrétaire général de la FSU, Marine Tondelier, secrétaire nationale EE-LV, Aurélie Trouvé, députée de Seine-Saint-Denis, LFI-Nupes, Usul, chroniqueur politique, Paul Vannier, député du Val-d’Oise, LFI-Nupes, Sophie Venetitay, secrétaire générale du Snes-FSU.
Retrouvez la liste complète des signataires :
https://criticoop.files.wordpress.com/2023/05/tribune-enseignement-professionnel.pdf
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Non à l'instrumentalisation de l'enseignement professionnel
Jeudi 4 mai à Saintes, Emmanuel Macron est venu déployer son nouvel étendard présidentiel : la réforme du lycée professionnel. En plein mouvement social, et tandis que la macronie vient de vo...
Lycée Pro - "Pourquoi tant de précipitation ?", se demande un proviseur en Moselle
Au lendemain de la présentation de la réforme des lycées professionnels, le syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale en Moselle déplore un timing serré pour mettre en place les mesures, même si ce n'est "pas une révolution".
"Ces objectifs sont dans la droite ligne de ce que nous faisons déjà actuellement", reconnait Patrick Stemmelin, proviseur du lycée polyvalent Louis de Cormontaigne à Metz, et membre du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale, invité de France Bleu Lorraine, vendredi 5 mai. Emmanuel Macron a présenté jeudi les grandes lignes de la réforme des lycées professionnels, en Charente-Maritime. "C'est une poursuite de la transformation de la voie professionnelle, pas vraiment une grande révolution."
Parmi les mesures annoncées : l'augmentation de 50% de la durée des stages pendant l'année de terminale. "Ça veut dire qu'il va falloir travailler en amont avec l'ensemble des petites et moyennes entreprises", explique-t-il. "Il y a une vraie difficulté économique en ce moment, c'est parfois compliqué de positionner des élèves dans des formations suivant les secteurs, le territoire ou la filière."
"Un problème éthique"
Les stages seront aussi rémunérés pour les élèves, avec une gratification accordée par l'État de 50 à 100 euros par semaine. "Sur ce point, on est plutôt partagés", admet Patrick Stemmelin. "D'un point de vue économique, évidemment, ça peut être un accompagnement pour les élèves et leurs familles, souvent les plus en difficulté."
Mais pour le proviseur, cette annonce pose question "d'un point de vue éthique". "La période de stage fait partie intégrante de la formation d'un élève, et il n'est pas payé le reste du temps. Est-ce que la valorisation de l'enseignement professionnel doit passer par la rémunération des élèves ? Je n'en suis pas convaincu."
La réforme commencera à s'appliquer dans les prochaines mois, dès la rentrée de septembre 2023, "alors que les élèves de troisième ont quasiment terminé leur dossier d'orientation", regrette le syndicaliste. "Pourquoi tant de précipitation ? Nous étions en train de participer à des groupes de travail, on n'est pas prêt à remodifier tout ce qu'on a préparé depuis le mois de janvier. Tous les calendriers de stages sont calés, beaucoup de choses sont en jeu."
Bastien Munch
Macron met les lycées professionnels au service des entreprises
EXTRAITS
Le président de la République a dévoilé, jeudi 4 mai, les contours de sa réforme du lycée professionnel. Un florilège de mesures pro-entreprises, parmi lesquelles la gratification des stages… par l’État. Les organisations syndicales se disent déjà prêtes à se mobiliser.
ne manquait plus que la cotation en Bourse des établissements et le tableau était complet. Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 4 mai, les modalités de la réforme des lycées professionnels qu’il avait promise pendant la campagne présidentielle. Un projet largement tourné vers l’entreprise : augmentation de la durée des stages et gratification de ceux-ci, installation d’un « bureau des entreprises » dans chaque établissement, adaptation des formations aux offres d’emploi du territoire…
Dans le débat ancien sur la vocation de l’enseignement professionnel, le président de la République a tranché. Au cours de son intervention d’une trentaine de minutes, dans un lycée de Saintes (Charente-Maritime), il a exposé sa vision, où l’objectif d’insertion des élèves l’emporte sur la dimension sociale et pérenne de l’enseignement dispensé. « Il faut que la voie professionnelle redevienne la voie privilégiée vers l’emploi et le bon emploi », avait-il écrit la veille dans une tribune.
Concrètement, pour aider les familles à faire leur choix, les formations seront désormais présentées avec leur taux d’insertion professionnelle. La liste des diplômes proposés dans chaque établissement sera également repensée au niveau local pour mieux coller aux besoins des entreprises locales. « Il est intelligent de rouvrir des formations » dans les métiers en tension, a dit Emmanuel Macron ; à l’inverse, d’autres filières moins recherchées (il a cité l’exemple du baccalauréat relation clients) seront fermées ici et là.
Dans la même veine, tous les élèves qui le voudront seront accompagnés d’ici à 2025 par un « mentor » issu du monde du travail, a promis le chef de l’État. Au sein même des lycées, des professionnels viendront enseigner aux côtés des profs, les entreprises auront un bureau permanent dans chaque établissement et les élèves passeront plus de temps en entreprise. En terminale, celles et ceux qui exprimeront le souhait de travailler dès l’obtention de leur diplôme verront leur durée de stage augmentée de plus de 50 %.
Promesse du candidat Macron en 2022, la mesure avait été abandonnée au cours de la concertation menée par le gouvernement. La ministre chargée du dossier, Carole Grandjean, avait reconnu dès janvier une « absence de consensus » sur ce point. Emmanuel Macron a fait revenir l’idée par la fenêtre, en la limitant à l’année de terminale et aux élèves désireux de s’insérer après le bac.
Des amendements qui ne dissipent pas la colère des organisations syndicales. « On ne s’y attendait pas, reconnaît Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. On nous laissait entendre qu’il y aurait un recul partiel là-dessus. Finalement, on revient dans le même schéma. Ce qu’on nous dit, c’est qu’il vaut mieux être formé en entreprise qu’à l’école. » Et le syndicaliste, lui-même enseignant, de citer l’exemple du CAP coiffure. « En stage, on vous fait souvent balayer les sols, on ne vous enseigne pas les relations clients, illustre-t-il. À l’école, on vous enseigne la coiffure, on a des retours pratiques… On n’apprend pas de la même manière. »
Même l’Association des apprentis de France (ANAF), plutôt favorable à la réforme, craint les « difficultés » à venir. « La multiplication des stages réduit la nuance entre le quotidien d’un apprenti et d’un stagiaire », prévient la structure, rappelant que des lycéens choisissent la formation classique « parce qu’ils ne se sentent pas prêts à entrer dans le monde du travail ». Comme les enseignant·es, l’ANAF alerte également sur le « contenu des stages » et leur contrôle par les établissements, aujourd’hui très inégal. La CFDT Éducation, elle, rappelle les « biais discriminants » des stages, citant les inégalités de genre, sociales et territoriales.
Une réforme macroniste jusqu’au bout des mesures
Autre point d’inquiétude : l’Élysée a annoncé que la réforme se ferait « essentiellement par la voie réglementaire ». Le diable se cachant dans les détails, les organisations syndicales en ont déduit qu’une partie des annonces trouveraient leur traduction dans un véhicule législatif. Et les regards se tournent, déjà, vers un des textes portés prochainement par Olivier Dussopt, présent à Saintes jeudi. De quoi faire craindre une bascule, totale ou partielle, de l’enseignement professionnel sous la tutelle du ministère du travail.
Dans son discours, Emmanuel Macron a tenté de prendre de court les critiques. « J’entends beaucoup de voix qui s’élèvent, a-t-il lancé. Alors, on vous dira que tout ça est une privatisation, je connais par cœur tous les arguments. [On vous dira] qu’on est en train de donner le lycée professionnel aux entreprises. Formidable. Mais enfin, que tous ceux qui défendent le système tel qu’il fonctionne aujourd’hui en répondent ! »
Difficile d’imaginer rhétorique plus macroniste. La disruption contre les rentes, le mouvement contre le statu quo, le tropisme pro-business : le président de la République a donné à voir à Saintes la substantifique moelle de son (maigre) logiciel politique. « Ce qu’on est en train de bâtir, c’est une vraie réponse à la fracture des territoires et des destins », a-t-il lancé, appelant à « lutter contre le déterminisme social », un champ lexical qu’il avait mis au cœur de sa conquête du pouvoir en 2017.
(...)
Sur France Inter, la ministre de l’enseignement professionnel, Carole Grandjean, a assuré jeudi que les enseignements fondamentaux (maths, français, histoire…) seraient maintenus au même niveau. Il est permis d’en douter. Dans l’esprit du gouvernement, une telle promesse est conditionnée à l’application du « pacte », ce surplus de rémunération donné en échange de nouvelles missions pour les enseignant·es.
Les représentants des profs ont déjà dit tout le mal qu’ils en pensaient. « C’est un nouveau signe de mépris, a déploré la CFDT Éducation, qui a évoqué des annonces déconnectées de la réalité. Nous refusons l’idée d’ajouter du travail à des personnels déjà épuisés. » Pour la FSU, Benoît Teste promet « des grosses journées d’action » dès la rentrée.
Ilyes Ramdani et Jade Bourgery
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Macron met les lycées professionnels au service des entreprises
Le président de la République a dévoilé, jeudi 4 mai, les contours de sa réforme du lycée professionnel. Un florilège de mesures pro-entreprises, parmi lesquelles la gratification des stages...
Ces bacs pro qui déjouent les pronostics...
Si les procédures d’admission limitent leurs chances d’accès à l’enseignement supérieur, certains bacheliers professionnels se faufilent à travers les mailles du filet. Comme Thibaut, bachelier en menuiserie, qui a validé sa licence en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) en trois ans, avant de tenter le Certificat d’Aptitude au Professorat d’Éducation physique et sportive conformément à son projet initial.
Quant à Cristina, qui « rêve d’être pompier de Paris depuis toute petite », elle choisit après le collège la spécialité métiers de la sécurité tout en pratiquant assidûment, et à bon niveau, la danse et la boxe. Bachelière avec la mention bien, elle s’inscrit en STAPS, une orientation imaginée depuis le collège, afin de rester dans le monde du sport tout en bénéficiant d’une formation favorable à ses perspectives professionnelles.
Les enseignants de son lycée ont tenté de l’en dissuader et le proviseur a même « fait un dessin d’un avion qui se cassait, qui se crashait » pour illustrer les risques d’une telle orientation. Trois ans plus tard, Cristina titulaire d’une licence est inscrite en master entraînement sportif et va passer le concours de sous-officier.
De son côté, Albert orienté en maintenance des équipements industriels faute d’avoir pu aller en lycée général, vit son passage en lycée professionnel positivement. Les enseignements pratiques lui permettent de se placer dans une dynamique scolaire qui l’invite à envisager une poursuite d’étude audacieuse :
« J’avais envie de faire quelque chose où il faut plus réfléchir, où il faut faire des maths ou de la physique […] et peut-être avoir un boulot qui me plairait un peu, plutôt que d’être simple ouvrier. »
Après l’obtention du baccalauréat avec mention très bien, Albert intègre une classe préparatoire aux grandes écoles qu’il considère comme « une passerelle pour aller dans une école d’ingénieur » sur les traces d’un ancien étudiant du lycée qui a intégré Polytechnique.
Moins de 7 % des inscrits en licence
Ces cheminements atypiques attirent l’attention sur la présence et la réussite de bacheliers professionnels là où on ne les attend pas. Ils mettent au jour les stratégies déployées par des jeunes pour réaliser un projet d’étude en lien avec leur parcours de vie et leur capacité à résister au pouvoir d’orientation de l’institution scolaire, s’affirmant comme des acteurs de leur histoire scolaire.
La présence des bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur peut paraître surprenante au vu de leur formation secondaire spécifique qui prépare plutôt un accès direct sur le marché du travail. Elle l’est moins dès lors que le regard se déplace sur leur projet personnel ou professionnel, leurs expériences scolaires, leurs loisirs extrascolaires et sur les fondements historiques de ce diplôme.
Créé en 1985 et devenu le deuxième baccalauréat de France en termes d’effectifs, le baccalauréat professionnel est présenté comme une formation organisée en vue de l’exercice d’un métier tout en permettant l’accès aux études supérieures. Actuellement, la moitié des élèves de terminale professionnelle souhaitent continuer des études. Toutefois, seulement le tiers des bacheliers professionnels accèdent à l’enseignement supérieur hors contrat d’apprentissage (contre 17 % en 2000), quand c’est le cas de la quasi-totalité des bacheliers généraux et des trois quarts des bacheliers technologiques. Ils optent le plus souvent pour une section de technicien supérieur (STS) et leur taux d’inscription dans l’enseignement supérieur a progressé essentiellement vers ces STS (25 % contre 10 % en 2000 hors apprentissage).
Depuis de nombreuses années en effet, ils représentent moins de 7 % des inscrits en licence à l’Université dans des formations variées : sciences humaines et sociales, langues, administration économique et sociale, droit, STAPS, lettres… rarement en institut universitaire de technologie.
Leur présence en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) se montre plus rare encore (0,1 % en 2020). L’admission en CPGE, filière post-baccalauréat particulièrement sélective en France, demeure l’apanage d’un cercle restreint de jeunes. Face à ce contexte, sur l’ensemble du territoire, six lycées proposent pour les bacheliers professionnels une CPGE en trois ans (trois classes scientifiques et trois économiques). Les jeunes rencontrés dans l’une de ces classes soulignent l’importance des compétences scolaires, mais aussi des ressources extrascolaires, des expériences du monde professionnel qui peuvent redonner sens aux études, et d’un projet qui exprime une ambition scolaire et/ou sociale.
Certains ont pu vivre une orientation imposée vers l’enseignement professionnel quand d’autres assument et revendiquent cette décision. Tous font de leur passage en lycée professionnel un temps de (re)construction d’un rapport favorable au savoir qui impulse une envie de rebond vers des études supérieures, dans une dynamique scolaire favorable confirmée par leur mention au baccalauréat. Selon leurs propres mots, cette CPGE constitue « une deuxième chance », « une opportunité », « un challenge », « un tremplin »…
Dynamique de projet
Les bacheliers professionnels inscrits en licence à l’université y sont rarement par hasard ou par défaut. Les STAPS par exemple représentent un espace qui permet de prolonger une expérience positive vécue à travers leurs loisirs, le sport. Le sentiment de réussite dans cette matière, conforté par une pratique extrascolaire compétitive, les amène à formuler une ambition d’études et un projet de rester dans le monde du sport.
En contraste avec une orientation plus ou moins contrainte vers le lycée professionnel, leur démarche vers l’université est volontariste et même offensive, faisant fi des découragements institutionnels. Ils s’inscrivent dans la formation universitaire des métiers du sport pour enraciner leur parcours dans une cohérence qui relie leur histoire familiale et sportive à leur projet de vie. Ils s’offrent aussi un rebond scolaire en s’appuyant sur une pratique sportive qu’ils considèrent comme un élément structurant de leur parcours et se projettent vers un travail passionné en lien avec le sport.
Les ressources accumulées en dehors de l’école, pour les bacheliers professionnels en STAPS, ou dans l’école, pour ceux inscrits en CPGE, leur capacité à se mettre dans une dynamique de projet et le soutien de leur famille dans cette ambition, peuvent expliquer ces orientations exceptionnelles. Ils ont bénéficié à un moment donné de leur histoire sportive ou scolaire d’une reconnaissance institutionnelle, par la compétition sportive et les notes, par l’encadrement sportif et/ou les enseignants qui les ont repérés.
Le bien-fondé de leur détermination à investir les cursus plus improbables de l’enseignement supérieur se trouve ainsi légitimé. Informés des difficultés, ils entreprennent des études longues : misant sur leur motivation, ces sentiers escarpés apparaissent comme un chemin prometteur pour réaliser un projet personnel et professionnel, à la recherche d’une cohérence entre leurs aspirations et les opportunités de jeu qu’offre l’institution à un moment donné. « Rien n’est impossible en fait… s’il y a la motivation derrière, tout le monde peut y arriver », selon Cristina.
S’ils sont peu nombreux à obtenir leur licence en trois ans, un passage à l’université se montre bénéfique en matière d’insertion professionnelle. Alors que la tendance en France est de valoriser les cursus scolaires linéaires et rapides et que les bacheliers professionnels connaissent des parcours marqués par des pauses et des bifurcations plus que les autres lycéens, ces diplômés invitent à (re)considérer l’importance des parcours de formations modulaires ainsi que le vivier de jeunes qui aspirent à d’autres perspectives professionnelles via des études supérieures.
Christine Guégnard, Chercheure en sciences de l'éducation, associée à l'IREDU (Institut de recherche sur l’éducation, sociologie et économie de l’éducation), Université de Bourgogne – UBFC et Carine Erard, Enseignante-chercheure à l’UFR STAPS - Faculté des Sciences du sport et membre de l’IREDU, Université de Bourgogne – UBFC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Des élèves de lycée pro ont dû travailler la nuit pour coudre les robes de Miss France
Des élèves du lycée professionnel Octave-Feuillet ont travaillé jusqu’au bout de la nuit, plusieurs jours de suite, pour coudre les robes et chapeaux des Miss France à l’occasion du concours diffusé sur TF1 en décembre dernier. Alerté, le rectorat de Paris a dû intervenir.
d’une nouvelle réforme, tout est bon pour valoriser les lycées professionnels, même si l’arrière-boutique est parfois peu reluisante. Au lendemain de l’élection de Miss France 2023, le 17 décembre 2022, plusieurs personnalités du monde de l’éducation se sont ainsi fendues d’élogieux messages publics au lycée de la mode et des métiers d’art Octave-Feuillet, à Paris, dont les élèves ont réalisé cinq robes pour les finalistes du concours de beauté. l’aube
La ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnelle, Carole Grandjean, a adressé sur Twitter un « immense bravo » à ces lycéennes qui ont fait « briller la voie professionnelle et les yeux des français (sic) ». Le recteur de Paris, Christophe Kerrero, en complément d’un message officiel de l’académie, a personnellement salué ces « merveilleuses créations, symboles du savoir-faire et de l’excellence à la française ». Les élèves, filmées au travail, ont également fait l’objet d’un reportage, diffusé sur TF1 après le concours.
La direction du lycée elle-même a abondamment relayé l’évènement sur son compte Twitter, en concluant par la citation d’une élève déclarant avoir passé la « meilleure semaine » de sa vie à la confection de ces bikinis, capes chamarrées et coiffes ornées de plumes et de bijoux.
Le rectorat, de même que la médecine scolaire, avait cependant été alerté, cette même semaine de décembre, des conditions difficiles dans lesquelles ces costumes avaient été créés. Les élèves, mineures pour la plupart (voir notre Boîte noire en fin d’article), ont dû pour certaines travailler jour et nuit et dormir dans l’établissement, au mépris de toutes les règles encadrant la scolarité et le travail en lycée professionnel.
Ce que le rectorat de Paris, interrogé par Mediapart, ne dément pas : « Cette année, ce projet a conduit, en raison notamment de contraintes de livraison de fournitures, à exposer quelques élèves de l’établissement à un rythme de travail trop soutenu dans les derniers jours précédant la manifestation. »
Le vendredi avant la diffusion du concours sur TF1, « la directrice s’est vu sommée de ne plus faire travailler d’élèves la nuit au lycée », précise un membre de l’équipe pédagogique du lycée parisien.
"C’est le rôle des adultes, qui ont des jeunes en charge, d’apprendre qu’une carrière se construit aussi sur des “non”."
Un membre du personnel du lycée Octave-Feuillet
Selon plusieurs témoignages, le travail en atelier, partie intégrante de la formation en lycée professionnel, a en effet largement débordé le cadre habituel. Les élèves, dont la plupart n’habitent pas dans le XVIe arrondissement de Paris où se trouve le lycée Octave-Feuillet, n’ont pas pu rentrer chez elles et ont dû coudre tissus, strass et plumes une bonne partie de la nuit, les jours précédant l’évènement.
Sous la pression, certaines craquent, pleurent, font des crises d’angoisse. Pour récupérer, elles doivent dormir, la tête posée sur leurs bras croisés, à même la table de l’atelier.
Interrogée, la proviseure du lycée renvoie vers le rectorat de Paris, qui confirme avoir, « dès qu’il a été prévenu de ces éléments », immédiatement pris « les dispositions nécessaires pour les faire cesser ». Des solutions d’hébergement à proximité, en établissement scolaire, auraient été proposées aux élèves engagées dans le projet.
Au-delà de la fatigue physique et psychologique, l’enjeu de sécurité est important, puisque l’établissement, appartenant à la Ville de Paris, accueille le soir des formations pour adultes, qui ne sont en aucun cas censés croiser des mineures sur les lieux.
Un enjeu de notoriété
La pression autour d’évènements censés valoriser l’établissement et ses élèves n’est pas nouvelle. Le lycée Octave-Feuillet a déjà travaillé l’an passé à la réalisation de robes pour Miss France, et il participe à la création de chapeaux pour le « défilé des Catherinettes », chaque année, organisé par la mairie du XVIe arrondissement.
Cette fête, tombée en désuétude, célèbre sainte Catherine, patronne des « filles à marier », et consiste à coiffer de chapeaux les femmes de 25 ans n’ayant pas encore d’époux. Elle continue d’être célébrée dans le chic arrondissement parisien, cette année par un défilé aux couleurs du réalisateur américain Tim Burton.
« Entre ce défilé, qui a lieu en novembre, et les Miss France mi-décembre, les élèves sont prises dans un étau maximal, une pression énorme, même si beaucoup sont très fières et contentes de participer à ces projets, raconte ce même membre de l’équipe pédagogique. C’est d’ailleurs ce que disent les professeures, souvent issues elles-mêmes d’ateliers de haute couture : quand les élèves seront diplômées, elles devront travailler très dur, donc autant s’habituer. Mais on ne peut pas normaliser dès le lycée le fait de s’exonérer du Code du travail et de la protection de la santé ».
Ce que confirme l’un de ses collègues. « Franchement, Octave-Feuillet, c’est un bon lycée, public, gratuit, qui donne sa chance à tout le monde, installé dans un ancien hôtel particulier, avec des gens passionnés qui y travaillent. Mais c’est le rôle des adultes, qui ont des jeunes en charge, d’apprendre qu’une carrière se construit aussi sur des “non”. »
L’entourage de Carole Grandjean affirme que la ministre n’avait pas « connaissance de ces conditions » de réalisation avant de tweeter son soutien. La société productrice du concours de Miss France, également sollicitée par Mediapart, explique avoir fait part de ses « souhaits d’orientations artistiques au lycée » dès le mois d’octobre 2022, « soit 6 à 7 semaines » à l’avance, « pour la confection de ces cinq costumes », la société Miss France fournissant la matière première dans le cadre d’une convention avec le lycée.
Ce sont les professeur·es qui ont « défini le calendrier de réalisation ainsi que les projets de créations, en fonction de ce qu’ils ont considéré comme adapté au niveau d’étude des élèves dans ces délais », ajoute le producteur Frédéric Gilbert, qui assure que la société n’a pas fait de « souhaits additionnels » justifiant des écarts en charge de travail. Il souligne également « l’exceptionnelle opportunité » pour promouvoir le lycée et les élèves, certaines sections de couture spécialisées, comme celles des « plumes et des fleurs », étant régulièrement menacées.
L’enjeu de notoriété pour les lycées professionnels est loin d’être anecdotique. Devenu au fil du temps et des réformes le parent pauvre de l’Éducation nationale, concurrencé par l’apprentissage dispensé par les centres de formation (CFA), l’enseignement professionnel traîne une réputation de « voie de garage », malgré la diversité de ses cursus.
Le rectorat de Paris explique, dans le cas d’Octave-Feuillet, soutenir la participation des élèves au projet Miss France pour « porter l’enseignement professionnel comme voie de réussite et d’excellence pour tous les élèves ».
Le rapport à l’entreprise et au monde du travail, enfin, n’est pas le moindre des points de friction, quasiment aussi vieux que l’histoire du lycée professionnel lui-même. Né après-guerre, fort de l’idée selon laquelle il fallait « soustraire la formation professionnelle des mains du patronat », et promouvoir une formation méthodique et complète de « l’homme, du travailleur et du citoyen » – expression encore revendiquée aujourd’hui par les enseignant·es –, l’enseignement professionnel sous statut scolaire a été soumis à un virage profond ces trente dernières années.
La volonté du président Emmanuel Macron, qui en a fait un sujet personnel, est d’augmenter encore le temps passé dans les lieux de travail en dehors du lycée et de coller davantage aux besoins et aux méthodes d’apprentissage des entreprises. Une nouvelle réforme en ce sens devrait être annoncée au printemps prochain, à l’issue d’une concertation lancée sous la houlette de Carole Grandjean. L’occasion, peut-être, de rappeler à tous que le Code du travail n’est pas une option.
Mathilde Goanec
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Des élèves de lycée pro ont dû travailler la nuit pour coudre les robes de Miss France
Des élèves du lycée professionnel Octave-Feuillet ont travaillé jusqu'au bout de la nuit, plusieurs jours de suite, pour coudre les robes et chapeaux des Miss France à l'occasion du concours ...
Le lycée professionnel, une voie de formation en danger ?

Le lycée professionnel (LP) attire rarement l’attention des médias. Il agite peu le débat public. C’est assez paradoxal, et ce pour au moins deux raisons. D’abord, parce qu’il scolarise et forme chaque année près de 650 000 élèves, filles et garçons, très largement issus des milieux populaires, aux trajectoires scolaires souvent heurtées et pour qui le LP est rarement un « choix ». En conséquence, il fait face à des défis scolaires de taille, il doit réussir à réconcilier l’élève avec l’école.
Ce désintérêt surprend aussi dans la mesure où le LP fait l’objet de réformes de fond régulières portées avec beaucoup de vigueur et de détermination par le pouvoir politique. Si ces transformations sont rarement discutées, elles ont pourtant des effets bien réels sur les devenirs scolaires et sociaux des élèves, sur leur famille, sur les quotidiens professionnels des personnels scolaires, enseignantes et enseignants, conseillères principales et conseillers principaux d’éducation, cheffes et chefs d’établissement, mais de tout ceci il est rarement question.
En 2018, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Jean-Michel Blanquer, engage un mouvement de transformation structurelle de la voie professionnelle. Pour le justifier, l’argument est toujours le même. Le LP manque un de ses objectifs : l’insertion professionnelle des jeunes qu’il forme. Le constat est sans appel et il suffit à expliquer la désaffection du lycée professionnel par les jeunes et leur famille.
Pour lutter contre la disqualification tout à la fois sociale et symbolique du lycée professionnel, des dispositifs pédagogiques sont mis en œuvre tels la réalisation d’un chef-d’œuvre ou la co-intervention des enseignants et enseignantes, les formations sont réorganisées en familles de métiers. Toutes ces mesures sont présentées comme permettant de mieux mettre en évidence les compétences professionnelles travaillées par les élèves en formation et les liens entre formation scolaire et monde professionnel.
En 2022, les mesures suggérées par le gouvernement poursuivent celles de 2018, certainement avec plus de vigueur encore. En effet, la valorisation du lycée professionnel se fera par la densification de la dimension professionnelle de la formation. Le LP passe ainsi sous double tutelle du ministère du Travail et de l’Éducation nationale. Le gouvernement envisage d’augmenter la durée des stages en milieu professionnel de 50 %, de densifier les liens avec l’apprentissage, nous y reviendrons.
Tournant des années 1970
Pour le grand public et pour les usagers du LP lui-même, les idées ainsi affichées peuvent apparaître tout à fait séduisantes, voire parfaitement légitimes. Mais, elles n’ont en réalité rien de très novateur. Elles ont surtout, dans les faits, la particularité d’éluder le fond du problème. La disqualification sociale et symbolique dont le lycée professionnel souffre aujourd’hui, et contre lequel le gouvernement se propose d’agir, est en fait le produit de l’histoire de ce segment du système éducatif.
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Rappelons que le lycée professionnel a d’abord connu une période faste. La préparation aux premiers niveaux de qualification et plus particulièrement les CAP vont constituer une véritable chance par les enfants des classes populaires qui, par ce biais, pourront accéder aux diplômes, au travail qualifié, plus justement rémunéré et permettant une promotion sociale.
L’enseignement professionnel perd sa capacité de promotion de la classe ouvrière et son prestige à partir des années 1970, sous l’effet conjoint de la dégradation des conditions économiques et de la politique d’unification du système éducatif. L’enseignement professionnel se voit ainsi intégré, non plus à l’enseignement primaire comme c’était le cas avec les collèges d’enseignement technique (CET), mais à l’enseignement secondaire par le biais des lycées d’enseignement professionnel (LEP).
L’offre des formations du lycée va alors se diversifier ce qui va contribuer à inscrire l’enseignement professionnel au bas de la hiérarchie scolaire. Dans un contexte de course aux diplômes et aux qualifications, les CAP, BEP autrefois instruments efficaces de promotion des enfants des classes populaires deviennent donc des certifications de la seconde chance. La création du bac professionnel en 1985 ne va en rien bouleverser la hiérarchie des filières et des diplômes.
La désaffection pour le lycée professionnel, sa disqualification scolaire et sociale n’est pas d’abord ou même surtout le produit ou le résultat d’une inadéquation entre le LP et le monde économique, elle est d’abord le produit de son histoire. Elle a aussi beaucoup à voir avec la réalité du marché du travail pour les ouvriers, ouvrières, employés et employées d’exécution aujourd’hui.
Pour le dire autrement, si les élèves ne s’orientent pas volontiers au lycée professionnel pour y préparer un CAP ou un bac pro, c’est aussi parce qu’eux-mêmes et leur famille ont une conscience très nette des conditions salariales et de travail qui seront les leurs.
Ainsi, lorsque le gouvernement souhaite favoriser, dans les territoires qui le nécessiteraient, le déploiement de formations sur des métiers dits en tension comme ceux des domaines du soin aux personnes ou de l’hôtellerie-restauration, prend-il la juste mesure de ce que les conditions d’emploi et de travail ont comme effet sur les processus de désaffection de certaines filières de formation ? La question de l’adéquation ou de l’inadéquation entre formation et emploi n’a pas grand-chose à voir avec ces réalités très concrètes des vies en formation et au travail.
Sélectivité de l’apprentissage
D’autres mesures proposées par le pouvoir politique ont de quoi surprendre celles et ceux qui connaissent très concrètement le LP. La volonté politique d’augmenter de 50 % le temps passé en stage conduit nécessairement à se poser la question de la place accordée et laissée à leur formation intellectuelle. L’histoire du LP en France, c’est aussi l’histoire d’une formation intellectuelle pour les ouvriers, ouvrières, employés et employées, c’est l’histoire de la formation complète, culturelle, technique et professionnelle. Ce n’est pas celle de l’apprentissage du seul geste professionnel ou de la seule compétence, apprise sur le tas, en contexte de travail.
De même, faire passer plus de temps à l’élève en entreprise c’est aussi supposer évidentes les places disponibles pour eux et elles dans ces entreprises. Les acteurs scolaires le savent très bien, les entreprises n’accueillent pas volontiers les lycéens professionnels souvent jugés trop jeunes (14 ans en seconde professionnelle) pour investir un lieu et une équipe de travail, supporter certaines conditions de travail.
Valoriser ainsi la formation en entreprise, c’est faire l’hypothèse qu’elle permet toujours d’apprendre, or est-ce si mécaniquement le cas ? Quel temps de formation, quels personnels les entreprises ont-elles véritablement à mettre à disposition des jeunes pour les former ? Ces questions se posent avec beaucoup de vigueur dans les lycées professionnels aujourd’hui lorsque le temps de stage est de 18 à 22 semaines sur 3 ans de formation en bac pro par exemple. Comment pourrait-il ne plus se poser avec un temps de formation en entreprise encore densifié ?
Attardons-nous sur un dernier argument du pouvoir politique qui là encore n’a à voir qu’avec la question de l’adéquation entre formation et emploi, celui qui vise à valoriser la formation en apprentissage. Sur ce point aussi, les questions sont nombreuses. Dans un ouvrage récent, Prisca Kergoat le montre très bien : tous les jeunes en CAP et bac pro n’ont pas les mêmes chances d’accéder à cette voie de formation.
Réussir à y obtenir une place nécessite d’abord d’avoir les bonnes dispositions, les savoir-être comportementaux qui permettent de convaincre les potentiels employeurs. Les jeunes issus des familles les plus précarisées, souvent éloignées de l’emploi ont plus de mal à accéder à l’apprentissage. Suivant les secteurs de formation considérés, certains jeunes d’origine étrangère, celles et ceux issus de l’immigration, ou les filles, peuvent faire l’objet de contraintes plus fortes de sélection que les jeunes autochtones ou les jeunes hommes.
Ces processus de sélection inégalitaires et discriminatoires sont certes difficilement objectivables, ils n’en produisent pas moins chez les jeunes le sentiment d’être victimes d’injustices. Comme pour d’autres voies de formation sélectives, l’apprentissage trie, hiérarchise les jeunes sur des critères qui n’ont pas seulement à voir avec des performances scolaires ou sur des capacités.
Ces derniers mois, les syndicats enseignants, les acteurs et actrices de terrain du LP se sont largement mobilisés. Ils et elles ont dit leur inquiétude. Ces mesures risquent d’avoir des effets réels sur les parcours de formation et les vies professionnelle et sociale des jeunes. Il est saisissant que leurs expertises soient si peu entendues par le pouvoir politique.
Séverine Depoilly, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Poitiers
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Le lycée professionnel, une voie de formation en danger ?
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Cuisine pédagogique : à Amiens, les élèves de lycée pro mettent les pieds dans le plat
Un professeur réunit ses élèves, des étudiants en master en développement durable et des enfants en CM2 derrière les fourneaux pour cuisiner local. Le but : briser les frontières entre ces mondes et valoriser les compétences des lycéens.
Le petit groupe s’enfonce dans le brouillard matinal. Depuis la route étroite, on commence à apercevoir des parcelles. «Alors, qu’est-ce qu’on va récolter ? Des poi… ?» lance Louis Teyssedou, l’enseignant de lettres et histoire-géographie. «Des poireaux !» répondent plusieurs voix adolescentes. «C’est bien, vous avez votre année !» charrie le prof. Les huit élèves de CAP ATMFC (assistant technique en milieux familial et collectif) du lycée professionnel Edouard-Gand d’Amiens (Somme) arrivent à l’Ile aux fruits, une ferme maraîchère bio qui s’est fixée comme objectif de «redonner goût au manger local», comme le dit Frédéric Fauvet, son président. «On est entre le canal de la Somme et la vieille Somme, historiquement c’est une zone de production très fertile. Au début du XXe siècle, il y avait 900 maraîchers à Amiens et 75 % de ce qu’on mangeait provenait de ce qu’on cultivait dans un rayon de 20 kilomètres. En 2017-2018, c’était 6 % et il reste dix maraîchers», éclaire-t-il.
L’association accueille beaucoup de jeunes, suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, habitants de quartiers difficiles… ou, comme ce mardi, des élèves de lycée professionnel, de CM2 et des étudiants en master éducation à la santé et au développement durable. Ensemble, ils participent à un projet monté par Louis Teyssedou, baptisé les Cuisines de minuit, qui vise à dresser des ponts entre les générations et les publics, autour de la cuisine. Tout au long de l’année, ces trois groupes d’élèves vont participer à des ateliers communs, dans une optique de sensibilisation au développement durable. «Tout le monde est complémentaire. Si on retire un étage, ça ne marche pas», assure l’enseignant. A chacun sa spécialité : l’écologie pour les étudiants, la cuisine pour les CAP, dont la formation les destine notamment au métier d’aide à domicile. Quant aux enfants, ils absorberont toutes les connaissances transmises par leurs aînés.
L’ambition de Louis Teyssedou : valoriser ses élèves de CAP, des jeunes souvent déconsidérés, par la société comme par l’école, qui manquent de confiance en eux. «C’est vraiment des invisibles, constate-t-il. Mais quand on ne leur dit pas qu’ils sont cons, ils ne sont pas cons.» Vincent Le Roux, le responsable du master, est emballé par ce partenariat, qui a démarré l’an dernier : «En lycée professionnel, il n’y a pas d’éducation au développement durable, ça manque. Ces élèves en sont les futures chevilles ouvrières et, pourtant, on met tout le paquet sur le lycée général.»
Courgettes, poireaux et pommes de terre
A l’Ile aux fruits, les élèves de CAP, majoritairement des filles, déambulent dans les 4 500 m2 de parcelles cultivées, sentant thym, persil et ciboulette, découvrant capucines et radis blanc. Les élèves de CM2 les rejoignent et tout le monde se répartit en petits groupes. Les uns partent, Opinel en main, ramasser des courgettes, d’autres apprennent à sortir de terre et calibrer des poireaux. Lylou, en CM2, découvre la verveine citronnée. «Ça sent les bonbons au citron», glisse-t-elle. Une de ses camarades croque dans une tomate rose indigo fraîchement cueillie et écarquille les yeux : «Oh, c’est trop bon !» Bilan de la récolte : 10 kilos de courgettes, 10 kilos de poireaux, moult pommes de terre et salades. Il est temps de rejoindre le reste de la promotion de CAP et de mitonner tout ça.
Dans la cuisine pédagogique du lycée, les élèves de CAP jouent à domicile. Eux qui étaient un peu en retrait lors de la récolte deviennent les référents, ceux qui savent où se trouvent les dessous-de-plat ou comment ouvrir une cocotte-minute en train de cramer. «Ce sont souvent des gens qui viennent de milieux très populaires, qui se sentent très dévalorisés. Là, c’est eux qui ont les gestes», loue Vincent Le Roux. «En leur mettant dans les pattes des primaires, on leur donne une responsabilité, c’est eux qui mènent la danse», abonde Louis Teyssedou.
L’espace est divisé en petites cuisines telles qu’on en trouve chez les particuliers, les élèves pouvant être amenés à travailler chez des personnes âgées ou handicapées une fois leur diplôme en poche. Adèle gère son groupe de CM2 d’une main de maître. Un bon test pour celle qui souhaite poursuivre en bac pro et travailler auprès de jeunes enfants. La voilà chargée de leur apprendre à couper des poireaux. «On commence toujours par le vert et on termine par ici», dit-elle en indiquant l’extrémité blanche. «L’organisation, c’est un peu compliqué, c’est une première pour moi. Mais j’aime bien», affirme l’adolescente, avant de saisir la main d’un élève de CM2 pour couper avec lui le légume. Certains se plaignent un peu : ça pique les yeux.
Les professeurs observent avec attention le ballet qui se tient devant eux. Et se rendent compte d’un écueil : les lycéens se retrouvent par moments en difficulté, quand ceux de CM2 s’en tirent bien. «On a certains élèves avec un gros retard mental, certains avec un handicap cognitif, des troubles associés comme la dyspraxie [handicap qui rend difficiles certains gestes, ndlr], la dyslexie. La plupart ont des difficultés en motricité fine, déroule Xavier Gadoux, assistant d’élèves en situation de handicap (AESH). Les enfants de CM2 vont jusqu’au bout de la tâche, eux c’est rare, ils s’arrêtent souvent.» Le but étant de valoriser les élèves de CAP, peut-être faudra-t-il convier des enfants plus jeunes l’an prochain.
«Faire confiance, lâcher la bride»
Les Cuisines de minuit s’inscrivent dans le cadre du «chef-d’œuvre», un projet que doivent mener les élèves de lycée pro, encadré par un enseignant de matière générale et un de matière professionnelle. Le programme de géographie en CAP prévoyant de travailler sur les espaces urbains, Louis Teyssedou a décidé de bosser sur du local. Avec sa classe, ils ont étudié le quartier où se situe l’Ile aux fruits avant de s’y rendre. «C’est le territoire apprenant. Ça donne du sens à ce qu’on fait», défend l’enseignant de 40 ans. Pour accrocher des élèves pas toujours en bons termes avec l’école, il s’appuie sur leurs centres d’intérêt. «Si on part de ce qu’ils font tous les jours, d’emblée on a un niveau assez élevé. Ils font de la cuisine, donc on part de la cuisine», résume-t-il.
Les professeurs de lycée pro ont généralement une grande capacité d’adaptation, contraints par le profil de leurs élèves – souvent arrivés là par défaut et pas forcément en phase avec ce que l’éducation nationale attend d’eux – à regorger d’inventivité. «Je suis issu de la classe bourgeoise. Pour moi, l’école c’est ça», dit Louis Teyssedou en orientant une main d’un côté. «Pour mes élèves, c’est ça», dit-il en plaçant l’autre main à l’opposé. «Le truc, c’est d’écouter comment elles vont réagir et s’adapter. Il faut que ça parte d’elles, leur faire confiance, lâcher la bride. Ça ne marche pas si on leur dit “il faut faire ci, il ne faut pas faire ça”.»
Au mois de juin, la précédente promotion a cuisiné pour les bénévoles de Minuit avant la nuit – d’où le nom du projet –, un festival de musique amiénois attaché à réduire autant que possible son empreinte écologique et à faire travailler des gens du coin. La plupart des élèves de CAP vivaient là leur premier concert. «L’objectif est d’ouvrir des portes culturelles», vante Louis Teyssedou, très fier d’avoir vu ses élèves prendre des selfies avec la chanteuse Juliette Armanet. Les élèves de CAP ont également concocté un atelier dégustation au sein de l’Inspé d’Amiens, l’école des futurs profs, à laquelle est rattaché le master Education à la santé et au développement durable. «Ces gamins n’auraient jamais dû passer les portes de la fac, lâche Louis Teyssedou. On est au lycée professionnel, on est censés être de vilains petits canards et on regarde vers le haut au lieu de regarder vers le bas.» Ses élèves le disent : l’université, c’est le monde des intellos. Leur permettre d’y mettre un pied le temps d’un événement, en les plaçant en position d’acteurs, capables de préparer et servir à manger, de faire découvrir des choses à de jeunes adultes bardés de diplômes, leur montre qu’ils ont une valeur.
Atelier fatigant mais vertueux
Dans la cuisine pédagogique, les étudiants de master observent ce que font leurs cadets, afin de définir les points à améliorer avec eux lors des futurs ateliers. «On va travailler sur la consommation d’eau, parce qu’ils laissent le robinet ouvert quand ils font la vaisselle, indique Hugo, qui aimerait, une fois diplômé, rejoindre une association de sensibilisation des jeunes à protection de la faune sauvage. Pour dix radis, ils ont rempli un bac d’eau avec du vinaigre, puis ils l’ont vidé, rempli de nouveau et ils ont fait pareil avec les tomates.» Voir les élèves mettre au compost les verts de poireaux, pourtant délicieux en soupe, provoque également quelques palpitations chez les spécialistes du développement durable.
Les petits groupes ont fini de nettoyer et de couper le fruit de leur récolte, font cuire flans aux courgettes et légumes vapeur. «Les élèves doivent savoir cuisiner, c’est impératif. S’ils apprennent ça, ils vont aller beaucoup plus vers des produits bios, locaux, et arrêter d’acheter des choses toutes faites», estime Vincent Le Roux. Maëlys n’en pense pas moins. Cette élève en première année de CAP, éco-déléguée de sa classe et adepte de jardinage, fait son propre compost et s’astreint déjà à sensibiliser son neveu de 4 ans aux enjeux écologiques. «Si on n’inculque pas ça dès le premier âge, la pollution va de plus en plus augmenter. Dans une cinquantaine d’années, on n’aura plus rien», anticipe-t-elle.
15h30 : les CM2 sont partis, les CAP tirent la langue. «Cuisiner et en même temps s’occuper des enfants, c’est fatigant», souffle Lucie. Fatigant mais vertueux : tous les plats préparés ce jour seront donnés à une association qui distribue des repas aux étudiants dans le besoin. Ou quand les bac - 2 aident les bac + 2.
Elsa Maudet
Cuisine pédagogique : à Amiens, les élèves de lycée pro mettent les pieds dans le plat
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Réforme du lycée pro : y aura-t-il assez de stages pour tous les élèves ?
Dans le cadre de la réforme du lycée professionnel, le gouvernement souhaite augmenter la durée des stages pour tous les élèves. Le risque : que les entreprises ne puissent pas répondre à la hausse de la demande.
L’enseignement professionnel se mobilise depuis le mois d’octobre dernier, à coups de grèves et de communiqués, contre la réforme de la filière. Parmi leurs revendications, le refus de l’augmentation d’au moins 50% des temps de stages en entreprise.
Actuellement, les élèves doivent effectuer 12 à 16 semaines de stage sur deux ans de CAP, et 22 semaines sur trois ans de lycée professionnel.
Une problématique déjà d’actualité
Cette augmentation des stages, qui devrait entrer en vigueur à la rentrée 2023, pose la question des places disponibles en entreprises. Car il n'est pas toujours aisé de trouver une structure acceptant d’accueillir un élève, et donc de prendre du temps pour le former.
Afin de créer un roulement, le président de la République, Emmanuel Macron, a abordé l'option de mettre en place différentes périodes de stages pour répartir les élèves. Une solution déjà expérimentée par de nombreux établissements, selon Annie Toudic, secrétaire générale adjointe du Snec-CFTC.
L'enseignante en lycée agricole en Bretagne estime que les établissements n'ont plus de marge de manœuvre : "Les solutions pour garantir un accès à tous en entreprise sont déjà mobilisées. Si on rallonge la durée des stages, il va y avoir un blocage."
Les entreprises pas demandeuses
À en croire les organisations patronales s’étant exprimées durant les groupes de travail entourant la réforme, les entreprises ne seraient pas non plus demandeuses de cet allongement. "Les premières remontées de nos collègues sont qu’elles ne sont pas forcément en capacité d’accueillir des stagiaires plus longtemps", indique Axel Benoist, professeur de mathématiques et de sciences en lycée professionnel.
Cela dépendrait notamment des secteurs. Le secteur scolaire, celui de la santé et de l’accompagnement à la personne risquent par exemple d’être tendus. "Dans les Ehpad, on touche à l'humain, c’est donc délicat d’embaucher des mineurs", illustre l'enseignant, également co-secrétaire général du Snep-FSU.
Même des secteurs dits "porteurs" et en besoin de recrutement, comme la restauration, la mécanique, l’automobile ou la chaudronnerie ne pourront pas satisfaire la demande. "Les entreprises attendent bien souvent des jeunes déjà opérationnels", indique Axel Benoist. Accueillir un stagiaire nécessite en effet du temps pour le former, un temps qui peut manquer aux entreprises à faible effectif.
Des disparités territoriales
Fabrice Chevaleyre, délégué général du syndicat professionnel AMICS, se veut plus nuancé. Alors que certaines entreprises croulent sous les candidatures, d’autres ne sont pas sollicitées. "Je connais une entreprise de mécanique, située à 50 mètres d’un lycée professionnel, qui n’a reçu qu’une candidature en quinze ans."
Enfin, les difficultés à trouver un stage pourraient varier d’une région à l’autre. Comme l’indique à l'Etudiant un représentant de Régions de France, "les grandes entreprises ont des capacités d’accueil supérieures à celles des PME". Cela laisse prévoir des différences entre les grandes villes et la ruralité.
Un conseil face à ces potentielles difficultés : aller toquer à toutes les portes.
Philippine Ramognino
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