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Vivement l'Ecole!

litterature

Coup de coeur... Eugène Sue...

14 Juillet 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Fichier:Gino Starace - Les Mystères de Paris (Eugène Sue) -  Fleur-de-Marie.jpg — Wikipédia

 

- Mon cher enfant — me dit-elle, à propos de cette réception solennelle où je devais me rendre le lendemain de mon arrivée — mon cher enfant, ce que vous verrez de plus merveilleux dans cette fête sera sans contredit la perle de Gerolstein.

 

– De qui voulez-vous parler, ma bonne tante ?

 

– De la princesse Amélie…

 

– La fille du grand-duc ? En effet, lord Dudley nous en avait parlé à Vienne avec un enthousiasme que nous avions taxé d’exagération poétique.

 

– À mon âge, avec mon caractère et dans ma position — reprit ma tante — on s’exalte assez peu ; aussi vous croirez à l’impartialité de mon jugement, mon cher enfant ! Eh bien ! je vous dis, moi, que de ma vie je n’ai rien connu de plus enchanteur que la princesse Amélie. Je vous parlerais de son angélique beauté, si elle n’était pas douée d’un charme inexprimable qui est encore supérieur à la beauté. Figurez-vous la candeur dans la dignité et la grâce dans la modestie. Dès le premier jour où le grand-duc m’a présentée à elle, j’ai senti pour cette jeune princesse une sympathie involontaire. Du reste, je ne suis pas la seule : l’archiduchesse Sophie est à Gerolstein depuis quelques jours ; c’est bien la plus fière et la plus hautaine princesse que je sache…

 

– Il est vrai, ma tante, son ironie est terrible, peu de personnes échappent à ses mordantes plaisanteries. À Vienne on la craignait comme le feu… La princesse Amélie aurait-elle trouvé grâce devant elle ?

 

– L’autre jour elle vint ici après avoir visité la maison d’asile placée sous la surveillance de la jeune princesse. — Savez-vous une chose ? me dit cette redoutable archiduchesse avec sa brusque franchise ; j’ai l’esprit singulièrement tourné à la satire, n’est-ce pas ? Eh bien ! si je vivais long-temps avec la fille du grand-duc, je deviendrais, j’en suis sûre, inoffensive… tant sa bonté est pénétrante et contagieuse.

 

– Mais c’est donc une enchanteresse que ma cousine ? — dis-je à ma tante en souriant.

 

– Son plus puissant attrait, à mes yeux du moins — reprit ma tante, est ce mélange de douceur, de modestie et de dignité dont je vous ai parlé, et qui donne à son visage angélique l’expression la plus touchante.

 

– Certes, ma tante, la modestie est une rare qualité chez une princesse si jeune, si belle et si heureuse.

 

– Songez encore, mon cher enfant, qu’il est d’autant mieux à la princesse Amélie de jouir sans ostentation vaniteuse de la haute position qui lui est incontestablement acquise, que son élévation est récente…

 

– Et dans son entretien avec vous, ma tante, la princesse a-t-elle fait quelque allusion à sa fortune passée ?

 

– Non ; mais lorsque, malgré mon grand âge, je lui parlai avec le respect qui lui est dû, puisque Son Altesse est la fille de notre souverain, son trouble ingénu, mêlé de reconnaissance et de vénération pour moi, m’a profondément émue ; car sa réserve, remplie de noblesse et d’affabilité, me prouvait que le présent ne l’enivrait pas assez pour qu’elle oubliât le passé, et qu’elle rendait à mon âge ce que j’accordais à son rang.

 

– Il faut en effet — dis-je à ma tante — un tact exquis pour observer ces nuances si délicates.

 

– Aussi, mon cher enfant, plus j’ai vu la princesse Amélie, plus je me suis félicitée de ma première impression. Depuis qu’elle est ici, ce qu’elle a fait de bonnes œuvres est incroyable, et cela avec une réflexion, une maturité de jugement qui me confondent chez une personne de son âge. Jugez-en : à sa demande, le grand-duc a fondé à Gerolstein un établissement pour les petites filles orphelines de cinq ou six ans, et pour les jeunes filles, orphelines aussi abandonnées, qui ont atteint seize ans, âge si fatal pour les infortunées que rien ne défend contre la séduction du vice ou l’obsession du besoin. Ce sont des religieuses nobles de mon abbaye qui enseignent et dirigent les pensionnaires de cette maison. En allant la visiter, j’ai eu souvent occasion de juger de l’adoration que ces pauvres créatures déshéritées ont pour la princesse Amélie. Chaque jour elle va passer quelques heures dans cet établissement, placé sous sa protection spéciale ; et, je vous le répète, mon enfant, ce n’est pas seulement du respect, de la reconnaissance, que les pensionnaires et les religieuses ressentent pour Son Altesse, c’est presque du fanatisme.

 

– Mais c’est un ange que la princesse Amélie — dis-je à ma tante.

 

– Un ange… oui, un ange — reprit-elle — car vous ne pouvez vous imaginer avec quelle attendrissante bonté elle traite ses protégées, de quelle pieuse sollicitude elle les entoure. Jamais je n’ai vu ménager avec plus de délicatesse la susceptibilité du malheur ; on dirait qu’une irrésistible sympathie attire surtout la princesse vers cette classe de pauvres abandonnées. Enfin, le croiriez-vous ? elle… fille d’un souverain, n’appelle jamais autrement ces jeunes filles que mes sœurs.

 

Eugène Sue - Les mystères de Paris

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Coup de coeur... Albert Cohen...

12 Juillet 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Histoire d'un livre : Belle du Seigneur d'Albert Cohen - Entretiens et  documents - Site Gallimard

Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières. Dites moi fou, mais croyez-moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né, et je sus que personne avant elle, ni Adrienne, ni Aude, ni Isolde, ni les autres de ma splendeur et jeunesse, toutes d’elle annonciatrices et servantes.

Albert Cohen - Belle du Seigneur

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Coup de coeur... Charles Baudelaire...

10 Juillet 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Un hémisphère dans une chevelure

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l’air.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j’entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus bleu et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
Dans l’océan de ta chevelure, j’entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d’hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l’éternelle chaleur.
Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé à l’opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m’enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l’huile de coco.
Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.

                                               __________________________________________

L’invitation au voyage

Il est un pays superbe, un pays de Cocagne, dit-on, que je rêve de visiter avec une vieille amie. Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu’on pourrait appeler l’Orient de l’Occident, la Chine de l’Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s’y est donné carrière, tant elle l’a patiemment et opiniâtrement illustré de ses savantes et délicates végétations.
Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête ; où le luxe a plaisir à se mirer dans l’ordre ; où la vie est grasse et douce à respirer ; d’où le désordre, la turbulence et l’imprévu sont exclus ; où le bonheur est marié au silence ; où la cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à la fois ; où tout vous ressemble, mon cher ange.
Tu connais cette maladie fiévreuse qui s’empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu’on ignore, cette angoisse de la curiosité ? Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C’est là qu’il faut aller vivre, c’est là qu’il faut aller mourir !
Oui, c’est là qu’il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l’infini des sensations. Un musicien a écrit l’invitation à la valse ; quel est celui qui composera l’invitation au voyage, qu’on puisse offrir à la femme aimée, à la soeur d’élection ?
Oui, c’est dans cette atmosphère qu’il ferait bon vivre, — là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité.
Sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d’une richesse sombre, vivent discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les créèrent. Les soleils couchants, qui colorent si richement la salle à manger ou le salon, sont tamisés par de belles étoffes ou par ces hautes fenêtres ouvragées que le plomb divise en nombreux compartiments. Les meubles sont vastes, curieux, bizarres, armés de serrures et de secrets comme des âmes raffinées. Les miroirs, les métaux, les étoiles, l’orfèvrerie et la faïence y jouent pour les yeux une symphonie muette et mystérieuse ; et de toutes choses, de tous les coins, des fissures des tiroirs et des plis des étoffes s’échappe un parfum singulier, un revenez-y de Sumatra, qui est comme l’âme de l’appartement.
Un vrai pays de Cocagne, te dis-je, où tout est riche, propre et luisant, comme une belle conscience, comme une magnifique batterie de cuisine, comme une splendide orfèvrerie, comme une bijouterie bariolée ! Les trésors du monde y affluent, comme dans la maison d’un homme laborieux et qui a bien mérité du monde entier. Pays singulier, supérieur aux autres, comme l’Art l’est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est corrigée, embellie, refondue.
Qu’ils cherchent, qu’ils cherchent encore, qu’ils reculent sans cesse les limites de leur bonheur, ces alchimistes de l’horticulture ! Qu’ils proposent des prix de soixante et de cent mille florins pour qui résoudra leurs ambitieux problèmes ! Moi, j’ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu !
Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c’est là, n’est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu’il faudrait aller vivre et fleurir ? Ne serais-tu pas encadrée dans ton analogie, et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parler comme les mystiques, dans ta propre correspondance ?
Des rêves ! toujours des rêves ! et plus l’âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves l’éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d’opium naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d’heures remplies par la jouissance positive, par l’action réussie et décidée ? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qu’a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ?
Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre, ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c’est toi. C’est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux tranquilles. Ces énormes navires qu’ils charrient, tout chargés de richesses et d’où montent les chants monotones de la manœuvre, ce sont mes pensées qui dorment ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis doucement vers la mer qui est l’Infini, tout en réfléchissant les profondeurs du ciel dans la limpidité de ta belle âme ; — et quand, fatigués par la houle et gorgés des produits de l’Orient, ils rentrent au port natal, ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent de l’Infini vers toi. 

                                            ______________________________________________

Le fou et la Vénus

Quelle admirable journée ! Le vaste parc se pâme sous l’oeil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l’Amour.
L’extase universelle des choses ne s’exprime par aucun bruit ; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différente des fêtes humaines, c’est ici une orgie silencieuse.
On dirait qu’une lumière toujours croissante fait de plus en plus étinceler les objets ; que les fleurs excitées brûlent du désir de rivaliser avec l’azur du ciel par l’énergie de leurs couleurs, et que la chaleur, rendant visibles les parfums, les fait monter vers l’astre comme des fumées.
Cependant, dans cette jouissance universelle, j’ai aperçu un être affligé.
Aux pieds d’une colossale Vénus, un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l’Ennui les obsède, affublé d’un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sonnettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l’immortelle Déesse.
Et ses yeux disent : « — Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d’amour et d’amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux. Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l’immortelle Beauté ! Ah ! Déesse ! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire ! »
Mais l’implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre.

 

Charles Baudelaire - Le Spleen de Paris

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Coup de coeur... Marge Piercy...

9 Juillet 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Right To Life
A woman is not a basket you place
your buns in to keep them warm. Not a brood
hen you can slip duck eggs under.
Not the purse holding the coins of your
descendants till you spend them in wars.
Not a bank where your genes gather interest
and interesting mutations in the tainted
rain, any more than you are.
You plant corn and you harvest
it to eat or sell. You put the lamb
in the pasture to fatten and haul it in to
butcher for chops. You slice the mountain
in two for a road and gouge the high plains
for coal and the waters run muddy for
miles and years. Fish die but you do not
call them yours unless you wished to eat them.
Now you legislate mineral rights in a woman.
You lay claim to her pastures for grazing,
fields for growing babies like iceber
lettuce. You value children so dearly
that none ever go hungry, none weep
with no one to tend them when mothers
work, none lack fresh fruit,
none chew lead or cough to death and your
orphanages are empty. Every noon the best
restaurants serve poor children steaks.
At this moment at nine o’clock a partera
is performing a table top abortion on an
unwed mother in Texas who can’t get
Medicaid any longer. In five days she will die
of tetanus and her little daughter will cry
and be taken away. Next door a husband
and wife are sticking pins in the son
they did not want. They will explain
for hours how wicked he is,
how he wants discipline.
We are all born of woman, in the rose
of the womb we suckled our mother’s blood
and every baby born has a right to love
like a seedling to sun. Every baby born
unloved, unwanted, is a bill that will come
due in twenty years with interest, an anger
that must find a target, a pain that will
beget pain. A decade downstream a child
screams, a woman falls, a synagogue is torched,
a firing squad is summoned, a button
is pushed and the world burns.
I will choose what enters me, what becomes
of my flesh. Without choice, no politics,
no ethics lives. I am not your cornfield,
not your uranium mine, not your calf
for fattening, not your cow for milking.
You may not use me as your factory.
Priests and legislators do not hold shares
in my womb or my mind.
This is my body. If I give it to you
I want it back. My life
is a non-negotiable demand.
Marge Piercy
  _________________________________________

Je ne traduis que les derniers vers :

Les prêtres et les législateurs ne détiennent pas d'actions

dans mon ventre ou dans ma tête.

C'est mon corps. Si je te le donne

Je veux le récupérer. Ma vie

est une demande non négociable.

                           ___________________________________

A lire :

 

Une femme au bord du temps - Marge Piercy, Marie Koullen, Goater Editions

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Coup de coeur... Nikos Kokàntzis...

8 Juillet 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Gioconda - Poche - Nikos Kokantzis - Achat Livre | fnac

Hier, une fois de plus, j'ai vu en rêve mon ancien quartier. Rêve la nuit, cauchemar le jour, quand on voit ce qu'ils en ont fait. Moi, au moins, je l’ai connu du temps de sa beauté. J’ai eu la grande chance de naître et grandir là-bas, j'y ai vécu la guerre, l’Occupation, puis quelques années encore.

À l'époque, avant guerre, dans des quartiers comme le nôtre, les gens vivaient dans des maisons et non dans des « résidences » ; il y avait des jardins et des fleurs, mais pas de voitures ; chaque saison avait encore son parfum, et le silence de la nuit n’était troublé que par l'aboiement d'un chien, le chant d'un coq avant le jour, les grenouilles dans la citerne du voisin l'été, le laitier du matin et les premiers bavardages des ménagères - par tout cela, et tant d'autres choses.

Nikos Kokàntzis - Giocanda

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Coup de coeur... Alfred de Musset...

7 Juillet 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?
L’amour, vous le savez, cause une peine extrême ;
C’est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même ;
Peut-être cependant que vous m’en puniriez.

Si je vous le disais, que six mois de silence
Cachent de longs tourments et des voeux insensés :
Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance
Se plaît, comme une fée, à deviner d’avance ;
Vous me répondriez peut-être : Je le sais.

Si je vous le disais, qu’une douce folie
A fait de moi votre ombre, et m’attache à vos pas :
Un petit air de doute et de mélancolie,
Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie ;
Peut-être diriez-vous que vous n’y croyez pas.

Si je vous le disais, que j’emporte dans l’âme
Jusques aux moindres mots de nos propos du soir :
Un regard offensé, vous le savez, madame,
Change deux yeux d’azur en deux éclairs de flamme ;
Vous me défendriez peut-être de vous voir.

Si je vous le disais, que chaque nuit je veille,
Que chaque jour je pleure et je prie à genoux ;
Ninon, quand vous riez, vous savez qu’une abeille
Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille ;
Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous.

Mais vous ne saurez rien. – Je viens, sans rien en dire,
M’asseoir sous votre lampe et causer avec vous ;
Votre voix, je l’entends ; votre air, je le respire ;
Et vous pouvez douter, deviner et sourire,
Vos yeux ne verront pas de quoi m’être moins doux.

Je récolte en secret des fleurs mystérieuses :
Le soir, derrière vous, j’écoute au piano
Chanter sur le clavier vos mains harmonieuses,
Et, dans les tourbillons de nos valses joyeuses,
Je vous sens, dans mes bras, plier comme un roseau.

La nuit, quand de si loin le monde nous sépare,
Quand je rentre chez moi pour tirer mes verrous,
De mille souvenirs en jaloux je m’empare ;
Et là, seul devant Dieu, plein d’une joie avare,
J’ouvre, comme un trésor, mon cœur tout plein de vous.

J’aime, et je sais répondre avec indifférence ;
J’aime, et rien ne le dit ; j’aime, et seul je le sais ;
Et mon secret m’est cher, et chère ma souffrance ;
Et j’ai fait le serment d’aimer sans espérance,
Mais non pas sans bonheur ; – je vous vois, c’est assez.

Non, je n’étais pas né pour ce bonheur suprême,
De mourir dans vos bras et de vivre à vos pieds.
Tout me le prouve, hélas ! jusqu’à ma douleur même…
Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?

Alfred de Musset

 

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Perdican

 

"Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : “ J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui."

 

Alfred de Musset - On ne badine pas avec l'amour

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Les lumières de Tipasa, la fraîcheur d’Hyde Park, les mystères de Ryoan-ji...

6 Juillet 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Une allée du Luxembourg – Gérard de Nerval | PARIS à NU

Il existe dans le monde des endroits semblant avoir été « inventés » pour servir de cocon à des méditations solitaires, des promenades, des rendez-vous amicaux ou amoureux.

Comme celui du Luxembourg.

Prévert, Coppée, Modiano, tant d’autres ont évoqué ce lieu que je fréquenterai souvent, seul ou accompagné. Ses arbres, ses pièces d’eau, ses feuilles mortes ramassées à la pelle en automne, ses bancs, ses chaises occupées ou abandonnées semblant attendre un rendez-vous, ses cris d’enfants, ses parents lisant d’un œil, surveillant de l’autre le rejeton qui s’amuse.

Et puis là-bas, tout au fond de l’allée principale, je te vois !

Légère et élégante, j’attends que tu approches. J’attends que tu sois là. J’attends en espérant que l’attente soit plus longue. L’instant est précieux. Avant le baiser, sur nos joues offertes à la tendresse.

Avec toi, j’ai passé, vraiment ou en rêve – va savoir – des heures à deviser, à refaire notre monde qui en a tant besoin.

Il y a dans ce jardin toutes les saveurs de mes voyages. Les lumières de Tipasa, la fraîcheur d’Hyde Park, les mystères de Ryoan-ji, les douceurs de Majorelle, les tableaux de Giverny…

Je te reverrai au Luxembourg… Nous ferons « orchidée » comme d’autres faisaient « catleya ». Je tiendrai ta main dans la roseraie. Et ne la lâcherai plus…

C’est au jardin du Luxembourg que j’enfouis ma mémoire. C’est au jardin du Luxembourg que j’offre mes projets.

Je sais que tu viendras, élégante et légère, me tendre tes joues fraîches sous la pluie de septembre.

J’aime tant le Luxembourg et ton visage trempé…

CC

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Coup de coeur... Alain Gerbault...

6 Juillet 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Iles de beauté de Alain Gerbault - Livre - Decitre

Tous me souriaient lorsqu'ils dansaient, et sur les visages des danseurs de toutes les lignes des Otéas je retrouvais le même sourire qui était pour moi. Ils dansaient, et cette pensée me remplissait de confusion et d'un bonheur sans mélange. Une surprise m'était aussi réservée, car les chœurs entonnaient un chant spécialement composé en mon honneur, que je devais entendre souvent par la suite à Porapora. Il n'y avait plus, hélas! de grands poètes comme autrefois qui savaient composer les Fatara ou chants d'exaltation. C'était des jeunes gens qui l'avaient fait et leur inspiration nettement européenne ne valait pas celle des chants de leurs ancêtres.

Alain Gerbault - Iles de beauté

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Coup de coeur... Jean-Paul Sartre...

5 Juillet 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Les Mains sales - Pièce en 7 tableaux de Jean-Paul Sartre - Poche - Livre -  Decitre

A six ans, tu portais un col dur, ça devait racler ton cou de poulet, et puis tout un habit de velours avec une lavallière. Quel beau petit homme, quel enfant sage ! Ce sont les enfants sages, Madame, qui font les révolutionnaires les plus terribles. Ils ne disent rien, ils ne se cachent pas sous la table, ils ne mangent qu’un bonbon à la fois, mais plus tard ils le font payer cher à la société. Méfiez-vous des enfants sages !

Jean-Paul Sartre - Les mains sales

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Coup de coeur... Colette...

4 Juillet 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

La Naissance du jour Archives - ZONE CRITIQUE

On voit, sur le visage d'un homme qui suit, du regard, certains apprêts ménagers, surtout ceux d'un repas, une expression mêlée de considération religieuse, d'ennui et de frayeur. L'homme craint le balayage comme un chat, et le fourneau allumé, et l'eau savonneuse que pousse un balai-brosse sur les dalles. Pour fêter un saint local qui commande traditionnellement aux frairies, Segonzac, Carco, Régis Gignoux et Thérèse Dorny devaient quitter les hauteurs d'une colline, et manger ici un déjeuner méridional, salades, rascasse farcie et beignets d'aubergines, ordinaire que je corsais de quelque oiseau rôti. Vial, qui habite à trois cents mètres d'ici un dé peint en rose, n'était pas heureux ce matin, car le réchaud à repasser, équipé en gril à braise, encombrait un coin de la terrasse, et mon voisin se faisait petit comme un chien de chasse le jour d'une noce. - Ne crois-tu pas, Vial, qu'ils aimeront ma sauce, avec les petits poulets ? Quatre petits poulets fendus par moitié, frappés du plat de la hachette, salés, poivrés, bénis d'huile pure, administrée avec un goupillon de pebreda dont les foliotes et le goût restent sur la chair grillée ? Regarde-les, s'ils ont bonne mine ? Vial les regardait, et moi aussi. Bonne mine... Un peu de sang rose demeurait aux jointures rompues des poussins mutilés, plumés, et on voyait la forme des ailes, la jeune écaille qui bottait les petites pattes, heureuses ce matin encore de courir, de gratter... Pourquoi ne pas faire cuire un enfant, aussi ? Ma tirade mourut et Vial ne dit mot. Je soupirais en battant ma sauce acidulée, onctueuse, et tout à l'heure pourtant l'odeur de la viande délicate, pleurant sur la braise, m'ouvrirait tout grand l'estomac... Ce n'est pas aujourd'hui, mais c'est bientôt, je pense, que je renoncerai à la chair des bêtes... - Serre-moi mon tablier, Vial. Merci. L'an prochain... - Que ferez-vous l'an prochain ? - je serai végétarienne. Trempe le bout de ton doigt dans ma sauce. Hein ? Cette sauce-là sur les petits poulets tendres... N'empêche que... - pas cette année, j'ai trop faim - n'empêche que je serai végétarienne. - Pourquoi? - Ce serait long à expliquer. Quand certain cannibalisme meurt, tous les autres déménagent d'eux-mêmes, comme les puces d'un hérisson mort. Reverse-moi de l'huile, doucement... Il pencha son torse nu, lustré de soleil et de sel, dont la peau mire le jour. Selon qu'il bougeait, il était vert autour des reins, bleu sur les épaules, à l'image des teinturiers de Fez. Quand je commandai " stop ", il coupa le fil d'huile dorée, se redressa, et je reposai ma main un moment sur son poitrail, comme sur un cheval, flatteusement. Il regarda ma main, qui annonce mon âge., - à la vérité, elle porte quelques années de plus - mais je ne retirai pas ma main. C'est une bonne petite main, noircie, dont la peau devient assez large à présent autour des phalanges et au revers de la paume. Elle a les ongles taillés ras, le pouce retroussé volontiers en queue de scorpion, des cicatrices et des écorchures, et je n'ai pas honte d'elle, au contraire. Deux ongles jolis, cadeau de ma mère - trois pas très beaux, souvenir de mon père.

Colette - La naissance du jour

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