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Vivement l'Ecole!

litterature

Littérature classique : que penser des versions abrégées, d’Homère à Jules Verne ?

7 Décembre 2022 , Rédigé par The Conversation Publié dans #Education, #Litterature

L'ODYSSEE. TEXTE ABREGE, Homère pas cher à prix Auchan

Littérature classique : que penser des versions abrégées, d’Homère à Jules Verne ?
Frédéric Bernard, Université de Strasbourg

Au moment de sélectionner le programme de lectures de l’année scolaire, les professeurs de français peuvent être conduits à choisir entre des éditions intégrales ou abrégées. Certaines œuvres de grands auteurs classiques – comme Victor Hugo, Jean-Jacques Rousseau, Jules Verne, Théophile Gautier ou encore Alexandre Dumas – peuvent en effet se décliner en librairie dans des formats abrégés. Des présentations qui suscitent questionnements et débats.

Pour expliquer le lancement dans les années 1980 de sa collection « Classiques abrégés », dans laquelle on trouve des titres comme L’Énéide, Moby Dick, Oliver Twist ou encore Notre-Dame de Paris, la maison d’édition L’École des Loisirs note par exemple qu’il s’agit de « transmettre aux jeunes générations des textes essentiels que leur ampleur risquait fort de faire sombrer dans l’oubli ». La version abrégée rendrait le classique « moins inquiétant », permettrait « de l’apprivoiser pour le mettre à la portée des jeunes lecteurs, en abrégeant le texte de manière à laisser intacts le fil du récit, le style et le rythme de l’auteur ».

Au Livre de Poche Jeunesse, qui a inscrit à son catalogue de versions abrégées des titres comme La Chartreuse de Parme de Stendhal ou La bête humaine de Zola, on affirme aussi la volonté de donner accès à « tous les plus grands classiques de la littérature française », sans « intimider les élèves qui lisent moins avec des volumes trop imposants ». Référence est faite d’ailleurs aux Instructions officielles de l’Éducation nationale de 2016 selon lesquelles le professeur « conduit les élèves vers la découverte de textes classiques et contemporains » et « peut également avoir recours à des adaptations (texte modernisé et/ou abrégé, cinématographique, bande dessinée, etc.) pour faciliter l’entrée dans les œuvres les plus complexes ».

Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la pertinence qu’il y aurait à recommander aux élèves la lecture de la version abrégée plutôt que de la version intégrale de classiques puisqu’à notre connaissance aucune étude de psychologie n’a directement comparé les effets respectifs de la lecture de l’une ou l’autre version sur les élèves.

Mise en condition des lecteurs

Tout d’abord, précisons que ces versions abrégées se caractérisent par une simple suppression de passages jugés anecdotiques ou accessoires et que les passages conservés sont sans retouche. Il ne s’agit donc pas d’une simplification linguistique des textes et, par conséquent, il n’y a pas dans l’absolu de réduction de la valeur qualitative de ces derniers.

Cela implique dans ce cas une différence principalement quantitative entre les deux versions qui rendrait la version abrégée moins volumineuse et donc moins intimidante. Cela suffit-il vraiment à justifier d’éviter le passage par la version intégrale de l’œuvre ?

Notons que, si certaines parties d’un texte, comme la description de personnages ou de lieux, peuvent sembler secondaires pour la compréhension globale d’une histoire, elles n’en contribuent pas moins à la création de liens entre les informations. Et cela permet d’expliquer certains comportements ou pensées. Le fait d’en savoir plus sur le passé d’un personnage permettra ainsi de mieux comprendre pourquoi il agit de telle ou telle manière. À cela s’ajoute le rôle que peuvent jouer ces passages soi-disant accessoires dans la mise en condition des lecteurs. Ils contribuent à les inviter à voyager mentalement dans l’univers de l’œuvre et ressentir des émotions plus ou moins fortes.

L’étude de Gregory S. Berns et de ses collègues, publiée en 2013, montrait que la lecture pendant neuf jours de la version intégrale du roman Pompeii : A Novel, de Robert Harris, s’accompagnait d’une augmentation constante et significative du niveau des émotions ressenties par des lecteurs. Cet effort quotidien allait aussi de pair avec un renforcement des connexions fonctionnelles au sein d’un réseau cérébral comprenant comme région centrale le cortex somatosensoriel, ce que les auteurs interprètent comme reflétant le rôle de ce réseau par rapport à l’augmentation des sensations corporelles induites par la lecture du roman.

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Ainsi, la notion de cognition incarnée peut être invoquée pour expliquer comment le fait de lire un roman met la lectrice ou le lecteur à la place des protagonistes de l’histoire, c’est-à-dire dans le corps de ces derniers, ce qui se traduit par ce renforcement constaté de la connectivité fonctionnelle au niveau notamment du cortex somatosensoriel. Tout cela demande du temps ; une version abrégée permettrait-elle de susciter pleinement cette dimension ?

Accompagner l’effort

Par ailleurs, si l’objectif d’une version abrégée d’un classique est surtout de rendre celui-ci moins impressionnant, cela ne va-t-il pas à l’encontre de ce préconisent les auteurs de nombreuses études recensées dans Le test du marshmallow du psychologue Walter Mischel et L’art de la niaque d’Angela Duckworth, professeure en psychologie à l’université de Pennsylvanie ?

Ces ouvrages exposent les effets bénéfiques durables de la volonté et de la persévérance sur le développement cognitivo-affectif de l’enfant, notamment lorsque ce dernier réussit à surmonter des obstacles ou des difficultés semblant pourtant indépassables.

Il faut aussi rappeler que l’enfant n’est pas seul face à sa lecture. Il pourra bénéficier de l’aide de son professeur pour atteindre sa zone proximale de développement – un concept développé par le psychologue Lev Vygotski, notamment dans son ouvrage Pensée et langage, pour décrire le niveau qu’un enfant est susceptible d’atteindre par rapport à une fonction ou une capacité cognitive, avec l’aide d’un tiers qui pourra être son enseignant. Ainsi, selon Vygotski :

« Lorsque nous observons le cours du développement d’un enfant à l’âge scolaire et le cours de son apprentissage, nous voyons effectivement que toute matière d’enseignement exige de l’enfant plus qu’il ne peut donner à ce moment-là, c’est-à-dire que l’enfant à l’école a une activité qui l’oblige à dépasser ses propres limites. Cela s’applique à tout apprentissage scolaire normal. On commence à apprendre à écrire à l’enfant alors qu’il ne dispose pas encore de toutes les fonctions qui permettent le langage écrit ».

Tout l’enjeu de l’apprentissage, sur le plan psychologique, est donc de « passer, à l’aide de l’imitation, de ce que l’enfant sait faire à ce qu’il ne sait pas faire ».

L’enseignant jouera ainsi un rôle crucial en accompagnant l’élève pendant la période de lecture du classique. Plutôt que de demander à l’enfant de lire tout l’ouvrage pour une date donnée, ce qui peut effectivement rendre cette activité intimidante, il peut procéder par étapes, en faisant par exemple lire un chapitre de l’ouvrage par semaine et en posant des questions aux élèves chaque semaine en classe pour s’assurer de la bonne compréhension du chapitre lu.

Pour aller plus loin, des pratiques d’enseignement de la compréhension en lecture sont décrites dans deux ouvrages : La compréhension en lecture, de Jocelyne Giasson, et Comment enseigner la compréhension en lecture de Maryse Bianco et Laurent Lima.

L’expérience de l’enseignant lui permettra en outre de doser de façon optimale l’effort demandé aux élèves en alternant par exemple la lecture de classiques et de nouvelles. N’oublions pas non plus les manuels de français qui peuvent, lorsqu’ils sont judicieusement conçus, donner envie aux élèves à partir d’un extrait de s’attaquer à l’ensemble d’un ouvrage.

Et pour conclure, voici ce que répond l’écrivain et ancien enseignant de lettres Philippe Delerm lorsque le journaliste Augustin Trapenard lui demande comment les élèves réagissent quand on leur fait lire Proust : « Ils sont assez fiers finalement car on leur dit d’abord qu’il a la réputation d’être très très difficile. Mais en fait, quand on les prend par la main, on se rend compte que ça suscite beaucoup d’écho ».The Conversation

Frédéric Bernard, Maître de conférences en neuropsychologie, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Coup de coeur... Alexis Ragougneau...

6 Décembre 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

« Il faut qu'on se trouve un public enemy pour la campagne du printemps. Un mec clivant, qui permettra de monter les gens les uns contre les autres. L'idée serait de l'accuser du grand péché de cosmopolitisme. La consigne vient de tout en haut. Ce sera les Blancs contre les métèques en guise de programme. La routine habituelle. On est assurés de gagner. Une simple histoire de statistiques ethniques. Nous sommes encore largement majoritaires dans ce putain de pays. » Le postulat d'Audrey, lecteur, c'est qu'il est beaucoup plus facile de démotiver un électeur que de le motiver, ou, pour faire court : mieux vaut détruire que bâtir.

Palimpseste - Alexis Ragougneau

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Coup de coeur... François Truffaut...

5 Décembre 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature, #Cinema

 

1er septembre 1978

 

Cher Jean-Louis Bory,

 

Ces déchirements qui sont comme des morts, la sensation de trou noir, du je n’existe plus, cette irréalité des visages croisés dans la rue, tout cela je l’ai connu et aussi la certitude qu’on ne peut pas faire comprendre aux autres ce qui se passe en soi, le concret qui se dérobe, ce vide hébété.

J’ai connu cela et il m’a fallu un an et demi pour m’en sortir, avant de retrouver le ressort qui fait rebondir et puis encore trois ans avant de pouvoir revivre normalement, c’est-à-dire d’aimer sans méfiance.

Je vais plier cette lettre dans une enveloppe et la poster, mais imaginez qu’elle vous parvient roulée dans une bouteille. Vous faîtes partie de ceux qui ont la chance de pouvoir exprimer l’inexprimable et de se tirer d’affaire par la création. N’oubliez pas cela.

J’ai admiré votre courage quand vous avez bravé le sardonique Philippe Bouvard en présentant la Moitié d’orange ; chaque semaine, au Masque et la Plume, vous donniez un exemple de vaillance, gaité et vitalité. A cause de cela, je sais que vous allez trouver, le moment venu, la force de donner le coup de pied qui vous fera remonter à la surface, parmi nous.

 

toute mon amitié,

François Truffaut

             _________________

 

A JEAN-LUC GODARD [mai-juin 1973]

Jean-Luc. Pour ne pas t’obliger à lire cette lettre désagréable jusqu’au bout, je commence par l’essentiel : je n’entrerai pas en coproduction dans ton film.

Deuxièmement, je te retourne ta lettre à Jean-Pierre Léaud : je l’ai lue et je la trouve dégueulasse. C’est à cause d’elle que je sens le moment venu de te dire, longuement, que selon moi tu te conduis comme une merde.

 

François Truffaut - Correspondance

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Annie Ernaux : France Culture est-elle devenue folle ?

5 Décembre 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Litterature, #Medias

Annie Ernaux : France Culture est-elle devenue folle ?

Sur France Culture, Alain Finkielkraut et Pierre Assouline brossent le portrait d’une Nobel de littérature illégitime, nymphomane identitaire et débordant de ressentiment borné. Reste un mystère : elle est traduite dans 37 langues. Est-ce le monde qui est fou ou France Culture ?

Infortunée Annie Ernaux, qui a cru se voir décerner le Nobel de littérature. En réalité, ce Nobel n’était pas un «vrai» Nobel. C’était surtout un «non Nobel» non décerné à Salman Rushdie. C’est France Culture qui développe cette analyse. D’abord dans l’émission Signe des temps, le 27 novembre, la fake Nobel Ernaux («écrivain des identités fixes, sociale et sexuelle, auxquelles est lié à peu près tout le monde») est opposée au seul Nobel légitime Salman Rushdie, «écrivain du cosmopolitisme et de l’identité changeante». Coupable, Ernaux, comprend-on, de n’être sortie de l’enfance à Yvetot que pour s’installer en mère de famille dans le Val d’Oise, et d’oser faire œuvre d’une vie si ordinaire.

Mais si elle n’était que banale ! Toujours sur France Culture, ils sont deux, pour instruire son procès dans l’émission Répliques, le 26 novembre. L’animateur et académicien Alain Finkielkraut, et l’écrivain (et ancien juré Goncourt) Pierre Assouline. Face à eux, dans le rôle de l’avocate commise d’office aux flags, rame Raphaëlle Leyris, journaliste au Monde. Après un début d’émission consacré à saluer l’œuvre, avec chaleur (Assouline) ou une tiédeur polie (Finkielkraut), commence donc le procès de l’autrice, et militante.

Passons d’abord sur quelques peccadilles. Assouline : «C’est une femme qui aime les hommes. Dès l’âge de 18 ans. Elle est tout le temps à la recherche de l’homme qui la fera vibrer.» Cette imputation de nymphomanie figure-t-elle dans la colonne actif ou passif ? Ce n’est pas précisé. Point de vue caractère, il y aurait aussi beaucoup à dire. Voilà une fille d’épicier que la culture a élevée jusqu’au Nobel, et elle ne manifeste aucune gratitude ? Finkielkraut : «Elle en veut à la culture. Elle en veut au monde cultivé. Elle est pleine non pas de gratitude mais de ressentiment.» Assouline, pédagogue : «C’est la dernière personne à qui vous pouvez demander de la gratitude. Tel que vous lui demandez, vous vous positionnez comme un dominant.» Finkielkraut, piqué dans son être-transfuge : «Je viens d’où je viens.» Bref, «vraiment dommage», cette ingratitude.

Mais au-delà de ces mauvaises notes de conduite, le plus lourd est à venir. D’abord, ce soutien à Mélenchon. A-t-on idée ? Au lendemain de sa nobelisation elle a manifesté, bras dessus bras dessous avec l’insoumis, pour… le pouvoir d’achat ! Alors que tant de nobles causes n’attendaient qu’elle ! Finkielkraut : «Elle n’a pas dédié son prix Nobel à Salman Rushdie, ce qu’elle aurait pu faire. Elle est allée manifester contre la vie chère.» Assouline révèle avoir un jour demandé à l’écrivaine comment elle pouvait soutenir Mélenchon. «Sa seule réponse : «Jusqu’à mon dernier souffle je vengerai ma race.» Politiquement elle est bornée. Comme Sartre.»

Tout faux, sur tous les sujets. Prenez la lutte contre le voile. Assouline : «Elle n’est pas Charlie. Elle dit : «Je suis pour qu’on laisse la religion musulmane tranquille.» Comme si c’était ça le sujet. Pour elle, les musulmans sont les humiliés permanents. Toujours cette vision binaire.»

A ce propos, n’a-t-elle pas jubilé le 11 septembre 2001 ? Retraçant l’attentat contre les Twin Towers, elle écrivait dans les Années : «Le prodige de l’exploit émerveillait. On s’en voulait d’avoir cru les Etats-Unis invincibles. […] On se souvenait d’un autre 11 septembre et de l’assassinat d’Allende.» «Le prodige de l’exploit émerveillait», répète Finkielkraut, incrédule. Il faudra, dans les jours suivants, que la spécialiste de littérature Gisèle Sapiro rappelle la distinction entre le «on» – description de réactions collectives – et le «elle» par lequel l’autrice parle d’elle à la troisième personne.

Tout cela ne serait encore rien. Le pire du pire, c’est son engagement dans le mouvement de boycott d’Israël. Etrange obsession. Quand il y a tant de dictateurs corrompus dans le monde, pourquoi justement s’engager, «comme par hasard, contre la seule démocratie du Proche-Orient» ? Assouline : «Si un jour il y avait une enquête à faire, il faudrait retourner au café-épicerie d’Yvetot et se demander quel genre de conversations il y avait dans ce café dans les années 50. Il y a un fond de sauce raciste là-dedans, qui demande à être exploré», glisse-t-il. Comment insinuer, sans le dire bien entendu, que la nouvelle nobélisée frise l’antisémitisme.

Reste un mystère. Cette nymphomane identitaire, débordant de ressentiment borné, est traduite dans 37 langues, rappelle Assouline. Délectable silence pensif de Finkielkraut : «37 langues, en effet, c’est très impressionnant.» C’est même incompréhensible. Le monde est fou, hors de France Culture.

Daniel Schneidermann

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Coup de coeur... Mina Loy...

4 Décembre 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Lunar Baedeker
A silver Lucifer
serves
cocaine in cornucopia
 
To some somnambulists
of adolescent thighs
draped
in satirical draperies
 
Peris is livery
prepare
Lethe
for posthumous parvenues
 
Delirious Avenues
lit
with the chandelier souls
of infusoria
from Pharoah's tombstones
 
lead
to mercurial doomsdays
Odious oasis
in furrowed phosphorous
 
the eye-white sky-light
white-light district
of lunar lusts
 
Stellectric signs
 
                     ________________________
Café du Néant
Little tapers leaning lighted diagonally
Stuck in coffin tables of the Café du Néant
Leaning to the breath of baited bodies
Like young poplars fringing the Loire
 
Eyes that are full of love
And eyes that are full of kohl
Projecting light across the fulsome ambiente
Trailing the rest of the animal behind them
Telling of tales without words
And lies of no consequence
One way or another
 
The young lovers hermetically buttoned up in black
To black cravat
To the blue powder edge dusting the yellow throat
What color could have been your bodies
When last you put them away
 
Nostalgic youth
Holding your mistress's pricked finger
In the indifferent flame of the taper
Synthetic symbol of LIFE
In this factitious chamber of DEATH
The woman
As usual
Is smiling as bravely
As it is given to her to be brave
 
While the brandy cherries
In winking glasses
Are decomposing
Harmoniously
With the flesh of spectators
And at a given spot
There is one
Who
Having the concentric lighting focussed precisely upon her
Prophetically blossoms in perfect putrefaction
Yet there are cabs outside the door.
 
                    __________________
 
La noire virginité

Petits Séminaristes
Sur vert gazon
Clôturé d'ifs
Ils trottent à pas précipités
Sous les rayons du soleil
Soie de castor
Rythme de la rédemption
Frémissement des Bréviaires

Camails à cannelures de soie noire
Suspendus raide aux épaules
Juvénilité tronquée
Ségrégation uniforme
Unie dans l'austérité
Modulation
Intimidation
Orgueil de la préparation mal comprise
Statues d'ébène dressées à l'immobilité
Mâchoires anémiées
L'une l'autre sages comme une image

Gentiment les chers petits
En toute candeur se signent sous le bourdonnement du soleil
Le cercle de l'index et du pouce réclament la chaire
Les profils abjurés par Donatello
Mâchonnent de longs sermons de boutique sacristie
Pédants évangéliques
Qui rêvent non sans inquiétude
Dans les dortoirs hermétiquement clos
Non de moi ou de toi Sœur Saraminta
Mais de rien moins
Que de porter les mitres du Pape

C'est une vieille religion que celle qui nous a assignées notre place
Et me voici en chemisier lilas
Incarnant absurdement pas moins que le diable fait chair
Mais n'en sachant pas davantage sur lui
Que sur moi
Pas plus que les Petits Séminaristes sur ce qu'« Il » est
Ou qui ils sont —
Les mites messianiques qui débitent leur rosaire latin
Adolescence subjuguée
Reviennent sur les pas perdus pour refermer les Bréviaires
Sous les ombres brûlantes
Le dernier avec une démarche apostolique
Tente de décrocher un fruit haut perché
Et le manque
De toutes façons il est immangeable
C'est toujours ainsi
Dans le Jardin Public

Lignes parallèles
Un vieil homme
Fixe une collégienne en mousseline blanche
Et tout cela
Aussi plaisant que déroutant
Ne risque pas de se rencontrer
Je suis à jamais désorientée
Les hommes en vieillissant deviennent gloutons —
Quel non-sens
Il est midi —
Et les jeunes pousses du salut
Sont rabattues vers le réfectoire
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Coup de coeur... Michel Leiris...

3 Décembre 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Michel Leiris : Haut Mal | Michel Leiris : Haut Mal suivi de… | Flickr

 

L'amoureux des crachats

 

Hors de l'antre à demi clos d'une bouche j'ai vu jaillir l'oracle trouble des crachats

Venin d'azur tu transformes mes yeux en deux crapauds cloués sur le roc de ma face au sommet de la montagne de mes années

Plusieurs rues s'étiraient jusqu'à l'extrémité des mares des lacs à fond de bourbe que l'on nomme horizons les trompettes y criaient comme crient les amarres et secouaient leurs échos pareils à des regrets inoubliés

Ce n'était que fracas multiplié de boucliers hennissements de chevaux enveloppés de longues housses métalliques crissements d'amour des lances frémissantes

Les horloges sonnaient les balances frissonnaient les enseignes dansaient mais les femmes qui passaient ne voyaient pas cet homme dont les pieds livraient une guerre sans pitié au trottoir et qui allait sa tête fanée emprisonnée dans ses idées comme celle des guerriers du passé derrière la grille de leur heaume ou bien les cloches en haut des tours de cathédrale

Les femmes passaient et ne le voyaient pas cet homme vêtu d'un grand manteau taché de craie

Elles ne s'arrêtaient pas lorsqu'elles croisaient cette silhouette dérisoire ce lumignon funeste et pâle

Il aurait aimé être étendu tout nu sur la chaussée foulé par les pieds des passants ceux des femmes surtout charmants talons d'or fin

Il aurait aimé que les immeubles s'écartassent pour laisser place à son désir d'une rupture violente

Elles ne le voyaient pas ces femmes qui passaient elles ne le voyaient pas parce qu'elles avaient oublié SON NOM son nom à lui qu'un jour l'une d'elles avait nommé

l'Amoureux-des-crachats

Passez femmes passez votre chemin si tendre

On ne peut pas toujours se rappeler n'est-ce pas le nom de celui dont le fantôme vous frôla

Ombre d'ennui

Deuil de l'ombre

Vampire triste Inquiétante larve quotidienne

On ne peut pas toujours se rappeler n'est-ce pas puisque pareille aux mousses des menhirs la mémoire sombre dans la nuit des temps parfois

 

Michel Leiris - Haut mal

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Coup de coeur... Paul B. Preciado...

2 Décembre 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Dysphoria Mundi

 

Nous ne voyons ni ne comprenons le monde, nous le percevons en le déchirant à travers les catégories étroites qui nous habitent. La douleur que nous ressentons souvent à être en vie résulte de ce déni. Le réseau bio-électronique qui constitue ce que l’on appelait autrefois l’âme humaine (elle a porté de nombreux noms au cours de l’Histoire : psyché, esprit, conscience, inconscient ; aucun de ces noms ne désigne une réalité, mais tente plutôt de décrire un processus) est en partie à l’intérieur de ce qui a été considéré jusqu’à présent comme le corps et en partie dispersé dans des appareils et des institutions ; et c’est ainsi, en utilisant comme support des architectures et des câbles, des machines et des algorithmes, des molécules et des compositions biochimiques, que notre âme parvient à traverser les villes et les océans et à s’éloigner du sol pour se rendre dans les satellites qui entourent aujourd’hui la Terre. Le corps politique vivant est aussi vaste, aussi subtil et malléable que l’âme. Je ne parle pas ici du corps en tant qu’objet anatomique ou propriété privée du sujet individuel mais de ce que j’appelle, précisément pour le différencier du corps de la modernité, la somathèque. La somathèque est l’âme distribuée à travers le temps et la matière. Notre âme non humaine et immense, géologique et cosmique, parcourt l’univers, sans que nous en ayons vraiment conscience.

Dans les sociétés modernes, l’âme est d’abord installée comme un implant vivant dans la chair, puis, lorsqu’elle grandit, elle est sculptée comme un bonsaï, par des entraînements et des punitions répétitives, par des invocations linguistiques et des rituels institutionnels, pour la réduire à une certaine identité. Certaines âmes se déploient plus que d’autres, mais il n’y en a aucune dans le jardin des vivants qui ne soient l’effet de l’implant et de l’élagage. Parmi tous les corps, certains semblent avoir existé pendant longtemps sans âme. Ils étaient appréhendés comme de l’anatomie pure, de la chair comestible, des muscles qui travaillent, des utérus reproducteurs, une peau dans laquelle éjaculer. Il s’agissait, et il s’agit toujours, de ceux qu’ils appellent animaux, de corps colonisés et asservis, mais aussi de femmes, de personnes considérées comme malades ou handicapées, d’enfants, d’homosexuels et de personnes dont l’âme, selon la médecine du XIXe siècle, voulait déménager dans un corps de sexe différent. Les corps des âmes migrantes ont d’abord été appelés « travestis psychiques » puis « transsexuels », et après « transgenres ». Plus tard, iels se sont elleux-mêmes appelé.es trans. Piégé.es dans une épistémologie binaire (humain/animal, âme/corps, masculin/féminin, hétéro/homo, normal/pathologique, sain/malade…), les trans se sont construit.es culturellement comme des âmes en exil et des corps en mutation.

Je suis, disent mes contemporains, soit une âme malade, soit un corps erroné dont l’âme cherche à s’échapper, ils ne trouvent pas d’accord. Je suis une déchirure entre le corps qu’ils m’imposent et l’âme qu’ils construisent, une brèche culturelle béante, une catégorie paradoxale, une fêlure dans l’histoire naturelle humaine, un trou épistémique, un fossé politique, un casse-tête religieux, un business psychologique, une excentricité anatomique, un cabinet de curiosités, une dissonance cognitive, un musée de tératologie comparée, une collection des erreurs d’assignation, une attaque contre le bon sens, une mine médiatique, un projet de reconstruction de chirurgie plastique, un terrain anthropologique, un champ de bataille sociologique, un cas d’étude sur lequel les gouvernements et les organismes scientifiques, les églises et les écoles, les psychiatres et les juristes, l’Ordre des médecins et l’industrie pharmacologique, sur lesquels les fascistes mais aussi les féministes conservatrices et les socialistes, les marxistes et les humanistes ces nouveaux despotes des Lumières du XXIe siècle ont toujours quelque chose à dire, sans que nous leur ayons demandé quoi que ce soit.

 

Paul B. Preciado - Dysphoria mundi

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De Baruch Weil à Marcel Proust. Entretien avec Antoine Compagnon (vidéo)

2 Décembre 2022 , Rédigé par La Vie Des Idées Publié dans #Litterature, #Art, #Culture

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Coup de coeur... Shozo Numa...

1 Décembre 2022 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature

Yapou, bétail humain [édition intégrale] - Editions Laurence Viallet

Je suis fait pour sucer les pieds de cette femme. Voilà encore le meilleur moyen de soulager les tourments de mon âme. Je me rends. Je suis un chien qui n'a rien de mieux à faire que de la laisser décider de tout à ma place. Il me suffira de lui obéir et tout ira bien. Il est révolu, le temps des angoisses. Ma félicité est à ce prix. Je serai plus heureux de la sorte que si je l'avais prise pour épouse. Quel bonheur de vivre ainsi jusqu'à la fin de mes jours...

Shozo Numa - Yapou, bétail humain

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Annie Ernaux : un engagement qui dérange

1 Décembre 2022 , Rédigé par En attendant Nadeau Publié dans #Litterature, #Politique, #Droit des femmes

Annie Ernaux, le singulier universel | L'Humanité

EXTRAIT

Le 10 décembre prochain, Annie Ernaux recevra le prix Nobel de littérature et prononcera à cette occasion son discours de réception. Mais d’ores et déjà, la première écrivaine française récompensée est la cible d’attaques injustifiées concernant ses engagements politiques, qu’il est urgent de dénoncer mais dont il faut aussi comprendre la signification plus profonde. Car si Annie Ernaux est attaquée au moment même où son œuvre est célébrée dans le monde entier, c’est que ses textes sont porteurs d’une critique de la domination symbolique, que ses détracteurs font tout pour reproduire.

Il est dans la tradition française des intellectuels engagés de mettre leur capital symbolique au service d’une cause, à l’image d’Émile Zola dans l’affaire Dreyfus. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1952, François Mauriac s’engageait dans le combat anticolonial, engagement qui lui valut insultes et menaces. L’académicien avait déjà pris position contre le franquisme, puis contre la politique de collaboration. Jean-Paul Sartre, qui refusa la distinction de l’Académie suédoise en 1964, utilisait de longue date sa renommée mondiale pour défendre les opprimés de par le monde, ce que la classe dominante ne lui a pas pardonné.

Annie Ernaux n’a pas dérogé à cette tradition en appelant, le jour où la vénérable académie annonçait son choix de la distinguer, à manifester contre la vie chère et l’inaction climatique, dans la continuité de son combat contre les injustices sociales. Son œuvre met à nu la violence symbolique inhérente aux rapports de classe, qu’elle parvient à dépasser par une écriture qui restitue au monde d’où elle vient, celui des petites gens, des dépossédés, des sans voix, toute sa dignité. La poignante description d’un avortement clandestin qui ouvre son premier roman, Les armoires vides (paru en 1974, alors que se tenaient à l’Assemblée nationale les débats sur le projet de loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse), fondée sur une expérience sur laquelle elle est revenue dans L’événement (2000), et son analyse fine de la violence symbolique qui s’exerce dans les rapports genrés, mais aussi l’affirmation du désir féminin et jusqu’au renversement du rapport de domination dans l’aventure que narre Le jeune homme, font d’elle une référence pour les féministes.

(...)

Gisèle Sapiro

L'intégralité est à lire en cliquant ci-dessous

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