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Julie Neveux et Antoine Compagnon à propos des anglicismes... Je penche pour Julie Neveux...
Antoine Compagnon : "On est sidérés de cette accumulation" d'anglicisme dans la communication institutionnelle
Respectivement linguiste, maîtresse de conférence à Sorbonne Université, et écrivain et critique littéraire, Julie Neveux et Antoine Compagnon sont les invités de Jérôme Cadet et Carine Bécard pour débattre sur le dernier rapport de l'Académie française.
L'Académie française a adopté mardi un rapport dénonçant la confusion due à l'abondance d'anglicismes dans la communication institutionnelle, et le risque "d'une perte de repères linguistiques". Intitulé "Pour que les institutions françaises parlent français", le rapport d'une trentaine de pages a été rédigé par une commission ad hoc, composée de six académiciens.
L'Académie, gardienne de la langue de Molière, décèle "une évolution préoccupante", à savoir une "envahissante anglicisation". Selon elle, "nombre d'anglicismes sont employés en lieu et place de mots ou d'expressions français existants avec pour conséquence immanquable l'effacement progressif des équivalents français". "Follower" serait par exemple trop souvent privilégié face à "abonné, mais aussi adepte, ami, contact, fan, suiveur", détaille-t-elle.
Antoine Compagnon, écrivain et universitaire, l'un des grands spécialistes de la littérature française et de l'œuvre de Marcel Proust, élu à l'Académie française jeudi :
"J’ai pris connaissance du rapport hier samedi. Le bilan est extravagant et extraordinaire. Le rapport fait trente pages. Les vingt premières, c’est une liste de monstruosité que l’on appelle communication institutionnelle. On est sidéré de cette accumulation. J’avais l’impression de me retrouver dans un film de Tati. Ces anglicismes, c’est ridicule. Pendant des années, j’ai fait mes réservations pour le train sur un site qui s’appelle Ouigo. C’est un très mauvais jeu de mots. Ils ont changé pour SNCF Connect. Pourquoi changer ce nom ? Ça paraît bête."
Julie Neveux, linguiste à la Sorbonne université et dramaturge, normalienne, auteure de "Je parle comme je suis : enquête linguistique sur le 21e siècle" (Grasset) et "La grammaire enfin rendue à la vie" :
"Le discours publicitaire promotionnel qui n’est pas du tout représentatif de la façon dont on se parle tous entre nous. Dire qu’utiliser des mots étrangers serait le signe d’un appauvrissement ou d’une menace, c’est faux. C’est un signe de vitalité. Une langue qui est capable d’absorber des mots étrangers, ça veut dire qu’elle est vivante. Tout le problème à l’Académie française, c’est que sa mission est impossible."
Les invités
Julie NeveuxLinguiste
Antoine CompagnonProfesseur au Collège de France depuis 2006, titulaire de la chaire de Littérature française moderne et contemporaine
L'équipe
Jérôme CadetJournaliste
Carine BécardJournaliste
Mathilde KhlatProgrammatrice
Cécile Alduy: "Quelle langue parle Eric Zemmour ?" - Vidéo
«Eric Zemmour ressuscite l’esprit du lepénisme: misogynie, homophobie et violence verbale» - Cécile Alduy
Obsession de la race et de la guerre, torsion du sens des mots, paraphrases d’auteurs chers à l’extrême droite: la chercheuse Cécile Alduy a analysé le discours d’Eric Zemmour. Elle en ressort un livre, «la Langue de Zemmour» qui décrypte une rhétorique à la fois fascinante et fascisante.
Dans un ouvrage court mais précis, la Langue de Zemmour (Seuil), Cécile Alduy, professeure à l’université de Stanford et chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof), analyse comment Eric Zemmour manie la langue française dans ses livres. Si le candidat maurrassien est présenté comme un intellectuel cultivé voire même un historien par ses soutiens, il est surtout un homme qui emploie à outrance la violence verbale et qui joue sur les peurs et les fantasmes.
Que nous disent les mots d’Eric Zemmour sur son positionnement politique ?
Deux types de mots sont surreprésentés et particulièrement révélateurs de son idéologie : le vocabulaire de la guerre (troisième mot le plus représenté dans ses livres) et le vocabulaire racial. Aucun autre responsable politique, pas même Jean-Marie Le Pen, n’utilise autant le terme de «race» : 135 fois sur ses dix derniers ouvrages – contre zéro pour tous ses opposants politiques. Eric Zemmour construit une propagande par la peur qui doit susciter un «instinct de lutte» pour citer le grand analyste de la propagande soviétique et hitlérienne, Serge Tchakhotine.
Il s’agit de terroriser les lecteurs devenus électeurs par des descriptions de scènes de «guerre civile», passées, présentes, ou futures et créer ainsi un réflexe d’auto-défense contre des «ennemis» clairement identifiés. Cette vision du monde morbide et conflictuelle reflète un positionnement politique ultra-nationaliste et xénophobe, au sens propre de «peur de l’étranger» ou phobie de l’autre.
Qui sont ses principaux référents idéologiques et comment les utilise-il ?
Eric Zemmour n’invente rien : il copie. Ses livres sont la paraphrase dans la forme et sur le fond d’un corpus d’extrême droite très classique, assez banal même. Pour la forme, il s’inspire des pamphlétaires comme Edouard Drumont ou Robert Brasillach avec un style acéré, persifleur, qui prend ses exemples dans les faits divers et les marasmes de la vie politique. Pour le fond, il reprend toute une série d’écrivains contre-révolutionnaires et antirépublicains, de Augustin Thierry (historien qui théorise au XIXe siècle la «guerre des races») à Maurice Barrès, et surtout Charles Maurras, qui imprègne toute sa pensée. D’où une proximité idéologique très forte avec Jean-Marie Le Pen, qui a les mêmes référents. A cela Eric Zemmour a ajouté la théorie du «grand remplacement» de Renaud Camus et lui a donné une formidable caisse de résonance.
La violence de son discours alliée à l’ère du buzz et du clash permanent ont-elles favorisé l’émergence d’Eric Zemmour ?
Eric Zemmour disait la même chose il y a quinze ans mais n’était pas entendu. Jean-Marie Le Pen disait la même chose, avec la même violence, il y a trente ans et il était ostracisé. Incontestablement, le succès médiatique et peut-être électoral d’Eric Zemmour aujourd’hui est un symptôme d’un état de la société, du monde politique et du régime de la parole publique aujourd’hui. La commercialisation du conflit et de la violence verbale (autre manière de décrire «l’ère du clash») conduit mécaniquement à promouvoir des «produits» médiatiques à forte audience, car fort potentiel polémique. Eric Zemmour est le candidat parfait d’un système médiatique, j’y inclus les réseaux sociaux, régi par une logique économique et non la création d’un espace de médiation et de délibération démocratique apaisé.
En 2015 vous aviez écrit «Marine Le Pen prise aux mots», quelle est la différence fondamentale entre son discours et celui d’Eric Zemmour ?
Marine Le Pen avait déjà entièrement éliminé du logiciel frontiste tout antisémitisme, et embrigadé la laïcité et le républicanisme dans son combat nationaliste. Elle avait pour stratégie de recentrer son discours pour élargir sa base électorale, et jouer pleinement le jeu de la démocratie électorale. Sa xénophobie antimusulmans se parait même des vertus de la lutte pour les droits des femmes et des homosexuels. Elle avait tourné une page, celle d’un nationalisme passéiste, antisémite, colonialiste, homophobe qui plaçait la France au-dessus de la République et le patriotisme au-dessus, si besoin, des droits de l’homme et des institutions. Sans le dire, Eric Zemmour ressuscite l’esprit premier du lepénisme : misogynie, homophobie, violence verbale, mépris pour la Constitution et les droits de l’homme et des minorités. C’est ce fameux «vive la République, mais surtout vive la France» qui montre un nationalisme exacerbé prêt à jeter aux orties la démocratie. Certes il ne va pas jusqu’aux relents antisémites explicites de Jean-Marie Le Pen, mais la logique de sa pensée est la même : celle d’une lutte à mort entre des peuples définis par le sang et les origines, incapables de vivre ensemble pacifiquement.
Pierre Plottu et Maxime Macé
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"Eric Zemmour ressuscite l'esprit du lepénisme: misogynie, homophobie et violence verbale"
Dans un ouvrage court mais précis, la Langue de Zemmour (Seuil), Cécile Alduy, professeure à l'université de Stanford et chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences-Po ...
Pourquoi s’inquiéter du franglais ?
L'Académie française s'inquiète d'un recours aux anglicismes dans la langue française. Un usage qu'elle juge abusif, en particulier dans le langage institutionnel. Le "franglais" est-il une menace pour la langue de Molière ?
L’Académie Française s’inquiète de l’essor des anglicismes dans la langue de Molière. Dans un rapport rendu public mardi 15 février 2022, elle en appelle à la prise de conscience collective, estimant que l’emploi de certains mots anglais en particulier dans le langage institutionnel fait peser le risque d’une fracture sociale et générationnelle. « Click and collect », « Drive », « Franceconnect », « Before », « Kit »… l’emploi banalisé de ces expressions met-il en péril la langue française ?
Julie Neveux, linguiste, maîtresse de Conférences à Sorbonne Université. Auteure de « Je parle comme je suis », ed. Grasset (septembre 2020).
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Pourquoi s'inquiéter du franglais ?
L'Académie française s'inquiète d'un recours aux anglicismes dans la langue française. Un usage qu'elle juge abusif, en particulier dans le langage institutionnel. Le "franglais" est-il une men...
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«Iel», pourquoi tant de fiel ?
En inscrivant le pronom neutre dans sa version en ligne, le Robert n’a fait que son travail : rendre compte des usages, estime la linguiste. Cela ne vaut pas une panique ministérielle !
Du Robert, Alain Rey disait qu’il était, «au contraire de l’Académie française, […] un observatoire, pas un conservatoire» (entretien à la Liberté du 4 novembre 2017). S’il était encore en vie, il se réjouirait sans doute de l’entrée du pronom valise «iel» dans la version numérique de son dictionnaire, lerobert.com. Mais il se réjouirait moins de la tempête polémique qui secoue à présent sa maison, et nos médias. Le Robert est-il en train d’être emporté par une vague de fond idéologique puissante et redoutable, le «wokisme» ? (j’ai rarement vu un mot se vider en si peu de temps de son sens originel, positif, puis, une fois affublé du suffixe -«isme», devenir l’épouvantail préféré de tout un tas de politiques qui ont compris comment faire peur à peu de frais).
La réponse est simple : en fait, le Robert en ligne fait juste son travail. Il observe l’usage. Les usages. Les répertorie. Rend leur sens disponibles à tous. On y apprend par exemple que «pochon» est un sac dans l’ouest de la France. Les usages régionaux sont-ils plus acceptables que les usages militants ? Ils nous plaisent davantage, ils ne nous menacent pas, ils fleurent bon le territoire français et la fierté nationale. Sur le site du Robert, depuis des mois, une des requêtes inabouties les plus fréquentes étaient «iel». Ses lexicographes, dont c’est le métier, se sont donc en toute logique décidés à donner satisfaction à toutes celles et ceux qui avaient besoin, envie de savoir ce que «iel» voulait dire. A quoi diable «iel» pouvait bien servir.
«Iel», dont l’usage est encore rare, précise bien l’entrée, «pronom personnel sujet de la 3e personne», sert ainsi à désigner une personne, et ce, «quel que soit son genre». Sans doute n’en avez-vous jamais encore entendu parler. Le pronom, que la Grande Grammaire du français (Actes Sud, 2021) et le Dictionnaire des Francophones (en ligne) mentionnent également, permet de se dispenser de l’assignation masculin ou féminin que le système pronominal du français propose – impose ? – à celles et ceux qui le parlent. Notre système binaire, dont Roland Barthes déplorait en janvier 1977 l’insuffisance, dans sa leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire du Collège de France : «Dans notre langue française [...] je suis obligé de toujours choisir entre le masculin et le féminin, le neutre ou le complexe me sont interdits.» Il développera plus tard la notion du neutre et de sa «puissance», sa capacité à exprimer la complexité du réel. En cela, «iel», qui amalgame «il» et «el», est barthésien. Grammaticalement, il a tout d’un pronom typique, qui dit toujours très peu sur l’entité qu’il désigne. D’ailleurs «il(s)» et «elle(s)» sont les seuls pronoms genrés en français, «je/tu/on/nous/vous» ne le sont déjà pas.
C’est une polémique en or
Il est naturel que cette forme nouvelle, qui plus est grammaticale, choque le plus grand nombre. Elle ne lui sert à rien. Le plus grand nombre s’en passerait bien, de même qu’il se passerait bien de devoir réfléchir à ce que c’est, pour certaines personnes, de ne pas se sentir concernées, identifiées, ni par «il» ni par «elle». Iels seraient 22 % des 18-30 ans à ne pas se sentir représentés par le masculin ou le féminin, d’après un sondage Ifop publié fin novembre 2020. Nier le problème ne permet jamais de le résoudre. Pourquoi s’alarmer de ce que les principaux intéressés aient trouvé avec ce pronom quelque résolution symbolique ? Pour les couples égalitaires également, et les groupes mixtes, «iels» sera pratique. Les langues, comme tout système de représentation, de découpage du réel, sont traversées d’enjeux sociaux qui les remodèlent doucement. En ce moment, vers plus d’égalité, et de neutralité. A chaque langue ses propositions, dont la majorité s’empare, ou non. En espagnol, c’est la terminaison -e qui a émergé pour contourner le codage entre le -a du féminin et le -o du masculin, ce qui donne, par exemple, niñes, (les enfants non genrés, ni niños, petits garçons ni niñas, petites filles). L’anglais, lui, pratique depuis un moment déjà, au singulier, le pronom personnel pluriel they.
Posons-nous des questions simples. Pourquoi ouvre-t-on un dictionnaire? Pour y relire la définition d’un mot qu’on aime bien? (génial, «vent», c’est un déplacement d’air, j’adore !). Ou pour comprendre ce que veut dire un mot dont on entend parler ici et là et qu’on ne connaît pas ? (Mais où est «wokisme» dans lerobert.com ? Vite, une nouvelle entrée !). Le fait qu’un mot entre dans le Robert signifie-t-il que nous devons l’utiliser ? Non. Les dictionnaires contiennent-ils beaucoup d’autres mots que nous ne connaîtrons ou n’utiliserons peut-être jamais ? Oui. Serons-nous punis si nous ne l’utilisons pas ? Non.
Alors à quoi bon certains, dont le ministre de l’Education nationale, hystérisent-ils le débat ? Si ce n’est pour profiter des émotions négatives, violentes, qu’il soulève ? C’est une polémique en or, facile, notre langue, en France, nous tient trop au cœur, on peine à y réfléchir. Monsieur Blanquer peut-il s’occuper des vrais problèmes qui rendent nos métiers d’enseignants difficiles ? Pas plus que le point médian, autre usage minoritaire, autre point de crispation dont il s’était déjà emparé récemment, le pronom «iel» n’a vocation à être enseigné sur les bancs de l’école. Parents, dormez tranquilles, vos chérubins ne sont pas menacés, la mère patrie veille,«iel» ne figure pas encore dans le Robert Junior. Pourvu qu’ils (vos enfants) n’aient pas de problème à s’identifier au masculin ou au féminin, tout ira bien pour eux. En attendant, laissons donc les lexicographes faire leur métier, car iels ont bien du mérite.
Julie Neveux, Je parle comme je suis, Grasset, 2020.
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"Iel", pourquoi tant de fiel ?
Du Robert, Alain Rey disait qu'il était, "au contraire de l'Académie française, [...] un observatoire, pas un conservatoire" (entretien à la Liberté du 4 novembre 2017). S'il était encore e...
Pronom «iel» : l’Académie française a-t-elle autorité sur la langue française ?
Dénonçant l’arrivée du pronom non genré dans «le Robert», le député LREM Jolivet a saisi les immortels. En réalité, si l’Académie a une aura médiatique, elle a peu de pouvoir sur l’évolution de la langue française.
Suite à «l’entrée», dans le dictionnaire en ligne du Robert, des pronoms non genrés «iel» (singulier) et «iels» (pluriel), vous nous faites part de la réaction indignée du député LREM François Jolivet sur Twitter : «Les auteurs [du Robert] sont donc les militants d’une cause qui n’a rien de Français : le #wokisme», écrit-il sur le réseau social. Et l’élu de joindre à son tweet une lettre adressée à «Madame le secrétaire perpétuel de l’Académie française», dans laquelle il interroge l’institution : «En votre qualité de gardien de notre langue française, pourriez-vous nous dire si vous avez délibéré sur le sujet.» Dès lors, vous nous demandez si l’Académie est bien «la gardienne du bon usage» du Français, et nous interrogez sur «le statut juridique de ses avis».
Créée en 1635 sous Louis XIII, l’Académie française, composée de 40 membres nommés à vie, a pour «principales fonction», selon l’article 24 de ses statuts, «de travailler, avec tout le soin et toute la diligence possibles, à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences». Pour ce faire, elle devait réaliser, à l’origine, quatre ouvrages : une rhétorique, une poétique, une grammaire et un dictionnaire. Mais en dehors d’une grammaire publiée en 1932 – fortement décriée –, elle ne conservera finalement qu’une seule de ses missions : le dictionnaire.
«Pas les compétences pour rédiger un dictionnaire»
Un ouvrage qui «ne devra ne pas seulement enregistrer dans un ordre alphabétique des mots avec leur explication, [mais] devra choisir aussi les mots d’usage propres à figurer dans la conversation, dans les discours, dans les écrits qui doivent être à la portée de tous», explique l’académie sur son site.
Après une première édition en 1694, l’institution en publiera sept autres jusqu’en 1935, dont certaines empreintes de réformes majeures de l’orthographe. Soit un dictionnaire complet et révisé tous les 40 ans environ. Mais depuis, le rythme a perdu de son élan. En 90 ans, les immortels n’ont atteint que la lettre S de la neuvième édition (publiée par morceaux au fur et à mesure de sa révision). Plus précisément le mot Sérénissime. Résultat : tous les mots compris entre Sérénissime et la lettre Z connaissent une définition relevant, au mieux, des années 30. Et tous les mots créés depuis 1935 et compris dans ce même intervalle de lettre sont tout bonnement… absents du dictionnaire. Même dans la dernière édition partielle, les mots du début de l’alphabet (de A à E) manquent un peu de fraîcheur, puisque leur définition relève de 1992, date de la publication du premier tome du «nouveau» dictionnaire, ou ne figurent pas, pour ceux créés depuis cette date.
Une lenteur conduisant à un décalage permanent par rapport à l’évolution de la langue, et qui s’expliquerait par la nature actuelle de l’institution : «Ses membres, essentiellement des écrivains, même largement secondés par des agrégés de lettres, n’ont pas du tout les compétences pour rédiger un dictionnaire, explique la linguiste Laélia Véron (université d’Orléans). C’est un vrai métier, comme lexicographe, dont l’Académie est grandement dépourvue.» Une lacune qui, de fait, empêche l’Académie française «de travailler sur les nouveautés et l’actualisation de la langue française». Et rend d’autant plus hypothétique son rôle, au long cours, de «gardien de la langue française».
«Il n’y a pas de gardien de la langue»
Pour remédier à ce retard chronique, l’Académie se fend parfois de déclarations, comme en octobre 2017 contre l’écriture inclusive, qualifiée de «péril mortel», ou de commentaires, dans sa rubrique «dire, ne pas dire», comme elle le fit en juillet 2020 contre l’usage du terme «présentiel».
Le dictionnaire en tant que tel, ou ses prises de position, ont-elles pour autant une valeur juridique ? «Aucune institution n’a autorité sur la langue française», affirme Maria Candéa, professeur de linguistique à la Sorbonne-Nouvelle.
«Réglementer la langue française ne veut rien dire. L’Académie française peut faire des recommandations au public, mais il n’y a pas un gardien de la langue, pas d’organisme qui fixe la norme, abonde un haut fonctionnaire travaillant dans ce domaine. Le principe reste celui de la liberté d’expression et les Français peuvent, à titre privé, écrire comme ils l’entendent. Pour se moquer de l’académie, Voltaire en son temps s’amusait d’ailleurs à faire des fautes d’orthographe.»
Le dictionnaire de l’Académie détient néanmoins une spécificité : il est le seul à être publié au Journal officiel, au fur et à mesure de l’avancée de sa révision. Une procédure qui lui confère un statut particulier vis-à-vis des services de l’Etat et des services publics en général, mais les immortels étant, comme nous l’avons vu plus haut, tellement en retard sur l’évolution de la langue que cette position a finalement peu de conséquences.
«Combler les lacunes de vocabulaire»
L’Académie n’est cependant pas dépourvue de tout pouvoir. Elle siège ainsi, actuellement en la personne de Frédéric Vitoux, au sein de la commission d’enrichissement de la langue française. Placée sous l’autorité du Premier ministre et coordonnée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), cette commission, selon son site, «a pour mission première de créer des termes et expressions nouveaux afin de combler les lacunes de notre vocabulaire et de désigner en français les concepts et réalités qui apparaissent sous des appellations étrangères». Elle travaille pour ce faire sur un réseau de 19 groupes d’experts des domaines scientifiques et techniques.
Cette structure, qui approuve 200 à 300 nouveaux mots par an, ne se situe donc pas dans le domaine du vocabulaire courant, même s’il lui arrive de déborder un peu, comme avec l’approbation, récemment, du terme «infox» en lieu et place de «fake news». L’Académie française, représentée dans cette commission, a dès lors le pouvoir de valider – ou non – les propositions qui y sont débattues, même si un connaisseur explique que les décisions sont prises de manière «consensuelles».
Autre domaine où elle a un pouvoir, mais ici plutôt de nuisance : la réforme de l’orthographe. Elle a ainsi réussi à torpiller la dernière, en 1990, suite à un pataquès en interne qui vu les académiciens approuver la réforme… avant de la dénoncer. «Elle pourrait initier des réformes de l’orthographe, elle en a mené plusieurs avec succès dans le passé, mais elle n’en a plus les compétences depuis trop longtemps», juge Maria Candéa.
«Légitimité médiatique»
En retard constant sur l’évolution de la langue, consultée, mais avec d’autres, sur les réformes de l’orthographe ou les termes techniques, l’Académie n’a donc pas vraiment le statut de «gardien de la langue française», détenu par nul autre par ailleurs. Reste que la langue «a besoin de normes, de grammaires et de dictionnaires, explique la linguiste Maria Candéa. Mais cette fonction revient plutôt aujourd’hui aux dictionnaires privés (Larousse et Robert), qui eux-mêmes entérinent l’usage observé dans la population».
«L’Académie française a une légitimité médiatique, mais ce n’est pas elle qui travaille sur les nouveautés et l’actualisation de la langue française, abonde Laélia Véron. En plus des dictionnaires privés, il y a plein d’initiatives, passées ou actuelles, qui concourent à cet exercice à la place de l’Académie.»
Comme le Trésor de la langue française, lancé par de Gaule en 1970 et qui regroupe 90 000 entrées ; celui, assez technique, donc, de la commission d’enrichissement de la langue française, France Terme ; le collaboratif Wiktionnaire ; Ou encore le foisonnant Dictionnaire des francophones, qui rassemble le français parlé sous toutes ses formes dans les pays francophones.
Luc Peillon
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Pronom "iel" : l'Académie française a-t-elle autorité sur la langue française ?
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Désintox. Etats-Unis : non, la « culture woke » ne veut pas chasser le Grec et le Latin des universités
Suite à la publication d’un article du Figaro intitulé « La culture “woke” veut chasser le grec et le latin des universités américaines », plusieurs personnalités de droite s’en sont pris à ce mouvement.
Suite à la publication d’un article du Figaro intitulé « La culture “woke” veut chasser le grec et le latin des universités américaines », plusieurs personnalités de droite s’en sont pris à ce mouvement dénoncé comme étant hypersensible aux droits des minorités et obsédé par les questions raciales. Pour Nicolas Dupont-Aignan, « la pensée ”woke”, que porte de plus en plus notre gauche française devenue folle, veut interdire le latin et le grec, qui entretiendrait une “culture blanche” ! »
À l’origine de cette polémique, on retrouve une décision de l’université de Princeton de ne plus rendre obligatoire l’enseignement du latin et du grec en lettres classiques. Il n’est pas question d'interdire ces langues puisqu’aucune heure de cours ne sera supprimée. Estimant « qu'une exigence minimale en matière de langues agit principalement comme un moyen de dissuasion pour les étudiants potentiels, et n'est pas efficace pour inciter les étudiants à se lancer dans l'étude du grec ancien ou du latin », l’université a seulement décidé de rendre ces langues optionnelles.
Dans son article, le Figaro s’en prenait aussi aux woke qui considèrent que la culture gréco-romaine a « instrumentalisé, et a été complice, sous diverses formes d’exclusion, y compris d’esclavage, de ségrégation, de suprématie blanche, de destinée manifeste, et de génocide culturel ». Cet extrait est tiré d’un communiqué, où la faculté annonce de nouveaux enseignements. Expliquant que la Grèce et Rome étaient uniquement étudiées en tant que « cultures exemplaires », ces nouveaux cours se pencheront sur d’autres aspects, comme la question de l’esclavage, mais aussi la circulation des idées entre la Grèce, l'Égypte et le Proche-Orient ou les similitudes qu’avaient ces peuples dans leurs modèles culturels.
Retrouvez Désintox du lundi au jeudi, dans l'émission 28 Minutes sur Arte, présentée par Elisabeth Quin.
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« Jean-Michel Blanquer n’a aucune connaissance, aucune culture » Eliane Viennot, professeure émérite de littérature de la Renaissance
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En finir avec l'écriture exclusive
Alors que la simple introduction du pronom " iel " dans un dictionnaire en ligne provoque la panique de certain·e·s, comment expliquer tant de réticences à démasculiniser le français ? On en ...
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