laicite
Jules Ferry : l'inventeur de l'école républicaine et de l'école de l'égalité
L'émission "Concordance des temps" est consacrée à Jules Ferry, père de l'école laïque, au cœur de notre mémoire collective. Mais il a été à son époque un acteur politique à peu près constamment impopulaire, pour ne pas dire haï. C'est avec Mona Ozouf que nous tenterons de comprendre son parcours.
Avec
Mona Ozouf Historienne.
Jules Ferry, l'inventeur de notre école républicaine, est le sujet de cet épisode de "Concordance des temps". C'est l'historienne Mona Ozouf, spécialiste de l'éducation et de la Révolution française, qui nous retrace le portrait de celui qui fut accusé d'anticléricalisme par la droite et de colonialisme et d'antisocialisme par la gauche.
Les fondements de la pensée politique de Jules Ferry
Ministre de l'instruction publique à plusieurs reprises et également président du Conseil entre 1879 et 1885, ce sont les années du rayonnement de Jules Ferry. Mona Ozouf précise bien que "ce n'est pas à lui qu'on doit tout à fait l'école laïque et obligatoire [...] Ferry complète la législation antérieure, il bouche les trous mais il n'invente pas. En revanche, il invente l'école républicaine et l'école de l'égalité."
Pour comprendre le parcours de Jules Ferry il faut revenir selon l'historienne à "deux scènes primitives" constitutives de sa personnalité : 1848 et l'immense déception de la jeunesse républicaine et la défaite de 1870. Jules Ferry est convaincu que ce qui divise les Français, c'est la fracture politique de 1789 : les partisans de l'Ancien Régime d'un côté et les fils de 1789 de l'autre. Pour lui, il faut séparer l'ordre religieux de l'ordre politique.
La laïcité se développe dans un climat de combat
Convaincu qu'il faut mettre en scène l'unité nationale à l'abri de tout dogmatisme religieux, l'école républicaine offre le même enseignement de l'histoire nationale, le même enseignement civique pour les filles et les garçons, même s'il y a des insuffisances comme avec la persistance des cours de couture ou de cuisine pour les filles.
Ferry n'est pas un homme anti-religieux mais un élu républicain très ferme, à la fois intransigeant et aussi tolérant à l'égard du fait religieux. Par exemple, lorsqu'il fait retirer les signes religieux des classes, au nom de la laïcité, il le fait sans brutalité pour ne pas vider l'école publique des enfants. Pour Mona Ozouf, la politique de Jules Ferry est très pragmatique.
Jules Ferry et l'école des filles
Jules Ferry veut retirer les femmes de l'emprise des prêtres, "faire de la femme la compagne éclairée de l'homme républicain", selon les mots de Mona Ozouf. Pour lui, il existe des différences entre les hommes et les femmes, les premiers représentant un monde de la pensée et des lois et les secondes un monde des sentiments et des mœurs.
Néanmoins, Mona Ozouf conteste le procès de sexisme qui a été fait à l'encontre de Jules Ferry. Selon lui, quand la femme sera éduquée, on pourra voir de quoi elle est capable et c'est justement par l'éducation des filles que cette dichotomie homme femme sera dépassée.
La politique de Jules Ferry c'est la politique du possible et c'est une politique du temps long, nous explique Mona Ozouf.
Programmation sonore :
- Extrait, dans notre générique, du téléfilm Jules Ferry réalisé par Jacques ROUFFIO sur un scénario de Jean-Michel GAILLARD, 1993.
- Extrait d’un discours d’Albert BAYET prononcé à l’occasion du 50ème anniversaire des lois de Jules Ferry en 1931.
- Lecture d’une affiche des « Égaux de Montmartre » de 1887 , lue par Bernard VALDENEIGE dans le cadre de l’émission Les chemins de la connaissance , le 3 juin 1993.
- Lecture d’un extrait du Discours sur l’égalité d’éducation de Jules FERRY prononcé salle Molière à Paris le 10 avril 1870, lu par Bernard VALDENEIGE dans le cadre de l’émission Les chemins de la connaissance , le 31 mai 1993.
- Extrait du film La femme du boulanger réalisé par Marcel PAGNOL , 1938.
- Lecture d’un extrait du Manuel électoral de Jules FERRY de 1863 , lu par Bernard VALDENEIGE dans le cadre de l’émission Les chemins de la connaissance , le 3 juin 1993.
- Actualité française de 1937
- Lecture d’un discours à la Chambre de Jules FERRY prononcé le 27 mars 1884 , lu par Bernard VALDENEIGE dans le cadre de l’émission Les chemins de la connaissance , le 1er juin 1993.
- Chanson "Les bienfaits de l'instruction" de 1879, interprétée par Christiane ORIOL pour le "Centenaire de l'école laïque", disque 33 tours paru en 1981.
Podcast "Concordance des temps" - A écouter en cliquant ci-dessous
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Jules Ferry : l'inventeur de l'école républicaine et de l'école de l'égalité
L'émission "Concordance des temps" est consacrée à Jules Ferry, père de l'école laïque, au cœur de notre mémoire collective. Mais il a été à son époque un acteur politique à peu près ...
Laïcité d’hier et d’aujourd’hui
EXTRAIT
À propos de : Véronica Thiéry-Riboulot, Laïcité. Histoire d’un mot, et Honoré Champion, Usage, abus et usure du mot laïcité, EPHE
Peu de travaux de nature scientifique existent sur la laïcité, et cela rend particulièrement bienvenus les deux ouvrages que Véronica Thiéry-Riboulot consacre, par une démarche de sémantique historique, à retracer l’histoire passée et récente du mot « laïcité », devenu l’un des termes piégés de la politique française. Les deux livres se complètent bien. Le premier couvre une vaste période allant de la préhistoire du terme aux années 1980, tandis que le second porte sur les dernières décennies.
Laos, lai, laïc
L’autrice remonte aux termes grecs laos puis laïcos et au terme latin laicus. Ces vocables ont en commun le fait de nommer un groupe d’individus caractérisés par leur appartenance à ce groupe. Ce sont des personnes sans particularité. Dans un contexte catholique, ils désignent la masse des fidèles située au plus bas degré de la hiérarchie. Laicus évolue vers la forme médiévale lai, un individu qui est au bas de l’échelle sociale et soumis au clergé.
En revanche, au XVIe siècle, le terme « laïque », chez Calvin et d’autres auteurs protestants, constitue une reprise de laicus, dans un mouvement de retournement de valeur que Thiéry-Riboulot compare à la négritude de Senghor et Césaire. Ce processus se poursuit avec les Lumières et, si « laïque » demeure associé par antithèse à un nom qui désigne un membre du clergé, il s’éloigne sémantiquement du champ ecclésiastique et acquiert (à l’opposé de lai) une connotation positive.
Après avoir analysé l’emploi des termes « public », « civique », « civil », « séculier » (et l’anglais secularism), vocables plus ou moins synonymes de « laïque », l’autrice montre que ce dernier mot commence, au XIXe siècle, à être utilisé dans le champ politique pour qualifier ce qui s’est affranchi de l’Église. Ce terme devient alors emblématique d’un ensemble de valeurs.
Mais rien n’est simple, car si la liberté constitue une valeur associée à « laïque », dans le champ de l’enseignement, « libre » peut être soit synonyme de « laïque », soit associé à « privé » (par opposition à « public ») et alors être son antonyme. Constat important, car la « guerre des deux France » se marque par un conflit des libertés. Il n’en reste pas moins que laïque revêt alors deux sens : l’un ecclésiastique et l’autre politique, qui sert de base au dérivé « laïcité ».
(...)
Jean Baubérot
Suite et fin en cliquant ci-dessous
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Laïcité d'hier et d'aujourd'hui
À propos de : Véronica Thiéry-Riboulot, Laïcité. Histoire d'un mot, et Honoré Champion, Usage, abus et usure du mot laïcité, EPHE - Le mot " laïcité " a une histoire millénaire. Au XIXe ...
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L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque : quel bilan ?
Cette année marque les 20 ans du « rapport Debray », remis en février 2002 au ministre socialiste de l’Éducation nationale, Jack Lang. Sa proposition clé consistait à instaurer un « enseignement des faits religieux » à l’école publique et laïque. Alors qu’était organisée ce 9 décembre l’édition 2022 de la journée de la laïcité, revenons sur cette initiative qui avait eu en son temps un écho important.
Rédigé au lendemain des attentats de 11 septembre 2001, le texte avait suscité l’intérêt de l’opinion publique alors que les minutes de silence dans les classes, en hommage aux victimes du terrorisme, avaient parfois suscité des contestations et qu’on observait une résurgence de conflits liés au port du foulard islamique en classe.
La personnalité de l’auteur, Régis Debray, ancien compagnon d’armes de Che Guevara, écrivain prolifique, haut fonctionnaire, personnellement agnostique mais fasciné par la question du sacré, contribuait à l’intérêt suscité par ses propositions. Il ne s’agissait pas de réintroduire « Dieu à l’école » mais d’étudier, de manière distanciée et critique, les traces matérielles et immatérielles des croyances passées et actuelles.
Former les enseignants
Plutôt que de créer un nouvel enseignement, dans un système éducatif français où les programmes étaient déjà très lourds et morcelés, Debray préconisait une approche transversale. Il s’agirait d’aborder les faits religieux au sein des disciplines qui pouvaient s’y prêter musique, arts plastiques, langues, français, lettres, philosophie. Cela supposait de modifier et de mettre en cohérence les programmes, mais aussi de mobiliser les enseignants en les armant « intellectuellement et professionnellement face à une question toujours sensible, car touchant à l’identité la plus profonde des élèves et de leurs familles ».
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Debray conseillait au ministre de l’Éducation de mettre en place une formation initiale obligatoire ainsi que des modules de formation continue pour les enseignants et personnels éducatifs, de produire des ressources pédagogiques adaptées, et de créer un Institut européen des sciences des religions (IESR), rattaché à la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études. Cet institut ferait l’interface entre la recherche en science des religions et la formation des enseignants et des fonctionnaires.
Dans un premier temps, malgré un changement de ministre de l’Éducation suite aux élections, les recommandations ont pour partie été mises en œuvre. L’IESR a été créé en juin 2002. En 2005, les faits religieux ont été définis comme faisant partie du socle commun des connaissances. Les programmes et les manuels ont par ailleurs été retravaillés pour développer une approche plus scientifique des faits religieux.
En revanche, la formation des enseignants sur ces questions n’a jamais été généralisée, malgré la mise en place de modules dans certains instituts de formation des maîtres, et le développement, par l’IESR (renommé IREL, Institut d’étude des religions et de la laïcité, en 2021), d’une offre de cours. Petit à petit, la mobilisation autour de l’enseignement des faits religieux s’est affaiblie, alors que d’autres urgences éducatives apparaissaient l’éducation au développement durable, à l’esprit critique et aux médias, à l’égalité garçon-filles, etc. Le remaniement des programmes, jugés trop lourds par les enseignants, n’a pas permis d’y développer la place des faits religieux.
Répondre aux nouvelles générations
Les attentats commis au nom de l’islam ont ponctuellement réactivé, sous les quinquennats de François Hollande puis d’Emmanuel Macron, les velléités de mise en œuvre raisonnée et nationale d’une politique d’enseignement des faits religieux. Cependant, aucune mesure concrète n’a été prise, dans un contexte où la priorité a été donnée à la transmission des valeurs de la République.
Le ministère de l’Éducation a parfois lui-même découragé les bonnes volontés, sanctionnant par exemple en 2017 un professeur des écoles qui avait fait travailler ses élèves sur la Bible pour avoir « enfreint son devoir de neutralité et de laïcité ».
Bien que le tribunal administratif ait réhabilité l’enseignant, l’attitude du ministère, même si elle était principalement liée à des raideurs bureaucratiques, a pu avoir un effet inhibiteur. Sur le terrain, l’enseignement des faits religieux reste perçu comme hypersensible.
Malgré les difficultés de mise en œuvre, le rapport Debray garde son actualité en ce début des années 2020. L’intérêt des nouvelles générations pour les croyances, leur conception plus libérale de la laïcité, qui dessinent, selon Frédéric Dabi, une fracture générationnelle, semblent appeler un réinvestissement de la question des faits religieux, dans le cadre des formations « Laïcité et valeurs de la République ».
La réflexion sur les rapports entre croire et savoir, qui est au cœur de la démarche préconisée par cet enseignement, peut par ailleurs être utile dans un contexte marqué par la post-vérité, une configuration politique et médiatique dans laquelle la crédibilité des discours repose moins sur leur adéquation aux faits que sur leur correspondance avec les croyances et les émotions.
Charles Mercier, Professeur des universités en histoire contemporaine, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque : quel bilan ?
Cette année marque les 20 ans du " rapport Debray ", remis en février 2002 au ministre socialiste de l'Éducation nationale, Jack Lang. Sa proposition clé consistait à instaurer un " enseigneme...
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Qui a eu un jour cette idée d’inventer la laïcité ?
9 décembre 1905 : la loi de séparation des Églises et de l'État est promulguée. Retour aux sources de ce principe qui continue à être discuté et à alimenter les polémiques. Comment la France en est-elle venue à promulguer la loi de séparation entre les Eglises et l’Etat ?
Avec
Valentine Zuber Historienne, directrice d'études à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (PSL)
9 décembre 1905, la loi de séparation des Églises et de l'État est promulguée.
Quoi de mieux donc que cette journée spéciale et nationale pour vous parler de laïcité ?
J'en suis sûre, un tel sujet provoque peut-être chez vous, derrière votre poste, des yeux levés, des haussement d'épaules ou des soupirs de lassitude : encore la laïcité ?
Mais oui, car depuis ce 9 décembre 1905, cette loi censée apaiser les esprits n'a cessé de les exciter !
Aurait-elle été mal comprise, mal appliquée ou mal interprétée ?
Et si, pour bien saisir son esprit, il fallait revenir aux sources mêmes de ce principe ?
Sons diffusés :
Archive de François Albert, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion de France, en 1932
Chanson de Brigitte Fontaine, Le Voile à l'école
Extrait du film La Séparation, réalisé par François Hanss, 2005
Archive d'une professeure, Espace éducation, France Culture, 04/02/1997
Chanson de fin : REM, Losing my religion
Bibliographie :
Valentine Zuber, La laïcité en débat : au-delà des idées reçues, aux éditions Le Cavalier bleu
Géraldine Mosna-Savoye/France Culture
A écouter en cliquant ci-dessous
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Qui a eu un jour cette idée d'inventer la laïcité ?
9 décembre 1905 : la loi de séparation des Églises et de l'État est promulguée. Retour aux sources de ce principe qui continue à être discuté et à alimenter les polémiques. Comment la Fra...
Hausse des atteintes à la laïcité : des chiffres qui interrogent
Depuis la dernière rentrée scolaire, le port par des élèves de signes à destination ou à connotation religieuse connaît une augmentation sensible, d’où l’importance prise par le thème des « atteintes à la laïcité ». On est ainsi passé de 313 signalements de cet ordre en septembre 2022 à 720 en octobre, soit plus du double.
Une enquête commandée à l’IFOP par la Fondation Jean Jaurès et Charlie Hebdo, publiée en janvier 2021 suite à l’attentat contre Samuel Paty et portant sur les « contestations de la laïcité et les formes de séparatisme religieux à l’école », donnait déjà des résultats inquiétants. Près d’un enseignant sur deux (49 %) y affirme avoir été contesté dans son enseignement sur des questions religieuses ; 80 % des professeurs déclarent avoir été confrontés au moins une fois au cours de leur carrière à une revendication liée à des croyances religieuses (dispense de cours, menus spéciaux à la cantine, etc.)…
L’enquête nous informait aussi, poussant l’inquiétude à son comble, que 25 % des enseignants donnent tort à Samuel Paty d’avoir fait son cours sur la liberté d’expression à partir des caricatures du Mahomet.
La publication le 9 novembre 2022 d’une circulaire ministérielle détaille les réponses que les établissements scolaires doivent donner à ces atteintes. Elle prévoit une gradation des réponses, allant du dialogue avec l’élève, première étape obligée, jusqu’à l’exclusion, les conseils de discipline pouvant être délocalisés lorsque la situation est jugée sensible.
La signification incertaine d’un phénomène déjà ancien
En vérité, le problème est loin d’être nouveau. C’est déjà lui qu’entendait résoudre la loi de 2004 interdisant le port ostensible de signes religieux à l’école. La même année, un rapport de l’inspection générale, présenté par Jean-Pierre Obin (Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires) alertait déjà sur l’importance croissante du phénomène.
Deux ans plus tôt était publié l’ouvrage collectif Les Territoires perdus de la République, dénonçant les manifestations grandissantes d’antisémitisme de la part d’élèves d’origine musulmane. Depuis, l’alarme a sonné régulièrement, notamment lorsque des minutes de silence organisées dans les établissements scolaires en 2015 après l’attentat contre Charlie Hebdo ont été perturbées ou, plus récemment, dans le contexte de l’assassinat de Samuel Paty.
Cela fait donc au moins vingt ans que les contestations du principe de laïcité à l’école sont régulièrement l’objet d’une inquiétude publique, voire près de 35 ans, si on fait remonter l’histoire aux premières affaires du voile à l’école, à la rentrée 1989. Or, la permanence même du phénomène, son retour périodique sur le devant de la scène politique et/ou médiatique, n’est pas sans poser à la notion même d’« atteinte à la laïcité » un certain nombre de problèmes.
Le premier d’entre eux est qu’une telle récurrence est de nature à relativiser l’importance du phénomène. Depuis le temps qu’il dure et qu’il est dénoncé, les progrès ne sont guère en effet apparents. 720 signalements en octobre dernier, c’est évidemment beaucoup plus que les 313 recensés en septembre. Mais d’une part, cette augmentation n’est pas si simple à interpréter : témoigne-t-elle d’une progression objective du nombre de cas d’atteinte au principe de laïcité ou bien d’une moindre réserve de la part des établissements à les signaler ? D’autre part, en regard des 60 000 établissements (écoles, collèges, lycées) existants en France, la proportion reste faible.
La question se pose aussi de savoir s’il convient d’isoler les comportements identifiés comme « atteintes au principe de laïcité » d’autres manifestations de contestation en général d’un ordre scolaire qu’un certain nombre d’élèves semble avoir de plus en plus de difficulté à intégrer. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir quels sont les contextes scolaires spécifiques dans lesquels ces contestations s’observent : tous les établissements, y compris dans les zones sensibles, n’y sont pas également exposés.
Cela permettrait de construire des représentations du réel beaucoup plus fines et circonspectes que celles proposées à l’opinion publique par un certain discours médiatico-politique, et qui peuvent conduire à des dramatisations excessives.
Des enquêtes peu compatibles entre elles
Les atteintes à la laïcité en milieu scolaire sont d’autant plus difficiles à évaluer que les enquêtes récentes ne vont pas toutes dans le même sens. On peut ainsi comparer l’enquête de la fondation Jean Jaurès à une autre, faite un an plus tôt, en janvier 2020, par le CNESCO (Centre national d’études des systèmes scolaires, aujourd’hui dissous). Elle avait pour intitulé « Laïcité et religion au sein de l’école : une évaluation des attitudes civiques des collégiens et des lycéens », et a été menée auprès de 1 600 élèves de troisième et de terminale, de 500 enseignants et de 350 chefs d’établissement.
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Or que montre cette enquête ? À peu près exactement le contraire de ce dont celle de la fondation Jean Jaurès s’est émue : « au sein de l’école, les élèves, et encore plus les personnels d’éducation […] adhèrent très largement au principe de laïcité ». Ainsi, 90 % des collégiens et 91 % des lycéens considèrent que la tolérance entre eux est importante ou très importante, y compris à l’égard d’élèves d’une autre religion ; 91 % des élèves (classes de troisième et terminale confondues) considèrent que les enseignants les respectent quelles que soient leurs croyances ou leurs opinions.
Enfin, très peu de chefs d’établissement (2 % au collège, moins de 1 % au lycée) déclarent rencontrer des problèmes importants de remise en cause des enseignements ou de refus des élèves de participer, pour motifs religieux, à certaines activités scolaires. De sorte, conclut le rapport du CNESCO, que les élèves français témoignent d’une adhésion au principe de laïcité nettement supérieure à leurs condisciples européens.
Les contestations de la laïcité existent indéniablement et l’enquête de la fondation Jean Jaurès n’est pas invalidée par celle du CNESCO sur l’adhésion à la laïcité. Mais celle-ci est de nature à tempérer sérieusement l’impression désastreuse laissée par celle-là et elle invite à la prudence quant aux conclusions qu’on peut en tirer. Sans y être sourd, il faut mettre à distance le refrain angoissé qui, des « territoires perdus de la République » à l’enquête de la fondation Jean Jaurès, de 2002 à 2021, nous est chanté. Il faut autrement dit se garder de la « panique morale » que la question laïque semble si souvent provoquer.
Le concept de « panique morale », repris en France notamment par Ruwen Ogien, a été forgé par le sociologue anglais Stanley Cohen. Il désigne une surréaction devant « une condition, un événement, une personne ou un groupe de personnes […] désigné(s) comme une menace pour les valeurs et les intérêts d’une société ». La définition, convenons-en, colle assez bien à l’émoi que provoque régulièrement le sentiment d’une laïcité menacée.
Un problème politique ou pédagogique ?
La question se pose en somme de savoir si les « atteintes à la laïcité » repérées ont toutes, et de façon univoque, une signification politique. On peut en effet considérer que le problème a aussi une dimension éducative, appelant la mise en place de dispositifs pédagogiques pour rendre ces atteintes moins fréquentes. De quelles façons les élèves peuvent-ils s’approprier les règles de l’institution scolaire et éprouver la valeur des valeurs qu’elle se donne pour mission de transmettre ?
Allons même un peu plus loin : si l’école doit être un « sanctuaire », à l’abri de ce que Pascal appelait « le tumulte du monde », n’est-ce pas aussi au sens où les élèves y sont protégés de leurs propres errements, fussent-ils anti-laïques, c’est-à-dire au sens où on peut espérer d’une éducation une aptitude à les en délivrer ? Dès lors, ne faut-il pas interroger de façon critique non seulement le sens de l’expression « atteintes à la laïcité », mais aussi la pertinence d’une réponse à ces atteintes en termes – plus administratifs que pédagogiques – de « signalement » ?
Ces questions ne doivent pas se comprendre comme la dénégation d’un phénomène qui affecte profondément la vie des établissements où il se produit. Elles visent simplement à interroger son univocité en formulant en somme à propos des atteintes à la laïcité que connaît aujourd’hui l’école trois hypothèses. D’abord, leur caractère massif et croissant n’est pas une évidence. Ensuite, leur donner systématiquement une signification politique relève peut-être d’une interprétation réductrice préjudiciable à la compréhension fine du phénomène. Enfin, les solutions qu’elles appellent ne sont pas toujours et nécessairement, ni sans doute même d’abord, des solutions administratives et disciplinaires, sans que jamais la question soit posée de savoir comment une communauté éducative aborde pédagogiquement ces problèmes.
Pierre Kahn, Professeur des universités émérite, Université de Caen Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Hausse des atteintes à la laïcité : des chiffres qui interrogent
Depuis la dernière rentrée scolaire, le port par des élèves de signes à destination ou à connotation religieuse connaît une augmentation sensible, d'où l'importance prise par le thème des ...
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L'école face aux attentats et à l'assassinat de Samuel Paty : enquête inédite de l'historien Sébastien Ledoux
Dans le cadre du programme de recherche 13 novembre, l'historien Sébastien Ledoux a enquêté entre 2017 et 2021 pour recueillir les réactions du monde scolaire face aux attentats de 2015. Après plus d'une centaine d'entretiens, l'assassinat de Samuel Paty a relancé sa recherche. Il s'en explique.
L'école face aux attentats. Jusqu'en 2017, cette piste n'existait pas dans le tentaculaire programme de recherche 13 novembre qui étudie les rapports entre événement traumatique, mémoire individuelle et mémoire collective. L'historien Sébastien Ledoux, docteur en Histoire contemporaine, chercheur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et responsable éditorial de l'EHNE, l'encyclopédie numérique de l’histoire de l'Europe, a eu l'idée de se pencher sur cette question inexplorée et très sensible des attentats terroristes. Il va mener plus d'une centaine d'entretiens audio avec les ministères, conseillers ministériels, des inspecteurs, des membres de la Direction générale de l'enseignement scolaire, des enseignants de différentes disciplines et de différents degrés, des chefs d'établissement, des CPE, des infirmières scolaires, des élèves et des parents d'élèves de zones d'éducation prioritaires en région parisienne. En octobre 2020, lorsque survient l'assassinat de Samuel Paty, il a terminé son enquête mais il retourne sur le terrain à l'écoute du monde scolaire jusqu'au printemps 2021 à la recherche de réactions institutionnelles mais aussi de réactions locales de terrain. La synthèse de son enquête inédite et très attendue est en cours de finalisation et sera mise en lien ici, dès sa publication. Quant aux archives audio, elles seront versées sur un fonds à l'INA.
Ce vendredi, en hommage à Samuel Paty, les établissements scolaires pourront choisir d'organiser une minute de silence ou un temps d'échanges.
Quelle image retirez-vous de ces années d'enquêtes ?
Sébastien Ledoux (SL) - Il y a eu une très grande diversité de réactions face aux attentats. Néanmoins, j'ai d'abord remarqué une très grande différence entre janvier 2015 et novembre 2015. En janvier 2015, après l'attentat de Charlie Hebdo, le mercredi 7 janvier, le Premier ministre décide d'une minute de silence dès le lendemain. Dans certains établissements, cette minute de silence et les débats liés donc aux caricatures du prophète Mahomet vont provoquer des débats, voire des contestations de certains élèves qui parfois refusent d'obéir à cette injonction de la minute de silence parce qu'ils ne comprennent pas pourquoi ils devraient la faire. On a beaucoup dit à l'époque que cette contestation provenait d'établissements de banlieue avec des élèves musulmans mais ce n'est pas exact. Il y a eu des refus de minutes de silence dans des établissements huppés, où des élèves très privilégiés n'ont pas vu l'intérêt de cet hommage. Ensuite, dans les zones d'éducation prioritaire, c'était extrêmement variable selon les établissements et au sein même des établissements selon les classes. Il y a eu de fortes différences selon la relation que l'enseignant pouvait avoir avec ses élèves, et selon la décision du chef d'établissement qui optait soit pour une minute de silence ensemble dans la cour, soit pour un moment de silence dans la classe ou encore individuellement. Il y a donc eu une très grande variété de réactions. Mais on peut effectivement dire que lorsque qu'il y a eu contestation, elle est venue en majorité d'un public scolaire défavorisé et de quartiers populaires. Mais c'est resté minoritaire.
Je prends l'exemple d'un collège de banlieue parisienne. Sur 300 élèves, ceux qui contestaient la minute de silence étaient à peine 10. Cette contestation était donc à la marge mais elle a beaucoup heurté les enseignants et a créé un débat politique et médiatique.
À l'inverse, à la suite du 13 novembre 2015, on a un consensus extrêmement large dans les établissements scolaires pour rendre hommage aux victimes. C'est-à-dire que dans les établissements scolaires au sein desquels en janvier il y avait eu contestation de la minute de silence en hommage aux victimes de Charlie Hebdo, là il y a une grande solidarité avec un sentiment qui domine : la peur. La proximité avec les victimes des attentats du 13 novembre explique ce consensus comme le fait que l'attentat est beaucoup moins ciblé. Élèves, parents d'élèves et personnel éducatif, tous s'identifient aux victimes. Il y a cette idée très forte que "ça aurait pu être moi". Dans les quartiers populaires les gens m'ont raconté, comme partout, comment ils avaient appelé leurs proches, et comme on est en région parisienne certains élèves ont perdu des amis qui étaient au Bataclan ou dans les quartiers des attentats. Dans ce monde scolaire là, on est donc aussi "concerné" pour reprendre le concept de Gérôme Truc. Et ce que m'ont répété les individus que j'ai pu interroger c'est que lorsque la minute de silence est décrétée il n'y a pas d'interrogation sur le dispositif car ce qui domine c'est l'effroi, par rapport à une situation de guerre ; et ce terme a été largement utilisé à ce moment là et lors de mes entretiens. Il s'agit de se rassurer par le fait d'être ensemble dans son établissement scolaire
Et qu'est-ce qui change encore après l'assassinat de Samuel Paty ?
SL - Alors là, il y a quelque chose d'assez vertigineux puisqu'à la fois il y a la violence du crime et en même temps le fait que Samuel Paty témoigne de la réaction institutionnelle aux attentats de 2015. Parce que l'un des apprentissages de l'attentat de janvier 2015 de Charlie Hebdo de la part de l'Éducation nationale, si je reprends les entretiens que j'ai pu avoir avec les conseillers ministériels de l'époque, c'est la découverte que la notion n'est pas comprise ni par les élèves ni par les enseignants et qu'il faut absolument mettre en avant une formation autour de ces questions.
En 2013, (après l'attentat meurtrier de Mohammed Merah, NDLR) Vincent Peillon qui était à cette époque là le ministre de l'Education nationale va imposer une Charte de la Laïcité et ériger le principe de laïcité en une valeur de la République à défendre. En 2015, le ministère va plus loin en imposant à tous les professeurs d'histoire géographie de dispenser des cours d'EMC, d'éducation morale et civique dans toues les établissements. Ce qui est préconisé, c'est la mise en débat, avec la possibilité de parler des caricatures. Mais ce n'est pas un cours de catéchisme. Ce qui est demandé aux enseignants, c'est plutôt un dialogue avec les élèves. Le débat en classe est alors brandi comme un outil pour construire une éducation à la citoyenneté et de nombreux professeurs, dont Samuel Paty, vont s'en saisir avec enthousiasme.
Mais cela n'a pas toujours été le cas ?
SL - Non, parce que c'était une très lourde charge sur les épaules des enseignants d'histoire géographie. Dans certains établissements, il y a eu une injonction des directions pour "faire le job" avec certains enseignants qui ne se sentaient pas assez formés pour dispenser ces séances et qui ont pu avoir l'impression que le gouvernement leur demandait finalement de former "des citoyens qui ne se radicaliseraient plus" et donc de dispenser une forme de catéchisme laïc qui dans certains établissement risquait d'être mal compris.
C'est tout le problème de la distorsion du principe de laïcité comme valeur.
SL - Oui. Il faut le dire et le redire, la laïcité est un principe, pas une valeur C'est un principe de liberté, qui va considérer que les individus ont le droit de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire (et donc évidemment, l'athéisme est autorisé). Il impose l'obligation pour l'Etat d'une stricte égalité vis à vis des différentes croyances religieuses et surtout d'une stricte neutralité. Le fondement philosophique de ce principe, pensé à la fin du XIXe siècle c'est que l'Etat français, considère qu'il n'a pas à trancher sur la question religieuse ; c'est de dire que l'Etat français ne va pas prendre parti pour telle ou telle religion parce que philosophiquement, il n'a pas à le faire. Donc, ce principe instaure une neutralité extrêmement forte et c'est cela qu'il faut faire comprendre aux élèves plutôt que des interdits ou des autorisations comme dans la charte de la Laïcité.
Mais dans le contexte des attentats, la laïcité, on le sait très bien, est devenue extrêmement politisée. Certains partis politiques vont la mettre en avant pour défendre ce qu'ils pensent être les valeurs de la France. Pour les élèves, cela ajoute de l'incompréhension et de la confusion parce que certains d'entre eux ne se sentent pas croient pas concernés par ce principe de laïcité. C'est ce que j'ai entendu de mes témoignages d'enseignants ou de certains élèves qui voient la laïcité comme une valeur contre : contre leurs propres croyances, contre leurs propres pratiques à l'extérieur de l'établissement. Dans ce cas, ce que font les enseignants et les référent laïcité mis en place depuis l'attentat de Charlie, Hebdo, c'est reprendre la discussion avec ces élèves qui, par exemple, refusent de retirer leur voile, en expliquant qu' à l'intérieur de l'école, on n'a pas à montrer de façon ostensible ses convictions religieuses précisément parce que ce principe de laïcité en appelle à la neutralité à l'intérieur des établissements publics mais que ce n'est certainement pas une attaque contre telle ou telle religion, plutôt la garantie d'un consensus social quelles que soient les opinions religieuses. ce sont des notions compliquées et pour expliquer tout cela, il faut du temps.
Or, pour en revenir à octobre 2020, après l'assassinat de Samuel Paty c'est précisément ce qui a manqué ?
SL - En octobre 2020, vous avez effectivement des collègues d'hictoire-géographie qui depuis 2015, jouent un rôle central d'éducation à la citoyenneté en collèges et lycées. C'est pour cela que je disais que pour eux l'assassinat de Samuel Paty est vertigineux, parce que c'est à eux à nouveau d'expliquer ce drame aux élèves et même dans certains cas à leurs collègues alors que l'un des leurs est mort justement dans l'exercice de cette fonction. Ce qu'ils m'ont dit, c'est non seulement que cette charge si lourde ne pouvait être supportée exclusivement par les professeurs d'histoire géographie mais aussi que pour bien faire ce travail il fallait du temps d'échange et de concertation. Or, en octobre 2020, Samuel Paty est assassiné juste avant les vacances scolaire et 3 jours avant la rentrée le ministère dirigé par Jean-Michel Blanquer supprime tous les temps d'échanges pour imposer une minute de silence. La réaction ne pouvait être que très forte. Certains enseignants ont refusé de venir le lundi rendre hommage de cette manière dans les établissements. Il s'est agit pour la plupart des plus mobilisés, des plus engagés sur ces questions de laïcité. Vous imaginez le dilemme moral professionnel qu'ils ont traversé ? Donc, effectivement, ils se sont sentis complètement abandonnés, avec chez ceux que j'ai rencontré un mélange de tristesse, de détresse et de colère dès le lendemain de la minute de silence et qui perdure encore aujourd'hui, je pense.
Du côté du gouvernement, que s'est-il joué avec cette minute de silence ?
SL - La minute de silence vient du début du XXᵉ siècle. On en a les premières traces au Portugal, avant même la Première Guerre mondiale. C'est une pratique qui se massifier à partir de l'Angleterre au lendemain de la Guerre. En 1919, l'Angleterre va rendre hommage à ces soldats morts pour leur pays en pratiquant trois minutes de silence dans tout le pays. Cette pratique est reprise par la France et par d'autres pays. Pour la France, ce sera le 11 novembre. La minute de silence se fera au moment de l'hommage aux morts des combattants de la Première Guerre mondiale devant les monuments aux morts. Et c'est cette minute de silence là qui va resurgir dans l'espace scolaire après les attentats de 2001 aux Etats-Unis. Là, vous avez une réactivation d'un hommage à des victimes, pas pour la nation française, mais pour l'attachement à des valeurs communes, principalement à la démocratie. Et puis, on a en effet une réinvention de cette tradition à partir de 2012 avec les attaques de Mohammed Merah, mais cela reste au niveau local à Toulouse et Montauban. En 2015, le jour de l'attentat de Charlie Hebdo, ce dispositif de la minute de silence est repris pour le lendemain et ensuite en novembre 2015 et encore en octobre 2020.
L'intention de la minute de silence est vraiment de rendre visible par le corps même des individus qui ne doivent plus bouger, qui ne doivent plus parler, l'idée d'une unité de la Nation attaquée. Du côté des dirigeants et de l'imaginaire politique, on va considérer que face à une attaque, il faut se rassembler et les enfants, les élèves vont être en première ligne parce qu'on considère depuis l'école dite de la République du XIXᵉ siècle que finalement on éduque les élèves à la nation, d'où le nom d'"éducation nationale" que va prendre ce ministère au début des années 1930. C'est-à-dire qu'en plus des apprentissages, les élèves doivent durant leur scolarité apprendre à être ou à devenir français et à se sentir appartenir à la Nation française. Tout ce travail est mis en place par les élites de la Troisième République à savoir autant Ernest Lavisse qui a écrit ces manuels pour l'école élémentaire que les enseignants qu'on a appelé les hussards noirs.
En 2015, toute cette question là qui resurgit à travers ce qui va se jouer ce 8 janvier 2015 lorsque certains élèves, s'ils ont sifflé, s'ils ont déclaré que non, ils ne feraient pas la minute de silence, s'ils se sont mis à l'écart, on va les désigner du doigt comme presque des traîtres à la patrie. En 2020, c'était la même chose, il y a eu comme un retour en arrière avec des élèves qui ont refusé ce dispositif et qui ont condamné Samuel Paty pour avoir montrer ces caricatures.
Comment l'expliquent-ils ?
SL - Le problème de fond n'est pas réglé. Il y a un terrible malentendu autour des caricatures du prophète Mahomet. C'est aussi ce que j'ai pu entendre dans mes entretiens avec les élèves et les enseignants après cet assassinat. Quant les caricatures du prophètes sont présentes, il y a toujours un malentendu autour des dispositifs qui sont mis en place en hommage à telle ou telle victime parce que certains voient ces dispositifs là comme un soutien aux caricatures du prophète musulman, comme si c'était une allégeance à ces caricatures qui leur était imposée par le gouvernement.
Et tout le travail de certains enseignants justement autour de la minute de silence a été de remettre du débat à ce sujet, de pouvoir faire comprendre aux élèves qu'ils ont le droit de critiquer ces caricatures, d'en être choqué, de ressentir des choses par rapport à ces caricatures et de les exprimer. Mais que dans le même temps, effectivement, vous étiez dans un principe de liberté d'expression qui a intégré la possibilité en France de faire des caricatures religieuses et que la frontière à définir se trouve dans un espace démocratique de débat ou on peut effectivement exprimer différentes opinions. mais en même temps, évidemment, le consensus, se fait autour de l'interdiction de l'homicide. Si vous n'avez pas cet échange pédagogique là, la minute de silence ne veut rien dire.
L'éducation passe par la parole, les échanges de propos qui permettent aux élèves de se situer par rapport à ce qu'ils entendent comme arguments. Cela, c'est la pensée. C'est ce que l'on appelle le développement de la pensée. Donc la minute de silence, en fait, n'est pas là pour faire fonctionner la pensée. Elle est là parfois, je dirais, pour rassurer les élites politiques, les gouvernements. Mais le rôle de l'école, c'est bien d'amorcer un début de pensée et d'argumentation et de raisonnement chez les élèves, ce qui ne peut se faire que dans l'espace démocratique des débats. Et c'est ce qu'avait fait Samuel Paty des débats en classe autour de questions sensibles qu'il ne faut pas avoir peur de poser en classe, quel que soit le contexte. Il faut absolument continuer à faire ce qu'il faisait.
Cela suffira-t-il ?
SL - Peut-être pas... Dans la série de réponses données aux attentats en milieu scolaire, il y a une grande absente : la question de la mixité scolaire et de la lutte contre la ghettoïsation de certains quartiers populaires. L'un des aspects du débat de Charlie Hebdo, c'est les auteurs des attentats ont été d'anciens élèves de l'école française. Dans les semaines qui ont suivi, au sein du cabinet ministériel il y avait l'idée de lancer un plan de valeurs de la République, mais aussi un plan de pour lutter contre les inégalités sociales. Cela a été complètement abandonné. En novembre 2015, la réponse aux attentats passe encore par la sécurisation des établissements scolaires. et la défense et la promotion des valeurs de la République Mais au lendemain des attentats du 13 novembre, vous avez une voix dissonante au sein du gouvernement, qui dit que là, il y a peut être une promesse d'égalité républicaine qui n'a pas été tenue dans les quartiers populaires. Cette voix dissonante, c'était Emmanuel Macron. Sauf qu'il en a rien fait après son arrivée au pouvoir.
Cécile de Kervasdoué
École : qu'est-ce qu'une atteinte à la laïcité et comment la détecter ?
Le ministère vient de dévoiler les derniers chiffres sur les atteintes au principe de laïcité à l'école. Plus de la moitié concerne un vêtement ou un signe religieux. franceinfo fait le point sur ce que signifie précisément ce terme.
C'est un débat qui agite la communauté éducative depuis près de 20 ans. Comment agir face aux atteintes au principe de laïcité à l'école ? Comment même les déterminer et les détecter ? En septembre 2022, 313 atteintes de ce type ont été signalés dans le secondaire, selon les données du ministère de l'Education nationale et de la Jeunesse, jeudi 13 octobre. Un chiffre relativement faible à l'échelle des 59 260 écoles et établissements du second degré.
Le port de signes et de tenues religieux, premier motif
Si ces chiffres ne montrent pas de hausse significative par rapport à la période précédente, un motif en particulier est tout de même en augmentation. Il s'agit du port de tenues ou de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse et qui représente plus de la moitié des signalements au mois de septembre, contre 40% au printemps et 20% l'hiver dernier. Le ministre Pap Ndiaye reconnaît "une vague" dans un entretien au journal Le Monde.
Les autres atteintes relevées concernent la "suspicion de prosélytisme" (8%), le "refus d'activité scolaire" (13%), la "contestation d'enseignement" (10%), des "revendications communautaires" (5%), des "provocations verbales" (7%) ou encore "un refus des valeurs républicaines" (3%).
Mais c'est bien la question des vêtements ou des signes religieux qui crispe le plus. Le principe de laïcité à l'école est garanti par la loi de 2004, qui dispose que "dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit". Un voile, une kippa ou une croix ne font pas de doute, mais certains autres vêtements posent des difficultés aux chefs d'établissement.
Reviennent ainsi souvent dans le débat les abayas et les qamis, ces robes et tuniques longues qui recouvrent quasiment tout le corps et portées lors de fêtes religieuses musulmanes. Ils peuvent être interdits quand les adolescents leur donnent un sens religieux, selon Pap Ndiaye, qui juge la loi de 2004 "parfaitement claire". Mais ce n'est pas automatique. La secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté, Sonia Backès, est de son côté plus ferme. Ces vêtements sont des "marqueurs religieux", ils doivent donc être "interdits", affirmait-elle sur franceinfo. Alors comment savoir ?
Les chefs d'établissement en première ligne
Ce sont les chefs d'établissement qui doivent apprécier le port de ces vêtements et les comportements qui l'accompagnent. Pour les aiguiller, le ministère a transmis des indices dans un courrier adressé aux recteurs à la mi-septembre. Il rappelle que "lorsque les signes ou tenues ne sont pas par nature des signes d'appartenance religieuse", ils peuvent le devenir "indirectement ou manifestement compte tenu de la volonté de l'élève", "au regard de son comportement". Pour le déterminer, les chefs d'établissement peuvent regarder si le jeune garçon ou la jeune fille porte les vêtements régulièrement ou s'il ou elle refuse de changer de tenue.
Mais cette responsabilité est trop lourde pour de nombreux directeurs. Comment savoir si un ou une élève porte un qami ou une abaya pour des raisons religieuses ou pour dissimuler son corps avec lequel il ou elle n'est pas à l'aise ? Directeurs et proviseurs demandent donc des consignes plus claires de la part du ministère. Pap Ndiaye, lui, se refuse catégoriquement à établir une liste de vêtements interdits ou autorisés.
Le ministre appelle aussi les chefs d'établissement à solliciter les équipes "Valeurs de la République", des inspecteurs et des conseillers qui peuvent venir dans les établissements rencontrer les professeurs, la direction, les élèves et leurs familles pour essayer de résoudre la situation. Elles ont d'ailleurs été davantage appelées depuis la rentrée. Le ministère explique également qu'un dialogue doit être instauré avant de prendre des sanctions.
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École : qu'est-ce qu'une atteinte à la laïcité et comment la détecter ?
Le ministère vient de dévoiler les derniers chiffres sur les atteintes au principe de laïcité à l'école. Plus de la moitié concerne un vêtement ou un signe religieux. franceinfo fait le poi...
Pap Ndiaye promet une « évaluation mensuelle » des atteintes à la laïcité en milieu scolaire à la rentrée
EXTRAITS
(...)
L’absence de chiffrage récent interrogeait. Dimanche 26 juin, le ministère de l’éducation nationale a communiqué le nombre d’atteintes à la laïcité, entre décembre 2021 et mars 2022, qui lui ont été signalées, relançant l’exercice du bilan trimestriel auquel s’était engagé Jean-Michel Blanquer.
Ce recensement, nourri des alertes données par les directeurs d’école et les chefs d’établissement, fait état de 627 situations problématiques déclarées, la moitié émanant de collèges (50 % exactement), l’autre moitié de lycées et d’écoles (respectivement 28 % et 22 %). C’est 9 signalements de moins que lors du précédent bilan divulgué, début décembre 2021, par l’institution, qui insiste, à ce stade, sur une « stabilisation » des faits.
(...)
... port de signes ou de tenues jugées non conforme à la loi de 2004 (proscrivant, dans les établissements publics, le port de signes religieux ostentatoires). Avec 139 faits, cette catégorie « devient majoritaire », écrit le ministère dans un communiqué diffusé dimanche, et représente 22 % des signalements (+7 points). Devant, par exemple, les refus d’activités scolaires (8 %) ou les contestations d’enseignements (10 %), deux catégories qui sont, elles, en baisse de deux points chacune.
On est loin de l’« épidémie » de « tenues islamiques » évoquée par le journal L’Opinion, le 2 juin, expression qui avait fait réagir, ce même jour, le chef de l’Etat, interpellé lors d’un déplacement à Marseille.
(...)
... à partir de la rentrée, le ministère publiera mensuellement le bilan de l’action des équipes « valeurs de la République », ces référents déployés partout sur le terrain pour venir en appui aux établissements. Le nouveau locataire de la rue de Grenelle, Pap Ndiaye, s’y est engagé dans l’entretien donné au Parisien dimanche : « J’ai décidé d’avoir une évaluation mensuelle à partir du mois de septembre plutôt que trimestrielle, pour avoir moins d’attente sur ces chiffres », y explique le ministre, suspecté, notamment à droite et à l’extrême droite, de ne pas rendre publiques ces données.
« Les chiffres bruts ne disent pas tout, réagit Remy-Charles Sirvent, porte-parole du Comité national d’action laïque (CNAL), une instance qui réunit l’UNSA-Education, la Ligue de l’enseignement et la fédération de parents FCPE. Ils sont par exemple aveugles aux réactions des équipes éducatives et aux solutions apportées. » Selon une enquête menée par le CNAL en 2018, dans le cas précis des entorses à la loi de 2004, la quasi-totalité des situations (98 %) ont pu trouver une résolution grâce au dialogue entre les parties impliquées.
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Atteintes à la laïcité : Pap Ndiaye promet une " évaluation mensuelle " à la rentrée
Six cent vingt-sept atteintes à la laïcité en milieu scolaire ont été recensées, au 1er trimestre 2022, par l'éducation nationale. Si la tendance est à la " stabilisation ", l'institution r...
Lycéenne voilée empêchée de passer le bac au lycée Charlemagne à Paris : des témoins mettent en question la version de la CPE
Une jeune candidate au bac a été empêchée d'entrer passer une épreuve parce qu'elle refusait d'enlever son voile, selon la version du lycée. Faux, affirment des témoins, selon qui, la lycéenne a immédiatement obtempéré.
Des témoins mettent en question la version d'une conseillère principale d'éducation (CPE) du lycée Charlemagne à Paris qui a porté plainte pour menaces de mort et harcèlement en ligne, selon les informations recueillies par franceinfo. Jeudi 16 juin, une élève venue passer une épreuve du bac de français dans ce lycée parisien s'est vu interdire l'accès à l'établissement parce qu'elle portait le voile. Elle a refusé de l'enlever, selon la version du rectorat de Paris.
Cette version est désormais contestée par plusieurs témoins, des membres du personnel du lycée contactés par franceinfo. D'après eux, la candidate au bac a subi un acte islamophobe et la hiérarchie du lycée cherche à camoufler "une situation inacceptable". D'après ces témoins de l'incident, à l'entrée du lycée jeudi dernier, la jeune femme a retiré immédiatement son voile quand la CPE lui a demandé.
"Des menaces intolérables"
Pourtant, selon ces témoins, la CPE n'a pas laissé entrer la bachelière et a continué de s’en prendre à elle. Ces témoins affirment que la CPE a tenu ces propos : "Tu enlèves ton truc ! Et il peut y avoir des témoins, je n'en ai rien à faire". L'échange tendu a duré suffisamment pour qu'une commerçante voisine vienne s'interposer, inquiète de voir une élève se faire crier dessus de cette manière.
Certains membres du personnel signataires d’un communiqué apportent leur soutien à cette candidate au bac. "Nous sommes profondément choqués de l’attitude de cette responsable envers une jeune lycéenne qui ne demandait qu’à passer son bac dans de bonnes conditions", peut-on lire dans ce communiqué. "De surcroît, la déferlante réactionnaire et les menaces qu’elle a reçue par centaines de la part de l’extrême droite ajoutent au traumatisme", ajoutent ces personnels.
Contactés par franceinfo pour répondre à cette version, le rectorat de Paris et le lycée Charlemagne n’ont pas donné suite. Dans un autre communiqué, un comité lycéen Charlemagne apporte également son soutien à l'élève, dénonçant une "injustice", une "humiliation". Les "menaces qu'elle a reçues sont intolérables", peut-on lire.
Les messages haineux en ligne se multiplient
Ces élèves du comité lycéen Charlemagne apportent toutefois également leur soutien à la CPE, car "les menaces proférées" à son encontre "sont inacceptables et totalement éloignées de nos valeurs". Depuis cette altercation une vive polémique est née sur les réseaux sociaux. Le nom de la conseillère d'éducation a été publié sur Twitter, elle a même reçu des menaces de mort.
L'enquête ouverte vendredi 17 juin par le pôle national de lutte contre la haine en ligne l'a été également pour "harcèlement moral en ligne et mise en danger de la vie d'autrui par diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle". Les investigations ont été confiées à l’OCLCH (Office central de lutte contre les crimes contre l'Humanité et les crimes de haine).
Thibault Delmarle
Instrumentaliser la laïcité fait le jeu de l’extrême droite
Certains politiques et polémistes ont transformé la laïcité en une arme défensive d’une identité fantasmée. Une approche qui n’a aucun sens et qui a participé à banaliser les thèses de l’extrême droite. Pour l’ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité Nicolas Cadène, face à la réalité tangible qu’elle représente désormais, le seul vote possible dimanche reste le vote Macron.
Le 24 avril s’opposeront à nouveau Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Le premier porte un programme qui s’inscrit dans le champ républicain quand la seconde porte un programme qui, sans toujours l’assumer, s’en dégage. Bien des propositions de l’extrême droite visent à faire voler en éclats nos principes fondamentaux, dont la laïcité.
Durant les huit années où j’ai travaillé pour l’Observatoire de la laïcité, j’ai pu constater combien notre débat public dérivait dangereusement. Cette instance transpartisane, reconnue de tous les acteurs de terrain, fut l’objet d’accusations ridicules mais largement relayées, de l’extrême droite jusqu’à une certaine gauche. Ces polémistes se retrouvaient autour d’un thème obsessionnel : l’islam. Sous couvert de défendre la laïcité, leur objectif était de la transformer en une arme défensive d’une identité fantasmée et favorisant une majorité supposée.
En refusant d’identifier les ressorts du recours à la religion et de s’attaquer aux racines de la montée en puissance de courants islamistes, ils cherchaient d’abord à nourrir leur obsession par le buzz. Ainsi ont-ils participé à l’appauvrissement du débat et à la montée des peurs dans une période de crises, de troubles liés à l’identité dans la mondialisation et de sentiments de déclassement. Or, une approche purement sécuritaire et identitaire de la laïcité n’a aucun sens : non seulement, elle ne s’attaque pas aux causes de ce qu’on appelle désormais le «séparatisme», mais elle le renforce, en offrant l’argument de la discrimination aux endoctrineurs radicaux. C’est le cas avec la proposition d’interdire le port du voile dans la rue. Une telle interdiction est contraire au principe même de laïcité et entrave plusieurs libertés fondamentales. Aujourd’hui, celles de femmes de confession musulmane ; demain, qui encore ? Cette interdiction constitue un cadeau inespéré pour les islamistes et leur propagande anti-française.
C’est une évidence pour les acteurs de terrain et les juristes. Mais c’est un tube dans les cours de récré politique de tous bords, là où le bruit médiatique importe plus que le sérieux des propositions. Les «toutologues» de plateaux, soutenus par quelques médias paresseux ou privilégiant le clash, mais aussi ces politiques dénonçant «wokisme», «islamogauchisme» ou «bien-pensance», ont banalisé les thèses portées jusqu’alors par le seul camp réactionnaire. Ils ont ainsi occulté les véritables préoccupations des Français, favorisant leur abstention lors des échéances électorales. En matière de laïcité et de «séparatisme», ils ont balayé les vrais débats de fond : l’insuffisante mixité sociale et les replis communautaires qui en découlent ; ou encore le nécessaire courage diplomatique, le renforcement des moyens de la justice, de l’école et du renseignement.
D’un point de vue cynique, la dédiabolisation de l’extrême droite peut, pour chaque type d’élection, permettre un duel avec elle, a priori plus simple à emporter grâce à l’annihilation du débat par le réflexe du vote républicain. C’est un jeu dangereux. La réalité, c’est que cette entreprise de dédiabolisation a fonctionné : les idées d’extrême droite ont fait leur nid et apparaissent aujourd’hui comme acceptables. Certaines formations politiques, redoutant l’accusation absurde de «laxisme», les ont laissés prospérer. Ce reniement les a souillées et, électoralement, ne leur a rien apporté. Au contraire, elles ont convaincu trop de Français que l’extrême droite, qui portait depuis plus longtemps ces thématiques, était la plus légitime. Ce clientélisme lâche de ceux, de tous bords, qui refusent la complexité, a rendu envisageable ce que nous refusions d’envisager : la victoire de l’extrême droite en France.
La laïcité est un trésor qui rassemble. Refusons celles et ceux qui en font un instrument de division et assurons-nous que plus jamais, personne dans le champ républicain ne puisse laisser prospérer cette idée. Ne laissons pas se développer la rancœur chez beaucoup de praticiens de la laïcité déçus des prises de position publiques de ces dernières années. Le 24 avril est une première étape : face à la mobilisation de l’extrême droite, à la réalité tangible du danger qu’elle représente, il n’y a qu’un vote possible pour la battre et défendre nos droits fondamentaux. Ce vote, c’est le vote Emmanuel Macron.
Nicolas Cadène est ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, placé auprès du Premier ministre (2013-2021), cofondateur de la Vigie de la laïcité, membre de l’Académie de Nîmes, auteur d’En finir avec les idées fausses sur la laïcité (Les éditions de l’Atelier, 2020, rééditions 2021 et 2022) et de la Laïcité pour les Nuls (First éditions, 2016, réédition 2017).
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Instrumentaliser la laïcité fait le jeu de l'extrême droite
Certains politiques et polémistes ont transformé la laïcité en une arme défensive d'une identité fantasmée. Une approche qui n'a aucun sens et qui a participé à banaliser les thèses de l'...