EXTRAITS
Dans la foulée de l’affaire Weinstein et de #balancetonporc, Emmanuel Macron a annoncé vouloir réguler les sites X, accusés de pervertir la jeunesse jusque dans les cours d’école. Une nécessaire moralisation ou une vaine diabolisation ?
(...)
Y a-t-il une génération YouPorn ?
Des petits biberonnés au salace ? Avant Emmanuel Macron, il y eut, en mars dernier, l’ex-ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, Laurence Rossignol, qui affirma clairement se taper d’être «traitée de la mère morale» et vouloir s’attaquer aux sites pornos, car «l’exposition à la crudité de la sexualité des adultes, c’est un viol de l’enfance». En soutien, le Haut Conseil à l’égalité monta à son tour au créneau en juillet, taclant ceux qui, dans cette affaire de moralisation, «invoquent la liberté d’expression» mais «ne font que défendre un business».
Concrètement, quelle est la situation ? C’est un sondage commandé par l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique à l’Ifop, publié en mars, qui fournit les données les plus récentes (1) : on y découvre que la moitié des 15-17 ans ont déjà surfé sur un site porno (gratuit), quand ils n’étaient que 37 % en 2013. Bref, ça monte. Autre chiffre marquant : l’âge moyen de la première «visite» serait de 14 ans et 5 mois, contre 14 ans et 8 mois en 2013. Bref, ça rajeunit (un peu). Mais dans le détail ? Un zoom sur les moins de 13 ans fait bondir : 7 % (contre 4 % en 2013) des sondés avaient moins de 11 ans lorsqu’ils ont visionné pour la première fois du X sur un site via un smartphone, un ordinateur ou une tablette, et 10 % avaient entre 11 et 12 ans (contre 9 % en 2013). De quoi alimenter l’idée que les écoliers bouffent du X.
Avant, d’autres ont aussi alerté, tel ce finaud «Bitdefender», éditeur de solutions de sécurité qui se paya en 2013 une étude dans sept pays, dont la France, pour affirmer que les enfants regardent du porno en ligne dès l’âge de 6 ans et flirtent virtuellement sur Internet à partir de 8 ans : buzz garanti.
Las, la dernière grande enquête sur la sexualité des Français (12 364 personnes interrogées) conduite par une dizaine de chercheurs sous la houlette de Nathalie Bajos (Inserm) et Michel Bozon (Institut national d’études démographiques) date de 2008. Et elle portait sur les 18-64 ans. Florian Vörös, sociologue enseignant à l’université Lille-III, auteur d’une thèse sur les usages de la pornographie et les constructions de la masculinité, souligne en outre que«la volonté de lutter contre l’accès des jeunes au porno remonte au XIXe siècle. Elle ne s’appuie toutefois sur une aucune preuve scientifique valable. Il est difficile d’enquêter sur ce sujet car il faut une autorisation parentale. En outre, dans ces enquêtes, les ados conforment leurs réponses aux attentes des adultes». En somme, gare au fantasme d’une «génération YouPorn».
(...)
Toxique ou pédagogique ?
Marion Haza reçoit parfois dans son cabinet de Bordeaux des parents inquiets d’avoir surpris leur rejeton en plein film fripon. A tort ? «Le fait d’en regarder n’est pas forcément inquiétant ou dangereux en soi, nuance-t-elle. Tout dépend des circonstances dans lesquelles ces images sont visionnées : l’adolescent a-t-il d’autres références en matière de sexualité ? Quel est son cadre familial ? Est-il conscient que ce contenu est fictionnel ? Etc.» Et de trancher : «Cela ne fera pas forcément d’eux des accros au genre ou des pervers.» Bref, entre voir et dévier, il y aurait de la marge. Alors faut-il s’alarmer ? Pour Michel Bozon, directeur de recherche à l’Ined, auteur d’un important article intitulé «Autonomie sexuelle des jeunes et panique morale des adultes» (2), «quand les adultes parlent d’adolescence et de sexualité, ils pensent souvent à la pornographie et tiennent un discours très alarmiste sur son influence. Ce thème est ainsi devenu un "marronnier" médiatique. […] Alors que l’idée que la pornographie serait devenue la forme essentielle de socialisation des jeunes à la sexualité ne résiste pas à l’épreuve des faits».
En tout cas, selon le sondage Ifop publié en mars, près de la moitié des garçons (48 %) et plus d’un tiers des filles (37 %) ayant déjà regardé des vidéos de ce genre estiment qu’elles ont «contribué à leur apprentissage de la sexualité». «Certes, les jeunes ont peut-être une connaissance plus fine des organes sexuels, concède Richard Poulin, professeur émérite de sociologie et d’anthropologie à l’université d’Ottawa, au Canada (3). Mais en même temps, si le porno servait vraiment de modèle et qu’on faisait l’amour en vrai comme à l’écran, ce serait douloureux !» met-il en garde.
Alors quel impact ont les vidéos classées X sur les pratiques sexuelles des jeunes ? «Le porno a une incidence sur l’estime de soi des jeunes filles : plus elles en regardent jeunes, plus elles vont tenter de se conformer aux critères corporels du genre (épilation intégrale, opérations des lèvres)». Et les garçons ? «Chez eux, cela va plutôt contribuer à dissocier sexe et sentiments, alors que ce lien est ce qui distingue la sexualité humaine de celle des animaux», observe Richard Poulin, qui note d’ailleurs la bestialité du vocabulaire présent dans le porno, où «chattes» et «chiennes» côtoient «étalons» et autres «bêtes de sexe». Mais attention aux raccourcis, prévient-il : «C’est un faux débat que de rendre le porno seul responsable des viols.» Même prudence chez la psychologue Marion Haza, pour qui le porno n’est en quelque sorte qu’une goutte d’eau dans la lutte contre les violences faites aux femmes. « Préserver les enfants des écrans relève davantage de la protection de l’enfance que de la lutte contre les violences faites aux femmes.»
(...)
Catherine Mallaval et Virginie Ballet
L'article complet est à lire en cliquant ci-dessous