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Margot Déage : «Au collège, la réputation définit l’identité et la valeur d’un adolescent»
Comment se forge une réputation quand on a 13 ans ? Par quels mécanismes devient-on un élève populaire ou bouc émissaire ? La sociologue décrypte la fabrique des rumeurs et des mauvaises images, dont le harcèlement scolaire peut-être une forme ultime.
Fin décembre et début janvier, les suicides respectifs d’Ambre, 11 ans, puis de Lucas, 13 ans, tous deux victimes de harcèlement scolaire ou homophobe, ont remis en lumière l’impuissance publique à endiguer ce fléau. Si les passages à l’acte sont rares, entre 800 000 et 1 million d’enfants seraient victimes chaque année de harcèlement scolaire, selon un rapport du Sénat rendu en 2021. Pour sa thèse, publiée sous le titre A l’école des mauvaises réputations (PUF, 2023), Margot Déage, sociologue à l’université Jean-Jaurès de Toulouse, s’est plongée dans les relations entre collégiens au fil d’une enquête de terrain dans quatre établissements de Paris et d’Ile-de-France. Le collège correspond à un moment de la vie marqué par un grand conformisme et un contrôle social extrême, explique-t-elle. Dans l’entre-soi de l’établissement, les adolescents se jugent entre eux : «Donner son avis en permanence sur les autres alimente les conversations.
Dans son enquête, la sociologue montre l’existence d’un continuum de violences en ligne et à l’école, face auquel tous les jeunes ne sont pas égaux : si les filles sont plus sujettes aux agressions sexuelles et en ligne, les atteintes physiques ou verbales touchent davantage de garçons. Elle éclaire les logiques de classe, sexiste, raciste ou homophobe, amplifiées par les réseaux sociaux qui favorisent la «mauvaise réputation» à cet âge décisif de la construction sociale de l’identité. Une meilleure écoute par l’institution contribuerait, plaide la chercheuse, à une prise de conscience de la part de ces jeunes.
Le ministre de l’Education, Pap Ndiaye, a annoncé vouloir renforcer la lutte contre le harcèlement. Quel regard portez-vous sur ces déclarations ?
Depuis 2010, tous les gouvernements successifs se sont emparés de ce sujet au fil de faits divers très médiatisés. Chaque année, trente à quarante enfants de moins de 15 ans se suicident, c’est la troisième cause de décès des 1-24 ans après les maladies et les accidents [selon les données de l’Inserm-CépiDc pour l’année 2017, ndlr]. Mais ces actes sont des phénomènes très complexes et seuls quelques-uns sont précipités par du harcèlement. Beaucoup d’annonces restent symboliques, malgré l’efficacité des partenariats de l’association e-Enfance avec les réseaux sociaux. Mais cette action ne peut compenser le manque de personnel disponible pour accompagner les enfants dans leur vie sociale, au-delà de leur scolarité.
«Quand l’Etat n’agit pas, les jeunes règlent leurs comptes entre eux», écrivez-vous. Pourquoi a-t-on tant de mal à s’emparer du problème ?
Derrière l’expression fourre-tout de «harcèlement scolaire» se cachent des problèmes divers. Les cyber-agressions, le sexisme ou les violences sexuelles ne sont pas pris en compte dans les chiffres officiels qui incluent les coups, les bousculades et les violences relationnelles. Le taux de 5,6 % de collégiens victimes de harcèlement sévère, selon la dernière enquête nationale [2017], est largement sous-évalué. Comme on n’utilise pas les bons mots, on appréhende mal les problèmes. Quand, en pleine récréation, des garçons font une haie d’honneur pour toucher les filles qui passent, au vu de tous, pourquoi parler de harcèlement ? J’y vois des agressions sexuelles. Lorsqu’une élève raconte qu’on a versé un bidon d’essence sur elle et qu’on l’a menacée avec un briquet, cela relève de la tentative d’homicide. Combien de violences allons-nous inclure derrière cet étendard ? Puisque cela se joue entre enfants, on pense que c’est à l’école de régler le problème. Or il existe des qualifications pénales et judiciaires pour ces actes.
Pourquoi ce phénomène se cristallise-t-il au collège, alors que 94 % des élèves affirment s’y sentir bien ?
Cet âge correspond à un moment de la vie très conformiste. Les adolescents n’ont pas de statut au-delà de leur quotidien scolaire, pas de métier ou de niveau de diplôme, ils ne sont pas mariés et n’ont pas d’enfant. Ils se jugent entre eux sur ce qu’ils font, comment ils s’habillent, ce qu’ils disent. La réputation définit l’identité et la valeur d’une personne. On cherche à devenir soi en s’émancipant de ce que dictent les parents via une culture juvénile en opposition avec celle des adultes. Le collège est un lieu d’entre-soi et de coprésence forte, on donne son avis en permanence sur les autres. Dès qu’on dépasse de la norme, un contrôle social violent s’exerce, dont le harcèlement est une forme ultime.
Par quels mécanismes se construit la réputation au collège ?
L’objectif de la majorité des ados est de ne pas se faire remarquer, car une réputation au collège est souvent mauvaise. Elle peut se construire dans l’inconscient collectif à travers des rires, des surnoms, des jeux ; ou de manière stratégique, par de la divulgation ou de la diffamation. Déçus en amitié ou en amour, certains jeunes décident de «faire une réputation» à d’autres, en sortant un ou plusieurs «dossiers» pour se venger. Les boucs émissaires garantissent la valeur morale du reste du groupe en faisant office de paratonnerre, derrière lequel les autres peuvent continuer à mener discrètement leur vie et faire l’expérience de transgressions «moins graves» à leurs yeux.
Pourquoi la frontière entre rire et moquerie est-elle aussi floue ?
Pour que le rire prenne, il faut que le groupe soit insensible à l’élève qui subit l’hilarité. Cette insensibilité est forte au collège, où l’empathie n’est pas la bienvenue. La dérision prime, tout comme le désir d’afficher qu’on est là pour s’amuser. Celui qui ne va pas dans ce sens sera mis à l’écart. En public, les élèves affirment qu’ils vont bien mais quand on discute seul à seul, beaucoup confient ne pas pouvoir être eux-mêmes ni exprimer certaines émotions comme la tristesse. L’élève peut à la fois trouver qu’une mauvaise réputation est méritée, se montrer agressif devant le groupe, et en aparté regretter ses actes et avouer qu’il joue un rôle par peur d’être rejeté. Le suivi individualisé peut être un levier pour les personnels de l’éducation.
Les mécanismes de la réputation sont-ils les mêmes selon que l’on soit une fille ou un garçon ?
Pour résumer, on apprend à être sexiste au collège. Pour les garçons, la mauvaise réputation s’acquiert par la transgression des normes et la réalisation d’actes déviants qui permettent de se faire respecter. Celui qui n’a pas peur des profs bénéficie d’une aura particulière. Ceux-là seront punis plus sévèrement par l’institution, ce qui contribue à les valoriser aux yeux des autres. Certains élèves de classes défavorisées, qui ne se sentent pas à la hauteur sur le plan scolaire, et d’autres élèves solidaires, vont retourner la violence symbolique et le mépris de classe que leur font ressentir les «intellos», souvent issus de classes supérieures, qui sont perçus comme proches de l’autorité, prêts à collaborer avec elle, contre eux.
C’est l’inverse pour les filles : on attend d’elles qu’elles soient conformes, vertueuses, discrètes, qu’elles se tiennent loin des garçons. Elles vivent sous la menace permanente d’avoir une réputation de «pute». Une ado transgressive sera exposée aux moqueries, aux agressions et au rejet, alors qu’on n’osera rien dire à un garçon qui a mauvaise réputation. Au moment de la puberté, les formes des filles apparaissent, ce qui les rend suspectes dès qu’elles s’adressent aux garçons. A cette période de la vie, la puberté, la découverte de son identité de genre ou de son orientation sexuelle a quelque chose de très brutal. Un contrôle vestimentaire se met en place, parfois renforcé par l’institution ou la pratique de la religion. Ce deux poids deux mesures sexiste touche aussi les garçons dits «efféminés», dociles, tant qu’ils n’ont pas trouvé un moyen de «se faire respecter».
Quels autres facteurs favorisent le rejet ?
Les origines ethniques renforcent ce risque. Durant mon enquête, le stigmate de la «beurette» était très fort. Si vous correspondez à ces critères raciaux ou qu’on vous assigne arbitrairement à eux, vous serez suspecte. Si une jeune fille se rend dans une chicha, associée dans l’imaginaire au Moyen-Orient et au monde transgressif de la drogue, elle sera assignée à cette figure négative ou à celle de «niafou», l’équivalent pour l’Afrique de l’Ouest. Les «chèvres émissaires», qui portent la pire réputation, sont le plus souvent d’origine sociale très défavorisée. Leur isolement peut les conduire à se tourner vers d’autres cercles, les entraînant parfois vers la délinquance ou la prostitution.
Quelle place occupent les réseaux sociaux dans cette sociabilité ?
Ils amplifient ce qui se joue dans l’enceinte scolaire. Le contrôle social au collège a tendance à freiner les relations interpersonnelles, qui se replient et se libèrent sur les réseaux sociaux. Dans cet écosystème qui permet d’échapper au contrôle des adultes, Snapchat répond à un usage conversationnel, via une messagerie éphémère plutôt fermée. Mais cette confidentialité est facilement contournée : les jeunes savent capturer les contenus, comme des «nudes» [photos de nu, ndlr] ou des conversations intimes.
A-t-on trop tendance à penser séparément les agressions réelles et en ligne ?
Oui. Ce qui se passe en ligne est réel. Les deux relèvent d’une même violence de proximité, les amis en ligne étant globalement les mêmes que ceux du collège. Mais les valeurs ont parfois tendance à s’inverser. Ce qui attire l’attention en ligne est souvent tabou et suspect hors ligne, les contenus sexualisés par exemple. Les stratégies de «triche» pour accroître les «j’aime» et les followers sont mal vues, car l’exigence d’authenticité est très importante. «Hypocrite» est l’une des insultes ultimes. La manipulation, le fait de faire semblant, s’oppose à l’amitié fidèle. En banlieue, les jeunes utilisaient l’expression «cyber» pour disqualifier et dénoncer ceux qui trichent pour accroître leur e-réputation en «s’inventant une vie».
Comment les adolescents gèrent-ils les risques de cette vie numérique ?
Cette économie de l’attention donne une valeur marchande à la réputation par le biais d’outils comptables. Mais «liker» un commentaire haineux engage peu et l’effet d’engrenage favorise le harcèlement en meute. Même si l’écran favorise la désinhibition, les ados restent pudiques et méfiants : ceux qui partagent en public, font des live ou des stories sont une petite minorité, autour de 15 %, et sur Instagram, les publications sont vite archivées. Les collégiens préfèrent les échanges privés, mais cela rend plus difficile la chasse au cyberharcèlement. Donner son mot de passe est une preuve d’amour ou d’amitié, mais c’est aussi se rendre vulnérable aux usurpations d’identité.
La loi instaurant une majorité numérique à partir de 15 ans, adoptée par l’Assemblée le 2 mars, peut-elle faire bouger les choses ?
La diffusion de messages de prévention sur les réseaux, l’élargissement de la liste des contenus qui peuvent être signalés pourront aider à pacifier les conversations en ligne. Mais la vérification de l’âge et l’obtention de l’accord d’un responsable légal posent un défi technique et éthique. Elle implique de sortir du pseudonymat et de s’identifier en se connectant potentiellement à l’interface officielle France Connect. Quelles informations devront être stockées par les plateformes à cette fin ? Qu’en retirera l’État sur nos vies numériques ? Vouloir encadrer les adolescents est paradoxal, car leurs compétences techniques et leur connaissance des risques sont souvent supérieures à celles des adultes. Et cette mesure est une manière de reporter la responsabilité des réseaux sociaux sur les parents. Les adolescents ne tarderont sans doute pas à trouver des moyens de contourner la réglementation, en utilisant des VPN par exemple. Etant moins autorisés à sortir que ne l’étaient leurs parents, ils ont besoin de cet espace, pour créer des liens de manière autonome.
Propos recueillis par Clémence Mary
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Margot Déage : "Au collège, la réputation définit l'identité et la valeur d'un adolescent"
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«Les jeunes en détresse psychologique ont besoin d’être reçus très vite»
Le psychiatre Nicolas Franck déplore la difficulté d’accès aux soins alors qu’une enquête de Santé publique France témoigne de l’augmentation des troubles mentaux chez les jeunes.
Psychiatre et chef de pôle au centre hospitalier Le Vinatier à Lyon, le professeur Nicolas Franck note une plus grande préoccupation des autorités sanitaires pour la santé mentale depuis la pandémie. Mais, pour l’auteur du livre Covid-19 et détresse psychologique (Odile Jacob), l’accès aux soins, notamment des jeunes, demeure un «gros problème».
Une enquête publiée mi-février par Santé publique France (SPF) relève une hausse spectaculaire des symptômes dépressifs, en particulier chez les étudiants. 20,8% des 18-24 ans ayant connu un épisode dépressif en 2021 contre 11,7% quatre ans plus tôt. Cela recoupe-t-il votre expérience clinique ?
Il est indiscutable que la pandémie a altéré la santé mentale de ces jeunes adultes et ceci de manière durable pour certains d’entre eux. Mais j’estime que le pire moment de la crise remonte à l’automne 2020, lors du second confinement. Beaucoup d’étudiants ont alors compris que leur année allait de nouveau être perturbée, qu’ils allaient de nouveau se retrouver enfermés sur des campus vides, désœuvrés, financièrement précarisés, loin de leur famille, sans perspective d’avenir. Leur détresse était alors extrême. Même si aujourd’hui leur malaise persiste, il est quand même nettement moins intense. On a retrouvé en consultation notre public d’avant la crise, des jeunes atteints de troubles mentaux marqués ou sévères. Selon moi, l’enquête de SPF témoigne autant d’une augmentation des troubles que d’un intérêt plus marqué des autorités et de la population pour la santé mentale.
La situation ne serait donc pas si préoccupante ?
Je dirais plutôt qu’on commence à prendre la mesure de l’enjeu d’une bonne santé mentale. Je m’explique. L’enquête de SPF repose sur des entretiens téléphoniques. Or les jeunes notamment peuvent traverser des épisodes dépressifs, le dire, mais sans pour autant consulter. Si on ne les avait pas interrogés, le phénomène ne serait pas documenté… Même s’il s’est un peu estompé avec la crise sanitaire, un tabou demeure autour des problèmes psychiques, souvent assimilés à une faiblesse de caractère. Au contraire de l’Australie par exemple, l’Education nationale française ne sensibilise pas les adolescents à l’importance de la santé mentale, aux signes de dégradation, aux troubles constitués et aux solutions qui existent pour y faire face. Du coup, quand des troubles adviennent, les jeunes et leurs proches sont souvent démunis. Surtout, ceux qui se décident à consulter ne peuvent pas toujours le faire.
Que voulez-vous dire ?
Simplement que nous avons un gros problème d’accès aux soins. Les étudiants n’ont pas les moyens de consulter les psychologues libéraux. Quant aux centres médico-psychologiques publics, ils sont saturés. Il faut parfois des mois pour obtenir un rendez-vous. Or les personnes en détresse, et singulièrement les jeunes, ont besoin d’être reçues très vite. Si ce n’est pas le cas, ils zappent. Quand leur rendez-vous arrive, ils ne viennent pas. Soit parce qu’ils ont oublié, soit parce qu’ils se sentent mieux et estiment que ce n’est plus utile. Du coup l’absence de diagnostic se double d’une augmentation de la difficulté d’accès aux soins, le rendez-vous non honoré ne profitant à personne. C’est pour fluidifier ce système que nous avons créé à Lyon des Centres d’accueil d’évaluation et d’orientation qui reçoivent très vite les patients et les orientent, le cas échéant, vers un centre médico-psychologique pour une prise en charge au long cours.
En avril 2022, le gouvernement a lancé le dispositif «Mon psy», qui permet aux jeunes de bénéficier de 8 séances d’accompagnement psychologique remboursées par an. Que pensez-vous de cette initiative ?
Je m’en réjouis, dans la mesure où avant il n’y avait rien. Néanmoins, on voit clairement les limites du dispositif. Huit séances chez un psychologue, cela peut permettre à un jeune de surmonter un mal-être passager. En revanche, s’il présente un trouble plus sévère, c’est très insuffisant. Cela peut permettre d’évoquer un diagnostic, l’ennui c’est qu’il n’y aura pas ensuite de solutions thérapeutiques, les structures de prise en charge étant toutes saturées…
Seulement 5% des psychologues libéraux se sont inscrits sur la plateforme «Mon psy», cela ne condamne-t-il pas le dispositif à l’échec ?
Il est vrai que la plupart des psychologues considèrent que le dispositif n’est pas rentable pour eux. Ils ont suffisamment à faire avec les personnes qui peuvent payer le prix d’une consultation. Pour ouvrir plus largement l’accès aux soins en santé mentale, il faudrait aller vers un meilleur remboursement des psychothérapies par la sécurité sociale.
Que faire pour améliorer la santé mentale de la population ?
Il faut prendre au sérieux la santé mentale, au-delà des périodes de crise. Environ 20% de la population présente une fragilité psychique. Cette vulnérabilité va s’exprimer à un moment ou à un autre de la vie, même en l’absence de crise majeure comme celle du coronavirus. Or chez un jeune, un simple mal-être peut se transformer en manifestation anxieuse durable, voire en dépression sévère, de nature à compromettre sa construction affective, ses études, sa carrière professionnelle, possiblement tout son avenir. Des pathologies lourdes, comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires, ne sont généralement identifiées et prises en charge qu’au bout de plusieurs années ! Cela entraîne une perte de chance majeure pour les personnes concernées. On a donc tout intérêt à travailler sur les facteurs de stress et à prendre des dispositions pour éviter le gâchis humain dû à l’installation de troubles sévères dont on aurait pu prévenir l’évolution et le coût majeur pour la société. Il est impératif d’accentuer l’effort de prévention en santé mentale.
Propos recueillis par Nathalie Raulin
Si vous avez des idées suicidaires, ne restez pas seul.e. Parlez-en à vos proches et contactez votre médecin traitant, ou le 3114 (numéro national gratuit 24h /24, 7 jours /7, écoute professionnelle et confidentielle) ou le 15 (Samu).
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Santé mentale et soins psychiques de l’enfant : la surmédication dépasse toutes les bornes scientifiques
Le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), chargé par le Premier ministre d’apporter une expertise prospective et transversale sur les questions liées à la famille et à l’enfance, vient de publier un rapport sur la souffrance psychique des enfants et les moyens dont nous disposons pour y remédier.
Ce travail s’inscrit dans un contexte particulièrement préoccupant, dans lequel on observe une aggravation des problèmes de santé mentale des jeunes, qui entraîne même une augmentation de la suicidalité. La situation est arrivée à un point d’urgence tel que des collectifs soignants ont multiplié les tribunes et les alertes.
Les trois dernières années, marquées par des politiques de lutte contre le Covid qui ont eu un impact sévère sur les jeunes, ont certes contribué à aggraver le problème. Mais celui-ci ne s’y limite pas, loin de là.
Une prise en charge qui n’est pas à la hauteur des enjeux
La santé mentale est une problématique de santé publique de première importance chez l’enfant, en France comme dans les pays occidentaux. Lorsqu’ils surviennent précocement, les troubles mentaux et la souffrance psychique impactent toute une vie : le développement de l’enfant, ses émotions, son rapport à lui-même, au langage et au corps, ses liens familiaux, amicaux, amoureux, sociaux, son parcours scolaire et son devenir professionnel sont bouleversés…
On s’attendrait dès lors à ce que tout soit fait pour y remédier. Or, le rapport du HCFEA met au contraire en évidence une impasse en termes de prises en charge. Il alerte en particulier sur le fait que, faute de soins adaptés, la consommation de médicaments psychotropes augmente de façon exponentielle, bien au-delà des cadres réglementaires et des consensus scientifiques internationaux.
Pourtant, en France comme dans la plupart des pays européens, les soins de première intention recommandés par les autorités de santé (Haute Autorité de Santé (HAS), Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM)) pour les troubles mentaux chez l’enfant ne sont pas pharmacologiques. Sont en effet prioritairement recommandées :
Les pratiques psychothérapeutiques : psychanalyse, pratiques psychodynamiques et cliniques, thérapies cognitives et comportementales, thérapies familiales et groupales…
Les pratiques éducatives,
Les pratiques de prévention et d’intervention sociale.
Pour certains cas seulement, un traitement médicamenteux peut être prescrit en deuxième intention, en soutien de l’accompagnement psychologique, éducatif et social de l’enfant et de sa famille. Et même alors, les consensus internationaux sont réservés et insistent sur l’importance de la surveillance et le rôle des agences de santé et de sécurité du médicament.
Ces réserves s’expliquent par la rareté d’études robustes sur l’efficacité des traitements médicamenteux chez l’enfant, par l’existence d’effets indésirables importants et par une balance bénéfice/risque souvent défavorable – ce qui conduit à un nombre limité d’Autorisations de mise sur le marché (AMM) pour les psychotropes en population pédiatrique. Lorsqu’un tel médicament est autorisé chez l’enfant, sa prescription est assortie de recommandations strictes.
Une hausse continue de la médication
Pour autant, et en contradiction flagrante avec ces exigences scientifiques et réglementaires, les données rapportées par le HCFEA, extraites d’études de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) et du groupement d’intérêt scientifique EPI-PHARE spécialisé dans les études épidémiologiques des produits de santé, montrent une augmentation constante de la consommation de psychotropes chez l’enfant.
Pour la seule année 2021, la consommation chez l’enfant et l’adolescent a augmenté de :
7,5 % pour les antipsychotiques,
16 % pour les anxiolytiques,
23 % pour les antidépresseurs,
224 % pour les hypnotiques.
Plus largement, l’analyse de la consommation de 59 classes de médicaments psychotropes délivrés sur ordonnance en pharmacie chez les 0-19 ans pour l’ensemble des bénéficiaires du Régime Général montre que, pour chaque année entre 2018 et 2021, la consommation est supérieure à celle de l’année précédente et inférieure à celle l’année suivante. Ce qui suggère une augmentation continue de la consommation pour l’ensemble des médicaments.
Cette « surconsommation », qui est une « sur-médication », peut s’exprimer en termes de différence entre le nombre de délivrances observé et le nombre de délivrances attendu.
Cette augmentation concerne des dizaines de milliers d’enfants. Le nombre de délivrances de psychotropes en 2021 chez les 0-19 ans se chiffre en millions et il est aujourd’hui nettement plus élevé qu’en 2018, quelle que soit la sous-classe de médicament.

Ces niveaux d’augmentation sont sans commune mesure avec ceux observés au niveau de la population générale adulte. Ils sont 2 à 20 fois plus élevés, alors même que le nombre d’AMM en population pédiatrique est très limité pour les médicaments psychotropes. Cette observation suggère que les enfants sont plus exposés que les adultes à la souffrance psychique, mais surtout qu’ils sont exposés à une médication croissante, et en l’occurrence inadaptée.
Ces phénomènes sont aggravés par la crise Covid, mais ils lui sont antérieurs. En effet, l’analyse des bases de données de santé sur la période 2014-2021 montre déjà une augmentation continue :
+9,48 % pour les dopaminergiques,
+27,7 % pour les anticholinergiques,
+48,54 % pour les antipsychotiques,
+62,58 % pour les antidépresseurs,
+78,07 % pour les psychostimulants,
+155,48 % pour les hypnotiques et sédatifs.
Seule la consommation d’anxiolytiques a légèrement baissé (-3,46 %) sur la période. Dans les années 2000-2010, plusieurs travaux ont montré que cette dernière était particulièrement élevée en France, notamment en population pédiatrique. Des rapports et recommandations des autorités de santé demandèrent en conséquence une vigilance accrue quant à la prescription de ces molécules, en raison de leurs effets indésirables importants et de leur caractère addictogène. On peut penser que ces recommandations ont eu un effet sur la prescription, même si elle reste à un niveau élevé. Mais il est possible qu’une partie de ces prescriptions se soient reportées sur les hypnotiques, qui partagent avec eux plusieurs propriétés pharmacologiques, et dont la consommation a très fortement augmenté sur la même période.
Le constat est identique si l’on raisonne en termes de prévalence de la consommation de psychotropes chez les 0-20 ans entre 2010 et 2021 (la prévalence étant la fréquence de survenue d’un phénomène de santé dans une population pour une période donnée) :
De 2,01 % à 2,72 % pour les hypnotiques et les anxiolytiques, soit une augmentation d’environ 35 %,
De 0,28 % à 0,60 % pour les antipsychotiques, soit une augmentation d’environ 114 %,
De 0,23 % à 0,57 % pour les psychostimulants, soit une augmentation d’environ 148 %,
De 0,29 à 0,81 % pour les antidépresseurs et les normothymiques, soit une augmentation d’environ 179 %.
Les données Openmédic 2021 suggèrent que plus de 5 % de la population pédiatrique pourrait être concernée. Et dans la mesure où ces taux de consommation intègrent les données des 0-3 ans et des 3-6 ans, pour lesquels les prescriptions de psychotropes restent rares, la prévalence chez les 6-17 ans pourrait en fait être nettement plus élevée. Elle doit faire l’objet d’une attention et d’une mobilisation urgente des pouvoirs publics et des autorités de santé.
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Des prescriptions hors de toute validation scientifique
En effet, le rapport HCFEA insiste sur le non-respect des Autorisations de mise sur le marché et sur la transgression des recommandations des agences de santé et des consensus scientifiques. Déjà en 2009, une étude prospective montrait que 68 % des prescriptions de psychotropes réalisées dans un hôpital pédiatrique parisien étaient hors AMM. Ces prescriptions hors AMM touchaient 66 % des jeunes patients et concernaient essentiellement la prescription chez l’enfant de médicaments réservés à l’adulte.
À titre d’exemple, considérons le cas du méthylphénidate (Ritaline, Concerta…) que le rapport du HCFEA documente de façon approfondie. Entre 2010 et 2019, la prescription de ce psychostimulant chez l’enfant a augmenté de 116 %.
Cette augmentation de la consommation se double d’une transgression systématisée des AMM et des recommandations de prescription :
Prescriptions avant l’âge de 6 ans.
Durées de traitement longues, alors que les études et les agences de santé recommandent des prescriptions de court terme : 5,5 ans pour les enfants de 6 ans ayant débuté un traitement par méthylphénidate en 2011, et 7,1 ans pour les enfants de 6 ans hospitalisés avec un diagnostic de TDAH en 2011 – et des durées en augmentation entre 2011 et 2019. Les enfants les plus jeunes sont ceux pour lesquels les durées de prescription sont les plus longues.
Prescriptions hors diagnostic ou dans le cadre de diagnostics psychiatriques pour lesquels le médicament ne dispose pas d’AMM chez l’enfant.
Co-prescriptions d’autres psychotropes, souvent réservés à l’adulte et très éloignées de leur zone d’AMM. 22,8 % des enfants sous méthylphénidate en 2018 ont reçu au cours des 12 mois suivants au moins un autre psychotrope appartenant à diverses classes pharmacologiques : neuroleptiques (64,5 %), anxiolytiques (35,5 %), antidépresseurs (16,2 %), antiépileptiques (11 %), hypnotiques (4,8 %) et antiparkinsoniens (3 %). Les principales molécules prescrites sont la rispéridone (10,6 %) l’hydroxyzine (6 %), la cyamémazine (3,9 %), l’aripiprazole (2,7 %), la sertraline (1,4 %), l’acide valproique (1,1 %), et la fluoxétine (1 %). Parmi ces enfants, 63,5 % ont reçu deux traitements, 20,8 % ont reçu trois psychotropes, 8,5 % en ont reçu quatre et 6,9 % se sont vu prescrire au moins cinq psychotropes dans les 12 mois suivant la première prescription de méthylphénidate. Ces co-prescriptions ne font l’objet d’aucune étude ni validation scientifiques.
Non-respect des conditions réglementaires de prescription et de renouvellement par des médecins spécialistes ou des services spécialisés : les recommandations d’initiation obligatoire en milieu hospitalier en vigueur jusqu’en septembre 2021 n’étaient pas respectées dans près d’un quart des cas. De plus, le renouvellement annuel de la prescription de méthylphénidate doit se faire lors d’une consultation hospitalière visant, au-delà du traitement, le suivi de l’enfant et l’accompagnement des familles. Ceci n’a pas été respecté pour près d’un enfant sur deux en 2015, 2016 et 2017.
Substitution des pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales par des pratiques médicamenteuses : les bases de données de santé montrent qu’entre 2011 et 2019, sur l’ensemble des services hospitaliers prescripteurs, 84,2 % à 87,1 % des enfants traités n’ont pas bénéficié d’un suivi médical par le service hospitalier ayant initié le traitement. De plus, alors que la consommation de méthylphénidate n’a cessé de croître entre 2010 et 2019 (+116 %), le nombre de visites dans les Centres Médico-Psycho-Pédagogiques des enfants recevant cette prescription a été divisé par quatre dans sur la même période.
Détermination scolaire de la prescription : les enfants et les adolescents français présentent 54 % de risques supplémentaires en moyenne de se voir prescrire un traitement psychostimulant s’ils sont nés en décembre que s’ils sont nés en janvier. De manière systématique entre 2010 et 2019, le nombre d’initiations augmente au fil des mois de l’année, pour retomber brutalement le mois de janvier de l’année suivante. Ceci suggère que la prescription n’est pas dirigée par une évaluation diagnostique rigoureuse, mais qu’elle résulte d’une interprétation erronée de l’immaturité psychologique plus importante des enfants plus jeunes, et de leurs capacités d’attention logiquement moindres.

- Détermination sociale de la prescription : L’analyse des bases de données montre également l’impact des facteurs sociaux sur le risque de diagnostic d’hyperactivité et la médication. Ainsi, en 2019, 21,7 % des enfants recevant du méthylphénidate vivaient dans des familles bénéficiant de la CMU ou de la CMU-C, alors que, selon l’Insee, ces aides ne sont attribuées qu’à 7,8 % de la population française. Si l’on considère également les enfants consommateurs de méthylphénidate présentant un diagnostic de défavorisation sociale, le pourcentage d’enfants présentant des difficultés sociales parmi les consommateurs de méthylphénidate atteint 25,7 %.
Envisager un changement complet d’approche ?
Si l’on dispose encore de peu d’études solides sur l’efficacité des traitements pharmacologiques dans les troubles mentaux de l’enfant, il n’en va pas de même chez l’adulte. Ce qui manquait jusqu’à présent, ce n’était pas des données, mais des synthèses complètes et solides. Une récente publication dans World Psychiatry est venue y remédier.
Cette méga-analyse synthétise les résultats de 102 méta-analyses, rassemblant 3782 essais contrôlés randomisés et 650 514 patients – et concerne les évaluations d’efficacité des traitements pharmacologiques publiées entre 2014 et 2021 pour les onze principaux troubles mentaux.
Les résultats montrent que la différence des résultats entre les groupes traités et les groupes contrôles (placebo et traitements habituels) est très faible. C’est un résultat que l’on peut, au risque de l’euphémisation, considérer comme peu satisfaisant.
La représentation graphique du décalage des distributions en apporte une compréhension plus intuitive :

Pour les auteurs, ces résultats ne sont pas contingents. Investir davantage dans la même voie n’y changera rien : un plafond a été atteint dans l’efficacité des traitements pharmacologiques actuels. C’est la raison pour laquelle ils en appellent à un changement de paradigme dans la recherche en psychiatrie afin de pouvoir effectuer de nouveaux progrès.
Dans cette attente, il faut s’interroger sur la pertinence de laisser se poursuivre la lourde tendance à l’augmentation de la prescription des psychotropes chez l’enfant documentée ici, malgré une efficacité et une sûreté qui interrogent… D’autant que d’autres stratégies (psychothérapeutiques, éducatives, sociales), certes plus complexes, permettraient de mieux alléger leur souffrance psychique et d’en atténuer les conséquences si elles étaient véritablement mises en œuvre.
Une communication transparente s’impose sur la réalité de ce que peut vraiment faire un traitement pharmacologique. Leur surutilisation écarte souvent la possibilité de recourir à d’autres stratégies thérapeutiques, ce qui peut constituer une perte de chance inacceptable. Il est urgent d’aligner l’éthique, les données de la science, et la communication à destination des patients et du grand public dans ce domaine.
Sébastien Ponnou, Psychanalyste, Maître de Conférences en Sciences de l'Education à l'Université de Rouen Normandie, Université de Rouen Normandie et Xavier Briffault, Chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
De Sarajevo à l’Ukraine, l’enfance sous les bombes
Grands oubliés des récits tirés des conflits armés, les enfants sont au centre d’un musée ouvert dans la ville bosnienne, en 2017. A l’occasion des six ans de l’inauguration du lieu, ses fondateurs affichent leur soutien aux Ukrainiens.
Des peluches, une balançoire, des vêtements, un peigne ou même un bidon d’eau… Dans un petit musée de la vieille ville bosnienne de Sarajevo, des objets en tous genres racontent le quotidien de la guerre, à hauteur d’enfants. Parmi les dizaines de reliques qui s’affichent parfois pendues au plafond, certaines proviennent de Syrie ou d’Irak, mais aussi des régions de l’est de l’Ukraine, aujourd’hui ravagées par les obus.
«Les Bosniens sont sûrement le peuple en Europe qui peut nous comprendre le mieux en ce moment, nous les Ukrainiens, souffle Svitlana Osipchuk, la partenaire du musée de l’Enfance en temps de guerre (War Childhood Museum) après un trajet de quarante-huit heures depuis Kyiv. Nous partageons le même type d’expériences, que ce soit en termes de politique, mais aussi de vie quotidienne en temps de guerre. Je vois comment la ville de Sarajevo est marquée par la guerre : tous ces impacts de balles sur les murs, c’est malheureusement quelque chose de familier à chaque Ukrainien aujourd’hui.»
Une familiarité de la guerre qu’expriment souvent tragiquement les jouets et les souvenirs du musée de Sarajevo. Oleksii n’avait pas 10 ans quand il a perdu deux doigts à la suite d’une explosion dans le Donbass, bien avant le 24 février 2022. Son histoire se raconte au travers de son ours en peluche, qui a traversé l’Ukraine. Trois semaines tout juste avant l’invasion décidée par Vladimir Poutine, il s’exposait encore à Kherson, une ville du sud de l’Ukraine qui a été ensuite occupée pendant neuf mois par les forces russes. Aujourd’hui sa maison se trouve proche de la ligne de front. Selon l’Unicef plus de 400 enfants ukrainiens auraient été tués depuis le 24 février 2022, et ils sont près de trois millions à se retrouver aujourd’hui privés d’éducation. Ces souffrances, elles ont été le quotidien de millions de personnes dans la Yougoslavie agonisante d’il y a trente ans. Entre 1992 et 1995, on estime qu’entre 6 000 et 11 000 enfants auraient perdu la vie durant la guerre de Bosnie-Herzégovine.
Dépression et stress post-traumatique
Jasminko Halilovic avait 4 ans quand les nationalistes serbes ont commencé à répandre la terreur. Fondateur de ce musée à la portée universelle, le jeune entrepreneur vient de retrouver la sœur de l’un de ses meilleurs amis d’alors, mort pendant le conflit, comme un millier de petits Sarajéviens. «L’Ukraine est très proche de la Bosnie-Herzégovine, autant géographiquement qu’en termes d’expériences vécues, raconte-t-il à l’occasion des six ans du musée. Nous sommes à la limite de l’Union européenne et ce sont des pays avec un niveau de développement similaire. Donc dès l’ouverture du musée en 2017, nous voulions coopérer avec quelqu’un en Ukraine, et grâce au soutien de nos donateurs nous avons pu ouvrir un bureau à Kyiv en 2020.» A Sarajevo, des milliers d’enfants ont été blessés par les balles des snipers, et plus d’un sur deux a assisté à une mort violente durant les quatre ans du siège de la capitale bosnienne.
Dans l’Ukraine envahie et bombardée de 2023, un million et demi d’enfants seraient exposés à des problèmes de santé mentale, selon l’Unicef. Grâce à l’aide financière et à l’expérience des chercheurs du musée de Sarajevo, Svitlana Osipchuk a organisé plusieurs dizaines de formations dans son pays afin d’apporter de précieux conseils aux adultes, et tenter de prévenir les risques de dépression, d’anxiété et de stress post-traumatiques. «Les parents, les enseignants ou même les journalistes nous demandaient comment ils devaient parler de la guerre aux enfants, explique-t-elle, les yeux cernés. Comment faire pour ne pas aggraver leur stress, et faire en sorte de diminuer leurs traumatismes psychologiques ? Quand vous pouvez créer un espace sûr pour les enfants afin de refléter ce qui se passe, ils auront plus de chances de pouvoir affronter leurs traumatismes liés à la guerre dans le futur.»
«Réécriture de l’histoire»
Crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide… Alors que les enquêteurs de la justice internationale poursuivent leur travail de terrain en Ukraine, certains débats prennent un air de déjà-vu. D’aucuns oublient ou minimisent le précédent «retour de la guerre en Europe» des années 90, avec ces massacres, ces flots de réfugiés et ces destructions multiples. Pourtant, par nombre d’aspects, la guerre de Vladimir Poutine rappelle bien les différentes campagnes de nettoyage ethnique entreprises par Slobodan Milosevic, président de la Serbie (de 1989 à 1997) puis de la Yougoslavie (de 1997 à 2000).
«Ce sont des guerres justifiées par une réécriture de l’histoire qui réfute l’idée même de l’existence d’un peuple et d’un Etat dont le voisin hégémonique veut s’emparer, estime Florence Hartmann, spécialiste de la justice internationale. Elles sont donc menées contre des civils qui incarnent cette identité et cette histoire qu’il s’agit d’effacer et, dans ce type d’entreprise, les enfants ne sont pas épargnés.» Elle rappelle qu’au prétexte de «ne pas ajouter la guerre à la guerre», «les Occidentaux n’ont pas fourni à la Bosnie-Herzégovine les armes pour se défendre et l’agresseur serbe a pu se concentrer sur la destruction des civils et de leur héritage historique et culturel». Contrairement à l’Ukraine qui, grâce à la générosité de ses alliés, est en mesure «d’opposer suffisamment de résistance» aux attaques violentes des soldats du Kremlin «pour la détourner en partie des cibles civiles».
Louis Seiller
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De Sarajevo à l'Ukraine, l'enfance sous les bombes
Grands oubliés des récits tirés des conflits armés, les enfants sont au centre d'un musée ouvert, en 2017, dans la ville bosnienne. A l'occasion des six ans du lieu, ses fondateurs affichent l...
Amours adolescentes : les métamorphoses de l'âge et de l'époque
C’est un sujet peu étudié, faussement léger et pourtant empreint d’une gravité bien réelle, ainsi que le suggère le très beau titre du livre de notre invitée de ce matin : “Les Choses sérieuses”, une enquête sociologique sur les amours adolescentes.
Avec
Isabelle Clair Sociologue, chargée de recherche au CNRS
Marie Legrand directrice de projets chez HLab et BMR
Les amours adolescentes sont autant d’amusements mais aussi des expériences lourdes de sens, des amours qui permettent de s’émanciper des adultes tout en cherchant à les imiter, des amours qui mettent en tension les pratiques sexuelles et romantiques, des amours avec leurs codes, leur vocabulaire, marquées par leur époque, et qui si elles se jouent sur le registre des sentiments et des affects, de la passion, de la jalousie, de la joie et de la peine, n’échappent déjà pas au poids du genre et des conflictualités sociales.
A écouter en cliquant ci-dessous
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Amours adolescentes : les métamorphoses de l'âge et de l'époque
C'est un sujet peu étudié, faussement léger et pourtant empreint d'une gravité bien réelle, ainsi que le suggère le très beau titre du livre de notre invitée de ce matin : "Les Choses séri...
Vivement lundi: le service national universel...
Pas mécontente de ne pas être lycéenne et finir dans un mouvement de foule à la chorégraphie aussi molle que les convictions d'un député Renaissance.
Dans un tout petit plus d'un mois, j'aurai 38 ans. Ça ne me réjouit pas totalement bien sûr, puisqu'on vit dans un monde où l'on propose aux femmes des solutions pour lutter contre le vieillissement dès la première seconde où la puberté leur a foutu la paix. Mais je dois reconnaître que je suis assez heureuse de ne pas avoir vingt ans de moins en ce moment.
D'abord parce que je serais probablement en train de faire la queue aux Restos du cœur, entre tous ces gens de moins d'un quart de siècle qui constituent la moitié des personnes qui s'y rendent, pour trouver de quoi manger. Mais surtout pour une raison beaucoup plus dramatique voire, n'ayons pas peur des mots, tragique: ma ministre de tutelle serait Sarah El Haïry. Pire d'ailleurs, ce serait ma secrétaire d'État [chargée de la Jeunesse et du service national universel (SNU), ndlr], parce qu'apparemment tout plus jeune président qu'il est, Emmanuel Macron pense que les gens qui ne votent pas ne méritent pas un vrai ministre.
Bref, en matière de pénibilité des jeunes années, je peux vous dire que toutes les crises d'acné sur le bout du nez et la veille d'une boum chez ma copine Steph' où y aura peut-être Kévin de la 5ème 2 et presque sûr Kévin de la 5ème 5 sont des souvenirs plus doux à l'âme que l'idée de devoir envisager de passer douze jours dans un département tiré au hasard, à me lever aux aurores, à manger des frites et à apprendre le onzième couplet de «La Marseillaise», tout ça pour servir d'écran de fumée à une ministre en manque d'activité et d'inspiration. Ce qui tend au pléonasme avec ce gouvernement, j'en conviens.
Plutôt que d'emmerder les jeunes gens avec l'idée d'un SNU obligatoire, alors qu'ils ne sont même pas sûrs d'avoir une planète vivable dans une petite décade, la secrétaire d'État aux gens qui ne votent pas encore pourrait, peut-être, elle aussi manger des steaks tartare à 5h du matin entre deux séries d'abdominaux option fessiers d'acier? Visiblement, c'est un truc qui se fait dans ce gouvernement. Bouffer de la viande à même la bête ou presque, et tremper jusqu'aux naseaux dans les conflits d'intérêts ont même l'air d'être des critères d'embauche, si j'en crois l'organigramme en place depuis juin 2022
Bref, pas mécontente de:
Ne pas être une vache mangée comme un bol de Chocapic par un ministre producteur de couleuvres à avaler;
Ne pas être lycéenne et finir dans un mouvement de foule à la chorégraphie aussi molle que les convictions d'un député Renaissance, tout ça pour divertir un préfet qui aurait sûrement préféré qu'on lui installe la fibre dans son département.
Pas mécontente non plus de ne pas être professeure et de voir qu'on injecte des millions dans des pestacles de fin d'année mal gaulés, qui n'ont rien à envier aux heures les plus sombres des lipdubs de l'UMP. Nadine Morano et son déhanché en moins.
Pas mécontente, enfin, de ne pas être une nappe phréatique ni une femme dans les bureaux de la FIFA à Paris. Dans les deux cas, 2023 sera une année sans doute aussi catastrophique que tout ce qui sort de la tête de Madame Pas-la-ministre-des-jeunes, pas le cul sorti des ronces.
Allez, vivement lundi.
Louison
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Vivement lundi: le service national universel
Temps de lecture: 2 min Dans un tout petit plus d'un mois, j'aurai 38 ans. Ça ne me réjouit pas totalement bien sûr, puisqu'on vit dans un monde où l'on propose aux femmes des solutions pour lu...
Professeure tuée : "Depuis la pandémie, davantage de jeunes vont mal", s'inquiètent les chefs d'établissement
Après le meurtre d'une enseignante à Saint-Jean-de-Luz, Agnès Lassalle, les personnels de direction de l’Education nationale demandent plus de moyens pour détecter les comportements anormaux chez les jeunes et pouvoir intervenir en urgence.
Comment faire pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ? C'est la question que se posent de nombreux chefs d'établissement après la mort mercredi d’une professeure d’espagnol, Agnès Lassalle, poignardée par son élève de 16 ans. Un jeune qui présentait "une personnalité anxieuse", suivait un traitement antidépressif et était suivi par un médecin psychiatre, a détaillé jeudi le procureur de Bayonne.
Carole Zerbib, proviseure adjointe du lycée Voltaire, à Paris, et membre de l'exécutif national du SNPDEN, le syndicat des chefs d'établissement, appelle aujourd’hui l’éducation nationale à prendre des mesures. "Depuis la pandémie, davantage de jeunes vont mal. Ils sont davantage à exprimer leur mal-être", souligne-t-elle.
Plus de spécialistes pour faire face à des jeunes en détresse
"Face à ce constat, il faut que l’on puisse avoir recours à des spécialistes quand on voit un jeune qui va mal", assure la proviseure adjointe. Plus de spécialistes, cela veut dire recruter des médecins scolaires, des infirmières... Beaucoup d'établissements en France n'en sont aujourd'hui tout simplement pas dotés. Carole Zerbib imagine d'autres solutions. "Il faudrait peut-être que l’on puisse introduire une nouvelle fonction, une nouvelle possibilité : celle d’appeler des psychologues afin de suivre les élèves qui en ont besoin de toute urgence", dit-elle.
Le souci reste le manque de moyens pour s'offrir ce genre de services, d’autant que les salaires ne sont pas toujours très attractifs. Mais la cheffe d'établissement veut à tout prix éviter qu'un virage sécuritaire soit adopté dans l'éducation nationale, si des attaques comme celle de Saint-Jean-de-Luz se reproduisent.
Carole Zerbib s'oppose aux portiques de sécurité, ou aux fouilles à l'entrée du lycée. "On n’est pas obligés de faire des établissements scolaires des aéroports ou des prisons. On peut peut-être éviter d’en arriver là", estime-t-elle. Éviter d'en arriver là, même si, pour l'heure, elle tient à le rappeler, ce genre d'attaques reste extrêmement rare dans l’enseignement.
France Inter
Gauche ou droite : qui mettra en place le «revenu universel» pour les étudiants ?
Le rejet par l’Assemblée nationale du projet de loi socialiste instaurant un repas à un euro pour tous les étudiants souligne le flou idéologique qui entoure l’universalité des allocations à la jeunesse.
La cantine à un euro pour tous les étudiants, l’idée pouvait paraître consensuelle. Pourtant, la proposition de loi portée par la socialiste Fatiha Keloua-Hachi qui visait à réformer les tarifs du Crous a été rejetée par l’Assemblée nationale le 9 février après un vote très serré : 184 voix contre 183. Le Rassemblement national a soutenu la proposition défendue bec et ongles par la Nupes ; la majorité, elle, s’est massivement opposée : selon elle, il serait «injuste» d’en faire profiter les étudiants de milieux favorisés, ce tarif s’appliquant déjà «aux étudiants boursiers et précaires», ainsi que cela fut mis en place pendant la pandémie. Il a été opposé aux députés Renaissance que les enfants de riches ne mangeaient évidemment pas au Crous, et que cette réforme aurait bénéficié aux étudiants qui n’entrent pas de justesse dans les critères d’obtention des bourses (lesquels n’ont pas été révisés depuis 2013).
La justice consiste-t-elle à rendre universel un avantage ou à en faire bénéficier les plus démunis ? Le débat crée la confusion dans les partis. Si la Nupes a porté une mesure universelle pour la cantine des étudiants, souvenons-nous que le Parti socialiste de François Hollande avait affirmé, avec force, le principe de modulation selon les ressources, en supprimant les allocations familiales universelles – une universalité alors défendue par la droite, mais aussi par le Parti communiste.
Une réforme d’ampleur en sommeil
La confusion persiste concernant la possibilité d’un revenu universel étudiant. Cette réforme d’ampleur, en sommeil dans l’agenda de plusieurs courants politiques depuis une trentaine d’années, serait sur le point d’émerger selon l’économiste Philippe Aghion qui milite pour ce qu’il appelle un «revenu universel de formation» : «Je sais qu’il y a au gouvernement des gens qui y sont favorables», confie le professeur au Collège de France à Libération, sans préciser qui. «Ce serait tout de même bienvenu pour contrebalancer l’impopularité de la réforme des retraites», observe celui qui a l’oreille d’Emmanuel Macron depuis qu’ils ont travaillé ensemble pour la commission Attali en 2007.
En lieu et place des bourses, la proposition de Philippe Aghion consiste à rémunérer étudiants et apprentis pour leur donner «une plus grande autonomie et les moyens de décider de leur avenir». Ils sont potentiellement trois millions à être concernés par une mesure qui coûterait environ 4 milliards d’euros selon un rapport de Terra Nova datant de 2011. L’économiste propose 890 euros (la moitié du salaire médian) pour tout étudiant qui ne figure plus sur la déclaration fiscale de ses parents.
Chez la majorité des enseignants-chercheurs, qui sont «confrontés à une précarité grandissante au contact des étudiants de familles populaires qui n’auraient pas accédé au supérieur il y a encore dix ans», l’idée ne fait plus débat : le sociologue Camille Peugny l’a défendue dans son livre Pour une politique de la jeunesse (Seuil, 2022) en s’inspirant du modèle danois : «Il consiste à proposer une allocation d’études universelle pour tous les jeunes jusqu’au master. Au Danemark, c’est 750 euros par mois pendant six ans.»
La mesure est conçue pour aider les jeunes «quelles que soient leurs origines sociales. Cela lève le frein financier à la poursuite d’études pour les enfants des milieux populaires, et cela permet aux autres d’étudier dans de meilleures conditions», résume Camille Peugny. Dans ce modèle, les jeunes sont soumis à des impératifs d’assiduité et de réussite de leurs études, comme c’est le cas avec les bourses sur critères sociaux en France.
Le principal obstacle demeure idéologique
Mais pour que cette mesure soit vraiment universelle, il faudrait une «extension immédiate de l’âge d’accès au RSA à 18 ans au lieu des 25 actuels, estime le politiste Tom Chevalier. A l’instant T, un étudiant peut être précaire, mais s’il valide ses études, il aura accès à un emploi de qualité et sera protégé du chômage. Il est impensable de faire l’allocation études sans ouvrir le RSA à tous», tranche le chargé de recherches au CNRS. Les près de 100 000 jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme chaque année ne peuvent guère bénéficier que du contrat d’engagement jeune (CEJ) mis en place le 1er mars 2022, en remplacement de la garantie jeunes (GJ). «Ce dispositif vient aussi des pays scandinaves, rappelle Camille Peugny. Les jeunes reçoivent une allocation mensuelle pendant un an en échange d’un suivi individualisé pour trouver un emploi. Mais les missions locales n’ont pas les moyens de véritablement suivre les dossiers, et le CEJ n’a fait que renforcer la partie “contrôle” de cette aide.»
Selon le chercheur, le principal obstacle à l’instauration d’un revenu universel demeure idéologique : «Je rappelle que l’extension du RSA aux jeunes de 18 à 25 ans a été refusée consécutivement par Sarkozy, par Hollande, puis par Macron durant son premier mandat, avec le même argument : on ne peut pas donner comme signal aux jeunes qu’on les assiste», déplore-t-il. «Il y a toujours des gens qui disent que ça encourage la paresse ; c’est les réacs. Et puis, il y a les plus progressistes», résume Philippe Aghion. «C’est en tout cas un débat qui n’est pas clair d’un point de vue partisan, complète Tom Chevalier. Même au sein de la gauche, il y a des discussions.»
Une revendication formulée depuis 1946
Pourtant, la revendication d’un «salaire étudiant» a été formulée par l’Unef en 1946 dans sa charte de Grenoble. Ce modèle a été porté à bas bruit par les communistes avant un retour dans les années 90 sous le nom d’«allocation d’autonomie ou d’études». «Le débat a toujours été le même, explique Tom Chevalier : est-ce qu’on fait une stratégie “Robin des bois” en taxant les plus riches, ou est-ce qu’on choisit l’universalité ? En France, on a opté pour un entre-deux, c’est-à-dire les bourses, et donc la familiarisation des dispositifs. Ce système est complètement obsolète.» Verser les allocations aux parents d’enfants de plus de 18 ans qui poursuivent des études dit beaucoup de notre conception de la jeunesse, selon les deux chercheurs. Ils plaident pour que les jeunes de 18 ans soient «considérés comme des adultes», et qu’on arrête donc de les considérer jusqu’à 25 ans comme les enfants de leurs parents. «Si on est adulte et citoyen à 18 ans, on doit arrêter de renvoyer les jeunes à leurs origines sociales, comme c’est le cas avec cette histoire de repas à un euro réservé aux boursiers», acte Camille Peugny.
Une étude de Tom Chevalier sur les effets de l’action publique dans la confiance institutionnelle des jeunes en Europe (Revue française de sociologie, 2019) pourrait hâter les indécis : «Plus les Etats reconnaissent le statut d’adulte des jeunes, plus les jeunes ont confiance dans les institutions. Les jeunes Danois disent qu’ils sont en pleine confiance avec l’Etat. En France, on dépense beaucoup d’argent pour eux, mais cela demeure invisible puisque cet argent passe par les familles. Quand il est versé directement dans la poche des jeunes, ça devient visible, ils savent que l’Etat fait quelque chose pour eux.»
Adrien Naselli
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Gauche ou droite : qui mettra en place le "revenu universel" pour les étudiants ?
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A lire... "Sois jeune et tais-toi" par Salomé Saqué...
EXTRAIT
Je ne pense pas une seconde pécher par naïveté ou idéalisme. Je suis au contraire persuadée que ma génération est, dans l’ensemble, réaliste, informée et courageuse. Je suis profondément convaincue que notre jeunesse peut sauver l’humanité. Et lorsque je dis « sauver l’humanité », je pèse chaque mot de ce que certains considéreront comme un poncif, car c’est bien la tâche qui nous incombe, collectivement : réparer ou sombrer. Jamais une génération n’a été comme la mienne au pied du mur. Il ne s’agit évidemment pas de dire que nous souffrons davantage ou de tenter vainement d’établir une échelle de valeur absurde dans la charge que chaque génération a eu à supporter depuis que le monde est monde. Si d’autres avant nous ont souffert – et bien davantage, indiscutablement –, la nouveauté est ailleurs : dans la responsabilité que nous, humains, avons dans la catastrophe à l’œuvre, et dans son irréversibilité. Cette responsabilité oblige ma génération comme aucune autre ne l’a été jusqu’ici.
En 1972, le rapport Meadows établi par des scientifiques mettait déjà en garde l’humanité sur l’état préoccupant de la planète, soulignant les limites à la croissance et appelant à des politiques volontaristes. Il était déjà question d’effondrement du système planétaire. En 1990 paraissait le premier rapport du GIEC, qui alertait de manière précise sur le réchauffement climatique et ses conséquences. Qu’a-t-il été fait entre-temps pour y échapper ? Rien de significatif. Depuis cette époque, l’empreinte carbone des Français a augmenté, la vente de SUV sur notre territoire a explosé, tout comme le trafic aérien ou les importations de biens. En quelques décennies, la température mondiale a augmenté de 0,8 °C, la biodiversité s’est effondrée et l’air et l’eau ont été encore plus pollués. L’urgence écologique – la plus grande menace pour l’humanité – n’a tout simplement pas été prise au sérieux, ni ici ni ailleurs.
Nous – ma génération et les suivantes – n’étions pas là, quand il aurait fallu prendre des décisions et que rien n’a été fait. Nous ne pouvions ni voter, ni consommer autrement, ni manifester, ni agir d’une quelconque façon, puisque nous n’étions pas nés. Pourtant, c’est bien nous qui subirons et devrons gérer les pires conséquences des décisions politiques des générations précédentes. Il n’y aura pas de retour en arrière en ce qui concerne l’écologie, puisque six limites planétaires sur neuf ont déjà été dépassées.
Salomé Saqué - Sois jeune et tais-toi
Se séparer des parents pour grandir : quelle marge pour les ados dans un monde connecté ?
Si les manières de devenir adulte ne sont jamais exactement les mêmes d’une société à une autre, il existe néanmoins des invariants. Les expériences de séparations comptent au nombre de ces incontournables de la condition humaine : pour advenir en tant qu’adulte, les enfants doivent se confronter à des situations pendant lesquelles ils n’évoluent plus sous le regard protecteur de leurs parents. Dans les sociétés contemporaines, la séparation est expérimentée lors de la fréquentation de l’école, du partage d’activités entre pairs, de moments passés chez les grands-parents, de colonies de vacances, de soirées entre amis…
Ces expériences sont liées de près à l’émergence d’un horaire personnalisé pour l’ado, qui se désynchronise progressivement du rythme de vie de ses parents. Et ces temps sont propices à l’autonomisation : parce qu’ils doivent s’en remettre à des ressources « extérieures », ne pouvant plus compter sur l’aide bienveillante de leur famille dans des contextes ponctuels, les enfants devenant adolescents se retrouvent de plus en plus souvent dans des situations pendant lesquelles ce sont les pairs ou d’autres adultes qui lui offrent de nouvelles alliances et d’autres manières de voir le monde. Il s’en remet plus souvent à son propre jugement pour faire des choix, en évaluant leurs avantages et leurs inconvénients à la lumière d’avis diversifiés.
Ainsi le détachement familial n’annonce pas une rupture de l’ado à l’égard de ses parents mais des prises de distance à la fois physiques et symboliques, qui sont les préalables à un renouvellement de la relation à son père et à sa mère. L’enfant demeure l’enfant de ses parents, mais ces derniers doivent désormais composer avec leur nouveau rôle : être parent d’un adolescent.
« Pacte de connexion »
Pendant longtemps, l’autonomisation s’expérimentait à travers l’évidence de ces moments pendant lesquels, tôt ou tard, l’adolescent ou l’adolescente se retrouvait hors du périmètre surveillé par ses parents. Le simple fait de partir, de les quitter « physiquement » les forçait à éprouver la séparation, et à vivre des situations pendant lesquelles il était amené à exister autrement dans le regard des autres, à ne plus jouer simplement le rôle d’enfant, mais aussi d’élève, d’ami ou d’amie, de petit copain ou de petite copine.
Interagir dans d’autres lieux, avec d’autres personnes, impliquait par définition d’interagir sans la présence des parents. Un voyage pouvait se transformer en une véritable épreuve de manque, et le chemin de l’école, comme le soulignait Françoise Dolto en son temps, constituait un moment d’expérimentation propice à la prise d’autonomie.
Le monde connecté a fait disparaître cette évidence, jusqu’à affecter significativement ce qui, hier encore, constituait la voie privilégiée de la prise d’autonomie. Parce qu’il est possible de s’éloigner physiquement, tout en ressentant la possibilité de réactiver le lien malgré la distance, les espaces d’autonomisation sont désormais assujettis à de nouvelles normes. Ce n’est plus l’éloignement dans l’espace qui régit l’expérience de séparation, mais le pacte de connexion qui en indique la qualité.
Cette expression de « pacte de connexion » désigne le contrat plus ou moins explicite que chaque individu passe avec les membres de son environnement social, contrat qui précise la fréquence des échanges ainsi que le délai attendu pour répondre à un message ou un appel. Les « pactes de connexion » sont ainsi très différents d’une relation à une autre. Dans certains cas, une réponse en quelques secondes sera espérée alors que, pour une autre personne, ce délai « raisonnable » pourra s’allonger sur quelques jours. Le « pacte de connexion » rappelle qu’une norme s’instaure en fonction de la relation spécifique à l’autre. En ce sens, chaque pacte de connexion vient dire quelque chose de chacune de nos relations.
Le « pacte de connexion » s’immisce dans la relation entre les parents et leurs enfants, et affecte significativement l’investissement des espaces d’autonomisation. Parce que ce pacte induit une norme de la fréquence des échanges et du délai de réponse, les parents se retrouvent symboliquement présents dans des espaces d’où ils étaient autrefois exclus. Ainsi des jeunes nous racontent, dans le cadre de nos recherches, les textos auxquels ils doivent répondre aussitôt sortis de la classe, les messages qu’ils envoient pour éviter d’être appelés lorsqu’ils se retrouvent avec leurs amis, parfois dans des moments d’intimité. D’autres encore nous racontent l’importance de ces moments attendus de la piscine ou de la douche parce qu’ils suspendent momentanément l’injonction de répondre, ou, du moins, d’être potentiellement joignable…
Résister à la tentation de communiquer ?
Ainsi ce que le sociologue Francis Jauréguiberry observait il y a plusieurs années au sujet des cadres supérieurs se vérifie désormais chez les plus jeunes de nos sociétés : pour accéder aux bénéfices de leur temps libre et pour échapper à la présence des absents, un effort est nécessaire, une résistance doit être opposée à la tentation de se reconnecter, de retourner vers l’autre, de répondre, encore, à ses attentes.
Dans ce contexte s’amplifie l’inégalité qui départage, d’une part, ceux et celles dont l’usage relativement maîtrisé des outils numériques permet de matérialiser leur indépendance en résistant aux sollicitations et, d’autre part, les autres qui, au contraire, n’arrivent pas à s’imposer, percevant alors dans leur réponse spontanée, dans l’urgence, le signe de leur propre incapacité à gérer leur existence.
La tentation peut être grande pour certains de revenir, en un seul clic, vers ces personnes dont la présence est réconfortante. Ainsi, lorsqu’un ado se retrouve séparer de ses parents, non seulement doit-il parfois refuser de répondre dans l’urgence à leur demande pour se prouver à ses propres yeux qu’il est autonome. Dans certains moments, c’est lui-même qui revient vers eux, à défaut de pouvoir se tourner vers les autres.
En d’autres termes, il n’est plus rare qu’un adolescent se retrouvant seul à la maison téléphone à ses parents pour poser une question dont la réponse le rassurera. Il n’est plus rare non plus qu’un adolescent se retrouvant loin de chez lui appelle mère et père pour être rassuré, pour obtenir de l’aide, pour se souvenir que le lien est réactivable malgré la distance. Ainsi la séparation d’avec les parents ne s’effectue plus sous le signe du manque avec lequel l’individu doit composer, mais sous le signe de la capacité à résister à la tentation de revenir vers eux.
Il ne s’agit pas de subir le manque, mais d’accepter de le vivre pleinement même s’il est possible d’en atténuer les effets. Si la séparation ne peut être vécue comme autrefois, se séparer implique un travail supplémentaire, la nécessité d’échapper aux possibilités d’être joignable. Rares sont les moments désormais qui assurent le silence et le recueillement. Rares, mais précieux, sont devenus ces temps pendant lesquels, non seulement les autres ne peuvent plus joindre l’individu, mais surtout pendant lesquels l’individu n’a plus à faire l’effort pour résister.
S’il n’est plus aisé de vivre pleinement les temps de séparations pour en bénéficier du potentiel en termes d’autonomisation, il n’est guère plus facile de se séparer pour se recueillir. Un énième effort à faire, encore et encore, s’ajoute à la longue liste des injonctions qui pèsent sur l’individu au moment il devient adulte.
Jocelyn Lachance, Enseignant-chercheur en sociologie, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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