jeunesse
Pourquoi les ados sont de plus en plus isolés socialement à cause des réseaux ?
Les groupes, les messages, la géolocalisation... Être jeune en 2020 est plus chargé qu'il n'y parait.
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Manon Mariani Journaliste
Rappelez-vous quand vous étiez au lycée dans les années 2000. Une époque où les réseaux sociaux existaient à peine, et où les portables se limitaient à des Nokia 3310. Les bandes de potes se différenciaient par leurs habits ou les clubs dont elles faisaient partie. Les populaires fumaient des joints devant le lycée et les cools kids faisaient du skate. En tout cas, notre existence n’avait pas encore été bouleversée par internet.
Car c’est malheureusement le cas des ados d’aujourd’hui. Tous leurs rapports et leurs interactions sont à la merci des applications et des réseaux sociaux. Résultat : beaucoup d’ados se sentent exclus socialement. Et les facteurs sont multiples à commencer par les applications de messagerie. Car ce qui cartonne chez les ados : ce sont les groupes de chat.
Mais les jeunes eux ont des dizaines de groupe, répartis selon leurs potes de lycée, de sport, leur groupe de travail, la famille, les vacances etc… Ils en ont sur Whatsapp, Instagram ou encore Snapchat. Imaginez la charge mentale que ça représente… surtout quand on a 16 ans. Car plus qu’une simple conversation, être dans un groupe de chat marque surtout leur appartenance sociale. Sur Reddit, beaucoup parlent de la pression qu’ils ressentent à cause de ses groupes. Devoir toujours répondre, être disponible pour ses amis, être toujours drôle ou piquant… Ça peut être fatiguant. Leur peur ultime : être exclu du groupe, comme le dit une jeune ado le dit dans un post sur le forum : “J’ai un groupe Whatsapp avec mes amis. Sauf que j’ai découvert qu’ils avaient le même à l’identique, mais sans moi dedans. Que dois-je faire?”. Forcément quand on est ado, ces choses-là sont prises à cœur. Et ça peut très vite être un motif d’isolement… voire de dépression.
Il y a aussi la géolocalisation car c’est un outil très utilisé par les ados en particulier sur Snapchat. L’application propose une Snapmap. C’est simple, si on choisit d’activer notre localisation, nos amis peuvent voir en temps réel où on se trouve. Plus de 300 millions de personnes dans le monde l’utilisent. Alors, il y a plusieurs choses à redire sur cette fonctionnalité. Notamment le fait qu’elle puisse être dangereuse si elle n’est pas limitée à nos proches… il faut donc être vigilant.
Mais surtout, elle semble de plus en plus nocive pour les ados qui se sentent exclus quand ils voient leurs amis se réunir sans eux. C’est ce que raconte un article du Wall Street Journal. Une jeune fille dit qu’à cause de cette Snapmap, elle a pu voir tous ses amis à une soirée où elle n’était pas invitée et que ça l’a mise dans un profond état d’anxiété. Forcément, elle a l’impression d’être mise de côté, que des gens vont potentiellement parler derrière son dos, mais aussi de louper un événement important dans sa vie d’ado. Ce n’est pas agréable.
C’est toujours pareil : pour être accepté quelque part on a envie de faire comme tout le monde, de suivre la meute. Mais les ados commencent à être moins naïfs là-dessus. Selon une étude, 45% des jeunes filles interrogées disent que la géolocalisation a un impact négatif sur elles. Au moins elles s’en rendent compte. Dans une époque où les adolescents sont de plus en plus anxieux, où leur santé mentale est mise à rude épreuve avec les réseaux sociaux… il faut rester attentif à ce qu’ils font sur leur smartphone. Car oui, pour eux se faire exclure d’un groupe de chat est tout sauf anodin.
Manon Mariani
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Pourquoi les ados sont de plus en plus isolés socialement à cause des réseaux ?
Rappelez-vous quand vous étiez au lycée dans les années 2000. Une époque où les réseaux sociaux existaient à peine, et où les portables se limitaient à des Nokia 3310. Les bandes de potes ...
Pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?
Il est courant de lire que les jeunes ne se préoccupent plus de l’actualité, qu’ils délaissent les médias traditionnels pour se focaliser sur les contenus diffusés par les réseaux sociaux numériques. Dans ces déclarations, souvent sous forme de déploration, plusieurs approches sont confondues. Ne pas lire de presse papier et ne pas écouter la radio ne signifie pas délaisser l’actualité.
Seulement, il est vrai que la presse quotidienne et magazine est confrontée à un problème de renouvellement des générations qui laisse à penser qu’une véritable gageure est à relever dans les décennies à venir pour relayer son lectorat vieillissant. Un nouveau rapport avec la presse s’instaure, passant par le numérique et davantage basé sur l’information.
Un accès à l’information par les réseaux sociaux
À rebours des idées reçues, les résultats des enquêtes quantitatives et qualitatives confirment depuis plusieurs années l’intérêt des jeunes pour l’actualité, et cette tendance s’est renforcée depuis la pandémie. Quand ils recherchent une information, un quart à un tiers des 18-25 ans a le réflexe de se tourner vers les sites numériques des journaux de presse nationale, qu’ils considèrent comme des sources fiables.
Mais alors que les générations précédentes développaient des préférences pour tel ou tel titre, ils consultent les uns ou les autres relativement indifféremment. Quand on les interroge, lycéens comme étudiants peinent à situer les lignes éditoriales des quotidiens ou leur sensibilité sur l’échiquier politique. Ce qui les intéresse, c’est l’information journalistique, plus que de savoir si elle émane du Monde, de Libération ou du Figaro. Ils ne consultent pas un quotidien pour son positionnement mais pour la garantie de qualité qu’il représente. Ainsi, les grands journaux fonctionnent de manière globale comme des « marques » de référence.
Avant 18 ans, ce sont plutôt les journaux télévisés et les chaînes d’information en continu qui sont regardés et continuent d’être jugés comme des sources fiables. En revanche, la grille horaire des programmes, avec la « grand-messe » du 20 heures n’a plus vraiment de sens pour eux, à moins que les traditions familiales ne perpétuent les dîners en famille devant le JT.
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Pour les adolescents, comme pour les jeunes majeurs, la plus grande scission avec les générations précédentes réside dans les usages numériques de l’information. À une écrasante majorité, ce sont les réseaux sociaux numériques qui leur servent de portes d’entrée vers l’actualité, en particulier YouTube, Instagram et Twitter, mais aussi Spotify et TikTok dans une moindre mesure.
Les formes brèves qui sont en usage sur ces réseaux font écho au rapport que les jeunes eux-mêmes entretiennent avec l’écrit, à travers textos et émojis. La mise en image des messages y est appréciée, tout comme la possibilité d’envoyer à ses contacts les informations, éventuellement avec ses propres commentaires, ce qui permet d’adopter une posture plus active face à l’information.
Flux d’actualité et risques d’infobésité
Alors que les seniors demeurent très attachés à la presse papier, les jeunes la jugent souvent difficile à lire, parfois absconse et onéreuse. Surtout, aller en kiosque suppose une démarche volontaire dont ils ne voient pas forcément l’utilité puisqu’ils ont pris l’habitude d’obtenir des nouvelles directement sur leur smartphone, sans aucune sollicitation de leur part, si ce n’est d’avoir activé des notifications sur leur téléphone une fois pour toutes.
Tous les matins, ils sont ainsi alertés des principales actualités : « Quand je regarde mon smartphone, j’ai tout de suite accès à l’essentiel des informations importantes et cela me renvoie vers les grands journaux » nous explique Charlotte, 16 ans, dans une enquête en cours auprès de lycéens et d’étudiants de la région Grand Est. Si le sujet l’intéresse, elle n’a donc plus qu’à cliquer.
Cette manière de s’informer a rendu particulièrement floues les logiques éditoriales. L’intérêt est suscité par la nouvelle, peu importe aux yeux du jeune internaute vers quel journal ou le pure player d’information l’algorithme du smartphone le renvoie.
Au final, le risque serait plutôt celui d’une « infobésité » que d’une anémie informationnelle. Être informé en continu par les réseaux sociaux peut provoquer une anxiété face aux désordres du monde. Nous pourrions parler de « stress informationnel », provoqué par le fait d’être informé en continu. Cela ne laisse aucune respiration et peut même devenir culpabilisant pour celle et celui qui désireraient s’en soustraire. Ainsi, le temps de la lecture que représentait la lecture d’un journal papier a volé en éclats. S’y est substituée une logique du clic et du rebond bien plus chronophage, et sans hiérarchisation éditoriale.
Lorsqu’il s’agit des réseaux sociaux, cela peut aussi laisser la part belle aux « fake news » et à la désinformation puisque la reprise et la viralité des informations échangées sont facilitées, quels que soient leur valeur et leur degré de fiabilité.
Le rôle de l’éducation à l’information
Faudrait-il en conclure que les adultes n’ont plus de place dans le rapport que les jeunes entretiennent avec l’actualité ? Lorsque des journaux et des magazines sont achetés par les parents et laissés à disposition dans la maison, les enfants ont tendance à les feuilleter. Maxence (20 ans), jeune étudiant, lit le journal local acheté par sa mère, tout comme Amel (19 ans) : « Papa laisse sur la table du salon l’Est éclair, ce qui me donne envie de le lire le week-end ». Chloé (19 ans), quant à elle, déjeune avec son grand-père tous les midis et en profite pour lire le journal régional.
L’avis des adultes, et en particulier des professeurs, compte. En témoigne Pauline (17 ans) : « J’ai choisi de recevoir les nouvelles du Figaro sur mon téléphone car c’est un enseignant qui nous l’a conseillé ». Les séances d’éducation aux médias et à l’information en classe portent leurs fruits et sensibilisent les jeunes à la lecture de la presse et à l’actualité. Les pays européens prennent progressivement conscience de son importance, certains ayant par exemple soutenu le programme européen MEDEAnet promouvant l’apprentissage aux médias numériques et audiovisuels.
De la même manière, produire des journaux lycéens et étudiants suscite le goût pour la presse et l’information journalistique, et permet de mieux comprendre les exigences déontologiques de la profession. Ainsi, Lucie (20 ans) se rappelle des séances en EMI au collège qui lui ont fait découvrir les métiers liés au journalisme.
Il revient enfin aux journalistes et aux médias traditionnels de penser davantage aux jeunes, en leur donnant la parole, en traitant de sujets dont ils se sentent proches : l’écologie, les questions de genre, la parité… La participation des journalistes à la semaine de la presse à l’école est aussi un moyen de mieux faire connaître la presse et la diversité de l’offre médiatique, son importance pour vivifier la démocratie.
Laurence Corroy, Professeure des universités, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Pour s'informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?
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Près d’un tiers des mineurs consultent un site porno chaque mois...
Cette proportion est à peine plus faible que chez les adultes (37 %), Le téléphone portable a fait exploser la consultation des sites à contenu pornographique depuis quelques années.
Près d’un tiers des moins de 18 ans consultent chaque mois au moins un site pornographique, une pratique qui augmente depuis plusieurs années avec l’utilisation du smartphone, révèle jeudi une étude de Médiamétrie commandée par l’Arcom.
2,3 millions de mineurs (30 %) sont ainsi exposés à des images pornographiques pendant plus de 50 minutes en moyenne chaque mois, une proportion à peine plus faible que chez les adultes qui sont 37 % à consommer ces contenus, selon l’étude réalisée en France en 2022 auprès de 25 000 panélistes.
Surtout, ils sont 600 000 mineurs de plus depuis l’automne 2017, lorsque la mesure a commencé à être réalisée sur trois écrans (ordinateur, smartphone, tablette numérique). De fait, les trois quarts des moins de 18 ans utilisent exclusivement leur téléphone pour ces consultations, contre 55 % des majeurs.
Pour l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), chargée par la loi de protéger les mineurs face à ces images, «on est vraiment sur une consultation de masse des sites pornographiques par les mineurs, […] qui se fait essentiellement sur les smartphones, c’est-à-dire hors du regard parental».
«Ces mineurs sont encore plus jeunes que ce qu’on pensait. On a 51 % des garçons de 12-13 ans qui regardent des sites pornographiques chaque mois, et quand même 21 % des garçons de 10-11 ans», alerte auprès de l’AFP Laurence Pécaut-Rivolier, présidente du groupe de travail de l’Arcom sur la protection des publics.
La fréquentation des adolescentes est très inférieure : non représentative jusqu’à 11 ans, 31 % à 12-13 ans et cette proportion diminue jusqu’à la majorité, tandis qu’elle augmente chez les garçons, note l’étude.
Parmi les 179 sites étudiés, la plateforme gratuite Pornhub appartenant au géant mondial du porno Mindgeek se distingue, en étant consultée par 18 % des mineurs (1,4 million, +900 000 en cinq ans). Son audience est ainsi constituée à hauteur de 17 % de mineurs, contre 12 % pour la moyenne des autres sites du genre.
«Probablement y a-t-il un certain nombre d’éléments incitatifs (sur ce site, ndlr), comme la place sur les moteurs de recherche», analyse Laurence Pécaut-Rivolier.
Saisie par des associations sur le fondement de la loi sur les violences conjugales de juillet 2020, l’Arcom a mis en demeure 15 sites pour qu’ils instaurent un véritable contrôle d’âge de leurs visiteurs et a saisi la justice pour demander le blocage de sept d’entre eux, dont Pornhub. Une décision du tribunal judiciaire de Paris est attendue le 7 juillet.
Par Libération et AFP
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Près d'un tiers des mineurs consultent un site porno chaque mois
Près d'un tiers des moins de 18 ans consultent chaque mois au moins un site pornographique, une pratique qui augmente depuis plusieurs années avec l'utilisation du smartphone, révèle jeudi une ...
Sebastian Roché : «Une police violente menace l’intégration politique des jeunes»
Nier, par un maintien de l’ordre répressif et un discours martial, la souveraineté populaire qui s’exprime ces jours-ci dans la rue, risque de favoriser la défiance des jeunes manifestants à l’égard des institutions démocratiques, met en garde le sociologue Sebastian Roché.
Multiplication des nasses, arrestations massives et gardes à vue arbitraires… De nombreux témoignages rapportés par Libération font état d’une répression accrue des manifestations contre la réforme des retraites, imposée par le gouvernement via le recours au 49.3, le 16 mars. Dans son allocution télévisée de mercredi, le chef de l’Etat a justifié cette stratégie du maintien de l’ordre par la nécessité de protéger les élus de la République et d’empêcher une radicalisation de la protestation populaire.
Pour le sociologue Sebastian Roché, qui a enseigné près de vingt-cinq ans en école de police, travaillé comme expert pour l’ONU et le Conseil de l’Europe sur ces questions, et publié la Nation inachevée. La jeunesse face à la police et l’école (Grasset, 2022), l’articulation entre libertés fondamentales et rôle de la police reste insuffisamment pensée, au profit d’une gestion purement tactique et autoritaire par l’exécutif, et au risque, alerte le spécialiste, de creuser la défiance des jeunes citoyens à l’égard des institutions démocratiques.
Assiste-t-on à un tournant dans la stratégie du maintien de l’ordre, ces derniers jours ?
Nous sommes dans une situation intermédiaire par rapport au niveau de violences policières atteint dans la crise des gilets jaunes en 2019. Depuis le départ du préfet Lallement à Paris, le déroulement plutôt calme des manifestations – qui a entraîné certaines louanges de la nouvelle gestion du préfet Nuñez, malgré des incidents graves – tient davantage à la nature des cortèges et à une planification conjointe du maintien de l’ordre entre la préfecture et les organisations qu’à des techniques nouvelles. Le vrai test apparaît quand la situation se tend, avec un risque de désordre.
Ces derniers jours, on assiste avec le retour au contact physique et au corps-à-corps, à une gestion proche de celle des gilets jaunes. L’idée est de déraciner les petits groupes, d’éradiquer la possibilité d’une implantation comme avec l’occupation des ronds-points. La généralisation du recours aux instruments comme la nasse, les Brigades anticriminalité (BAC) ou les BRAV-M cible des publics indifférenciés. Les arrestations et les renvois systématiques vers des officiers de police judiciaire pour mise en garde à vue – la plupart du temps injustifiés puisque les personnes arrêtées sont ensuite relâchées – ne relèvent pas des décisions des agents sur le terrain. Elles supposent une planification et donc une véritable stratégie d’intimidation des décideurs.
La radicalisation du conflit social suffit-elle à expliquer celle des répressions ?
L’annonce du 49.3 a mis fin à l’expression de la démocratie sociale. La logique de démonstration pacifique de la force par le nombre tombe à l’eau et fait place à une colère qui était auparavant institutionnalisée. L’Etat dispose alors de deux options : rétablir des espaces de dialogue, ou aller à la confrontation – option choisie par l’exécutif. Et la réponse politique de Macron consiste à opposer le manque de légitimité des manifestants à celle des élus. Ce faisant, il nie la souveraineté du peuple, dont la reconnaissance est la condition d’un maintien de l’ordre pacifié. Cet «idéal policier» a commencé à être exprimé sous la IIIe République, porteuse d’un idéal démocratique qui s’incarnait plus largement dans l’éducation ou la souveraineté populaire. A l’inverse, Macron croit que l’Etat peut fabriquer la nation et valorise un modèle très hiérarchique à tendance autoritaire. Dans son discours, il a qualifié les protestataires de «factions et de factieux», a assimilé le mouvement à l’envahissement du Capitole – oubliant au passage de dire que c’était l’extrême droite qui était à la manœuvre.
Le droit est-il suffisant pour protéger la liberté de s’exprimer par la manifestation ?
Le problème réside dans un double manque en France. On fait face à une codification juridique faible. Le droit de manifester n’apparaît pas dans la Constitution. Dans les écoles de police, je peux en témoigner, on enseigne les textes mais pas les valeurs portées par ces droits. Les leaders syndicaux policiers majoritaires ne s’y réfèrent pas, le ministre de l’Intérieur Darmanin encore moins. Quand celui-ci donne des instructions visant à éradiquer les rassemblements – des «infractions» selon lui –, il méconnaît publiquement le droit à se rassembler. Et le Conseil constitutionnel ne protège pas plus ce droit de manifester, alors qu’il pourrait, à l’occasion d’une saisine, réaffirmer son caractère sacré et les garanties permettant son exercice.
A l’inverse, ce droit est en permanence conditionné et limité, voire suspendu en cas de désordre, dont la définition repose sur une interprétation subjective de l’exécutif. L’approche tactique, sur l’introduction des armes «moins mortelles» en maintien de l’ordre par exemple – qui est bien plus restreint dans des pays comme l’Allemagne, le Danemark ou le Royaume-Uni – ne constitue pas une réflexion de fond sur l’articulation entre les libertés et la police. Les deux sont pensés séparément. D’ailleurs, en 2020, le Conseil d’Etat avait pointé la nécessité d’encadrer le recours à la nasse, dans le schéma national de maintien de l’ordre proposé par le gouvernement – des limites que la seconde version du texte, en vigueur depuis décembre 2021, a davantage intégrées.
Ces dernières années, vous avez mené de larges enquêtes sur le rapport des collégiens et lycéens à la police, en Paca et en Rhône-Alpes. Quelles conséquences en avez-vous tirées sur le plan démocratique ?
En résumé, une «mauvaise police», violente, menace l’intégration politique et citoyenne des jeunes, qui vont avoir tendance à penser que la démocratie ne fonctionne pas bien. Elle brise la confiance qu’ils entretiennent dans les institutions, dans l’idée de justice et d’égalité. Le sentiment d’appartenance à la nation, la croyance dans le bon fonctionnement de la démocratie, ne se décrète pas mais repose sur une expérience sensible. Ainsi, la confrontation directe et physique avec les forces de l’ordre favorise le sentiment de frustration, les peurs et les colères, l’impression d’être une «sous-classe» de citoyens.
De son côté, le discours de Macron associe la nation à la représentation nationale. Comme De Gaulle avant lui, il se présente comme le chef de la nation, ce qu’il n’est pas, ni dans les textes ni dans la réalité. Il joue sur la confusion entre l’Etat – l’appareil – et la nation, qui relève d’un projet collectif et populaire. Or, dans une conception démocratique des institutions, le peuple est nécessairement le souverain, et n’a pas de «chef».
Adrien Franque
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Sebastian Roché : "Une police violente menace l'intégration politique des jeunes"
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Réforme des bourses : la jeunesse ne se laissera pas acheter !
Sans repas à un euro pour tous, sans allocation d’autonomie, sans minimum jeunesse, sans gratuité des transports, le gouvernement malgré l’augmentation des bourses de 37 euros n’apaisera pas les inquiétudes de la jeunesse pour son avenir, estiment des membres du Parti socialiste.
par Des membres du Parti socialiste (dont des députés, sénateurs, parlementaires européens et des secrétaires nationaux)
Alors que la présence des jeunes n’a jamais été aussi importante dans les cortèges que lors des dernières manifestations contre la réforme des retraites, le gouvernement tente d’endiguer la mobilisation en augmentant de 37 € par mois les bourses étudiantes.
Ces mesures, attendues et promises depuis 2017, concernent l’acte 1 de la réforme des bourses sur critères sociaux des étudiants, devraient être effectives à la rentrée 2023. Mieux que rien, ces annonces arrivent cependant bien trop tard, et ne sont pas encore à la hauteur des besoins et des attentes des étudiantes et des étudiants. Le gouvernement montre encore une fois qu’il est en décalage avec les attentes des jeunes de France qui réclament ces mesures depuis de longues années.
Après avoir ignoré les organisations étudiantes, leurs revendications et les appels à l’aide des étudiants qui font la queue lors de distributions alimentaires, qui manifestent pour leur dignité et leur futur, le gouvernement fait le choix du pansement sur une jambe de bois. Particulièrement depuis la crise sanitaire, les ministres successifs, pourtant alertés sur l’urgence de la précarité et du désespoir grandissant de la jeunesse sont restés sourds. Cinq ans pour une décision qui reste incomplète. Ce n’est pas sérieux.
Des mesures pas à la hauteur des besoins
La France est l’un des premiers pays européens en nombre d’étudiants et pourtant 24 % des 18-24 ans vivent sous le seuil de pauvreté, ce chiffre atteint même 40 % pour les étudiants décohabitants, les mesures annoncées sont donc loin d’être à la hauteur. 70 % des étudiants restent écartés du système de bourses et sont pour beaucoup obligés de conjuguer salariat et études au détriment de leur réussite et de leur santé. En outre, l’inflation touche aussi particulièrement la population étudiante. Avec déjà 57 % de leur budget mensuel consacré au logement (1) les étudiants sont également touchés par l’augmentation du prix des fluides (+15 %), de l’alimentation (+13 %) ou des transports.
Même si nous saluons une augmentation – toujours bienvenue – des bourses et de leur montant, cette décision démontre ainsi un cruel manque de vision quant au sort des étudiants et de l’enseignement supérieur en France. Quel avenir proposez-vous à la jeunesse Monsieur le Président ?
Le Parti socialiste se mobilise sur ces sujets depuis toujours. Dans les derniers mois, plusieurs propositions de loi ont d’ailleurs été déposées, la dernière en date concernait la généralisation du repas à un euro pour tous les étudiants. Refusée à une voix près par l’Assemblée nationale, cette proposition avait un but précis : permettre à une large partie des étudiants de vivre mieux.
Et le pouvoir de vivre, la santé, les transports ?
La question du pouvoir de vivre des étudiants ne peut donc pas trouver sa réponse uniquement dans les aides directes : que fait l’Etat sur l’encadrement des loyers ? Sur l’accès aux logements sociaux pour les étudiants ? Quelles sont les mesures fortes et d’ampleur concernant la santé des jeunes ? Les transports ?
Les inquiétudes des jeunes sont plus larges et concernent tous les pans de notre société. Ainsi, la réponse parcellaire du gouvernement à la mobilisation des jeunes est loin d’être suffisante. L’avenir du pays réside dans sa jeunesse, qui ne demande d’ailleurs qu’à le construire. Le gouvernement doit l’entendre, la comprendre et surtout investir massivement en elle, en lui permettant, en premier lieu, de vivre dignement.
Pour répondre aux inquiétudes de la jeunesse le Parti socialiste propose : la refonte complète du système des bourses pour la création d’une véritable allocation d’autonomie étudiante universelle, calculée en adéquation avec le coût de la vie sur un territoire donné et plus largement la mise en place du minimum jeunesse ; l’encadrement des loyers dans les villes étudiantes ; la généralisation du repas à un euro pour tous les étudiants ; la gratuité des protections périodiques ; un minimum santé jeunesse incluant notamment la prise en charge de la santé mentale des jeunes et permettant l’accès au soin pour toutes et tous ; la gratuité des transports pour les étudiants ; la gratuité de l’accès à Internet pour les étudiants et la garantie d’un droit à l’équipement informatique pour toutes et tous.
Signataires : Olivier Faure (député, premier secrétaire du PS), Rémi Cardon (sénateur socialiste de la Somme), Yan Chantrel (sénateur socialiste des français établis hors de France), Arthur Delaporte (député socialiste du Calvados), Inaki Echaniz (député socialiste des Pyrénées-Atlantiques), Fatiha Keloua Hachi (députée socialiste de Seine-Saint-Denis), Nora Mebarek (eurodéputée socialiste), Anna Pic (députée socialiste de la Manche), Emma Rafowicz (présidente des jeunes socialistes), Alexane Riou (Secrétaire nationale adjointe en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche), Gulsen Yildirim (Secrétaire Nationale du PS en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche)
(1) Enquête nationale de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) 2022.
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Réforme des bourses : la jeunesse ne se laissera pas acheter !
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Paroles de jeunes manifestants contre la réforme des retraites : «Si on ne change pas les choses maintenant, ça ne changera jamais»
EXTRAIT
Entre 49.3, violences policières et colère contre Macron, les jeunes sont bien plus nombreux dans les manifestations qu’au début de la mobilisation contre la réforme des retraites. «Libération» est allé à leur rencontre ce mardi dans les cortèges, à Paris et en régions.
Ils sont jeunes salariés, étudiants, lycéens. Certains manifestaient pour la première fois, d’autres se mobilisent depuis quelques jours. Sur leurs pancartes, ils dénoncent pêle-mêle la réforme des retraites, le 49.3, la manière de faire d’Emmanuel Macron, les violences policières, et s’inquiètent de l’avenir qui s’offre à eux. A Paris, Marseille, Rouen et Montpellier, Libération a recueilli la parole de la jeunesse qui se mobilise dans la rue.
Tristan, 21 ans, étudiant à l’université de Versailles Saint-Quentin
«Le 49.3 a été un vrai tournant»
«On est venu pour se battre contre la réforme des retraites mais surtout contre le 49.3. Ne pas faire voter une loi alors que tout le peuple est contre, c’est surréaliste. C’est un déni de démocratie. Vu que leur texte n’était pas sûr de passer, ils n’ont même pas osé prendre le risque de passer par le vote. Quelle honte. Le 49.3 a été un vrai tournant. On a réussi à bloquer notre fac qui n’avait plus été bloquée depuis le CPE en 2006 et qui est très peu politisée. C’est dire la colère que le gouvernement provoque dans la société. Sans compter les prises de parole d’Emmanuel Macron, qui sont au-delà de l’arrogance. Son discours très paternaliste et très infantilisant n’a qu’un seul effet : nous mobiliser et nous radicaliser face à lui. Notre but c’est de continuer comme ça parce qu’on sait que c’est la jeunesse qui peut faire bouger les choses aujourd’hui. Nous serons présents jusqu’au retrait de la réforme en bloquant les facs, en aidant les grévistes à bloquer leurs lieux de travail ou dans les manifestations. On va également se mobiliser jusqu’à la démission d’Elisabeth Borne et de son gouvernement. Ils ont peur. Comme s’ils savaient qu’à la fin c’est nous qui allons gagner.»
Dilan, 16 ans, lycéenne en 1re à Vitry-sur-Seine
«On veut montrer que la jeunesse est en colère»
«On est là pour s’opposer à la réforme des retraites, mais aussi au passage en force du gouvernement avec le 49.3. C’est ce qui nous fait le plus peur à nous les jeunes, car s’ils en arrivent à faire passer en force une loi d’une telle ampleur, on peut craindre que cela se généralise à l’avenir quoi qu’ils disent. Le 49.3 a choqué les jeunes. Ils se sont rendu compte qu’avec cet outil, il était possible de ne pas faire voter les députés et donc de ne pas prendre en considération les voix des citoyens. Ça fait peur ! En manifestant, on veut montrer que la jeunesse est en colère, qu’elle a son mot à dire, qu’elle pense aussi et qu’elle a envie de dire que notre modèle de société ne nous correspond pas. Si on n’a pas de moyen d’agir en votant, il nous reste les manifestations. Et puis on se bat aussi pour nos retraites. J’ai 16 ans aujourd’hui, on nous demande de travailler jusqu’à 64 ans, mais ça sera quoi à l’avenir pour notre génération si ça continue comme ça ? 70 ans ? On s’est battu pour l’avoir, on doit continuer pour la garder à un âge convenable.»
(...)
par Sarah Finger, correspondante à Montpellier, Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille, Sacha Nelken et David Darloy
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Réforme des retraites : le péril jeune
Entre protestations contre la réforme des retraites, lutte contre la précarité et combat écologique, comment la jeunesse française se mobilise-t-elle au XXIe siècle ? Ces mouvements peuvent-ils faire basculer les décisionnaires politiques ?
Avec
Salomé Saqué journaliste à Le Vent se Lève
Tom Chevalier Politiste, chargé de recherche CNRS au laboratoire Arènes et chercheur associé au Centre d’Etudes Européennes.
Albane Branlant Porte-parole des Jeunes avec Macron
A écouter en cliquant ci-dessous
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Réforme des retraites : le péril jeune
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Littérature jeunesse : des séries pensées pour séduire les enfants et les adolescents
Avec 65,1 millions d’exemplaires pour un chiffre d’affaires de 601,3 millions d’euros en 2022, la littérature de jeunesse apparaît comme un domaine extrêmement porteur. Si de nombreuses études dénoncent la baisse d’intérêt des jeunes générations pour les livres au profit des écrans, il faut savoir qu’un ouvrage acheté sur quatre concerne le jeune public, ce qui fait de ce segment l’un des plus dynamiques du marché de l’édition.
Convoquant des genres diversifiés, des albums illustrés pour les tout-petits aux romans d’épouvante pour adolescents en passant par des enquêtes taillées sur mesure pour les enfants, les séries littéraires sont un moteur des ventes. Comme dans d’autres champs culturels, à l’instar de la télévision ou des plateformes de streaming, ces séries s’appuient sur des héros récurrents dont le lecteur suit le parcours ou qu’il découvre dans des situations différentes d’un épisode à l’autre.
Le phénomène n’est pas nouveau. Les premières séries dédiées aux enfants ont été lancées aux alentours de 1843. De 1856 à 1871, la bibliothèque rose publiait les œuvres de la comtesse de Ségur suivies au XXe siècle par les fameuses bibliothèques rose et verte, avec leurs héros comme Le Club des cinq, Bennett ou encore Alice qui ont conquis des générations d’enfants. Si l’organisation en séries est longtemps restée marginale, elle constitue une tendance lourde aujourd’hui et les productions littéraires de ce type constituent un enjeu commercial pour les éditeurs.
Dans le milieu de l’édition jeunesse, la série s’inscrit dans un modèle économique largement déployé par les marques qui commercialisent des produits à destination des enfants. Avec l’objectif de baisser des coûts de production, elle emprunte les ressorts du marketing pour rendre les produits désirables pour les jeunes publics et leur entourage.
Des divertissements qui fidélisent les lecteurs
Pour les professionnels du secteur, la série s’ancre dans une stratégie marketing de fidélisation. Elle vise à conserver une cible volatile, exposée à une offre pléthorique. En effet, les éditeurs conçoivent les séries comme des rencontres régulières avec des héros avec lesquels les jeunes lecteurs nouent des liens affectifs. Elles permettent aux tout-petits d’entretenir une familiarité avec des personnages comme T’Choupi, l’âne Trotro ou Petit Ours Brun qui eux aussi découvrent le monde et vivent leurs premiers apprentissages, ce qui engendre des processus d’identification et de projection.
Vecteur de réassurance, la série leur offre une expérience de lecture riche ancrée dans une forme de répétition qui induit un plaisir anticipé à chaque prise en main de l’ouvrage. Il s’agit souvent de lire la même histoire, mais déclinée sous différentes facettes, rendant compte des événements majeurs qui traversent le quotidien des enfants.
Il s’agit parfois de se nourrir, de s’inspirer des aventures extraordinaires d’un personnage que l’on voit grandir en même temps que soi à l’image du célèbre Harry Potter. En fait, les séries rendent les enfants acteurs de leur expérience de lecture. Ils peuvent au gré des ouvrages choisir de poursuivre leur cheminement ou abandonner la série par lassitude ou manque d’intérêt.
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En outre, la réplication des codes d’écriture contribue à favoriser une accessibilité du récit par les jeunes lecteurs. En ce sens, la série s’envisage comme une lecture de divertissement qui nourrit des émotions sans cesse renouvelées mais inscrites dans une continuité d’actions et de personnages. Elle devient aussi un support d’interactions sociales au sein de la famille et dans le groupe de pairs. La série appelle des moments partagés entre enfants et parents, des conversations entre fans au moment de l’adolescence.
Des titres à collectionner
Par l’unité de format et l’harmonisation des maquettes, la série a vocation à renforcer la visibilité des ouvrages. Dès lors, cette multiplication des volumes présentant un air de famille appelle à la collection, une aspiration forte des enfants qui aiment à s’entourer d’objets. À la symbolique du livre se substitue sa matérialité car la série obéit à un ensemble autorisant le jeune lecteur à ranger ses ouvrages, à les classer selon leur ordre de parution ou à les hiérarchiser selon ses préférences.
Ce désir d’accumulation est nourri par le lancement de nombreux titres souvent cadencés par des événements importants dans le quotidien des jeunes enfants : rentrée à l’école, fête d’anniversaire… En outre, la série facilite un repérage des livres en magasin et contribue à scénariser les rayons jeunesse en rendant compte de l’installation d’un phénomène littéraire.
En effet, sur le lieu de vente, les ouvrages sont fréquemment regroupés dans un espace à part, favorisant une prise de conscience rapide de l’étendue de l’offre, du volume manquant ou de la sortie d’un nouveau titre. Elle encourage alors les prescriptions enfantines et les décisions d’achat des proches.
Compte tenu de la profusion des titres et de la durée de vie souvent réduite qui en découle, les séries permettent aussi aux éditeurs d’inscrire leurs productions dans une temporalité plus longue dans la mesure où un album suggère l’acquisition d’un nouveau volume pour compléter la collection.
Adaptations au cinéma et produits dérivés
La série littéraire constitue un socle qui autorise un dialogue de l’enfant avec différents supports, culturels ou pas. Quand les enfants aiment un univers et son personnage principal, ils ont tendance à rechercher ailleurs des traces de ce milieu familier, dans des jeux par exemple.
Afin de nourrir ces expériences de consommation, quatre stratégies marketing sont mobilisées autour du processus de sériation.
La novellisation vise à produire des livres à partir d’œuvres cinématographiques.
L’adaptation relève de la stratégie inverse en portant un livre à l’écran.
Le versioning consiste à proposer les ouvrages en différents formats : coffrets, éditions limitées…
Enfin, le lancement de produits dérivés à l’effigie du héros de la série est une pratique courante dans le kids marketing. Ces produits sous licence constituent des vecteurs d’image et de notoriété qui ont pour objectif soit de recruter des non-lecteurs, soit de renforcer l’adhésion des passionnés de la série.
Toutes ces déclinaisons contribuent à rendre la série incontournable pour les enfants en diversifiant les chemins d’accès aux produits culturels.
Véritable enjeu commercial pour les éditeurs, les séries littéraires n’en constituent pas moins des marqueurs majeurs de l’enfance incarnés dans des rencontres souvent inoubliables entre un enfant et un personnage de fiction.
Pascale Ezan, professeur des universités - comportements de consommation - alimentation - réseaux sociaux, Université Le Havre Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Littérature jeunesse : des séries pensées pour séduire les enfants et les adolescents
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Margot Déage : «Au collège, la réputation définit l’identité et la valeur d’un adolescent»
Comment se forge une réputation quand on a 13 ans ? Par quels mécanismes devient-on un élève populaire ou bouc émissaire ? La sociologue décrypte la fabrique des rumeurs et des mauvaises images, dont le harcèlement scolaire peut-être une forme ultime.
Fin décembre et début janvier, les suicides respectifs d’Ambre, 11 ans, puis de Lucas, 13 ans, tous deux victimes de harcèlement scolaire ou homophobe, ont remis en lumière l’impuissance publique à endiguer ce fléau. Si les passages à l’acte sont rares, entre 800 000 et 1 million d’enfants seraient victimes chaque année de harcèlement scolaire, selon un rapport du Sénat rendu en 2021. Pour sa thèse, publiée sous le titre A l’école des mauvaises réputations (PUF, 2023), Margot Déage, sociologue à l’université Jean-Jaurès de Toulouse, s’est plongée dans les relations entre collégiens au fil d’une enquête de terrain dans quatre établissements de Paris et d’Ile-de-France. Le collège correspond à un moment de la vie marqué par un grand conformisme et un contrôle social extrême, explique-t-elle. Dans l’entre-soi de l’établissement, les adolescents se jugent entre eux : «Donner son avis en permanence sur les autres alimente les conversations.
Dans son enquête, la sociologue montre l’existence d’un continuum de violences en ligne et à l’école, face auquel tous les jeunes ne sont pas égaux : si les filles sont plus sujettes aux agressions sexuelles et en ligne, les atteintes physiques ou verbales touchent davantage de garçons. Elle éclaire les logiques de classe, sexiste, raciste ou homophobe, amplifiées par les réseaux sociaux qui favorisent la «mauvaise réputation» à cet âge décisif de la construction sociale de l’identité. Une meilleure écoute par l’institution contribuerait, plaide la chercheuse, à une prise de conscience de la part de ces jeunes.
Le ministre de l’Education, Pap Ndiaye, a annoncé vouloir renforcer la lutte contre le harcèlement. Quel regard portez-vous sur ces déclarations ?
Depuis 2010, tous les gouvernements successifs se sont emparés de ce sujet au fil de faits divers très médiatisés. Chaque année, trente à quarante enfants de moins de 15 ans se suicident, c’est la troisième cause de décès des 1-24 ans après les maladies et les accidents [selon les données de l’Inserm-CépiDc pour l’année 2017, ndlr]. Mais ces actes sont des phénomènes très complexes et seuls quelques-uns sont précipités par du harcèlement. Beaucoup d’annonces restent symboliques, malgré l’efficacité des partenariats de l’association e-Enfance avec les réseaux sociaux. Mais cette action ne peut compenser le manque de personnel disponible pour accompagner les enfants dans leur vie sociale, au-delà de leur scolarité.
«Quand l’Etat n’agit pas, les jeunes règlent leurs comptes entre eux», écrivez-vous. Pourquoi a-t-on tant de mal à s’emparer du problème ?
Derrière l’expression fourre-tout de «harcèlement scolaire» se cachent des problèmes divers. Les cyber-agressions, le sexisme ou les violences sexuelles ne sont pas pris en compte dans les chiffres officiels qui incluent les coups, les bousculades et les violences relationnelles. Le taux de 5,6 % de collégiens victimes de harcèlement sévère, selon la dernière enquête nationale [2017], est largement sous-évalué. Comme on n’utilise pas les bons mots, on appréhende mal les problèmes. Quand, en pleine récréation, des garçons font une haie d’honneur pour toucher les filles qui passent, au vu de tous, pourquoi parler de harcèlement ? J’y vois des agressions sexuelles. Lorsqu’une élève raconte qu’on a versé un bidon d’essence sur elle et qu’on l’a menacée avec un briquet, cela relève de la tentative d’homicide. Combien de violences allons-nous inclure derrière cet étendard ? Puisque cela se joue entre enfants, on pense que c’est à l’école de régler le problème. Or il existe des qualifications pénales et judiciaires pour ces actes.
Pourquoi ce phénomène se cristallise-t-il au collège, alors que 94 % des élèves affirment s’y sentir bien ?
Cet âge correspond à un moment de la vie très conformiste. Les adolescents n’ont pas de statut au-delà de leur quotidien scolaire, pas de métier ou de niveau de diplôme, ils ne sont pas mariés et n’ont pas d’enfant. Ils se jugent entre eux sur ce qu’ils font, comment ils s’habillent, ce qu’ils disent. La réputation définit l’identité et la valeur d’une personne. On cherche à devenir soi en s’émancipant de ce que dictent les parents via une culture juvénile en opposition avec celle des adultes. Le collège est un lieu d’entre-soi et de coprésence forte, on donne son avis en permanence sur les autres. Dès qu’on dépasse de la norme, un contrôle social violent s’exerce, dont le harcèlement est une forme ultime.
Par quels mécanismes se construit la réputation au collège ?
L’objectif de la majorité des ados est de ne pas se faire remarquer, car une réputation au collège est souvent mauvaise. Elle peut se construire dans l’inconscient collectif à travers des rires, des surnoms, des jeux ; ou de manière stratégique, par de la divulgation ou de la diffamation. Déçus en amitié ou en amour, certains jeunes décident de «faire une réputation» à d’autres, en sortant un ou plusieurs «dossiers» pour se venger. Les boucs émissaires garantissent la valeur morale du reste du groupe en faisant office de paratonnerre, derrière lequel les autres peuvent continuer à mener discrètement leur vie et faire l’expérience de transgressions «moins graves» à leurs yeux.
Pourquoi la frontière entre rire et moquerie est-elle aussi floue ?
Pour que le rire prenne, il faut que le groupe soit insensible à l’élève qui subit l’hilarité. Cette insensibilité est forte au collège, où l’empathie n’est pas la bienvenue. La dérision prime, tout comme le désir d’afficher qu’on est là pour s’amuser. Celui qui ne va pas dans ce sens sera mis à l’écart. En public, les élèves affirment qu’ils vont bien mais quand on discute seul à seul, beaucoup confient ne pas pouvoir être eux-mêmes ni exprimer certaines émotions comme la tristesse. L’élève peut à la fois trouver qu’une mauvaise réputation est méritée, se montrer agressif devant le groupe, et en aparté regretter ses actes et avouer qu’il joue un rôle par peur d’être rejeté. Le suivi individualisé peut être un levier pour les personnels de l’éducation.
Les mécanismes de la réputation sont-ils les mêmes selon que l’on soit une fille ou un garçon ?
Pour résumer, on apprend à être sexiste au collège. Pour les garçons, la mauvaise réputation s’acquiert par la transgression des normes et la réalisation d’actes déviants qui permettent de se faire respecter. Celui qui n’a pas peur des profs bénéficie d’une aura particulière. Ceux-là seront punis plus sévèrement par l’institution, ce qui contribue à les valoriser aux yeux des autres. Certains élèves de classes défavorisées, qui ne se sentent pas à la hauteur sur le plan scolaire, et d’autres élèves solidaires, vont retourner la violence symbolique et le mépris de classe que leur font ressentir les «intellos», souvent issus de classes supérieures, qui sont perçus comme proches de l’autorité, prêts à collaborer avec elle, contre eux.
C’est l’inverse pour les filles : on attend d’elles qu’elles soient conformes, vertueuses, discrètes, qu’elles se tiennent loin des garçons. Elles vivent sous la menace permanente d’avoir une réputation de «pute». Une ado transgressive sera exposée aux moqueries, aux agressions et au rejet, alors qu’on n’osera rien dire à un garçon qui a mauvaise réputation. Au moment de la puberté, les formes des filles apparaissent, ce qui les rend suspectes dès qu’elles s’adressent aux garçons. A cette période de la vie, la puberté, la découverte de son identité de genre ou de son orientation sexuelle a quelque chose de très brutal. Un contrôle vestimentaire se met en place, parfois renforcé par l’institution ou la pratique de la religion. Ce deux poids deux mesures sexiste touche aussi les garçons dits «efféminés», dociles, tant qu’ils n’ont pas trouvé un moyen de «se faire respecter».
Quels autres facteurs favorisent le rejet ?
Les origines ethniques renforcent ce risque. Durant mon enquête, le stigmate de la «beurette» était très fort. Si vous correspondez à ces critères raciaux ou qu’on vous assigne arbitrairement à eux, vous serez suspecte. Si une jeune fille se rend dans une chicha, associée dans l’imaginaire au Moyen-Orient et au monde transgressif de la drogue, elle sera assignée à cette figure négative ou à celle de «niafou», l’équivalent pour l’Afrique de l’Ouest. Les «chèvres émissaires», qui portent la pire réputation, sont le plus souvent d’origine sociale très défavorisée. Leur isolement peut les conduire à se tourner vers d’autres cercles, les entraînant parfois vers la délinquance ou la prostitution.
Quelle place occupent les réseaux sociaux dans cette sociabilité ?
Ils amplifient ce qui se joue dans l’enceinte scolaire. Le contrôle social au collège a tendance à freiner les relations interpersonnelles, qui se replient et se libèrent sur les réseaux sociaux. Dans cet écosystème qui permet d’échapper au contrôle des adultes, Snapchat répond à un usage conversationnel, via une messagerie éphémère plutôt fermée. Mais cette confidentialité est facilement contournée : les jeunes savent capturer les contenus, comme des «nudes» [photos de nu, ndlr] ou des conversations intimes.
A-t-on trop tendance à penser séparément les agressions réelles et en ligne ?
Oui. Ce qui se passe en ligne est réel. Les deux relèvent d’une même violence de proximité, les amis en ligne étant globalement les mêmes que ceux du collège. Mais les valeurs ont parfois tendance à s’inverser. Ce qui attire l’attention en ligne est souvent tabou et suspect hors ligne, les contenus sexualisés par exemple. Les stratégies de «triche» pour accroître les «j’aime» et les followers sont mal vues, car l’exigence d’authenticité est très importante. «Hypocrite» est l’une des insultes ultimes. La manipulation, le fait de faire semblant, s’oppose à l’amitié fidèle. En banlieue, les jeunes utilisaient l’expression «cyber» pour disqualifier et dénoncer ceux qui trichent pour accroître leur e-réputation en «s’inventant une vie».
Comment les adolescents gèrent-ils les risques de cette vie numérique ?
Cette économie de l’attention donne une valeur marchande à la réputation par le biais d’outils comptables. Mais «liker» un commentaire haineux engage peu et l’effet d’engrenage favorise le harcèlement en meute. Même si l’écran favorise la désinhibition, les ados restent pudiques et méfiants : ceux qui partagent en public, font des live ou des stories sont une petite minorité, autour de 15 %, et sur Instagram, les publications sont vite archivées. Les collégiens préfèrent les échanges privés, mais cela rend plus difficile la chasse au cyberharcèlement. Donner son mot de passe est une preuve d’amour ou d’amitié, mais c’est aussi se rendre vulnérable aux usurpations d’identité.
La loi instaurant une majorité numérique à partir de 15 ans, adoptée par l’Assemblée le 2 mars, peut-elle faire bouger les choses ?
La diffusion de messages de prévention sur les réseaux, l’élargissement de la liste des contenus qui peuvent être signalés pourront aider à pacifier les conversations en ligne. Mais la vérification de l’âge et l’obtention de l’accord d’un responsable légal posent un défi technique et éthique. Elle implique de sortir du pseudonymat et de s’identifier en se connectant potentiellement à l’interface officielle France Connect. Quelles informations devront être stockées par les plateformes à cette fin ? Qu’en retirera l’État sur nos vies numériques ? Vouloir encadrer les adolescents est paradoxal, car leurs compétences techniques et leur connaissance des risques sont souvent supérieures à celles des adultes. Et cette mesure est une manière de reporter la responsabilité des réseaux sociaux sur les parents. Les adolescents ne tarderont sans doute pas à trouver des moyens de contourner la réglementation, en utilisant des VPN par exemple. Etant moins autorisés à sortir que ne l’étaient leurs parents, ils ont besoin de cet espace, pour créer des liens de manière autonome.
Propos recueillis par Clémence Mary
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«Les jeunes en détresse psychologique ont besoin d’être reçus très vite»
Le psychiatre Nicolas Franck déplore la difficulté d’accès aux soins alors qu’une enquête de Santé publique France témoigne de l’augmentation des troubles mentaux chez les jeunes.
Psychiatre et chef de pôle au centre hospitalier Le Vinatier à Lyon, le professeur Nicolas Franck note une plus grande préoccupation des autorités sanitaires pour la santé mentale depuis la pandémie. Mais, pour l’auteur du livre Covid-19 et détresse psychologique (Odile Jacob), l’accès aux soins, notamment des jeunes, demeure un «gros problème».
Une enquête publiée mi-février par Santé publique France (SPF) relève une hausse spectaculaire des symptômes dépressifs, en particulier chez les étudiants. 20,8% des 18-24 ans ayant connu un épisode dépressif en 2021 contre 11,7% quatre ans plus tôt. Cela recoupe-t-il votre expérience clinique ?
Il est indiscutable que la pandémie a altéré la santé mentale de ces jeunes adultes et ceci de manière durable pour certains d’entre eux. Mais j’estime que le pire moment de la crise remonte à l’automne 2020, lors du second confinement. Beaucoup d’étudiants ont alors compris que leur année allait de nouveau être perturbée, qu’ils allaient de nouveau se retrouver enfermés sur des campus vides, désœuvrés, financièrement précarisés, loin de leur famille, sans perspective d’avenir. Leur détresse était alors extrême. Même si aujourd’hui leur malaise persiste, il est quand même nettement moins intense. On a retrouvé en consultation notre public d’avant la crise, des jeunes atteints de troubles mentaux marqués ou sévères. Selon moi, l’enquête de SPF témoigne autant d’une augmentation des troubles que d’un intérêt plus marqué des autorités et de la population pour la santé mentale.
La situation ne serait donc pas si préoccupante ?
Je dirais plutôt qu’on commence à prendre la mesure de l’enjeu d’une bonne santé mentale. Je m’explique. L’enquête de SPF repose sur des entretiens téléphoniques. Or les jeunes notamment peuvent traverser des épisodes dépressifs, le dire, mais sans pour autant consulter. Si on ne les avait pas interrogés, le phénomène ne serait pas documenté… Même s’il s’est un peu estompé avec la crise sanitaire, un tabou demeure autour des problèmes psychiques, souvent assimilés à une faiblesse de caractère. Au contraire de l’Australie par exemple, l’Education nationale française ne sensibilise pas les adolescents à l’importance de la santé mentale, aux signes de dégradation, aux troubles constitués et aux solutions qui existent pour y faire face. Du coup, quand des troubles adviennent, les jeunes et leurs proches sont souvent démunis. Surtout, ceux qui se décident à consulter ne peuvent pas toujours le faire.
Que voulez-vous dire ?
Simplement que nous avons un gros problème d’accès aux soins. Les étudiants n’ont pas les moyens de consulter les psychologues libéraux. Quant aux centres médico-psychologiques publics, ils sont saturés. Il faut parfois des mois pour obtenir un rendez-vous. Or les personnes en détresse, et singulièrement les jeunes, ont besoin d’être reçues très vite. Si ce n’est pas le cas, ils zappent. Quand leur rendez-vous arrive, ils ne viennent pas. Soit parce qu’ils ont oublié, soit parce qu’ils se sentent mieux et estiment que ce n’est plus utile. Du coup l’absence de diagnostic se double d’une augmentation de la difficulté d’accès aux soins, le rendez-vous non honoré ne profitant à personne. C’est pour fluidifier ce système que nous avons créé à Lyon des Centres d’accueil d’évaluation et d’orientation qui reçoivent très vite les patients et les orientent, le cas échéant, vers un centre médico-psychologique pour une prise en charge au long cours.
En avril 2022, le gouvernement a lancé le dispositif «Mon psy», qui permet aux jeunes de bénéficier de 8 séances d’accompagnement psychologique remboursées par an. Que pensez-vous de cette initiative ?
Je m’en réjouis, dans la mesure où avant il n’y avait rien. Néanmoins, on voit clairement les limites du dispositif. Huit séances chez un psychologue, cela peut permettre à un jeune de surmonter un mal-être passager. En revanche, s’il présente un trouble plus sévère, c’est très insuffisant. Cela peut permettre d’évoquer un diagnostic, l’ennui c’est qu’il n’y aura pas ensuite de solutions thérapeutiques, les structures de prise en charge étant toutes saturées…
Seulement 5% des psychologues libéraux se sont inscrits sur la plateforme «Mon psy», cela ne condamne-t-il pas le dispositif à l’échec ?
Il est vrai que la plupart des psychologues considèrent que le dispositif n’est pas rentable pour eux. Ils ont suffisamment à faire avec les personnes qui peuvent payer le prix d’une consultation. Pour ouvrir plus largement l’accès aux soins en santé mentale, il faudrait aller vers un meilleur remboursement des psychothérapies par la sécurité sociale.
Que faire pour améliorer la santé mentale de la population ?
Il faut prendre au sérieux la santé mentale, au-delà des périodes de crise. Environ 20% de la population présente une fragilité psychique. Cette vulnérabilité va s’exprimer à un moment ou à un autre de la vie, même en l’absence de crise majeure comme celle du coronavirus. Or chez un jeune, un simple mal-être peut se transformer en manifestation anxieuse durable, voire en dépression sévère, de nature à compromettre sa construction affective, ses études, sa carrière professionnelle, possiblement tout son avenir. Des pathologies lourdes, comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires, ne sont généralement identifiées et prises en charge qu’au bout de plusieurs années ! Cela entraîne une perte de chance majeure pour les personnes concernées. On a donc tout intérêt à travailler sur les facteurs de stress et à prendre des dispositions pour éviter le gâchis humain dû à l’installation de troubles sévères dont on aurait pu prévenir l’évolution et le coût majeur pour la société. Il est impératif d’accentuer l’effort de prévention en santé mentale.
Propos recueillis par Nathalie Raulin
Si vous avez des idées suicidaires, ne restez pas seul.e. Parlez-en à vos proches et contactez votre médecin traitant, ou le 3114 (numéro national gratuit 24h /24, 7 jours /7, écoute professionnelle et confidentielle) ou le 15 (Samu).
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