Yves Reuter, professeur émérite en didactique à l’université de Lille-III, est l’auteur d’Une école Freinet : fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative (L’Harmattan).

Comment définir l’innovation pédagogique ?

Innover ce n’est pas forcément révolutionner le fonctionnement de la classe, mais essayer de le modifier en tentant des pratiques différentes de celles faites jusque-là. L’innovation tient en partie au ressenti, au sentiment des équipes de tenter quelque chose de nouveau. Ce que je veux dire, c’est que ce qui dans une classe est perçu comme une innovation peut avoir été déjà pratiqué ailleurs, ou sous une forme un peu différente. L’invention pure est assez rare.

A-t-on une idée du nombre d’enseignants engagés dans cette démarche d’innovation ?

On entend beaucoup de discours décrire les enseignants comme des fonctionnaires figés, qui bougent peu, suivant de près les manuels scolaires classiques… La réalité est différente. J’ai mené il y a quelques années une grande enquête sur l’innovation, à la demande du Haut Conseil de l’éducation (HCE). J’ai constaté un fourmillement d’idées, des équipes qui se remuent du mieux qu’elles peuvent. Dans certaines classes, notamment face à des élèves en difficulté, innover est une question de survie. Surtout, j’ai mesuré à quel point les professeurs innovants souffrent du manque de considération de l’institution.

Que voulez-vous dire ?

L’institution ne valorise pas les professeurs qui essaient des façons de faire différentes dans leurs classes, bien au contraire. Elle leur met trop souvent encore des bâtons dans les roues. C’est même une source de tensions car les innovations dérangent le système dans ses fonctionnements habituels.

Les ministres de l’Education, quel que soit leur bord politique, portent pourtant un discours positif sur l’innovation pédagogique.

Il y a une contradiction : les politiques soutiennent publiquement l’innovation, c’est vrai, tout en ayant quand même cette crainte de brusquer l’électorat conservateur. S’ajoute un malentendu bien ancré : trop souvent, les cabinets des ministres considèrent que l’innovation, ce sont d’abord les idées qu’eux-mêmes impulsent du sommet vers les classes… Oubliant que c’est aussi - et d’abord - l’inverse : l’innovation gagne à partir de ce qui se passe en classe. A partir du moment où l’institution impulse, le risque de formatage est grand.

Jean-Michel Blanquer se présente comme un mordu d’innovations pédagogiques et dans le même temps, il a déclaré il y a peu que «la liberté pédagogique ne voulait pas dire anarchie»…

Le Conseil scientifique de l’éducation qu’il vient de mettre en place interroge. Il va falloir regarder avec attention quel sera son rôle exact mais il ne faudrait pas que ce soit justement une façon d’impulser les idées d’en haut vers le bas. Dans certaines modalités de son discours, Blanquer semble considérer que toutes les méthodes d’apprentissage ne se valent pas. Cela n’est pas faux. Mais à trop vouloir imposer, il risque, comme Gilles de Robien avant lui [à l’époque, Jean Michel Blanquer était son directeur de cabinet adjoint, ndlr] de freiner les innovations.

Que devrait faire l’institution pour réellement soutenir l’innovation ?

Peut-être, pour commencer, soutenir les professeurs, les encourager à échanger et participer à des rendez-vous comme ce forum organisé par le Café pédagogique. C’est encore trop souvent l’inverse qui se produit. Ensuite, il y a un travail à faire sur la diffusion des projets. L’Education nationale n’a toujours pas de structure facilitant l’échange d’informations entre enseignants. Il serait utile aussi de fabriquer des outils d’évaluation fiables et maniables, sans tomber dans la maladie évaluative dont souffre l’école.

Recueilli par Marie PIQUEMAL