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Vivement l'Ecole!

histoire

Mon Mai 68...

29 Mai 2023 , Rédigé par christophe Publié dans #Histoire

Mai 1968. Un mois suivi d’un chiffre. Le printemps et mes dix ans. La robe trop courte…

J’habitais El Jadida, au Maroc. Une petite ville, jadis portugaise. Mazagan fut son nom. Des quartiers séparés mais un joyeux mélange. Dans mes classes, j’ai souvent eu pour voisines ou voisins Ahmed, Elie, Pierre ou Mélina. Jamais je ne demandais quelle était la religion de l’une ou de l’autre. Ils m’auraient répondu musulman, chrétien, juif, orthodoxe ou rien du tout. Je m’en fichais. Les copains jouaient au foot, les copines aussi parfois en plus d’être brunes, blondes et par-dessus tout ça, si jolies au soleil comme sous la pluie. Les têtes tournaient et se tournaient pour suivre les parfums laissés derrière elles dans la chaleur du jour attendant le soir pour faire l’amour au crépuscule éphémère.

Quant à nos parents, beaucoup étaient enseignants. D’autres exerçaient des professions libérales – médecins, pharmaciens. D’autres encore commerçaient ou possédaient des terres. Nous n’étions pas des « colons » chez moi. Ma mère comme mon père m’ont élevé dans le respect absolu des traditions, de la langue, de la culture - immense - de ce pays qui m’avait presque vu naître. J’ai vu le jour en Algérie, un 16 avril de 1958. Avant de fuir, deux ans après, le feu et le sang pour une terre d’accueil que j’allais quitter, en larmes et le cœur déchiré, un jour lugubre de 1973. J’ai vu s’effacer Tanger depuis la poupe d’un bateau blanc. J’ai senti, charnellement, mes souvenirs se noyer dans les remous des hélices de ce maudit navire. J’étais seul appuyé contre le bastingage lustré. Et je pleurais. Plus tard, en terminale, une professeure de français – remarquable – nous avait demandé de choisir un poème pour le présenter aux autres élèves de la classe… Ces vers me vinrent immédiatement à l’esprit…

« Que sont mes amis devenus

Que j'avais de si près tenus

Et tant aimés

Ils ont été trop clairsemés

Je crois le vent les a ôtés

L'amour est morte

Ce sont amis que vent me porte

Et il ventait devant ma porte

Les emporta »

Rutebeuf… N’hésitez pas à l’écouter chanté par Ferré ou Joan Baez…

En parlant de Ferré et de Joan Baez, me revient en mémoire ce mois de mai 1968. L’année scolaire attendait d’en finir, alanguie aux chaleurs printanières. Je devais être en sixième au lycée d’El Jadida. Mes parents et leurs amis avaient chaque soir, chaque matin, partout où ils allaient, même le dimanche à la plage, l’oreille collée au petit poste de radio qui reliait les français de « là-bas » à la métropole. Malgré mon jeune âge et contrairement aux habitudes éducatives de l’époque, ma mère et mon père me parlaient de politique et me laissaient poser des questions. Curieux par nature, je ne manquais jamais l’occasion de demander à comprendre. Mai 68… «Mon » mai 68…

La France cessait de s’ennuyer. Du noir et blanc elle passait à la couleur… La jeunesse se révoltait. Les usines une à une arrêtaient de produire. À Paris, Europe numéro 1, RTL, Radio Monte-Carlo – les radios indépendantes du pouvoir – relataient les manifestations, les barricades. Des noms revenaient souvent dans les conversations des parents : Cohn-Bendit, Geismar, Sauvageot, Pompidou, de Gaulle, la rue Gay-Lussac, la Sorbonne, le Quartier Latin – tiens, on parlait encore latin à Paris ? Bientôt certains amis d’avant les événements se verront moins, se fâcheront. Mes parents étaient « soixante-huitards », mon père dans sa jeunesse avait été trotskyste. Je ne savais pas du tout ce que cela signifiait. C’était mon père et cela me suffisait.

Chez moi on écoutait Le Forestier (Maxime et Catherine), Colette Magny, Marc Ogeret, Ferré, Ferrat, Brassens, Moustaki. Beaucoup de musiques classiques aussi. Mon père voulait « révolutionner la pédagogie ». Le nom de Freinet revenait souvent. Celui de Mao aussi mais celui-là, ils ne l’aimaient pas. J’ai su, plus tard, que ce « Mao » fut davantage un assassin de masse qu’un émancipateur DES masses…

Un jour, au lycée, les « grands », ceux de seconde, première et terminale, ont décidé de se mettre en grève. Davantage pour « faire comme en France » que par convictions politiques. Le matin du lendemain, des militaires entouraient le lycée et nous avons reçu ordre de réintégrer nos salles de classe. Sans quoi, des mesures d’expulsions seraient prises à l’encontre des familles récalcitrantes. Quitter le Maroc ? Jamais ! Alors nous avons repris les cours, avec dans mon cas et à mon âge, un soulagement certain. J’avais le temps encore pour vivre d’autres « mai 1968 ». Mon « mai 68 » aura donc duré une journée. Mais tant de soirées aussi, passionnément accroché au transistor. J’ai couru dans les rues de Paris, j’ai construit des barricades, j’ai participé aux AG dans les amphis – Dis papa, c’est quoi La Sorbonne ? – j’ai balancé des pavés, « CRS SS » sans avoir jamais vu un seul CRS de ma vie, et tout ça sur mon lit, dans ma chambre devenue place publique, atelier d’usine, rue à tenir face aux forces de l’ordre. Je transformais la France, à dix ans ! Adieu de Gaulle, adieu de Gaulle, adieu !

Et puis il y eut juin… Et puis il y eut juillet… Ma chambre redevint une chambre. Mes parents préparaient le départ annuel vers la France, vers la famille, vers le Pas-de-Calais de leur naissance. À eux. Ils « rentraient » pour les vacances d’été quand je « partais » pour une parenthèse estivale. Cet été 1968 ne fut pourtant pas comme les autres. La France, malgré le relatif échec des étudiants et ouvriers, avait changé. Et, du haut de mes dix ans, je m’en rendais compte au contact de ma cousine préférée. Elle avait dix-sept ans, s’appelait Dominique. J’en étais fou ! Elle m’emmenait partout. Mais cet été-là, bien des choses étaient différentes… Ses jupes étaient courtes. Vraiment courtes ! Mai 1968, Mary Quant, Courrèges et le prêt-à-porter étaient passés par-là, avec une paire de ciseaux ! Les filles dévoilaient leurs jambes ou les cachaient sous des jeans. Dans ma chambre de « révolutionnaire », je n’avais pas envisagé cette conséquence vestimentaire. Et puis elle fumait ! Dominique fumait ! Même chez elle, devant ma tante et mon oncle ! Sans que ceux-ci s’en offusquent ! Elle fumait aussi avec ses camarades – salut les copains ! – au foyer. Car il y avait un foyer désormais avec de la musique, un baby-foot, du Coca et des Orangina. Elle dansait avec des garçons de son âge et je la regardais. Elle s’éloignait. J’étais un enfant. Elle devenait une femme… J’ai compris alors que jamais plus rien ne serait comme avant.

Et pourtant…

Ce devait être en 1975. Je peux me tromper d’un an mais peu importe. En terminale – mes parents et moi étions revenus en France – un matin, j’ai entendu la surveillante générale – c’est ainsi qu’on appelait les CPE de l’époque – appeler une de mes camarades, d’une voix forte et qui ne souffrait aucune discussion. Devant tous les élèves entrant dans la cour, elle lui fit remarquer que sa robe était trop courte. Celle-ci était au-dessus du genou. Munie d’un cutter, cette surveillante générale entreprit alors de découdre l’ourlet et de rendre à cette robe une allure décente » ! Nous étions en 1975, en France ! Notre camarade était en larmes !

Ce jour-là, je me suis juré que jamais je n’accepterais de baisser la tête devant l’autorité stupide, d’obéir à des injonctions sans fondement, de respecter une « morale » au nom de convenances imposées. Mai 68 a beaucoup apporté. D’autres « Mai-68 » seront nécessaires. Sont nécessaires…

Ma cousine s’est mariée. Pas moi…

Et Sauvageot a sauvé l’honneur de mes rêves d’enfant quand je partais à l’assaut de l’Elysée depuis ma chambre, ouverte à la lumière sur les orangers et les citronniers du jardin…

Christophe Chartreux

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Comment la Révolution française a réinventé l’école

26 Mai 2023 , Rédigé par christophe Publié dans #Education, #Histoire

Comment la Révolution française a réinventé l’école
Le point d'honneur (G.Orrebow, Graveur, E.Béricourt, Auteur du modèle, Boissié et H. Louvigny , Editeur) - 18e siècle. Musée Carnavalet, Histoire de Paris
Côme Simien, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Évoquez autour de vous les débuts de l’école républicaine et aussitôt un nom surgira, celui de Jules Ferry évidemment. Pourtant, c’est près d’un siècle avant les fameuses lois scolaires de 1881-1882 que l’école républicaine fit ses premiers pas, en pleine Révolution française.

À quoi ressemblait-elle, alors, cette première école de la République ? En quoi les expériences scolaires révolutionnaires contribuèrent-elles à façonner la pédagogie moderne et les fonctions que nous prêtons encore aujourd’hui à l’école ? Tentons un retour en arrière, pour mieux saisir la Révolution depuis une salle de classe.

Former les citoyens de demain

9 heures approchent. Des enfants du village, filles et garçons, convergent vers l’école, située tout à côté de l’église et du presbytère, au centre du bourg. Le bâtiment est récent, comme c’est le cas dans un nombre croissant de communes rurales. Il a de larges fenêtres et une salle de classe chauffée par un poêle – la lumière qui circule, l’air qui chasse les miasmes sont d’ailleurs des préoccupations en cette moitié du XVIIIe siècle.

Sur son pourtour, de nombreux bancs ont été installés, certains dotés de tables (pour les élèves qui apprennent à écrire), d’autres sans rien (pour ceux qui apprennent à lire). On dissociait alors les deux apprentissages : la lecture d’abord, l’écriture plus tard. Sur les murs, l’enseignant a accroché des affiches. On peut y lire les lettres de l’alphabet ainsi que des textes – je vous dirai bientôt lesquels. Une pile de petits fascicules imprimés (des abécédaires) attend l’arrivée des enfants.

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La scène que nous imaginons se situe en 1793, peut-être au premier semestre 1794. Ce village, nous l’avons fabriqué de toutes pièces, en nous appuyant sur des éléments attestés en ces instants de paroxysmes révolutionnaires. Mais on peut l’incarner davantage, si vous le souhaitez, par un retour au réel. Disons donc que l’on est à Beaumont, en Auvergne, car sur cette école-là on sait beaucoup de choses. L’instituteur y a multiplié les écrits sur son activité. En l’an II, il s’était renommé Quintilien Vaureix – au lieu de Pierre Vaureix – et, à cet instant précis de sa vie, il avait 31 ou 32 ans. Les présentations étant faites, ouvrons la porte de sa classe. Les enfants entrent, ils prennent leurs abécédaires. La suite, laissons-là aux explications de l’instituteur.

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Jean-Jacques-François Le Barbier/Musée Carnavalet

Dans la classe de Quintilien régnait un système méritocratique : les places étaient hiérarchisées, et c’est par ses efforts, encouragés par des récompenses civiques, que l’on s’y hissait – point comme autrefois par la fortune des pères. Une fois assis, les élèves de Vaureix commençaient par lire et expliquer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le texte en était reproduit dans leurs fascicules.

La Révolution, à l’école de Quintilien, c’était aussi celle du langage : l’instituteur avait appris aux enfants à dire le « tu » de l’égalité, le « citoyen » qui remplaçait le « monsieur ». L’usage du français (la langue de la loi) était établi au détriment du patois. Même le temps, ici, avait été révolutionné : l’école était fermée les quintidis et les décadis, ces cinquième et dixième jours de la nouvelle découpe républicaine du temps. Elle était en revanche ouverte les anciens jours de dimanche (il est vrai que Dieu avait été exclu de sa classe par Quintilien).

Faire vivre les enfants en républicains

Les décadis, les enfants de Beaumont devaient assister aux lectures de la loi faites par l’instituteur aux villageois. Ce jour-là, ils devaient aussi – les garçons du moins – participer à de petits exercices militaires pour être prêts, lorsqu’ils seraient adultes, à défendre la République (l’époque était à la guerre et à l’invention du service militaire). Quintilien, enfin, emmenait ses écoliers au club jacobin du village. À vrai dire, il leur avait même organisé un petit club où ils pouvaient débattre entre eux des affaires du temps, voter, élire, pétitionner. Ce que voulait Vaureix, on l’aura compris, c’était que ses élèves agissent en citoyens. Ils étaient 102, filles et garçons, à fréquenter son école, au printemps 1794.

Bien sûr, on n’est pas obligé de croire Quintilien sur parole quand il écrit qu’il faisait ceci, et cela. Pourtant, je vous propose de lui accorder un peu de crédit, car des instituteurs comme Quintilien, il y en avait plus de cent autres. Il y en avait dans chaque ville, chez les institutrices comme chez les instituteurs. Il y en avait aussi dans les campagnes (des instituteurs surtout, car presque pas d’institutrices ici) – du moins y en avait-il dans les communes républicaines du monde rural. Là, l’instituteur s’était trouvé chargé d’accompagner le groupe des habitants dans son choix de la République par des pratiques scolaires nouvelles.

Dans leurs registres, les autorités ont gardé trace de ce républicanisme scolaire. On y lit des Marseillaises chantées à n’en plus finir par des enfants de l’an II, des participations aux fêtes républicaines, des dons pour la défense de la République, des bataillons aux armes de bois pour les garçons, de petits clubs politiques, des textes patriotiques, le refus des châtiments corporels (la sanction des esclaves, non des hommes libres). Et puis l’essentiel : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, celle qui figurait dans les abécédaires des enfants, celle qu’ils récitaient lors des fêtes, celle qui était affichée dans leur classe également.

Garçon en uniforme de garde national, jeune fille, chien, miniatures : maquette de la Bastille, canon. Jardin, paysage
Enfants jouant la prise de la Bastille. Anonyme/Wikimedia

Bien sûr, des variantes propres à chaque instituteur ont pu exister. Celui-ci aura enlevé les images pieuses qui ornaient sa classe. Celui-là aura organisé de petits procès où les enfants arbitraient eux-mêmes leurs disputes (gare alors à ne pas être privé de récréation). Dans l’ancien prieuré Saint-Martin-des-Champs, à Paris, un internat accueillait près de 300 enfants vivant sous le régime d’une Constitution républicaine. Ils s’y réunissaient en assemblée pour faire les lois de leur petite Cité.

L’ambition était de faire de l’école une République en réduction. Il fallait, pensait-on (c’était un legs des Lumières), mobiliser les sens, donc faire vivre les enfants en républicains, pour leur apprendre les savoirs et les pratiques de la citoyenneté. Que de changements par rapport aux leçons d’avant 1789, largement fondées sur la religion !

L’école, une priorité pour les révolutionnaires

Ces modèles pédagogiques (choses politiques) circulèrent largement. On le comprend. Reprenant aux Lumières (encore) l’idée de la toute-puissance du pouvoir pédagogique, mais en la conjuguant à l’exigence d’une démocratisation de la scolarisation qui n’avait jamais vraiment été envisagée par les philosophes du XVIIIe siècle, les révolutionnaires ont fait de l’école une priorité, en même temps qu’un objet brûlant du débat politique. C’est à elle, l’école, qu’ils confièrent la tâche (immense et décisive) de former les citoyens de demain, ceux sans lesquels la République ne pourrait vivre longtemps.

Cela a ouvert la voie à d’innombrables écrits, à maints discours, à quantité d’expériences, dans un formidable élan pédagogique qui fit la marque de la période. Puis la loi s’y est mise. Un siècle avant Ferry, fin décembre 1793, l’école publique fut créée, gratuite et obligatoire. Cela ne dura qu’un an – la mesure figurant parmi les victimes collatérales de la chute de Robespierre. Mais cette année-là compta. Elle compta, parce que cette loi rencontra un authentique succès. Elle compta, car elle était un projet pour l’avenir.

Le maître d’école du village au temps des Lumières et de la Révolution (École nationale des chartes, mars 2023).

Insistons sur le fait que toutes les écoles du pays n’ont pas eu le visage de celle de Quintilien, même en 1793. Certaines étaient moins militantes dans leur républicanisme, d’autres étaient même franchement hostiles à la Révolution et continuaient d’enseigner les savoirs (pieux) de jadis.

En ville, face au grand nombre d’écoles, qui couvrait plus ou moins toutes les nuances politiques, les parents pouvaient choisir celle qui convenait le mieux à leurs opinions. Au village, où il n’y avait qu’un instituteur, les choses étaient différentes. Là, la commune maîtrisait le recrutement de l’enseignant et avait les moyens de lui imposer ses vues. Ni le pédagogue ni l’État n’y étaient véritablement maîtres du contenu politique des leçons.

Reste que l’école de la République a existé (pour la première fois). La Déclaration des droits fut le manuel de toute une génération de fils et de filles de républicains. Ils ne la comprenaient sans doute pas – ou pas complètement. Ils l’apprenaient néanmoins pour demain, un demain de XIXe siècle, un demain où ces gosses de 93, devenus adulte au temps de Hugo, de Michelet, purent donner des sens multiples et sans cesse renouvelés à ces quelques mots appris d’enfance, par cœur et par corps, ces mots qui donnaient pour but à la société le bonheur commun, le respect des droits fondamentaux, les secours publics, le droit à l’insurrection et à l’instruction, la démocratie. Pratiques et espoirs vains ? Plus d’un en garda en tout cas la mémoire vive.The Conversation

Côme Simien, Maître de conférences en histoire, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Sur les traces de Monique Hervo, à la source d'une histoire algérienne de France

27 Mars 2023 , Rédigé par France Culture Publié dans #Histoire

Monique Hervo au bidonville «la Folie» dans les années 60. (La Contemporaine)/Via Libération

EXTRAITS

Monique Hervo avait consigné la mémoire des bidonvilles algériens, avant de prendre la nationalité algérienne. On a appris sa mort le 20 mars.

A la date du 16 juillet 1961, une Française de trente-et-un ans née dans une famille de petits commerçants pas vraiment militants avait inscrit dans son "Journal" des phrases comme : "La journée de dimanche fut très particulière : attente, angoisse, calme de surface.“ Evoquant les harkis qui s'étaient installés dans les allées du bidonville de Nanterre, cette jeune femme qui venait de dédier sa vie à la cause de l'indépendance algérienne mais que personne encore ne connaissait, poursuivait encore : "On les rencontrait à tous les coins, à tous les détours des baraques. Pas l'animation habituelle du dimanche. Allée des célibataires : pratiquement désertes. Ailleurs, aussi, chez les familles, on n'entendait pas les postes arabes qu'on entend d'habitude de partout". Un feu couvait ce dimanche de juillet, qui se révèlera meurtrier, quelques semaines plus tard, lorsque des Algériens seront jetés à la Seine, le 17 octobre 1961. Cette date sera la plus traumatique de la Guerre d'Algérie sur le sol de métropole, et pourtant elle restera, des décennies durant, l'ornière d'une mémoire enfouie, d'une histoire taboue, et l'évidence muette de responsabilités dérobées.

Parcourir le "Journal" que tenait, les semaines précédentes, cette jeune femme qui s'appelait Monique Hervo, c'est remonter le film et mieux comprendre la séquence. C'est prendre la mesure du sort que la France faisait à ces Algériens qui le 17 octobre 1961, avaient défié la police en manifestant pacifiquement à Paris contre le couvre-feu qu'on venait de leur imposer. Un grand nombre d'entre eux étaient partis du bidonville de Nanterre, où ils vivaient par milliers, pour rejoindre l'Opéra, les "grands boulevards", et ce Paris qui au fond n'était pas le leur. Le lendemain, à la date du 18 octobre, Monique Hervo, la jeune femme, écrivait dans son "Journal" : "Sorties de l’hôpital de Nanterre – Aux lendemains de la manifestation les blessés par balle, à la sortie de l’hôpital, voient donner leur bulletin de sortie directement remis à la police qui « cueille » le blessé et l’emmène, croit-on savoir, pour trois ou quatre jours à Vincennes. D’ailleurs dans tous les hôpitaux, la police consulte la liste des arrivées et sorties des Algériens. C’est classique. C’est d’ailleurs pour cette raison que la majorité n’ira pas se faire soigner à l’extérieur, même dans un dispensaire, de peur de se faire arrêter. A la Folie, dans toutes les baraques des célibataires, il y a des blessés, même gravement atteints, des fractures." Le texte se poursuit, il comble un manque.

(...)

A présent que Monique Hervo est morte, c’est finalement à une kyrielle de rapports de force qui s’emboîtent et parfois se réverbèrent, qu’on a ainsi accès en la découvrant à travers ses livres ou ses archives. Et parce que La Fabrique de l’histoire avait plongé dans les cartons de l’IHTP, couru faire des copies des bandes si précieuses qui venaient d’y être déposées, des extraits de ces archives sonores sont désormais accessibles en ligne, et s’entremêlent aux archives de la radio publique. Vous pouvez accéder aux deux émissions tirées d’un long entretien avec Monique Hervo, ainsi qu’à une partie des entretiens qu’elle-même avait menés parmi ces voisins, en découvrant ces deux épisodes de la Fabrique de l’histoire, qui n’ont pas pris une ride. De source, elle était devenue actrice de cette histoire.

Lire en intégralité en cliquant ci-dessous

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Jules Ferry : l'inventeur de l'école républicaine et de l'école de l'égalité

17 Mars 2023 , Rédigé par France Culture Publié dans #Education, #Histoire, #Laicité

Portrait non daté de Jules Ferry (1832-1893) qui fut maire de Paris, ministre de l'Instruction et président du Conseil. ©AFP

 

L'émission "Concordance des temps" est consacrée à Jules Ferry, père de l'école laïque, au cœur de notre mémoire collective. Mais il a été à son époque un acteur politique à peu près constamment impopulaire, pour ne pas dire haï. C'est avec Mona Ozouf que nous tenterons de comprendre son parcours.

Avec

Mona Ozouf Historienne.

Jules Ferry, l'inventeur de notre école républicaine, est le sujet de cet épisode de "Concordance des temps". C'est l'historienne Mona Ozouf, spécialiste de l'éducation et de la Révolution française, qui nous retrace le portrait de celui qui fut accusé d'anticléricalisme par la droite et de colonialisme et d'antisocialisme par la gauche.

Les fondements de la pensée politique de Jules Ferry

Ministre de l'instruction publique à plusieurs reprises et également président du Conseil entre 1879 et 1885, ce sont les années du rayonnement de Jules Ferry. Mona Ozouf précise bien que "ce n'est pas à lui qu'on doit tout à fait l'école laïque et obligatoire [...] Ferry complète la législation antérieure, il bouche les trous mais il n'invente pas. En revanche, il invente l'école républicaine et l'école de l'égalité."

Pour comprendre le parcours de Jules Ferry il faut revenir selon l'historienne à "deux scènes primitives" constitutives de sa personnalité : 1848 et l'immense déception de la jeunesse républicaine et la défaite de 1870. Jules Ferry est convaincu que ce qui divise les Français, c'est la fracture politique de 1789 : les partisans de l'Ancien Régime d'un côté et les fils de 1789 de l'autre. Pour lui, il faut séparer l'ordre religieux de l'ordre politique.

La laïcité se développe dans un climat de combat

Convaincu qu'il faut mettre en scène l'unité nationale à l'abri de tout dogmatisme religieux, l'école républicaine offre le même enseignement de l'histoire nationale, le même enseignement civique pour les filles et les garçons, même s'il y a des insuffisances comme avec la persistance des cours de couture ou de cuisine pour les filles.

Ferry n'est pas un homme anti-religieux mais un élu républicain très ferme, à la fois intransigeant et aussi tolérant à l'égard du fait religieux. Par exemple, lorsqu'il fait retirer les signes religieux des classes, au nom de la laïcité, il le fait sans brutalité pour ne pas vider l'école publique des enfants. Pour Mona Ozouf, la politique de Jules Ferry est très pragmatique.

Jules Ferry et l'école des filles

Jules Ferry veut retirer les femmes de l'emprise des prêtres, "faire de la femme la compagne éclairée de l'homme républicain", selon les mots de Mona Ozouf. Pour lui, il existe des différences entre les hommes et les femmes, les premiers représentant un monde de la pensée et des lois et les secondes un monde des sentiments et des mœurs.

Néanmoins, Mona Ozouf conteste le procès de sexisme qui a été fait à l'encontre de Jules Ferry. Selon lui, quand la femme sera éduquée, on pourra voir de quoi elle est capable et c'est justement par l'éducation des filles que cette dichotomie homme femme sera dépassée.

La politique de Jules Ferry c'est la politique du possible et c'est une politique du temps long, nous explique Mona Ozouf.

Programmation sonore :

  • Extrait, dans notre générique, du téléfilm Jules Ferry réalisé par Jacques ROUFFIO sur un scénario de Jean-Michel GAILLARD, 1993.
  • Extrait d’un discours d’Albert BAYET prononcé à l’occasion du 50ème anniversaire des lois de Jules Ferry en 1931.
  • Lecture d’une affiche des « Égaux de Montmartre » de 1887 , lue par Bernard VALDENEIGE dans le cadre de l’émission Les chemins de la connaissance , le 3 juin 1993.
  • Lecture d’un extrait du Discours sur l’égalité d’éducation de Jules FERRY prononcé salle Molière à Paris le 10 avril 1870, lu par Bernard VALDENEIGE dans le cadre de l’émission Les chemins de la connaissance , le 31 mai 1993.
  • Extrait du film La femme du boulanger réalisé par Marcel PAGNOL , 1938.
  • Lecture d’un extrait du Manuel électoral de Jules FERRY de 1863 , lu par Bernard VALDENEIGE dans le cadre de l’émission Les chemins de la connaissance , le 3 juin 1993.
  • Actualité française de 1937
  • Lecture d’un discours à la Chambre de Jules FERRY prononcé le 27 mars 1884 , lu par Bernard VALDENEIGE dans le cadre de l’émission Les chemins de la connaissance , le 1er juin 1993.
  • Chanson "Les bienfaits de l'instruction" de 1879, interprétée par Christiane ORIOL pour le "Centenaire de l'école laïque", disque 33 tours paru en 1981.

Podcast "Concordance des temps" - A écouter en cliquant ci-dessous

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Antoine Lilti, les Lumières en débat...

16 Mars 2023 , Rédigé par Libération Publié dans #Histoire, #Philosophie

Le siècle des Lumières | Secondaire | Alloprof

Brillant et mesuré, l’historien, qui vient d’entrer au Collège de France, montre que la pensée du mouvement du XVIIIe siècle fut sans cesse discutée et qu’il faut envisager son héritage comme «un espace de débats plutôt que comme une doctrine cohérente»

«Mon père est médecin et ma mère, enseignante. Mais attendez, vous ne refaites pas le portrait de mon frère, là ?» Il est vrai que les articles consacrés au réalisateur Thomas Lilti, le frère d’Antoine et auteur du film Hippocrate (2014), commencent souvent par rappeler la profession de ses parents et le milieu dont il est issu, la classe moyenne supérieure et cultivée. L’historien Antoine Lilti apparaît d’ailleurs dans un autre film de son frère, Première Année. Il y interprète un enseignant qui fait face à un amphithéâtre plein d’étudiants en médecine bruyants et surexcités. Les 420 personnes qui, chaque semaine, assistent au Collège de France au vrai cours d’Antoine Lilti sont plus discrètes. Le quinquagénaire spécialiste des Lumières a donné sa leçon inaugurale le 8 décembre : «Pour l’impétrant, c’est intimidant. Les autres professeurs du Collège sont assis au premier rang, les professeurs émérites viennent si le sujet les intéresse, les collègues sont là, le public aussi, je n’étais pas habitué à la taille ni à l’acoustique de l’amphithéâtre. C’est un rituel de passage qui dure une heure.»

Quand une chaire se libère au Collège de France, des candidats proposent un intitulé d’enseignement et de recherche, puis ils font campagne, comme il le faut pour entrer à l’Académie française. Le cours de Lilti, Histoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècle, est «un intitulé classique sans l’être complètement puisque la chronologie qu’il indique ne va pas de soi. A l’université, il faudrait s’en tenir au XVIIIe siècle. Je suis moderniste, mais ici, mon enseignement va jusqu’au débat actuel autour des Lumières». Son dernier livre (l’Héritage des Lumières. Ambivalences de la modernité, Seuil, 2019) s’intéressait déjà à l’actualité critique de cet objet historique.

«Ni philosophe ni militant»

Les Lumières, Lilti les définit ainsi : un «idéal d’émancipation par le savoir qui repose sur l’autonomie des individus et sur leur capacité à décider de ce qui est juste». Depuis vingt ans, elles sont au centre de débats, prises en tenaille entre des mouvements populistes qui critiquent les institutions savantes et l’élitisme, et la pensée postcoloniale qui les accusent d’avoir fait le lit de la colonisation et d’être européanocentrées. Les travaux d’Antoine Lilti montrent que tout au long de l’histoire du XXe siècle, elles furent discutées de façon contradictoire et plus ou moins frontalement. Certains s’en réclamèrent au moment de la décolonisation, d’autres les accusèrent d’être responsables du totalitarisme. Lilti veut «retracer à l’intérieur de l’histoire intellectuelle contemporaine la façon dont la référence aux Lumières a en permanence agi, travaillé». Lors de sa leçon inaugurale, il a dit : «Retenons ceci : nous devons envisager les Lumières comme un espace de débats et de controverses, bien davantage que comme une doctrine cohérente. Trop souvent, on a voulu y voir le programme de la modernité. […] En réalité, les Lumières sont plutôt l’effort entrepris pour penser les ambivalences des sociétés modernes.»

Par sa sérénité et sa modestie, Antoine Lilti tranche avec beaucoup d’enseignants et historiens actuels qui prennent des positions radicales, croisent le fer sur les réseaux sociaux, cultivent la nostalgie de l’époque dont ils sont les spécialistes, versent dans la mythologie et la révolution de salon. Antoine Lilti : «Je ne suis ni philosophe ni militant. En tant qu’historien, je montre que les Lumières sont ambivalentes et que leur critique a commencé dès leur apparition. Certains étaient conscients dès le début des tensions qui travaillaient cet objet historique. J’espère donner une idée de la complexité des héritages historiques pour permettre aux gens de prendre position. Les postcoloniaux apportent quelque chose qu’il faut entendre pour sortir de la fétichisation des Lumières et réfléchir aux apories qu’elles charrient, mais il existe un versant radical et caricatural de la critique postcoloniale. Le résultat est un débat de sourds entre ceux qui réfutent toute critique et ceux qui, à force d’attaquer les Lumières, jettent avec l’eau du bain l’horizon d’universalisme, l’idée d’unité de la nature humaine et de tolérance. Toute essentialisation des idées court le même danger.»

L’assurance sans arrogance

Patrick Boucheron, professeur lui aussi au Collège de France, connaît Lilti depuis longtemps. Il apprécie sa réserve : «L’héritage des Lumières, c’est l’inquiétude face à l’abus de pouvoir possible de la parole publique et face à la peur de la dégradation de l’espace public en espace publicitaire. Antoine Lilti porte en lui cette inquiétude. Il n’est absolument pas tiède, seulement il sait qu’un historien n’est pas là pour jeter de l’huile sur le feu mais pour apaiser les imaginaires. Ecoutez sa leçon inaugurale : elle n’était pas lisse du tout, elle était tendue, engagée en faveur de l’ambiguïté, ce legs des Lumières.» Pour un livre collectif, Générations historiennes, XIXe-XXIe siècle (CNRS éditions, 2019), dans lequel plusieurs écrivains sont appelés à réfléchir à leur inscription dans leur génération, Antoine Lilti a rédigé un article remarquable. Il situe l’origine de sa distance critique (ou de sa conscience du caractère périssable et réversible des engagements) dans les années 90. Elles furent celles de son adolescence – il avait 17 ans en 1989 – et celles d’un monde imprévisible : le mur de Berlin tombait puis l’URSS n’existait plus ; la purification ethnique en Bosnie ravivait des passions nationalistes que l’on croyait éteintes : «Comment, après cela, aurait-on pu encore souscrire au thème de “l’histoire immobile”, popularisé quinze ans plus tôt par Emmanuel Le Roy Ladurie ?»

Lecteur admiratif de la Plaisanterie de Kundera, Lilti pense avoir hérité de ce tourbillon d’événements «un regard distancé et ironique sur l’histoire». Brillantissime, il a l’assurance sans arrogance de ceux qui sont à l’aise sur leurs assises. Patrick Boucheron : «Antoine n’est pas attiré par l’odeur de la poudre et des médias. N’oubliez pas que dans son livre sur les figures publiques au XVIIIe siècle [l’Invention de la célébrité, 1750-1850, Fayard, 2014], il souligne la solitude de l’homme célèbre. Il a beaucoup travaillé sur Rousseau mais son héros, c’est Diderot, l’homme de l’ambivalence et de l’ironie.»

Familier du Collège de France

Antoine Lilti n’a pas toujours été passionné par les Lumières ni par l’histoire : «Je n’avais pas de vocation d’historien, je ne dévorais pas Duby et Braudel à 14 ans, je ne savais même pas qui ils étaient.» Scolarisé à Versailles dans l’excellent lycée Hoche, il passe un bac scientifique puis, au lycée Janson-de-Sailly (XVIe arrondissement), prépare le concours de l’Ecole normale supérieure (ENS) dans la section B /L. Le «bon élève irrégulier» se révèle en classe prépa. Il intègre l’ENS sans avoir particulièrement envie d’enseigner. L’histoire contemporaine l’intéresse, il fait une maîtrise sur le PSU et la gauche dans les années 60 sous la direction d’Antoine Prost : «Mais j’étais intellectuellement insatisfait.» Ce qu’il aime, c’est l’histoire culturelle qu’incarnent Roger ChartierDaniel Roche, récemment disparu, et bien sûr Robert Darnton. Il découvre les travaux de l’historien américain en préparant l’agrégation : sa vocation est née. Il comprend de surcroît que travailler sur le XVIIIe siècle permettra de croiser l’histoire, la littérature et les sciences sociales, «le triangle».

Daniel Roche lui attribue un sujet de thèse sur les salons. Lilti prend plaisir à la recherche, aux lectures qui en entraînent d’autres, aux discussions avec le groupe de doctorants à l’occasion des séminaires. Puisque Daniel Roche enseigne au Collège de France, Antoine Lilti se familiarise alors avec les lieux : «Jamais à cette époque je n’ai imaginé y enseigner.» La thèse est devenue un livre : le Monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle (Fayard, 2005). Ancien directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), il continue de diriger des thèses, ce qui néanmoins n’est pas obligatoire au Collège de France : «Mais c’est tout ce que j’aime, la direction de thèses.» Laurent Cuvelier, maître de conférences, fut l’un de ses doctorants : «Il reformule les intitulés de recherche de façon à les rendre plus intéressants et limpides. Il sait aussi créer un espace collectif pour que les doctorants se sentent moins seuls et se parlent entre eux.» Il est enfin soucieux, remarque toujours Laurent Cuvelier, de la vie professionnelle future de ses étudiants.

«Pluraliser les Lumières»

Son prochain livre, Antoine Lilti l’écrira à partir du cours qu’il donne cette année sur les grandes explorations du Pacifique au XVIIIe siècle. Elles furent aussi l’occasion d’une découverte de l’Europe par les Tahitiens. L’amphithéâtre du Collège de France peut accueillir 420 auditeurs et pour le moment, la salle est pleine chaque semaine : «Contrairement à ce que je faisais à l’EHESS, ici, je laisse très peu de place à l’improvisation.» Adapter le cours au public qui vient l’écouter une heure par semaine comme à ceux qui le podcastent est une autre gageure : «Dans chaque séance, je tisse un mélange de récit, d’histoire factuelle et de parties plus méthodologiques et historiographiques destinées aux étudiants ou aux collègues.» Aux treize heures de cours annuelles s’ajoutent treize heures de séminaire qu’Antoine Lilti a choisi de donner sous forme de colloques. Ils se tiendront les 1er et 2 juin et le thème en sera «Lumières multiples : une histoire globale et comparée», c’est-à-dire les Lumières hors d’Europe : «Ce sera un moment de travail collectif et d’échanges, notamment avec des collègues étrangers et des spécialistes des différentes aires culturelles. Notre objectif est de pluraliser les Lumières.»

Père de deux filles, marié à une historienne de l’art, Antoine Lilti garde l’esprit de compétition pour le foot, qu’il pratique depuis toujours. Il y joue chaque semaine avec des amis : «Je soutiens les Girondins de Bordeaux, par nostalgie pour mon adolescence. Actuellement, pour eux, ce n’est pas glorieux

Virginie Bloch-Lainé

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Il y a 3 000 ans, en Egypte, la première grève de l'Histoire

15 Mars 2023 , Rédigé par France Culture Publié dans #Histoire

Le mystère de la construction des pyramides d'Egypte enfin percé ?

Les traces de la plus ancienne grève connue font remonter cette modalité d'action politique à l'Antiquité. C'est en effet en Egypte, sous le règne de Ramsès III, que des artisans employés sur le chantier de la Vallée des Rois se sont mis en grève pour réclamer leur salaire.

La France, pays de la grève ? Si les Français ont la farouche réputation d’être prêts à manifester dès que le besoin de se faire entendre se fait sentir, en matière de grève, les Égyptiens ont une certaine antériorité : les premières traces écrites d'un mouvement social remontent en effet à la haute Antiquité, plus de 1000 ans avant notre ère.

C'est à l'ouest de la Vallée des Rois, connue pour abriter les tombes des pharaons, qu'ont été retrouvées les traces de la plus ancienne grève au monde. Le village antique de Déir el-Médineh abritait la confrérie des artisans chargée de construire les tombeaux et les temples funéraires des pharaons lors de la période du Nouvel Empire, l’ère la plus prospère de l'histoire égyptienne, de -1580 à -1077.
“Le village de Déir el-Médineh n’est pas sur la rive de la grande capitale qu'était Thèbes, mais sur la rive occidentale, qui est considérée comme la rive des nécropoles”, raconte l’égyptologue-archéologue Guillemette Andreu-Lanoë, directrice honoraire du département égyptien des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre, dans une émission du Cours de l’Histoire“Situé dans un vallon un peu à l'écart du fleuve, il s'agissait d'un campement très organisé : tout avait dû être livré depuis le Nil pour le construire”.

Des artisans pour les tombaux royaux

Étudié par les archéologues depuis les années 1850, ce village était, dans l’Antiquité, nommé Set Ma’at, “la place de vérité”, ou plus simplement Pa-demi, “le village”. Entouré d’un mur d’enceinte, il comptait une soixantaine de maisons dans lesquelles résidaient jusqu’à 120 artisans. “On est au cœur d'une société très organisée”, témoigne Guillemette Andreu-Lanoë. “Ces ouvriers avaient la charge de construire les sépultures royales. C’était donc une corporation extrêmement privilégiée.”

Ces équipes d’artisans, auxquelles on doit les tombes des Amenhotep, des Thoutmôsis, des Ramsès et de Toutânkhamon, sont composées de maçons, de sculpteurs, de tailleurs de pierre ou encore de peintres. Rigoureusement organisées, elles dépendent du vizir de Haute-Egypte, ce qui témoigne de leur statut social. “Ces corporations d'ouvriers, précise Pierre Tallet, égyptologue-archéologue, titulaire de la chaire d'égyptologie de l'Université Paris-Sorbonne, ont parfois leurs propres cultes, avec des saints patrons qui les protègent. À Deir el-Médina par exemple, c'est le culte d'Amenohtep Ier et de sa mère”.

Loin de l’image d’Épinal qui veut que les constructeurs des pyramides aient été des esclaves constamment fouettés, les ouvriers de ce type de chantier étaient au contraire “des salariés de l'Etat”, assure Pierre Tallet dans Le Cours de l’Histoire. “Ils sont payés en nature : ils sont nourris et on suppose que leur famille l'est aussi. [...] Il est possible également que les distributions de textiles, que l'on voit régulièrement apparaître dans la documentation de l'ancien Empire, aient pu constituer une rémunération supplémentaire, les tissus pouvant être troqués contre autre chose. Ces artisans sont en tout cas rémunérés pour leur travail. On sait aussi qu'ils bénéficient d'une alimentation diversifiée, au-delà de ce que l'on pourrait attendre pour des milieux populaires [...] : leur régime quotidien se compose de viande, de volailles, de poisson, de produits laitiers et même de produits plus rares comme le miel ou les dattes.”

Le papyrus de grève

 
Ce papyrus est le premier document sur une grève dans l'Histoire. Rédigé par le scribe Amennakht en -1166, il raconte les manifestations de Deir el-Medina.

Malgré cette qualité de vie, c’est pourtant bel et bien à Déir el-Medineh qu’a pris place la plus ancienne grève documentée. Elle a lieu en l’an 29 du règne de Ramsès III, c'est-à-dire vers 1166 avant J.-C. Mais pourquoi les artisans de Set Ma’at se sont-ils mis à se plaindre de leurs conditions de travail ?

Le règne de Ramsès II (-1304, -1213), le pharaon bâtisseur, a été riche de conquêtes et a rendu l’Egypte prospère. Son successeur Ramsès III (-1217, -1153) va peiner à maintenir l'opulence qui a caractérisé le règne de son prédécesseur : il doit affronter les “peuples de la mer”, une coalition de "barbares" venus du Nord, et les tribus des déserts de Libye. Ces conflits armés, couplés à une corruption grandissante, à des problèmes agricoles, ainsi qu’à la volonté du pharaon d’égaler les prouesses architecturales de Ramsès II, pèsent lourd sur le budget de l’État. Si bien qu'en -1166, les artisans de Déir el-Medineh se voient soudain privés de salaire.

“Les caisses de l'État commencent à être vides”, explique Guillemette Andreu-Lanoë. “Il devient alors compliqué de continuer à approvisionner les équipes. D'autant plus que Ramsès III a la folie des grandeurs : il veut une tombe très, très, très grande. L'équipe est donc augmentée pour atteindre un effectif de 120 hommes… que l’État n'est plus en capacité de payer.”

Les ravitaillements, qui constituent les salaires, n’étant plus distribués par les fonctionnaires royaux, les artisans du village décident en représailles de ne plus travailler. Dans un papyrus surnommé “le papyrus de grève”, conservé au musée de Turin, en Italie, le scribe Amenakht relate les faits : “ 29, deuxième mois de l’hiver, jour 10. Ce jour-là, l'équipe est passée devant les cinq postes de garde du tombeau en disant : “Nous avons faim, car 18 jours se sont déjà écoulés en ce mois” et ils s'assirent à l'arrière du temple de Menkheperrê (Thoutmosis III).”

"Les ouvriers sont allés derrière le temple de Thoutmosis III qui se trouvait en contrebas du site. Et ils ont attendu sans bouger jusqu'à ce qu'on leur rende justice” raconte Guillemette Andreu-Lanoë “Ce qu’ils ont fait, c’est un peu un sitting !"

Habituellement, le scribe a pour fonction d’enregistrer tout ce qui se passe, l’avancée du travail, la progression, et les difficultés rencontrées sur le chantier. Il va devenir le témoin privilégié du premier mouvement de grève connu de l'histoire. “On sent bien qu'il y a un scribe qui observe la situation pour faire un rapport à ses supérieurs et leur donner une vision relativement détaillée de ce qui se passe”, précise Pierre Tallet. Lorsque les autorités tentent de convaincre les artisans de reprendre le travail, le scribe Amenakht relate encore une fois leur réponse : “Si nous en sommes arrivés à ce point, c’est à cause de la faim et de la soif ; il n’y a plus de vêtements, ni d’onguents, ni de poissons, ni de légumes ; écrivez au pharaon, notre bon seigneur, à ce propos, et écrivez au vizir, notre supérieur, pour que les provisions nous soient données”.

La grève va s'étendre sur plusieurs jours. “Ce qui est intéressant avec ce papyrus de la grève, c’est que l’on sait que le premier mouvement de ces ouvriers a été d'aller manifester devant les temples de la région", poursuit Pierre Tallet. "Ce n'est pas un hasard puisque ces grands temples étaient de véritables relais économiques de l'administration royale. Ils assuraient une partie de leur rémunération en nature. Dans le village de Déir el-Médineh, on a retrouvé des étiquettes avec des inscriptions en hiératique, en cursif, sur des jarres qui permettaient de transporter la viande, la bière, le vin. Beaucoup de ces récipients proviennent du grand temple de Ramsès II, dans la nécropole. Le réflexe des ouvriers a donc été d'aller à l'endroit où on pouvait leur débloquer, finalement, une aide alimentaire d'urgence”.

L’état du papyrus ne permet pas de savoir avec précision la façon dont se sont terminés les événements. Des rations sont finalement procurées aux ouvriers, mais il ne s’agit que de mesures temporaires, si bien que l’apaisement est de courte durée. La grève s’étalera, semble-t-il, sur plusieurs semaines avant que les artisans n’obtiennent gain de cause. Preuve que, il y a 3 000 ans déjà, il convenait de faire durer la grève pour obtenir des résultats.

Pierre Ropert

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SNU - "... la mesure évoque un retour au service militaire, suspendu en 1997 ..."

15 Mars 2023 , Rédigé par christophe Publié dans #Politique, #Histoire, #Education

SNU - "... la mesure évoque un retour au service militaire, suspendu en 1997 ..."
Le Service national universel, un retour en arrière ?
Lionel Pabion, Université Rennes 2

Contesté dès son lancement en 2018, le Service national universel (SNU) fait à nouveau parler de lui. Le dispositif a concerné 15 000 jeunes entre 15 et 17 ans en 2021 et la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse Sarah El Haïry a indiqué être favorable à sa généralisation à l’ensemble d’une classe d’âge.

En quoi consiste ce dispositif ? Lancé en 2018 et actuellement fondé sur le volontariat, le Service national universel se compose d’un « séjour de cohésion » de 12 jours dans des centres dédiés – avec un uniforme et des rituels comme le lever des couleurs –, d’une mission d’intérêt général, puis d’un « engagement volontaire » facultatif, qui peut prendre la forme d’un service civique, d’un service militaire volontaire, ou d’un engagement dans la réserve opérationnelle.

Si les modalités précises de sa potentielle généralisation restent à définir, la mesure évoque un retour au service militaire, suspendu en 1997.

Pourtant, le SNU n’est pas le service militaire. Ses objectifs sont flous, évoquant pêle-mêle la « cohésion nationale », la « culture de l’engagement », la sensibilisation aux enjeux de défense, l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté.

De cette manière, ce projet s’inscrit dans une longue histoire. Les tentatives de mêler école, armée et monde associatif sont en effet une constante depuis les débuts de la IIIe République, dans les années 1870-1880. Revenir sur ce passé permet de mettre en perspective ces tentatives et leurs impasses.

Durant la IIIᵉ République, former des citoyens-soldats

Les dimensions militaires et éducatives sont indissociablement liées dans l’histoire de la République. Dès 1871, un des pères fondateurs de la IIIe République, Léon Gambetta, affirmait vouloir instituer une école du citoyen-soldat : « je ne veux pas seulement que cet homme pense, lise et raisonne, je veux qu’il puisse agir et combattre. Il faut mettre partout, à côté de l’instituteur, le gymnaste et le militaire ».

Ainsi, les grandes lois des années 1880 qui ont rendu l’école gratuite et laïque comprennent dès le départ un volet militaire, avec une gymnastique obligatoire dans les écoles primaires (loi George). Des « bataillons scolaires » existent même pendant quelques années. Les adolescents y apprennent à marcher au pas, le dimanche matin, en uniforme, fusil de bois à l’épaule, sous les ordres d’un sous-officier.

Cette dimension militariste s’atténue au tournant du siècle, mais ne disparaît jamais totalement. La mémoire collective a complètement oublié l’existence du « tir scolaire » dans les années 1900, avec l’organisation d’un championnat de France de tir à la carabine, dans les écoles, sous l’égide des instituteurs.

Défilé d’un bataillon scolaire à Breteuil-sur-Noye (Oise), en 1899. Musée national de l’Éducation, INRP Rouen, via Wikimedia

Dans le même temps, l’armée devient une armée nationale, avec la mise en place progressive d’un service militaire véritablement universel en 1889, encore plus égalitaire après la loi de 1905, qui impose le service de deux ans pour tous.

Les militaires imaginent alors, comme le montre un article du maréchal Hubert Lyautey resté célèbre, que les officiers doivent assumer un « rôle social », prolongeant l’effort éducatif des instituteurs. L’expérience partagée de la caserne est alors vue comme un facteur décisif d’unification culturelle d’un pays encore très divers.

L’idée d’associer cadre militaire et ambition éducative n’est donc pas neuve. Elle n’avait pourtant pas le même sens hier qu’aujourd’hui. L’éducation civique n’était pas l’objectif principal du service militaire. C’était avant tout un dispositif de défense, dans un contexte international où la guerre était un horizon très proche, comme l’a montré le déclenchement soudain de la Première Guerre mondiale en 1914.

Le service militaire, une institution nationale

La Grande Guerre a d’ailleurs un effet très direct. Le service militaire est resté une institution importante dans la société française, avec l’idée que seule une armée forte garantissait la paix et l’indépendance de la France.

En revanche, l’uniforme militaire est sorti presque totalement de l’école dès les années 1920. Ce qui devient le « ministère de l’Éducation nationale » dans les années 1930 ne s’occupe plus guère de former des soldats.

L’épisode des « chantiers de jeunesse », durant la période du régime de Vichy, relance au contraire l’idée de former des groupements éducatifs dans un cadre militaire ou paramilitaire. L’ambition en était idéologique, mais il s’agissait aussi de remplacer la conscription, interdite par le traité d’Armistice de 1940.

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Hors cette parenthèse vichyste, des années 1920 à la guerre d’Algérie, le service militaire est donc resté donc une institution proprement militaire, avec une séparation plus nette entre l’armée et le secteur éducatif. Les conscrits ont été mobilisés en 1939, et plus tard le contingent des appelés a été massivement envoyé assurer le « maintien de l’ordre » en Algérie, selon l’expression des années 1950, notamment durant la guerre d’Algérie, entre 1954 et 1962.

Les années 1960 constituent un intense moment de réflexion et de débat autour de l’utilité du service militaire, notamment à propos de son coût et de la place à laisser à l’objection de conscience, qui reçoit un statut officiel en 1963.

La situation à partir des années 1970 est bien différente. La France continue à faire la guerre régulièrement, mais dans des opérations lointaines, qui mobilisent des troupes bien entraînées et équipées de matériel de plus en plus technique. L’armée devient donc progressivement une armée de métier.

Le service militaire obligatoire de 12 mois puis de 10 mois, devenu coûteux et inutile militairement, est suspendu par le président Jacques Chirac ; la mesure rentre en vigueur en 1997. Plus de 30 % d’une classe d’âge était exemptée, pour des raisons médicales ou administratives (soutien de famille, par exemple), et les formes de services étaient très diverses, y compris sous des formes civiles.

Le Service national universel, pour quoi faire ?

Si de nombreux hommes politiques voient aujourd’hui dans la suppression du service militaire une erreur, il y a matière à douter de l’intérêt d’un retour en arrière.

D’un point de vue pragmatique, aucun des objectifs affichés par le SNU ne relève véritablement du domaine professionnel des militaires, à savoir la défense de la France. Comme le rappelle régulièrement la chercheuse Bénédicte Chéron, il semble y avoir un malentendu sur le rôle effectif de l’armée. L’encadrement d’adolescents ne semble pas relever des missions fondamentales de forces qui souffrent déjà de problèmes de financement. Il faut d’ailleurs noter la méfiance de nombreux militaires envers le dispositif.

En 2019, Gabriel Attal, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale, et Frédérique VIDAL, ex-ministre de l’Enseignement supérieur, lancent le Service national universel dans le Nord.

De plus, des difficultés de recrutement des encadrants ont été soulignées par les rapports sur la mise en place progressive du dispositif. Cette inadaptation a déjà provoqué des incidents médiatisés, comme cette punition collective en pleine nuit à Strasbourg, ordonnée par un ancien officier. La question des infrastructures d’accueil pose aussi problème, à l’heure où les services publics sont sommés de faire toujours plus d’économies.

Cette priorisation relève ainsi d’une vision idéologique, qui repose sur des mythes. Le recours au cadre militaire serait un moyen pour unifier la jeunesse d’une nation. Mais il faut rappeler que ses rituels ont un sens, celui de former des groupes efficaces au combat. La mise en perspective historique permet de mettre en lumière le décalage entre cet imaginaire fantasmé et le véritable rôle du service militaire.The Conversation

Lionel Pabion, Maître de conférences en histoire, Université Rennes 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Mars 1968 et la dérive droitière de la droite française - Par Claude Lelièvre

15 Mars 2023 , Rédigé par Mediapart - Claude Lelièvre Publié dans #Education, #Histoire

Virage à Droite Banque d'images et photos libres de droit - iStock

Le premier billet de ce blog a été consacré le 14 mars 2008 au hiatus entre la projection résolue dans l’avenir portée en mars 1968 par le très gaullien ministre de l’Education nationale Alain Peyrefitte et la condamnation sans appel de Mai 68 par le président Sarkozy. Quinze ans après, ce 768° billet pointe cette même dérive dans le projet de loi déposé par LR.

« Il y a tout juste quarante ans, du 15 au 17 mars 1968, s’est tenu à Amiens un colloque des plus surprenants avec la participation de la fine fleur des hauts fonctionnaires de l’éducation nationale et des chercheurs en éducation. Le mot de la fin du recteur d’Amiens, puissance invitante, a été également des plus étonnants : " Le seul moyen d’éviter les révolutions, c’est d’en faire ". Deux mois avant Mai 68 […] ‘’C’est seulement par la réforme des méthodes de l’enseignement, conclut le ministre Alain Peyrefitte, que l’école peut remplir aujourd’hui sa mission de toujours, celle d’initier à une culture ; or cette initiation, aujourd’hui, ne peut qu’être une invention : il s’agit d’aider à la mue de la société, d’apprendre à vivre dans l’incertain sans angoisse ni indifférence, d’éduquer le sens critique, d’enseigner l’ironie, de fortifier à la fois l’autonomie et la sociabilité. Dans cette liberté, naîtra une nouvelle culture, qui sera une culture de notre temps."

Deux mois après ces déclarations fracassantes, Mai 68. Une " révolution " dans la continuité du colloque d’Amiens ? Quarante ans après, le chef de l’Etat - Nicolas Sarkozy - condamne sans appel, en particulier dans le domaine éducatif, Mai 68. Son discours de février 2008, à Périgueux, sur la refondation des programmes du primaire a des accents très traditionnels voire passéistes et autoritaires » (fin de la citation du premier billet de ce blog du 14 mars 2008)

Dès son arrivée au ministère de l’Éducation nationale en mai 1967, le très gaullien Alain Peyrefitte avait réuni chaque semaine un groupe de travail qui a élaboré en quelque six mois un plan de réformes en 27 points (27 points qui figurent – bien des années plus tard – in extenso en Annexes du tome III du livre d’Alain Peyrefitte intitulé C’était de Gaulle, signe de l’importance persistante qu’il leur accordait).

Les points de la réforme envisagée (groupés sous le nom de « rénovation pédagogique ») n’en sont plus alors au statut d’avant-projets, car ils doivent faire l’objet d’une mise en œuvre expérimentale à la rentrée de septembre 1968 dans cent écoles primaires et trente collèges. Il est dit explicitement que « le cours magistral doit disparaître presque complètement à tous les niveaux ». Et il est prévu de remplacer les devoirs à la maison par des interrogations écrites ou orales donnant l’occasion aux élèves d’améliorer leur capacité d’expression et de s’évaluer eux-mêmes (par l’auto-correction). Il est prévu que le latin disparaisse entièrement en sixième et cinquième. Les classes seront structurées « comme de petites républiques », avec des équipes de six à huit élèves élisant leur chef

Le sénateur LR Max Brisson vient de déposer au Sénat un texte de projet de loi co-signé par Bruno Retailleau qui s’est beaucoup distingué lors de la discussion du projet de loi sur les retraites. Selon l’article du « Café pédagogique » paru le 6 mars dernier : « Cette proposition de loi intègre des marqueurs politiques du groupe LR », nous a dit le sénateur LR Max Brisson. Il dépose au Sénat une proposition de loi « pour une école de la liberté , de l’égalité des chances et de la laïcité » qui vise à lancer un nouveau débat avec les macronistes. Le texte prévoit des écoles et établissements publics sous contrat, sur le modèle des « académies » britanniques. Ces établissements publics sous contrat pourraient choisir leurs élèves, leurs enseignants, et même leur organisation pédagogique, dérogeant ainsi totalement aux règles des autres établissements scolaires publics comme privés sous contrat. Ils seraient dirigés par un chef d’établissement aux pouvoirs étendus, y compris dans le premier degré. « L’autorité hiérarchique » du directeur d’école est affirmée. Dans la foulée, la proposition de loi intègre les autres marqueurs de droite : interdiction du port du voile pour les accompagnatrices des sorties scolaires, attribution des avantages REP aux écoles rurales, port obligatoire de l’uniforme. Selon M Brisson, le groupe LR du Sénat veut « marquer ses orientations et ses idées de réformes nécessaires par rapport à un gouvernement qui n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale et doit donc travailler avec le Sénat ». Après la réforme des retraites, l’éducation nationale sera le second domaine où la droite pense pouvoir imposer ses idées. Pour Max Brisson, les dérogations très larges accordées aux établissements ne posent pas problème car « il appartient au recteur (signataire du contrat) de mettre les limites ». En réalité, la proposition de loi ferait éclater l’Education nationale, accélérerait sa privatisation et la droitisation de l’Ecole. La proposition de loi devrait arriver en séance en avril ou mai »

On n’arrête pas le progrès...

Claude Lelièvre

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Manifestations, grèves... des spécialités françaises ? (Vidéo)

10 Mars 2023 , Rédigé par France Culture Publié dans #Sociologie, #Histoire

“Râleurs”, “feignants”, et surtout “toujours en grève”, c'est l'image, entre autres clichés, que nous semblons renvoyer à l'étranger. Mais est-ce que les Français sont vraiment plus souvent en grève que les autres ?

Alors que le mouvement social contre la réforme des retraites s'intensifie en France, nous avons demandé à deux historiens, Danielle Tartakowsky, spécialiste de l'histoire sociale et politique de la France, et Antoine Destemberg, médiéviste et spécialiste des premières grèves universitaires, quelles sont les origines de ce qu'on pourrait appeler la "culture de la contestation à la française".

Prendre la rue, tradition française

Sur les vingt dernières années, il y a toujours eu un pays européen avec plus de jours de grève que la France. Entre 2000 et 2009, en moyenne la Grèce (192 jours) et l’Espagne (152 jours) ont cumulé plus de journées de grève que nous (127 en France), et entre 2010 et 2019, c’est Chypre qui a explosé le record avec 275 journées de grèves. C'est ce qu'indiquent les statistiques du European Trade Union Institute.

(...)

Elsa Mourgues

Suite et fin en cliquant ci-dessous

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Histoire «Une histoire inquiète», leurre de vérité

9 Mars 2023 , Rédigé par Libération Publié dans #Histoire, #Linguistique

Une histoire inquiète. Les historiens et le tournant linguistique | EHESS

L’essai de Sabina Loriga et Jacques Revel revient sur la génèse du «tournant linguistique», ce mouvement intellectuel de la seconde moitié du XXe siècle, qui a permis une mutation profonde dans les sciences sociales.

La fin du siècle passé a été marquée par une remise en cause de la façon d’écrire l’histoire. La discipline historique, depuis ses lointaines origines universitaires, avait pourtant la conviction qu’elle produisait sur le passé des connaissances sûres, objectives et cumulatives. Cette mise en cause a un nom : le tournant linguistique. Dans ce livre brillant et très informé, Sabina Loriga et Jacques Revel étudient la genèse et les raisons de ce mouvement intellectuel, surtout anglo-saxon. Si leur ouvrage porte d’abord sur l’historiographie, il offre une pénétrante réflexion du choc qu’a représenté pour les sciences sociales la prise en compte de leur dimension langagière.

Confiance dans la vérité historique

Les tenants du tournant linguistique considèrent que «l’expérience humaine et les rapports qu’elle entretient avec la réalité ne peuvent être pensés sans tenir compte de la médiation du langage». Or ce dernier n’est pas un medium neutre qui donnerait accès à un monde objectif. Aux réflexions sur le langage qui traversent tout le XXe siècle, le tournant linguistique introduit donc «un soupçon essentiel» car il considère que les discours ont une signification propre qui ne renvoie pas à autre chose qu’eux-mêmes. Ils ne sont donc pas des instruments pour approcher la vérité, pas plus que pour décrire la réalité. Ces doutes s’inscrivent, de façon plus générale, dans la crise de légitimité du projet de compréhension du monde, dominant depuis l’après-guerre, comme le structuralisme ou le marxisme. Dans ce travail critique, le rôle des théoriciens français est essentiel, ou plus exactement la lecture qui en est faite aux Etats-Unis. Lors d’un célèbre colloque tenu à Baltimore en 1966, les participants américains ont ainsi découvert à la fois certains acquis du structuralisme à la française et leur remise en cause, en particulier par Derrida et Barthes. Ce qui devient rapidement un produit bien plus américain que français, la french theory fournit l’armature théorique indispensable à l’émergence de ce que l’on appelle désormais, d’un vocable assez vague, le poststructuralisme. Des affirmations comme celles de Barthes considérant que «le fait n’a jamais qu’une existence linguistique» ou que les sciences humaines considèrent encore trop souvent le langage comme une «pure transparence», ont exercé une influence considérable.

Ces mutations intellectuelles s’expliquent également par un contexte historique. Nombre d’observateurs ont souligné combien des événements comme l’assassinat de Kennedy et de Martin Luther King ou la guerre du Vietnam ont ébranlé la société américaine. La conséquence, analysent Sabina Loriga et Jacques Revel, est l’affaiblissement de la confiance dans la vérité historique, doublé du sentiment «de vivre dans un temps sans direction». La boussole de l’histoire semble dès lors inopérante. Ce désarroi explique l’émergence de nouveaux points de vue sur la scène publique et universitaire, très critiques envers la fausse objectivité d’un discours historique qui laisse en marge certains groupes humains, comme les Afro-américains, les peuples colonisés ou les homosexuels.

Inaccessibilité du réel

Que signifie pour l’historien l’idée que le langage s’interpose entre nous et la réalité ? Etudiant le monde ouvrier anglais au XIXe siècle, Gareth Stedman Jones dans Languages of class (1983) montre le décalage qui existe entre le contenu du langage et les expériences de vie, estimant à rebours de l’historiographie traditionnelle que c’est le langage de la protestation politique qui crée les intérêts de classe, non l’inverse. Patrick Joyce s’interroge de son côté sur l’existence d’une «conscience de classe» dont serait doté le prolétariat anglais, notion pourtant centrale dans l’histoire des luttes sociales. Quant à Gabrielle M. Spiegel, médiéviste américaine de renom, elle tire les conséquences du tournant linguistique en mettant en cause la compréhension par l’historien du comportement des acteurs, rendue inaccessible par la barrière du langage. Certains grands historiens comme Pierre Vidal-Naquet ou Saul Friedländer ont cependant averti des risques que fait courir ce principe de l’inaccessibilité du réel, soulignant que les thèses négationnistes pourraient y trouver une raison pour justifier leur refus d’admettre l’existence de la «solution finale». Peut-être est-ce la raison pour laquelle des historiennes reconnues, comme Lynn Hunt ou Joyce Appleby, ont cherché une voie intermédiaire entre le relativisme absolu (chacun produit sa vérité) et le réalisme absolu (le passé serait accessible tel qu’il a été), en affirmant que, malgré de multiples biais, le langage permet un retour vers certains aspects du réel.

Le tournant linguistique a aussi suscité beaucoup de critiques chez nombre d’historiens de premier plan, de Thompson à Ginzburg, critiques manifestement partagées par nos auteurs, Sabina Loriga et Jacques Revel. Après avoir mobilisé les sommaires des revues, il est désormais peu audible, en particulier à l’extérieur des campus américains. Reste qu’il a été le symptôme fort d’une remise en cause plus large d’un type de savoir historique qui se trouve aujourd’hui encore déstabilisé, pour le meilleur et pour le pire.

Jean-Yves Grenier

Sabina Loriga et Jacques Revel, Une histoire inquiète. Les historiens et le tournant linguistique, Ehess /Seuil /Gallimard, 382 pp., 25 €.

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