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Vivement l'Ecole!

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Alors que les jeunes filles ont leurs règles de plus en plus tôt, l'information à l'école reste lacunaire

11 Octobre 2023 , Rédigé par France Inter Publié dans #Education, #Femme, #Santé

80 % des jeunes filles sont stressées d'avoir leurs règles à l'école, un  sujet encore trop tabou

À l'occasion de la journée internationale des droits des filles, l’association Règles élémentaires publie un baromètre sur la perception des menstruations, notamment au collège. Les jeunes filles sont dépourvues d’informations et de solutions pour gérer leurs règles pendant leur scolarité.

Sortie de collège. Mathilde, 14 ans, est en 3ème. Ses premières règles remontent à ses 12 ans. Des moqueries, elle en a subi, comme beaucoup de ses camarades. "Dès qu’on a une petite tâche, les autres peuvent dire : 'oh regardez, elle a une tâche, c’est horrible'. C’est quand même malheureux", déplore-t-elle. Une anecdote parmi tant d’autres qui montrent bien que les collégiennes se retrouvent souvent sans information autour des menstruations, et encore très régulièrement victimes de railleries.

Les premières règles arrivent de plus en plus tôt : à 12 ans et 2 mois en moyenne (soit 5 mois de moins qu’il y a 30 ans). Près de 80% des jeunes filles ont leurs premières règles avant 13 ans, soit avant la fin de la 5ème, et 20% ont leurs règles à l’école primaire. Or ces établissements ne sont pas du tout équipés pour gérer les règles. Autre donnée éloquente :  dans le programme officiel, l'enseignement sur les règles se fait, le plus souvent, en classe de 4ème, en SVT.

"Les règles, encore un tabou en France en 2023"

Sofian, 15 ans, le reconnaît, les moqueries autour des règles sont fréquentes. "Quand on est entre nous, on n’a pas toujours les bons comportements", concède-t-il. "Et du coup, on n’est pas toujours très malins. Il faudrait plus de sensibilisation autour de ce sujet""Les règles, c’est encore un tabou en France en 2023", abonde Sarah, 13 ans.

C’est bien le nœud du problème. Selon le baromètre dévoilé ce mercredi par l’association Règles élémentaires, si près des trois quarts des jeunes filles interrogées déclarent avoir reçu des informations à l’école, seules 50% des moins de 13 ans en ont bénéficié. Pourtant, celles qui ont pu en bénéficier le constatent : avoir des informations sur les règles leur a permis de mieux comprendre leur corps, étape clé pour l’égalité, et accompagner l’entrée dans la puberté.

Un facteur de stress pour 80% des jeunes filles

"C’est encore un impensé à l’école", estime Maud Leblon, directrice de Règles élémentaires. "Ne pas penser aux règles aux collèges, c’est ne pas penser que la moitié des élèves du collège ont leurs règles et qu’évidemment ça les impacte, en moyenne, un quart du temps. Rien n’est adapté pour ça ou presque. Les collégiennes doivent donc se débrouiller, subir des moqueries et des humiliations, ou être plus globalement dans l’angoisse de vivre ça à l’école."

L’association Règles élémentaires milite pour la généralisation des cours d’éducation menstruelle et la mise à disposition de protections périodiques dans tous les collèges.

Victor Dhollande

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Les femmes dignes d'être enseignées à l'école ne sont-elles que des icônes ?

6 Octobre 2023 , Rédigé par France Culture Publié dans #Education, #Histoire, #Femme

Il y a 110 ans mourrait LOUISE MICHEL - Commun COMMUNE [le blog d'El Diablo]

Dans les programmes scolaires, une liste resserrée de femmes impose désormais des points de passage obligés des cours d'histoire-géographie au collège et au lycée. Mais ces grandes figures triées sur le volet et au prix de raccourcis réducteurs posent problème. Un exemple concret : Louise Michel.

En 2000, l’historienne pionnière Michelle Perrot était nommée au Conseil national des programmes, et pourtant… il faudra attendre pas loin de deux décennies pour que les femmes soient enfin affichées par l’éducation nationale comme des entrées à part entière dans les programmes scolaires du second degré, au collège et au lycée. 2000, c’est aussi l’année où a vu le jour une association d’historiennes (et aussi quelques historiens) appelée Mnémosyne du nom de la déesse de la mémoire. Mnémosyne, qui repose sur le bénévolat et l'énergie de ses membres, s’est donnée pour but de promouvoir l’histoire des femmes et l’histoire du genre en France - aussi bien auprès du grand public, qu’au sein même de la discipline, où les résistances ont durablement été nombreuses, pour faire entrer les femmes dans l’histoire en tant qu’actrices dignes d’être étudiées. Alors même que les travaux pionniers en histoire des femmes, puis en histoire du genre et en histoire du féminisme, remontent maintenant aux années 1970, à l’époque où un petit groupe de pionnières poussaient les frontières de leur discipline depuis un séminaire organisé à l’université Jussieu, à Paris.

Vingt ans ont passé depuis la création de Mnémosyne, à laquelle est adossée la revue CLIO, à l’apport considérable pour combler bien des angles morts de l’historiographie, et pourtant l’histoire telle qu’elle s’enseigne à l’école reste souvent hermétique à des décennies d’avancées historiographiques. Loin de s’être actualisé, le savoir tel qu’il avait percolé jusque dans les manuels scolaires a même semblé longtemps réfractaire pour poser les questions sous un angle mixte, comme le note par exemple Véronique Garrigues, enseignante en histoire-géographie, qui milite de longue date à Mnémosyne : “Les éditeurs placent en couverture des femmes parce qu’apparemment ça fait mieux vendre, et mettent des documents illustrés dans leurs manuels, où l’on voit des femmes… mais sans poser une seule question sur les femmes, ou sur les rapports de genre. Alors qu’on constate une demande sociale très forte, y compris chez nos élèves qui sont contents - et pas seulement les filles - de découvrir que les femmes sont aussi actrices de l’histoire, les programmes scolaires sont à la traîne.”

Longtemps, la présence des femmes fut ainsi subliminale. Elle n’était du moins pas explicite, comme l’a démontré l’historienne Michelle Zancarini-Fournel dans une étude empirique (en 2004 pour les “Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique”) sur l’enseignement de l’histoire qui permet de prendre la mesure du chemin parcouru. Aujourd’hui, les femmes sont censées être moins minorées dans les derniers programmes scolaires rendus publics, qui s’appliquent depuis 2019 et sont publics et consultables ici. Vous y trouverez une demi-douzaine de grandes figures emblématiques conçues comme ce que l’on appelle des “points de passage” dans le jargon de l’Éducation nationale : Émilie du Châtelet aux côtés de Galilée et Voltaire pour le siècle des Lumières, Pauline Roland sous la Révolution, et plus tardivement, l’inoxydable Marie Curie pour le début du XXe siècle. Or cette mise en valeur de quelques effigies censées redresser les silences de l’histoire scolaire (mais plus de l’historiographie depuis longtemps) reste problématique. Bien sûr, elle signifie que l’institution scolaire a pris la mesure du grand vide, et affiche l’effort d’y remédier.

Mais à la manière d’une maladie infantile des programmes scolaires de bonne volonté, cette politique d’iconisation d’un tout petit nombre d’héroïnes exemplaires, qui se dévoilent aussi comme des figures acceptables, n’est pas sans poser problème : triées sur le volet, ces femmes sont non seulement l’arbre qui cache la forêt, à la manière de l’éternelle Jeanne d’Arc, spectaculaire effigie de femmes en armes qui reste surtout représentative d’elle-même, et a toujours campé l’exception dans l’imaginaire scolaire français ; mais encore induisent-elles des biais, puisqu’elles campent d’abord des femmes fortes, charismatiques, spectaculaires, au destin extraordinaire. Elles échappaient à leur condition et c’est d’abord pour cela qu’on les reconnait, au risque d’entraver tout l’accès à une connaissance plus fine mais plus sinueuse des rapports de genre, qu’une histoire mixte d’une époque restituerait plus fidèlement.

Trivial pursuit vs école

Ce processus qui consiste à lister une demi-douzaine de grandes figures féminines dignes d’être enseignées devant les élèves du second degré va à l’encontre de toute la tradition académique d’une histoire sociale davantage attentive aux signaux faibles de la participation politique, de la citoyenneté, ou encore au quotidien et à des ordres symboliques plus subtils et moins clinquants. Il est aussi problématique parce qu’il n’échappe pas à des biais liés à la manière dont se fabrique le récit historique. Louise Michel compte par exemple parmi les grandes figures féminines sélectionnées par l’Éducation nationale pour être au programme comme “point de passage”. Or choisir Louise Michel lorsque l’on enseigne devant des élèves et qu’on ne joue pas au Trivial Pursuit, c’est choisir une star, une icône, une emblème, et un symbole. Mais c’est aussi courir le risque de présenter aux élèves une image largement distordue de la Commune de Paris. Si Louise Michel est bien sûr le visage le plus connu du camp communard depuis 1871, et bien sûr la communarde restée la plus célèbre depuis 150 ans, son histoire n’est en effet pas exempt de biais qui la distinguent parmi les autres communardes.

Née bâtarde en 1830, celle qui deviendra une institutrice iconoclaste avant de prendre les armes en participant au soulèvement de Paris dès le 18 mars 1871 au petit matin a par exemple amplement contribué à sa propre légende, dans la mesure où, contrairement à l’immense majorité des actrices de la Commune, elle a laissé quantité d’écrits, et même des Mémoires. Vêtue en habit d’homme, et outillée d’un fusil chassepot lorsqu’elle a pu faire le coup de feu une fois venu le temps des barricades, sa consécration dans les mémoires puis dans les imaginaires a pu ancrer l’idée que les femmes investies dans la Commune étaient toutes en pantalon, et directement engagées dans la mobilisation armée, du côté des fortifications lorsqu’il s’agissait d’enfoncer Versailles, puis dans Paris lors de la déroute du camp communard. Or ce n’est pas le cas, et quantité de Parisiennes ont pu s’investir sans revêtir cet uniforme masculin si subversif, ou encore faire bien autre chose que prendre part à l’action armée, qui n’a pas représenté le quotidien de toute la séquence communaliste : à Paris, sous la Commune, les restaurants, les cafés, les théâtres, sont longtemps restés ouverts, et si l’on débattait, parlementait ou s’organisait pour travailler, c’est bien que tout Paris n’a pas fait que se battre en armes, 72 jours durant.

En hissant Louise Michel à ce nouveau Panthéon scolaire au prix de raccourcis évidents alors que l’enseignement de l’histoire-géographie se fait dans des volumes horaires de plus en plus restreints, les derniers programmes en date ont figé une égérie révolutionnaire dans les esprits, sans que les élèves aient pour autant les moyens de décoder tout le processus de canonisation qui a consacré Louise Michel. Or Louise Michel est en quelque sorte devenue Louise Michel - du moins en tant qu’icône. Et c’est seulement au tamis des nombreuses strates qui ont vu son mausolée s’édifier puis se consolider, qu’on peut prendre la mesure de ce qu’elle a profondément représenté : certes, une femme qu’on dirait aujourd’hui puissante, audacieuse, courageuse aussi, et qui ne manquait pas de charisme et du sens de l’aventure. Mais aussi, et peut-être au moins autant, une actrice qui a fait l’objet d’usages politiques multiples pour être réappropriées par différents groupes politiques, anarchistes d’abord, puis communistes sur le tard au XXe siècle, avant de devenir cette égérie si œcuménique que les époux Balkany, à la tête de la mairie de Levallois-Perret, sur les flancs de Paris, n’ont jamais manqué d’entretenir le souvenir de celle qui repose dans le cimetière de la ville depuis sa mort, en 1905 : Louise Michel, désormais icône queer dont la recherche montre qu’il faut interroger plus finement et avec modération le féminisme, est devenue une figure suffisamment rock’n roll pour être mobilisée par un très grand nombre. Au risque que son image se substitue à tout ce que la connaissance historique a permis de dire d’elle.

Mais qui saura, sans lire par exemple la politiste Sidonie Verhaeghe qui justement a fait sa thèse de doctorat sur la postérité de Louise Michel, en 2016, et publié aux éditions du Croquant un livre sans équivalent pour décrypter cette iconisation, que c’est plutôt au retour de déportation en Nouvelle-Calédonie, qu’elle est devenue une figure politique reconnue, invitée à plus de cent-soixante réunions publiques en l’intervalle de deux ans, après 1880 ? Ou encore qu’au journaliste de La Presse qui lui demandait ce qu’elle pensait des revendications féminines, elle avait répondu, en 1883 : “Aberration. La femme ne doit pas réclamer sa place parmi les oppresseurs, son seul devoir est de la tenir dans la révolte.” Ce ne sont pourtant pas des propos sortis de leur contexte : dix ans plus tard, c’est la même Louise Michel qui affirmait encore, lors d’une autre interview : “On a répété souvent que j’étais féministe. Je ne suis pas féministe. Pourquoi réclamer, en effet, pour les femmes des droits politiques puisque, dans l’anarchie future, il n’y aura plus de gouvernement, plus d’autorité ?”

Au moment du 150e anniversaire de la Commune de Paris, en 2021, on retrouvait soixante-trois rééditions de textes de Louise Michel, qui ont contribué à installer la postérité de la militante. Mais entre 1905, l'année de sa mort, et 1968, elle n'avait en réalité été rééditée qu'à trois reprises, en tant qu'autrice. C'est seulement après le moment de 1968 que l'activité éditoriale s'intensifiera autour de Louise Michel, plus de six décennies après sa mort : le moment de sa canonisation était arrivé jusqu'au stade du marché des librairies. La parution - ou leur republication - de textes signés de Louise Michel s'étalera ainsi de la fin des années 1960 jusqu'à 2021, à raison de six ou sept par tranche de dix ans... mais avec une nette accélération après 2010, avec pas moins de vingt-et-un titres parus entre 2010 et 2020 : Louise Michel était devenue une icône consacrée. C'est exactement au même moment qu'elle rejoignait les programmes scolaires en tant que grande figure incontournable.

Chloé Leprince

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Coup de coeur... Annie Leclerc...

8 Mars 2023 , Rédigé par christophe Publié dans #Litterature, #Femme, #Droit des femmes

Rien n’existe qui ne soit le fait de l’homme, ni pensée, ni parole, ni mot. Rien n’existe encore qui ne soit le fait de l’homme ; pas même moi, surtout pas moi. Tout est à inventer. Les choses de l’homme ne sont pas seulement bêtes, mensongères et oppressives. Elles sont tristes surtout, tristes à en mourir d’ennui et de désespoir.
Inventer une parole de femme. Mais pas de femme comme il est dit dans la parole de l’homme ; car celle-là peut bien se fâcher, elle répète. Toute femme qui veut tenir un discours qui lui soit propre ne peut se dérober à cette urgence extraordinaire : inventer la femme. C’est une folie, j’en conviens. Mais c’est la seule raison qui me reste.
Qui parle ici ? Qui a jamais parlé ? Assourdissant tumulte des grandes voix ; pas une n’est de femme. Je n’ai pas oublié le nom des grands parleurs. Platon et Aristote et Montaigne, et Marx et Freud et Nietzsche… Je les connais pour avoir vécu parmi eux et seulement parmi eux. Ces plus fortes voix sont aussi celles qui m’ont le plus réduite au silence. Ce sont ces superbes parleurs qui mieux que tout autre m’ont forcée à me taire.
Qui parle dans les gros livres sages des bibliothèques ? Qui parle au Capitole ? Qui parle au temple ? Qui parle à la tribune et qui parle dans les lois ? Les hommes ont la parole. Le monde est la parole de l’homme. Les paroles des hommes ont l’air de se faire la guerre. C’est pour faire oublier qu’elles disent toutes la même chose : notre parole d’homme décide. Le monde est la parole de l’homme. L’homme est la parole du monde.
Annie Leclerc - Parole de femme
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La visibilité des femmes scientifiques est décisive pour l'orientation des lycéennes

1 Mars 2023 , Rédigé par Slate Publié dans #Education, #Femme

https://www.francebleu.fr/s3/cruiser-production/2022/12/a60f1dd1-fe66-4f95-920e-2558f528b552/1200x680_photo-2022-12-01-12-53-15.jpg

EXTRAIT

À partir du lycée, nombreuses sont les jeunes filles qui se détournent des filières scientifiques. Leur permettre de dialoguer avec des ingénieures et chercheuses peut-il modifier leurs choix?

L'égalité entre les femmes et les hommes a été déclarée grande cause nationale par le président de la République, Emmanuel Macron. Réaliser les conditions de cette égalité commence dès le plus jeune âge, à l'école, comme le rappelle l'article L121-1 du Code de l'éducation, qui dispose que «les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d'enseignement supérieur […] contribuent à favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d'orientation». Or les chiffres montrent que nous sommes encore loin du compte.

Après le collège, premier temps fort dans l'orientation des élèves, les filles s'orientent pour la plupart vers la voie générale et technologique (71%), quand seulement un peu plus de la moitié des garçons optent pour cette voie (57%), l'autre moitié se dirigeant vers la voie professionnelle. C'est ensuite au lycée que les jeunes filles commencent à se détourner massivement des sciences dites «dures» (mathématiques et sciences de l'ingénieur) et du numérique, quand les garçons se détournent des filières plus littéraires.

À la rentrée 2021, les filles ne représentent, par exemple, que 40% des effectifs de l'enseignement de spécialité de mathématiques et seulement 13% des effectifs de sciences de l'ingénieur et du numérique. Ces choix d'enseignements de spécialités préfigurent très largement l'orientation post-bac des élèves, où les filles ne constituent que 17% des effectifs d'étudiants en mathématiques, ingénierie et informatique.

Or, le simple fait que filles et garçons ne fassent pas les mêmes choix d'orientation, et notamment le fait que les filles soient sous-représentées au sein de certaines filières scientifiques, explique entre un tiers et un quart des écarts de rémunérations entre les femmes et les hommes sur le marché du travail.

(...)

Marion Monnet

Suite et fin en cliquant ci-dessous

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Féminisme dans la fiction : quand Bechdel regarde Molière

30 Janvier 2023 , Rédigé par The Conversation Publié dans #Femme

Féminisme dans la fiction : quand Bechdel regarde Molière
Allison Bechdel et Jean-Baptiste Poquelin.
Christophe Schuwey, Université de Bretagne Sud

Quel est le point commun entre Toy Story 3, Singin’ in the Rain, La Ménagerie de verre de Tennessee Williams et Le Misanthrope de Molière ? Chacune de ces œuvres passe avec succès le « test de Bechdel », nommé d’après la célèbre autrice de bandes dessinées Allison Bechdel.

Il consiste en trois questions, aussi simples qu’efficaces : l’œuvre a-t-elle 1) au moins deux personnages féminins, 2) qui parlent ensemble, 3) de quelque chose d’autre que des hommes (au moins une fois) ? Rien d’insurmontable… a priori.

Pourtant, parmi les presque 10 000 films répertoriés sur bechdeltest.com, seuls 57 % satisfont aux trois critères. Le constat souligne les biais de l’industrie culturelle : celle d’aujourd’hui… et celle d’autrefois.

Non, Molière n’était pas féministe avant l’heure

Quid en effet de Molière, dont on fêtait les 400 ans en 2022 ? C’est la question posée dans L’Atlas Molière, ouvrage qui décrypte la carrière du dramaturge en récits et en infographies, auquel j’ai contribué. L’auteur de L’École des femmes, celui qui doit sa carrière à l’immense Madeleine Béjart, met-il en scène des femmes qui parlent d’autre chose que des hommes ? De fait, fort peu.

L’Atlas Molière.

L’École des femmes, par exemple, échoue à ce test. Le sujet de la pièce n’est d’ailleurs pas particulièrement progressiste : en ridiculisant le jaloux Arnolphe, Molière se range du côté de la majorité. Alors que l’émission « Secrets d’histoire » avait affabulé un Molière féministe, quitte à déformer les propos de ses invitées, les trois questions de Bechdel nous forcent à regarder, de front, le rôle des femmes dans le théâtre de Molière.

Aux origines, une critique de la culture mainstream

Le test de Bechdel apparaît pour la première fois dans un épisode des « Dykes to watch out for » (« Lesbiennes à suivre »), une série de strips emblématiques de la contre-culture des années 1980 que l’autrice publie à partir de 1983. En 1985, dans « The Rule » (« La Règle »), l’une des deux protagonistes partage ses trois critères pour choisir un film : il faut qu’il y ait au moins deux femmes, et qui parlent ensemble, d’autre chose que des hommes. Incapables de trouver un film qui corresponde à ces critères, les deux amies préfèrent rentrer chez elles pour manger du pop-corn, sans cinéma.

Ce qu’on appelle aujourd’hui test de Bechdel n’est donc à l’origine ni un test, ni vraiment une mesure de féminisme, mais une critique piquante de la production culturelle mainstream.

Allison Bechdel rappelle d’ailleurs régulièrement dans la presse et sur son blog qu’elle n’a pas inventé cette règle, et se montre très dubitative face à l’usage tous azimuts qui en est fait. Car le strip est devenu entre temps une sorte de norme : on l’applique au cinéma, au théâtre, à la comédie musicale ou encore aux romans graphiques ; la règle a également été adaptée aux questions raciales par le blog Angry Black Women. L’enthousiasme est collectif, collaboratif, joyeux et fécond dans les débats qu’il suscite.

The Rule. dykestowatchoutfor.com/the-rule

Mais la transformation d’un strip situé dans le temps en un label féministe général ne va pas sans poser de problèmes. Les trois critères n’ont pas pour vocation, et de loin, de couvrir les différentes représentations possible des femmes, ni de prendre en compte les questions fondamentales d’intersectionnalité. Par ailleurs, le test produit des résultats parfois surprenants : Twilight, film souvent considéré comme sexiste, satisfait presque par hasard aux trois critères, alors que Gravity, a priori plus progressiste, ne passe pas la rampe.

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Pourtant, c’est bien cette simplicité radicale qui fait toute la force et la pertinence du test. Que l’on observe le théâtre ou le cinéma, qu’il s’agisse du XVIIe siècle ou d’aujourd’hui, le fait de constater qu’aucune femme ne parle d’autre chose que des hommes ne peut pas être anodin, encore moins lorsque le constat se répète. Significatif, donc, mais pas péremptoire. Le résultat n’est ni une garantie de féminisme ni une condamnation pour sexisme. C’est plutôt un point d’entrée, une question évidente dès lors qu’on la formule : pourquoi tant de femmes représentées ne parlent-elles que d’hommes, alors que la réciproque – des hommes qui ne parleraient que de femmes – ne se vérifie pas du tout : 95 % des films passent le test inversé.

Les pièces de Molière à l’épreuve

Transposée à Molière, la problématique est féconde. L’Atlas Molière indique que seules 7 pièces sur 30 satisfont aux trois critères ; certes, mais encore faut-il comprendre pourquoi. Surprise : alors que la pièce ne parle que d’amour, La Princesse d’Élide passe presque le test – et le rate pour une raison particulièrement frappante. Au début de l’acte II, la princesse entourée de ses amies, profite de la campagne, loin des tracas de la cour :

Oui j’aime à demeurer dans ces paisibles lieux,
On n’y découvre rien qui n’enchante les yeux,
Et de tous nos Palais la savante structure
Cède aux simples beautés qu’y forme la nature.

Des femmes, entre elles, qui profitent de la nature ? C’était sans compter sur Aglante qui lui reproche immédiatement de ne pas s’intéresser aux princes qui la courtisent :

Mais à vous dire vrai dans ces jours éclatants
Vos retraites ici me semblent hors de temps,
Et c’est fort maltraiter l’appareil magnifique
Que chaque Prince a fait pour la Fête publique.
La dynamique à l’œuvre est claire : il faut parler des hommes ! Elle dialogue avec celle décrite par cette personne anonyme à propos de la BD Watchmen : « est-ce que, vraiment, TOUTES les conversations de Laurie avec sa mère doivent traiter des garçons ? »

Le test de Bechdel selon L’Atlas Molière. Clara DeAlberto, Jules Grandin, Christophe Schuwey, L’Atlas Molière, Paris, Les Arènes, 2022, p. 207

Le Misanthrope passe en revanche le test grâce à Célimène et Arsinoé, des personnages-types de coquette vedette et de fausse prude. Leur altercation, feu d’artifice rhétorique, révèle les deux personnages sous un jour brillant, remarquable de méchanceté et de finesse, où chacun ne parle que de l’autre et de ses comportements. Mais pourquoi ? Sur Twitter, la question s’est posée : si Célimène et Arsinoé se battent, c’est, au fond… à cause d’Alceste. Faut-il alors réduire leur brillante passe d’armes sous prétexte que c’est un homme qui alimente leur dispute ?

Les échecs répétés des pièces de Molière à passer le test avec succès – même les Femmes Savantes ne cherchent au fond qu’à impressionner Trissotin – appellent mieux que des réponses convenues. Ce n’est ni une simple affaire de convention théâtrale, ni simplement la culture du XVIIe siècle ; ou plutôt, la convention théâtrale est bien plus qu’une affaire de théâtre. Si, malgré quatre cents ans d’écart, Molière et le cinéma s’en sortent aussi mal, c’est que le problème ne tient pas à l’époque ou au genre.

Des impératifs de succès et de rentabilité

Pour le cinéma, la productrice Jennifer Kesler relie le problème à la formation reçue. Parmi les recettes du succès transmises aux scénaristes, « la règle empirique est de ne pas donner un rôle trop actif aux personnages féminins ». Or le théâtre du XVIIe siècle est également une industrie, un commerce, et Molière, un brillant entrepreneur.

Sa recette du succès, c’est de savoir saisir l’actualité et les sujets en vogue pour les mettre en scène. C’est pour cela qu’il peut produire tour à tour les Précieuses ridicules, comédie qui raille les prétentions émancipatrices des femmes, et L’École des femmes qui défend leur droit à choisir un époux. Pour assurer une production rapide et constante, il recourt à des recettes dramaturgiques prêtes à l’emploi, telle que le mariage empêché, qui prédispose les personnages féminins à ne parler que d’hommes.

Comme le cinéma hollywoodien, les pièces de Molière sont soumises aux impératifs de succès et de rentabilité. Il n’écrit pas des personnages, il organise les bons mots situations comiques entre des rôles types, afin de structurer au mieux la pièce. S’il donne à Célimène un rôle central dans le Misanthrope, c’est pour soutenir la dynamique de la pièce, non parce qu’il peint une femme forte.

À force de répétition, la norme emprisonne les représentations féminines dans des rôles convenus qui, manifestement, se sont propagés pendant 400 ans. C’est là, alors, que la simplicité radicale du test de Bechdel fait tomber les masques : autrefois comme aujourd’hui, il ne suffit pas d’intituler sa pièce L’École des femmes ou de donner le rôle principal à un personnage féminin pour faire acte de féminisme. S’il n’y a même pas l’espace pour que deux femmes s’entretiennent, entre elles, d’autre chose que des hommes, il y a tout de même un vrai un problème de représentation.The Conversation

Christophe Schuwey, Maître de conférences en littérature du XVIIe siècle et humanités numériques, Université de Bretagne Sud

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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C'était en octobre 2022... #Metoo : une question d'éducation

10 Janvier 2023 , Rédigé par France Culture Publié dans #Education, #Femme

Le mouvement #Metoo rattrape le monde du théâtre, dont les victimes sortent  du silence : Femme Actuelle Le MAG

(A écouter en cliquant sur le lien de bas de page)

Résumé

5 ans après : comment l'éducation et l'école, se sont emparé de #Metoo ?

avec :

Isabelle Clair (sociologue), Gaëlle Perrin (Chargée de mission "éducation à l’égalité" au centre Hubertine Auclert, centre francilien pour l'égalité Femmes-Hommes), Anaïs Alessi (Professeure en collège dans l'académie de Lyon), Mathilde Levêque (Maîtresse de conférence en littérature au laboratoire Pléiade à l'université Sorbonne Paris Nord).

En savoir plus

Le 5 octobre cela fera 5 ans que le mouvement #Metoo a commencé, que la parole des femmes a circulé sur les réseaux sociaux avec ce hashtag ou un autre ici en France : #balance ton porc. Des mots clés pour raconter dans un même et grand mouvement les propos et les gestes déplacés, le harcèlement, la violence sexuelle. Les témoignages furent si nombreux qu’ils ne purent pas, plus, être ignorés. Et nous avons dû réfléchir collectivement à la banalité et la brutalité de ce que subissent les femmes, les filles… car oui, il faut entendre cela aussi : les réflexions et les violences sexuées commencent très tôt.

Vous allez l’entendre cette semaine, nous serons nombreux sur notre chaîne à nous emparer du sujet, et ce soir je voulais en parler - en reparler - dans Être et Savoir, car pour que les comportements évoluent, l'éducation est une clef, un enjeu crucial. Pour le dire autrement, #Metoo - ou "la métamorphose de la civilité sexuelle", c'est totalement un sujet d'éducation.

Alors, depuis 5 ans, comment les éducateurs se sont-ils emparé de la question ? Comment ces débats ont-ils traversé l'école ? En classe, côté élèves, côtés enseignants... Quelle place donner à ces discussions, avec quels moyens, comment les mener ?

On en parle avec nos invitées : Isabelle Clair, sociologue, chargée de recherche au CNRS au sein de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS) à l’EHESS, autrice notamment de Sociologie du genre (réédition prévue au premier semestre 2023 chez Armand Colin) et Les jeunes et l’amour dans les cités (Armand Colin, 2008), Gaëlle Perrin, chargée de mission "éducation à l’égalité" au centre Hubertine Auclert, centre francilien pour l'égalité Femmes-Hommes, Anaïs Alessi, professeure en collège dans l'académie de Lyon, et Mathilde Lévêque, maîtresse de conférence en littérature au laboratoire Pléiade à l'université Sorbonne Paris Nord, en charge du projet européen GBOOK 2: European teens as readers and creators of gender-positive narrative.

La citation

"Les violences sexuelles arrivent très tôt et concernent d'abord les jeunes, le moment où ça devient un phénomène collectif massif c'est la fin de l'adolescence, ce sont quand même les jeunes femmes qui sont les principales cibles de ces violences ", Isabelle Clair

Pour aller plus loin

Lien vers le rapport du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) : Égalité, stéréotypes, discriminations entre les femmes et les hommes : perceptions et vécus chez les jeunes générations en 2022 (28/02/22)

Bibliographie

Quelle égalité pour l’école ? Loïc Szerdahelyi (L’Harmattan, 2022)

Le consentement, on en parle ? Justin Hancock et Fuchsia MacAree (Gallimard, 2022)

Moi aussi : la nouvelle civilité sexuelle, Irène Théry (Seuil, 2022)

Illustrations sonores

"Balance ton quoi", Angèle (2019)

Extrait du reportage : "Harcèlement sexuel : metoo" sur France 3 (JT de 12-13H du 16/10/2017)

Voix du ministre de l'éducation nationale Pap Ndiaye dans le "8h30 de France Info" le 12/09/2022

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Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022 : «J’écris pour venger ma race et venger mon sexe»

8 Décembre 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Litterature, #Droit des femmes, #Femme, #Feminisme

À Stockholm, Annie Ernaux met en garde contre une « idéologie de repli » -  Elle

L’écrivaine doit recevoir samedi le prix Nobel de littérature qui lui a été attribué le 6 octobre. «Libération» publie son discours, prononcé mercredi 7 décembre à Stockholm.

Par où commencer ? Cette question, je me la suis posée des dizaines de fois devant la page blanche. Comme s’il me fallait trouver la phrase, la seule, qui me permettra d’entrer dans l’écriture du livre et lèvera d’un seul coup tous les doutes. Une sorte de clef. Aujourd’hui, pour affronter une situation que, passé la stupeur de l’événement – «est-ce bien à moi que ça arrive ?» – mon imagination me présente avec un effroi grandissant, c’est la même nécessité qui m’envahit. Trouver la phrase qui me donnera la liberté et la fermeté de parler sans trembler, à cette place où vous m’invitez ce soir.

Cette phrase, je n’ai pas besoin de la chercher loin. Elle surgit. Dans toute sa netteté, sa violence. Lapidaire. Irréfragable. Elle a été écrite il y a soixante ans dans mon journal intime. J’écrirai pour venger ma race. Elle faisait écho au cri de Rimbaud : «Je suis de race inférieure de toute éternité». (1) J’avais vingt-deux ans. J’étais étudiante en Lettres dans une faculté de province, parmi des filles et des garçons pour beaucoup issus de la bourgeoisie locale. Je pensais orgueilleusement et naïvement qu’écrire des livres, devenir écrivain, au bout d’une lignée de paysans sans terre, d’ouvriers et de petits commerçants, de gens méprisés pour leurs manières, leur accent, leur inculture, suffirait à réparer l’injustice sociale de la naissance. Qu’une victoire individuelle effaçait des siècles de domination et de pauvreté, dans une illusion que l’Ecole avait déjà entretenue en moi avec ma réussite scolaire. En quoi ma réalisation personnelle aurait-elle pu racheter quoi que ce soit des humiliations et des offenses subies ? Je ne me posais pas la question. J’avais quelques excuses.

Depuis que je savais lire, les livres étaient mes compagnons, la lecture mon occupation naturelle en dehors de l’école. Ce goût était entretenu par une mère, elle-même grande lectrice de romans entre deux clients de sa boutique, qui me préférait lisant plutôt que cousant et tricotant. La cherté des livres, la suspicion dont ils faisaient l’objet dans mon école religieuse, me les rendaient encore plus désirables. Don Quichotte, Voyages de Gulliver, Jane Eyre, contes de Grimm et d’Andersen, David Copperfield, Autant en emporte le vent, plus tard les Misérables, les Raisins de la colère, la Nausée, l’Etranger : c’est le hasard, plus que des prescriptions venues de l’Ecole, qui déterminait mes lectures.

Le choix de faire des études de lettres avait été celui de rester dans la littérature, devenue la valeur supérieure à toutes les autres, un mode de vie même qui me faisait me projeter dans un roman de Flaubert ou de Virginia Woolf et de les vivre littéralement. Une sorte de continent que j’opposais inconsciemment à mon milieu social. Et je ne concevais l’écriture que comme la possibilité de transfigurer le réel.

Urgence secrète et absolue

Ce n’est pas le refus d’un premier roman par deux ou trois éditeurs – roman dont le seul mérite était la recherche d’une forme nouvelle – qui a rabattu mon désir et mon orgueil. Ce sont des situations de la vie où être une femme pesait de tout son poids de différence avec être un homme dans une société où les rôles étaient définis selon les sexes, la contraception interdite et l’interruption de grossesse un crime. En couple avec deux enfants, un métier d’enseignante, et la charge de l’intendance familiale, je m’éloignais de plus en plus chaque jour de l’écriture et de ma promesse de venger ma race. Je ne pouvais lire «La parabole de la loi» dans le Procès de Kafka sans y voir la figuration de mon destin : mourir sans avoir franchi la porte qui n’était faite que pour moi, le livre que seule je pourrais écrire.

Mais c’était sans compter sur le hasard privé et historique. La mort d’un père qui décède trois jours après mon arrivée chez lui en vacances, un poste de professeur dans des classes dont les élèves sont issus de milieux populaires semblables au mien, des mouvements mondiaux de contestation : autant d’éléments qui me ramenaient par des voies imprévues et sensibles au monde de mes origines, à ma «race», et qui donnaient à mon désir d’écrire un caractère d’urgence secrète et absolue. Il ne s’agissait pas, cette fois, de me livrer à cet illusoire «écrire sur rien» de mes vingt ans, mais de plonger dans l’indicible d’une mémoire refoulée et de mettre au jour la façon d’exister des miens. Ecrire afin de comprendre les raisons en moi et hors de moi qui m’avaient éloignée de mes origines.

Aucun choix d’écriture ne va de soi. Mais ceux qui, immigrés, ne parlent plus la langue de leurs parents, et ceux, transfuges de classe sociale, n’ont plus tout à fait la même, se pensent et s’expriment avec d’autres mots, tous sont mis devant des obstacles supplémentaires. Un dilemme. Ils ressentent, en effet, la difficulté, voire l’impossibilité d’écrire dans la langue acquise, dominante, qu’ils ont appris à maîtriser et qu’ils admirent dans ses œuvres littéraires, tout ce qui a trait à leur monde d’origine, ce monde premier fait de sensations, de mots qui disent la vie quotidienne, le travail, la place occupée dans la société. Il y a d’un côté la langue dans laquelle ils ont appris à nommer les choses, avec sa brutalité, avec ses silences, celui, par exemple, du face-à-face entre une mère et un fils, dans le très beau texte d’Albert Camus, «Entre oui et non». De l’autre, les modèles des œuvres admirées, intériorisées, celles qui ont ouvert l’univers premier et auxquelles ils se sentent redevables de leur élévation, qu’ils considèrent même souvent comme leur vraie patrie. Dans la mienne figuraient Flaubert, Proust, Virginia Woolf : au moment de reprendre l’écriture, ils ne m’étaient d’aucun secours. Il me fallait rompre avec le «bien écrire», la belle phrase, celle-là même que j’enseignais à mes élèves, pour extirper, exhiber et comprendre la déchirure qui me traversait. Spontanément, c’est le fracas d’une langue charriant colère et dérision, voire grossièreté, qui m’est venue, une langue de l’excès, insurgée, souvent utilisée par les humiliés et les offensés, comme la seule façon de répondre à la mémoire des mépris, de la honte et de la honte de la honte.

Très vite aussi, il m’a paru évident – au point de ne pouvoir envisager d’autre point de départ – d’ancrer le récit de ma déchirure sociale dans la situation qui avait été la mienne lorsque j’étais étudiante, celle, révoltante, à laquelle l’Etat français condamnait toujours les femmes, le recours à l’avortement clandestin entre les mains d’une faiseuse d’anges. Et je voulais décrire tout ce qui est arrivé à mon corps de fille, la découverte du plaisir, les règles. Ainsi, dans ce premier livre, publié en 1974, sans que j’en sois alors consciente, se trouvait définie l’aire dans laquelle je placerais mon travail d’écriture, une aire à la fois sociale et féministe. Venger ma race et venger mon sexe ne feraient qu’un désormais.

Comment ne pas s’interroger sur la vie sans le faire aussi sur l’écriture ? Sans se demander si celle-ci conforte ou dérange les représentations admises, intériorisées sur les êtres et les choses ? Est-ce que l’écriture insurgée, par sa violence et sa dérision, ne reflétait pas une attitude de dominée ? Quand le lecteur était un privilégié culturel, il conservait la même position de surplomb et de condescendance par rapport au personnage du livre que dans la vie réelle. C’est donc, à l’origine, pour déjouer ce regard qui, porté sur mon père dont je voulais raconter la vie, aurait été insoutenable et, je le sentais, une trahison, que j’ai adopté, à partir de mon quatrième livre, une écriture neutre, objective, «plate» en ce sens qu’elle ne comportait ni métaphores, ni signes d’émotion. La violence n’était plus exhibée, elle venait des faits eux-mêmes et non de l’écriture. Trouver les mots qui contiennent à la fois la réalité et la sensation procurée par la réalité, allait devenir, jusqu’à aujourd’hui, mon souci constant en écrivant, quel que soit l’objet.

Le «je», une conquête démocratique

Continuer à dire «je» m’était nécessaire. La première personne – celle par laquelle, dans la plupart des langues, nous existons, dès que nous savons parler, jusqu’à la mort – est souvent considérée, dans son usage littéraire, comme narcissique dès lors qu’elle réfère à l’auteur, qu’il ne s’agit pas d’un «je» présenté comme fictif. Il est bon de rappeler que le «je», jusque-là privilège des nobles racontant des hauts faits d’armes dans des Mémoires, est en France une conquête démocratique du XVIIIe siècle, l’affirmation de l’égalité des individus et du droit à être sujet de leur histoire, ainsi que le revendique Jean-Jacques Rousseau dans ce premier préambule des Confessions «Et qu’on n’objecte pas que n’étant qu’un homme du peuple, je n’ai rien à dire qui mérite l’attention des lecteurs. […] Dans quelque obscurité que j’aie pu vivre, si j’ai pensé plus et mieux que les Rois, l’histoire de mon âme est plus intéressante que celle des leurs.» (2)

Ce n’est pas cet orgueil plébéien qui me motivait (encore que…) mais le désir de me servir du «je» – forme à la fois masculine et féminine – comme un outil exploratoire qui capte les sensations, celles que la mémoire a enfouies, celles que le monde autour ne cesse de nous donner, partout et tout le temps. Ce préalable de la sensation est devenu pour moi à la fois le guide et la garantie de l’authenticité de ma recherche. Mais à quelles fins ? Il ne s’agit pas pour moi de raconter l’histoire de ma vie ni de me délivrer de ses secrets mais de déchiffrer une situation vécue, un événement, une relation amoureuse, et dévoiler ainsi quelque chose que seule l’écriture peut faire exister et passer, peut-être, dans d’autres consciences, d’autres mémoires. Qui pourrait dire que l’amour, la douleur et le deuil, la honte, ne sont pas universels ? Victor Hugo a écrit : «Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui» (3). Mais toutes choses étant vécues inexorablement sur le mode individuel – «c’est à moi que ça arrive» – elles ne peuvent être lues de la même façon que si le «je» du livre devient, d’une certaine façon, transparent, et que celui du lecteur ou de la lectrice vienne l’occuper. Que ce «je» soit en somme transpersonnel.

C’est ainsi que j’ai conçu mon engagement dans l’écriture, lequel ne consiste pas à écrire «pour» une catégorie de lecteurs, mais «depuis» mon expérience de femme et d’immigrée de l’intérieur, depuis ma mémoire désormais de plus en plus longue des années traversées, depuis le présent, sans cesse pourvoyeur d’images et de paroles des autres. Cet engagement comme mise en gage de moi-même dans l’écriture est soutenu par la croyance, devenue certitude, qu’un livre peut contribuer à changer la vie personnelle, à briser la solitude des choses subies et enfouies, à se penser différemment. Quand l’indicible vient au jour, c’est politique.

Idéologie de repli et de fermeture

On le voit aujourd’hui avec la révolte de ces femmes qui ont trouvé les mots pour bouleverser le pouvoir masculin et se sont élevées, comme en Iran, contre sa forme la plus archaïque. Ecrivant dans un pays démocratique, je continue de m’interroger, cependant, sur la place occupée par les femmes dans le champ littéraire. Leur légitimité à produire des œuvres n’est pas encore acquise. Il y a dans le monde, y compris dans les sphères intellectuelles occidentales, des hommes pour qui les livres écrits par les femmes n’existent tout simplement pas, ils ne les citent jamais. La reconnaissance de mon travail par l’Académie suédoise constitue un signal d’espérance pour toutes les écrivaines.

Dans la mise au jour de l’indicible social, cette intériorisation des rapports de domination de classe et /ou de race, de sexe également, qui est ressentie seulement par ceux qui en sont l’objet, il y a la possibilité d’une émancipation individuelle mais aussi collective. Déchiffrer le monde réel en le dépouillant des visions et des valeurs dont la langue, toute langue, est porteuse, c’est en déranger l’ordre institué, en bouleverser les hiérarchies.

Mais je ne confonds pas cette action politique de l’écriture littéraire, soumise à sa réception par le lecteur ou la lectrice avec les prises de position que je me sens tenue de prendre par rapport aux événements, aux conflits et aux idées. J’ai grandi dans la génération de l’après-Guerre mondiale où il allait de soi que des écrivains et des intellectuels se positionnent par rapport à la politique de la France et s’impliquent dans les luttes sociales. Personne ne peut dire aujourd’hui si les choses auraient tourné autrement sans leur parole et leur engagement. Dans le monde actuel, où la multiplicité des sources d’information, la rapidité du remplacement des images par d’autres, accoutument à une forme d’indifférence, se concentrer sur son art est une tentation. Mais, dans le même temps, il y a en Europe – masquée encore par la violence d’une guerre impérialiste menée par le dictateur à la tête de la Russie – la montée d’une idéologie de repli et de fermeture, qui se répand et gagne continûment du terrain dans des pays jusqu’ici démocratiques. Fondée sur l’exclusion des étrangers et des immigrés, l’abandon des économiquement faibles, sur la surveillance du corps des femmes, elle m’impose, à moi, comme à tous ceux pour qui la valeur d’un être humain est la même, toujours et partout, un devoir d’extrême vigilance.

En m’accordant la plus haute distinction littéraire qui soit, c’est un travail d’écriture et une recherche personnelle menés dans la solitude et le doute qui se trouvent placés dans une grande lumière. Elle ne m’éblouit pas. Je ne regarde pas l’attribution qui m’a été faite du prix Nobel comme une victoire individuelle. Ce n’est ni orgueil ni modestie de penser qu’elle est, d’une certaine façon, une victoire collective. J’en partage la fierté avec ceux et celles qui, d’une façon ou d’une autre, souhaitent plus de liberté, d’égalité et de dignité pour tous les humains, quels que soient leur sexe et leur genre, leur peau et leur culture. Ceux et celles qui pensent aux générations à venir, à la sauvegarde d’une Terre que l’appétit de profit d’un petit nombre continue de rendre de moins en moins vivable pour l’ensemble des populations.

Si je me retourne sur la promesse faite à vingt ans de venger ma race, je ne saurais dire si je l’ai réalisée. C’est d’elle, de mes ascendants, hommes et femmes durs à des tâches qui les ont fait mourir tôt, que j’ai reçu assez de force et de colère pour avoir le désir et l’ambition de lui faire une place dans la littérature, dans cet ensemble de voix multiples qui, très tôt, m’a accompagnée en me donnant accès à d’autres mondes et d’autres pensées, y compris celle de m’insurger contre elle et de vouloir la modifier. Pour inscrire ma voix de femme et de transfuge sociale dans ce qui se présente toujours comme un lieu d’émancipation, la littérature.

Annie Ernaux

(1) Arthur Rimbaud, Une saison en enfer. Édition critique. Introduction et notes par H. de Bouillane de Lacoste. Paris : Mercure de France, 1941
(2) Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes I. Les confessions ; Autres textes autobiographiques. Édition publiée sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond. Paris : Gallimard, 1959
(3) Victor Hugo, Œuvres complètes. Poésie V, Les Contemplations (Préface des Contemplations). Paris : Hetzel-Quantin, 1882
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