environement
Mort de Bruno Latour : comprendre "le philosophe français le plus célèbre et le plus incompris"
EXTRAIT
Philosophe de l'écologie politique, l'anthropologue et intellectuel Bruno Latour est mort ce 9 octobre 2022 à 75 ans.
"Le philosophe français le plus célèbre et le plus incompris" selon le New York Times, un "dynamiteur des mythes modernes et penseur de la crise climatique" présente L'Obs, un "penseur du vivant", choisit Le Monde . Sociologue, anthropologue et philosophe des sciences et des techniques, professeur émérite associé au médialab de Sciences Po , Bruno Latour jouissait d'une grande notoriété internationale en tant qu'intellectuel français - et presqu'aucun article de presse ne manquait de le rappeler. Reconnu pour ses travaux sur l'écologie et le vivant, mais aussi le numérique et les arts politiques, il intégrait en 2007 le cercle prisé des dix auteurs les plus cités dans les travaux académiques en sciences humaines. Il est mort ce 9 octobre, à l'âge de 75 ans.
Comme de nombreux intellectuels, Bruno Latour s'était récemment saisi de la crise pandémique comme objet de réflexion écopolitique. Dans ses "leçons du confinement à l'usage des terrestres" (sous-titre de son essai Où suis-je ?, paru aux éditions La Découverte en 2021, juste après l'immense succès d'Où atterrir ? Comment s'orienter en politique), on se découvrait avec lui changés au réveil en cancrelats, Gregor Samsa version anthropocène, engoncés dans une "carapace de conséquences chaque jour plus affreuses que [l'on doit] apprendre à traîner" - une gorgée de café au goût de sol tropical ruiné, un tee-shirt taché par la misère d'un enfant bangladais, un repas dégageant des bouffées de méthane… - et sommés de réapprendre à vivre sur le terrain de nos termitières. Cette description métaphorique du (re)devenir-insecte, stimulante pour les uns, agaçante pour d'autres , était l'une des récentes inventions de Bruno Latour. Une voix influente parmi les penseurs contemporains qui, au croisement de l'anthropologie et de la philosophie, nous invitait à repenser le vivant en situation de crise écologique - ou plutôt de "nouveau régime climatique" comme il l'exprimait dans Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique (La Découverte, 2015), équivalent sur le plan politique de ce qu'est l'anthropocène en géologie. Depuis 2020, il avait justement mis en place avec le consortium Où atterrir ? des ateliers de description des conditions matérielles d’existence des habitants, pour appréhender cette crise écologique dont la pandémie lui semblait, en quelque sorte, sonner la répétition générale.
S'exprimant en différentes langues de sciences humaines et sociales, la pensée de Bruno Latour ne se bornait pas au seul thème de l'écologie politique. Pour jauger la largeur du champ "latourien", rappelons qu'on lui doit aussi une ethnographie du Conseil d'Etat, une analyse du projet (raté) de métro automatique "Aramis", ou encore une enquête sur le quotidien d’un laboratoire de neuroendocrinologie américain. Latour est aussi le penseur de concepts novateurs comme la "zone à défendre" ou la théorie sociologique de "l'acteur-réseau", et l’initiateur de projets institutionnels visant à décloisonner les sciences, via la fondation du Medialab de Science Po (un "laboratoire de recherche interdisciplinaire sur la place du numérique dans nos sociétés") ou la création d'un enseignement d’expérimentation en Arts Politiques (SPEAP) . Ces dernières années, le chercheur s'était aussi fait commissaire d'expositions : Iconoclash (2002) et Making Things Public (2005) au Centre d'art et de technologie des médias de Karlsruhe, ou plus récemment, en tant que curateur de la Biennale de Taipei en 2020.
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Pauline Petit
Suite et fin en cliquant ci-dessous
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COP26 : l'éducation face au changement climatique
Résumé
A l'ère de l'Anthropocène, faut-il repenser l'éducation et la manière de parler du futur aux enfants ?
avec :
Frederick Heissat (Cofondateur du réseau Profs en transition), Lydie Lescarmontier (docteure en glaciologie), Monique Dupuis (Inspectrice générale chargée de mission en Education au Développement Durable (EDD)), Nathanaël Wallenhorst (Maître de conférences à l'UCO, docteur en sciences de l'environnement et de l'éducation).
En savoir plus
À quelques jours de la COP 26, qui commence le 1er novembre à Glasgow, nous nous interrogeons sur le rôle que l’école, les enseignants et nous tous peuvent jouer pour faire comprendre aux enfants et adolescents les mécanismes et les effets du réchauffement climatique. Cette question, il faut le signaler, est présente dans les textes internationaux : l’Article 12 des Accords de Paris, rédigés à la suite de la COP 21 et ratifiés par 55 pays, stipule que les parties doivent prendre des mesures pour développer l'éducation au changement climatique.
Alors nous parlerons de la place qu’occupe le sujet dans les programmes des sciences de la vie et de la terre, de physique ou de géographie, mais aussi en économie, géopolitique ou en philosophie… ou encore dans l’éducation scientifiques dès l’école primaire… Mais il ne s’agit pas juste d’une question de contenus disciplinaires ou interdisciplinaires, car c’est aussi la manière de parler de l’avenir, de s’y projeter, qui se trouve engagée à travers cette éducation au changement climatique. Et que faire des émotions que suscite le sujet, chez les enfants comme chez les adultes, ces inquiétudes sur notre futur commun et celui de la planète qu’on appelle aujourd’hui l’éco-anxiété ? Quid aussi de la défiance voire du refus des conclusions des scientifiques chez certains ?
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À quelques jours de la COP 26, qui commence le 1er novembre à Glasgow, nous nous interrogeons sur le rôle que l'école, les enseignants et nous tous peuvent jouer pour faire comprendre aux enfan...
Un plan pour la France - intervention de Najat Vallaud-Belkacem au sommet ChangeNow
A l’heure du 6ème rapport du GIEC - qui alerte une nouvelle fois le monde face à l'urgence climatique - la France nécessite l’implication de l’ensemble des parties prenantes de son économie pour envisager un véritable changement. Un plan ambitieux de restructuration est fondamental pour atteindre les nombreux objectifs environnementaux et sociaux auxquels nous devons répondre.
Najat Vallaud-Belkacem (directrice France de l'ONG ONE) était l'une des intervenantes de la session "Un plan pour la France", modérée par Marina Bertsch de France 24, le 21 mai 2022.
Le coup d'éclat des diplômés d'AgroParisTech. Modernes plus qu'antimodernes - Thomas Legrand/France Inter
Le discours retentissant de 8 étudiants d’AgroParisTech lors de la cérémonie de remise de leurs diplômes..
Il faut aller voir la vidéo devenue virale de ces ingénieurs fraichement diplômés qui remettent en cause le contenu de leur apprentissage et appellent leurs camarades à, c’est leur mot, bifurquer, utiliser leurs compétences pour une autre agriculture. Nous sommes –disent-ils- plusieurs à ne pas vouloir faire mine d'être fiers d'obtenir ce diplôme, à l'issue d'une formation qui pousse à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours. Ces étudiants précisent qu’ils vont rejoindre des actions alternatives comme Notre-Dame-des-Landes, devenues lieux d’expérimentation, entre-autre, agricoles. Ils n’en sont plus à contester l’agriculture intensive, industrielle, boostée aux intrants. Ils dénoncent les solutions censées réduire l’impact de l’agriculture sur la biodiversité et le réchauffement via des technologies innovantes. Ils prônent plutôt des solutions radicales, ultra locales et anti-productivistes. Leur discours pourrait paraitre désenchanté parce qu’ils rejettent l’idée selon laquelle la lutte contre la dégradation de la planète ne serait que technique, ou d’abord technique. En réalité ces étudiants proposent des alternatives à la fois scientifiques (agricoles) et inspirées par la tradition libertaire ou communaliste. La technocritique, la méfiance envers les effets du progrès technique n’est pas neuve (Chaplin, Les Temps modernes) et avant cela le mouvement des Luddites en Angleterre au début de l’ère industrielle.
Ces étudiants ont été très critiqués ces derniers jours…
Oui, ils suscitent beaucoup de commentaires. Ils sont traités d’amish, d’irresponsables décroissants, de zadistes déserteurs de la vraie cause écologiste ou d’égoïstes déconnectés, promoteurs d’une agriculture incapable de nourrir la planète. En fait ces nouveaux ingénieurs sont d’une génération revenue de ce que l’historien François Jarrige appelle le thechnofidiésme, de l’inféodation au progrès technique. Les alternatives proposées par des écologistes radicaux, souvent jeunes et très diplômés, peuvent être vue, à l’inverse, au regard de la situation de la planète, comme innovantes, même d’un point de vue scientifique (ce en quoi ils ne sont pas à classer dans les antimodernes). Au début des années 60 au plus fort de l’idée de l’agro-industrie Edgard Pisani, ministre de l’agriculture d’alors disait (il l’a regretté quand il est devenu écologiste beaucoup plus tard) si les consommateurs veulent du lait rouge et des pommes carrées, l’agriculture française saura leur en fournir. On n’est pas allé jusque-là mais l’industrie agricole nous propose toujours des tomates en hivers. Dans quelques années on se souviendra de cette hérésie comme d’un crime contre la nature. Les AgroParisTech rebelles ne sont ni rétrogrades (ils innovent) ni déserteurs (ils s’engagent personnellement) ni utopistes (ils réagissent à un danger avéré) ni même antisciences puisqu’ingénieurs ils partent de l’état physique de la terre pour en tirer des conclusions à la fois scientifiques, sociales et politiques. Ont-ils raison pour autant, ne proposent-ils pas des solutions limitées, plus libertariennes que libertaires ? Une chose est sûre, ils ne méritent pas la condescendance de la part de ceux qui se disent rationnels mais ont admis bien trop tard la réalité (scientifique justement) du dérèglement climatique.
Thomas Legrand
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L'intégralité du discours des étudiants d' AgroParisTech
Pour un changement de régime - Par Najat Vallaud-Belkacem
Selon Najat Vallaud-Belkacem, relever le défi du changement climatique peut d’abord passer par la façon dont les humains s’alimentent.
Tribune. Nous avons tous l’habitude des injonctions saisonnières à changer de régime. Les femmes, surtout, puisque dans l’immense majorité des cas, il s’agit d’un appel culpabilisant à se conformer aux standards de beauté que la société de consommation cherche à imposer à nos corps, notre silhouette, notre peau, nos cheveux… et à nos esprits. Ne soyons pas trop chagrins, malgré tout, puisque la tendance, forte et durable, est au healthy, au bio, au naturel, au local, à la chasse aux allergènes, pesticides, sucres et divers additifs de l’industrie agroalimentaire et même, à la fin des emballages polluants et inutiles au profit du vrac, par exemple. Il y a donc bien, dans l’air du temps, quelque chose de bon à prendre pour notre santé, la protection de l’environnement, l’économie générale de notre système de production agricole et alimentaire, et notre qualité de vie au sens global du terme.
Doit-on prendre tout ceci à légère, espérant que le phénomène survivra à l’été prochain, et qu’il s’étendra au-delà des produits de luxe et des circuits de la consommation haut de gamme pour toucher massivement l’ensemble de la population, celle qui est contrainte, tous les jours, de faire le choix entre prix et qualité ? Ou bien au contraire avons-nous devant nous un levier pour transformer le monde radicalement, à l’échelle globale, tant pour combattre les problèmes de santé publique que pour enrayer le réchauffement climatique, la disparition des espèces, les pollutions, les déséquilibres de l’urbanisation généralisée ou l’effondrement de la biodiversité ?
40% des adultes, soit près de 2 milliards de personnes dans le monde sont en surpoids, dont plus de 500 millions sont obèses. Partout, nous grossissons. L’obésité a atteint les proportions d’une épidémie mondiale. D’ici 2050, 70 millions de bébés et de nourrissons supplémentaires en souffriront, avec toutes les maladies connexes que nous connaissons et les défis énormes qu’elle pose pour nos services de santé.
Ce qui est le plus inquiétant, c’est qu’au cours des dernières décennies, pas un seul pays n’a pu inverser cette tendance. Par conséquent, d’ici 2030, plus de 5 millions de personnes mourront avant l’âge de 60 ans à cause de maladies liées à leur alimentation. Dans le même temps, la faim et les différentes formes de malnutrition augmentent à travers la planète, avec plus de 820 millions qui en souffrent, principalement à cause des variations climatiques extrêmes, des conflits et des crises économiques qui en découlent. Le dernier rapport Sofi des agences de l’ONU paru le 15 juillet indique même que c’est la troisième année consécutive que la faim progresse dans le monde, avec 10,8% de la population qui est touchée, et 26,4% si on cumule avec les personnes frappées par l’insécurité alimentaire due à la mauvaise qualité de leur alimentation. On sait, par ailleurs, qu’il ne s’agit pas d’un problème de production, mais bien d’inégalités économiques et sociales qui ne cessent de s’aggraver.
C’est une dynamique proprement catastrophique qui menace à la fois la planète et la santé humaine à très grande échelle. Une des caractéristiques de cette époque qui est la nôtre, est qu’une part de plus en plus large de la communauté scientifique nous incite à penser une ère nouvelle de la planète Terre et de l’humanité qui l’habite : l’anthropocène. Un concept qui est en réalité un nouveau régime global, et qui doit nous permettre de penser les changements provoqués par l’activité humaine, de comprendre leurs interactions profondes, et d’agir pour limiter leurs effets et inventer un nouveau système, vivable et durable, pour tous.
Au centre de tout cela, il se pourrait bien que se trouve ce que nous mangeons, nos assiettes, notre régime.
Les scientifiques, les ONG, les acteurs privés comme les responsables publics sont de plus en plus nombreux à l’affirmer et à s’associer pour concevoir un régime global, adapté à chaque contexte économique, géographique, démographique, climatique, social ou culturel, comme par exemple la commission constituée de la plateforme EAT, en partenariat avec la revue The Lancet. Ils considèrent que notre régime alimentaire est le seul levier aussi puissant pour imposer un mode de vie soutenable, tant pour la santé humaine, que pour la planète. Si nous n’agissons pas rapidement dans ce sens, nous risquons de ne jamais atteindre les objectifs du développement durable de l’ONU, ni ceux de l’accord de Paris sur le climat, et nos enfants hériteront d’une planète très dégradée, dans laquelle la majorité souffrira de malnutrition et de maladies sévères.
D’ici 2050, nous disent-ils, nous devons donc changer radicalement de régime. Notre consommation globale de fruits, légumes ou noix va devoir doubler, quand notre consommation d’aliments comme la viande rouge ou le sucre devrait diminuer de moitié.
Et l’innovation, me direz-vous ? La recherche dans l’industrie agroalimentaire, la transition de nos modèles agricoles, les transformations de la grande distribution ? Les progrès sont incontestables et, bien sûr, les évolutions de la production et du marché de l’alimentation à travers l’implication toujours plus grande des acteurs privés et publics sont indispensables. Mais elles ne suffiront pas à elles seules à changer la donne.
C’est à chacun d’entre nous de prendre notre part de responsabilité, très concrètement, en changeant tout simplement de régime. C’est à portée de main, pourquoi ne le faisons-nous pas ? Quel est notre problème ?
Comme tous les autres défis auxquels nous sommes confrontés, le principal problème est le manque de sensibilisation et de compréhension globale de la situation. Nous avons besoin d’une prise de conscience à grande échelle par les individus, les consommateurs, les citoyens des conséquences de nos choix. On est loin du compte.
A Libération, qui lui demandait récemment si la peur pouvait être le moteur de l’action concernant le changement climatique, Greta Thunberg répondait : «Ça l’a été au moins pour moi. Et ça pourrait l’être pour beaucoup d’autres personnes.» Cette citation m’a plongée dans un abîme de réflexion. Devons-nous compter sur nos peurs pour changer ? Ou pouvons-nous imaginer le faire à travers des changements que nous percevons immédiatement comme vertueux, pour nous comme pour la planète, pour tout de suite comme pour les générations à venir ?
Et si, à la faveur des bonnes résolutions plus ou moins futiles que l’été nous incite à prendre, nous saisissions l’occasion de changer vraiment de régime alimentaire pour nous éviter d’avoir à vivre, un jour, sous le régime de la peur ?
Najat Vallaud-Belkacem
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Tribune. Nous avons tous l'habitude des injonctions saisonnières à changer de régime. Les femmes, surtout, puisque dans l'immense majorité des cas, il s'agit d'un appel culpabilisant à se conf...
https://www.liberation.fr/debats/2019/07/22/pour-un-changement-de-regime_1741478