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Journée du droit au collège : «Il y a des gens plus égaux que d’autres»
A Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, le président du Conseil national des barreaux Jérôme Gavaudan est intervenu dans un établissement afin de «promouvoir le droit». De grands principes sans cas pratiques qui auraient permis aux collégiens de plus s’impliquer dans les débats.
«Il est connu ou pas ?!» «Fais une photo avec lui au pire !» Dans la salle de classe, Me Jérôme Gavaudan a déjà commencé à répondre aux journalistes, il est prêt, à la place du professeur. Son costume bleu en jette, comme ses cheveux : gris et courts, impeccables. Il est presque 8 heures, les élèves de la classe de 5e du collège Gabriel Péri d’Aubervilliers entrent mi-curieux, mi-impressionnés. Ils sont un peu plus d’une vingtaine, dans des manteaux gris, des vestes à capuches noires. Ici, c’est plutôt le jogging qui est tendance.
«Eh mais comment il fait froid !», lance un des jeunes. Rapidement, le silence se fait. L’avocat peut se présenter : Me Jérôme Gavaudan, conseiller marseillais depuis 1990, président du Conseil national des barreaux (CNB). «C’est quoi ?» «L’institution qui regroupe tous les avocats de France», répond simplement celui qui insiste pour que, aujourd’hui au moins, on l’appelle Jérôme. «Je ne suis pas non plus le chef des avocats ! Mais si vous imaginez une pyramide… Je suis tout en haut.» Voilà pour le pedigree. Le président du CNB s’est déplacé en région parisienne à l’occasion de la journée du droit au collège.
Depuis cinq ans, des avocats interviennent dans des établissements volontaires pour échanger avec des élèves sur le rôle de la justice, son fonctionnement, avec, à chaque fois, un thème. Cette année, ce sont 500 collèges qui participent. A Aubervilliers, c’est la CPE Mathilde Zarrougui-Malon qui avait entendu sur France Inter – «la radio des profs» – qu’une telle journée existait. Le thème proposé cette année l’a particulièrement intéressée : sommes-nous tous égaux face au droit ?
Spoiler : non. Mais la question mérite d’être posée, d’autant plus avec des jeunes de 11 ans à 13 ans. Parmi eux, Moussa, sweat bleu et pantalon de sport noir. Derrière sa nonchalance apparente, il cache une vivacité d’esprit qu’il a parfois un peu de mal à contrôler. «Mais t’es bête toi», l’entendrons-nous répondre à celles et ceux qui ne sauront pas exactement identifier le rôle d’un procureur. Son professeur, M. Selamati, éprouve quelques difficultés à le contenir.
On parle violences conjugales, greffier, victimes, échelle des sanctions droits des mineurs… Ça baille un peu à droite, à gauche. Qui décide du droit, d’ailleurs ? «Le président de la France !» «C’est Macron !» «Mais non, c’est l’Assemblée nationale qui vote les lois», rectifie calmement Nida, jeune fille aux cheveux lisses assise au premier rang
«Se faire sanctionner pour sa couleur de peau»
Après une heure de discussions un peu générales, le temps que les élèves se familiarisent avec la présence d’inconnus dans leur classe, les débats s’emballent un peu. Sommes-nous égaux face à la justice ? Le «non» l’emporte. Pour Ibrahim, dégaine fatiguée et corps avachi, les pauvres ont moins de moyens pour se payer de bons avocats. «Oui, il y a beaucoup d’injustices quand même», note Nida, toujours très calme. Sadio complète : «Une injustice, c’est quand quelqu’un n’a rien fait mais qu’il se fait sanctionner, pour sa couleur de peau par exemple.» Le groupe acquiesce. «Par exemple, dans la police, il y a des racistes, je l’ai vu dans Enquête d’action, enchaîne Moussa. En fait, il y a des gens plus égaux que d’autres.» Petit malaise du côté de la défense. «La France est un pays qui accueille tout le monde, quelle que soit son origine, sa couleur de peau, son handicap, argumente Jérôme Gavaudan. Ce dont vous parlez, c’est un mot à la mode, c’est de la discrimination.» Petit malaise du côté de l’encadrement, ce coup-ci. «Mais oui, il ne faut pas être naïf, il y a beaucoup d’inégalités en France», concède tout de même l’avocat.
Dans le fond de la classe, le professeur d’histoire, le vrai, écoute et recadre. A 26 ans, Colin Selamati compte deux années d’expérience dans ce collège de Seine-Saint-Denis. «L’égalité, la justice… Ce sont des sujets qui parlent beaucoup aux jeunes. Vous les voyez vous-mêmes, ils participent beaucoup.» Le tout, sans que les élèves n’aient pu travailler avant. «Ils font des liens avec les cours d’histoire, justement», assure le prof, qu’on devine satisfait, au visage impassible et doux. Sur les murs de sa classe, les fresques historiques servent de décoration, et plus. Une peinture murale funéraire chinoise fait face à Confucius, sous des illustrations de la Route de la soie. «Si on les laisse parler, ils ont beaucoup de choses à dire, surtout à Aubervilliers. Je suis certains que des élèves ici ont déjà vécu des situations compliquées», insiste Colin Selamati. Qui a du mal à masquer son agacement face au déroulement des deux heures de débat, sans aucun cas pratique permettant aux jeunes de se lâcher et de se projeter.
Les avocats ? «Ils font ça pour l’argent je pense»
Et, c’est le jeu des médias, la machine déraille un peu quand notre confrère de la chaîne de télévision M6 doit prendre des images et enregistrer les élèves dont les parents ont donné leur accord. La caméra, supportée jusqu’ici, finit par inhiber les, nombreux, motivés qui prenaient la parole. Même Moussa se tait presque. A la sortie, on demande si certains se verraient avocats un jour. Les réponses fusent, toutes dans le même sens. «Non, c’est trop de responsabilités.» «Je ne pourrais pas défendre un assassin d’enfant, puis moi je veux être architecte !» «Ils font ça pour l’argent je pense.» «Celui qui n’est motivé que par l’argent est un mauvais avocat, tempère Jérôme Gavaudan. On peut même être sanctionné pour cela.»
Le conseil est satisfait de son intervention. «C’est le rôle de l’avocat de promouvoir le droit dans toute la société et il est intéressant de voir qu’ils ont déjà quelques notions, qu’ils utilisent un terme tel que le “vivre ensemble”», se réjouit-il. Interrogé sur une éventuelle distance entre son personnage, unanimement qualifié d’«impressionnant» par les élèves, et son public du jour, il assure : «Ces journées sont surtout l’occasion pour des avocats d’intervenir dans leurs territoires et, justement, une consœur d’Aubervilliers va intervenir dans une autre classe après moi.» On ne peut s’empêcher de lui parler de son costume bleu. «Je me suis posé la question ce matin, peut-être qu’une tenue plus décontractée aurait détendu tout le monde… Mais j’ai aussi des rendez-vous cet après-midi !»
Ludovic Séré
Journée du droit au collège : "Il y a des gens plus égaux que d'autres"
A Aubervilliers, le président du conseil national du barreau Jérôme Gavaudan est intervenu ce mercredi matin dans un établissement afin de "promouvoir le droit". De grands principes sans cas ...
"Le ministre de l'Éducation nationale n’en a rien a foutre de l’égalité entre les sexes"...
EXTRAIT
Égalité filles-garçons: j’ai corrigé la copie de Jean-Michel Blanquer
J’ai cherché d’autres façons d’écrire cela de manière plus élégante et nuancée. Mais je n’ai pas trouvé: le ministre de l'Éducation nationale n’en a rien a foutre de l’égalité entre les sexes.
Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, était l’invité de la matinale de France Inter le 27 novembre; il a d’emblée et longuement été interrogé sur l’un des grandes causes d’Emmanuel Macron: «la lutte contre les inégalités filles-garçons à l'école». Plusieurs heures après, j’entends encore l’écho provoqué par chacune de ses réponses, chutant avec fracas dans la vacuité sidérante de sa pensée sur le sujet.
Nul.
Sur la forme d’abord: balbutiant, pas très concentré, peu convaincu par ses propres sorties… Une impréparation qui aurait pu nous offrir un peu de fraîcheur, bienvenue en ces temps de langue de bois macronienne et d’éléments de langage, mais ses propositions, la sémantique comme ses évitements n’ont fait que confirmer ce que l’on pressentait déjà: peu lui importe les enjeux sociologiques de l’école en général, ceux de l’égalité en particulier.
Prenons ses réponses aux questions de Nicolas Demorand dans l’ordre chronologique. Pas parce que c’est plus simple, mais parce que Jean-Michel Blanquer est si peu structuré idéologiquement sur le sujet qu’il est impossible de tirer une doctrine et de grandes lignes directrices de ce qu’il évoque pourtant comme une «offensive» menée par ses équipes contre les inégalités. Et comme le ministre ne jure que par l’évaluation pour connaitre l’état des connaissances et le savoir-faire, appliquons lui le même traitement et corrigeons sa copie.
Jean-Michel Blanquer: «Le respect d’autrui […]. Je dis toujours que l’école primaire doit apprendre à lire, écrire, compter et respecter autrui. À partir du moment où on respecte autrui, bien entendu, on respecte les femmes dans le rapport hommes-femmes, avec tout ce que cela signifie…»
Le hic, c’est que «le respect d’autrui» ne signifie rien d’autre que «le respect d’autrui», même s’il doit être inculqué. C’est-à-dire que l’égalité entre les femmes et les hommes, les filles et les garçons ne peut en aucun cas être réduite au fait d’enseigner aux enfants à se respecter mutuellement. Stricto sensu, respecter autrui, c’est avoir pour lui de l’égard, de la considération. Pas nécessairement le considérer comme son alter ego, et admettre qu’il bénéficie des mêmes droits. On connaît tous des hommes profondément sexistes et misogynes, mais respectueux des femmes dans les codes sociaux qu’ils adoptent. Ce sont ceux qui se targuent d’être galants, et donc en cela, respectueux des femmes. Alain Finkielkraut, par exemple, pas connu pour être un égalitariste échevelé, est un fervent défenseur de la galanterie, définie comme hommage rendu à la féminité, expression de la courtoisie et d’une tradition française.
Cette réflexion autour du respect d’autrui comme rouage essentiel de l’égalité filles-garçons a aussi hérissé le poil de Stéphane Crochet, secrétaire général du syndicat SE-Unsa, qui soupire: «On peut respecter une femme cantonnée dans sa cuisine». J’ai connu des porcs qui m’ont tenu la porte et hélé un taxi.
Évaluation: 0/20. Hors-sujet. L’élève Blanquer n’a pas compris l’intitulé.
Voilà donc que Blanquer, huit ans après ses premiers kits pédagogiques, et pas très disruptif pour le coup, dégaine à nouveau sa mallette et ses «petites réunions, en petit groupe, en début d’année avec les parents» mais cette fois avec pour objectif de «sensibiliser les parents sur l’ensemble des enjeux qu’il y a dans la relation hommes-femmes et dans le respect des femmes. Nous savons que nous sommes efficaces […] quand nous incluons les parents. Un des facteurs de réussite des enfants à l’école, c’est la convergence des valeurs entre l’école et les parents.»
Vous la voyez, la patate chaude lancée depuis le toit du ministère de l’Éducation nationale et qui va atterrir dans votre salon?
Bien sûr que dans un monde idéal, les parents proposeraient tous à leurs enfants des modèles éducatifs absolument paritaires, les éduqueraient de façon à leur enseigner l’égalité entre les femmes et les hommes. Bien sûr aussi que l’éducation pourrait être l’un des remparts au sexisme. Mais finalement, de façon assez marginale.
Car 1. Tout ne se joue pas au sein du foyer. Loin de là. Et c’est épuisant cette rhétorique consistant à renvoyer systématiquement la balle aux parents quand les enfants déconnent. Comme s’ils étaient les seuls dépositaires des comportements de leur progéniture. C’est un peu comme ces publicités qui engueulent les mères de harceleurs en leur disant de mieux éduquer leurs fils, ou ceux qui contactent les mères de harceleurs pour leur dire «regardez comme votre fils me menace de viol».
En plus de déresponsabiliser ces hommes de leurs actes, cela est extrêmement réducteur. Tous les harceleurs, agresseurs, violeurs ou «simples» misogynes n’ont pas été élevés dans un foyer où on leur a appris à mépriser et asservir les femmes. Par ailleurs, beaucoup de femmes qui ont été élevées avec des valeurs féministes et encouragées à ne pas se soumettre finissent par intérioriser la domination masculine, voire à s’en faire elles-mêmes les chantres.
Un enfant est exposé et se construit avec bien d’autres modèles que ceux qui lui sont proposés à la maison. La télé, les médias, la rue, le cinéma… sont autant de canaux véhiculant les stéréotypes sexistes. Sans compter que contrairement à ce qu’a l’air de penser Blanquer, tous les parents ne disposent pas des ressources littéraires, historiques, pédagogiques ou même économiques qui leur permettraient d’aborder ces questions-là avec leurs enfants.
(...)
Nadia Daam
Suite et fin en cliquant ci-dessous... C'est à déguster...
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Égalité filles-garçons: j'ai corrigé la copie de Jean-Michel Blanquer
Le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, était l'invité de la matinale de France Inter le 27 novembre; il a d'emblée et longuement été interrogé sur l'un des grandes cause...
http://www.slate.fr/story/154409/education-jean-michel-blanquer-egalite-femmes-hommes
Des femmes et des hommes...
Samedi le film DES FEMMES ET DES HOMMES sera diffusé dans sa version intégrale (ce qui est rare !) à 17h, Frédérique Bedos prendra la parole avant la projection (vers 16h15).
Le forum La France s’engage est dédié à toutes les formes d’engagement, citoyen, solidaire, civique, entrepreneurial, social, sportif ou associatif.
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