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“J’ai pas peur de la mort, j’ai peur de l’avenir”. Bradley, 11 ans.
Grandir : des enfants en temps de pandémie
Est-ce qu’on regrette sa petite enfance à douze ou treize ans ? Comment voit-on l’avenir ? Mamadou, Virgile, Emma, Bradley, Wassim et Maelyn habitent à Pantin, Montreuil ou Romainville. Ils hésitent entre enfance et âge adulte, racontent leurs rêves et leurs peurs à l’heure d’une pandémie mondiale.
Nous sommes devant la médiathèque de Romainville (Seine-Saint-Denis). Bradley et Wassim, onze ans, se rendent compte que leurs jeux ont changé, et leur vision de la vie aussi. Ils commencent à réaliser qu’ils mourront un jour. La mort, ce n’est seulement une histoire de vieilles personnes. Elle peut survenir n’importe quand, selon Bradley, par exemple à cause d’une vengeance au sein de la cité. “Si t'embrouilles quelqu’un, dans dix ou vingt ans, il te retrouve et il te tue, c’est pour ça", explique-t-il gravement. C’est ce genre de peur qu'on commence à avoir quand on grandit.
“J’ai pas peur de la mort, j’ai peur de l’avenir”. Bradley
Inès et Maelyn ont aussi onze ans. Elles ont constaté un changement entre leur enfance et leur début d’adolescence. D’abord, il y a la peur du jugement sur l’apparence, comparée à l’insouciance d’avant. Elles veulent ressembler aux grandes de troisième. Ensuite, il y a peur de l’agression, la peur de se faire siffler dans la rue.
Et physiquement, comment s’imaginent-ils ? “A part mes taches de rousseurs, je vois pas ce qui peut changer”, affirme Wassim.
Reste la question du métier. Alors que Wassim rêve d’être footballeur, Bradley envisage de travailler dans les espaces verts, comme son père. D’ailleurs, quand il sera grand, il habitera près de chez ses parents, de préférence dans le même bâtiment. C’est une question de souvenirs.
A Pantin, Seine-Saint-Denis, dans la cité des Courtillères, un autre groupe d’enfants jouent au foot. “Je préfère quand on est enfants, comme ça on paie pas les factures, on a pas de problèmes”, disent-ils. “Si je le pouvais je serais enfant toute ma vie”, se dit Mamadou, douze ans, car pour lui, être enfant, c’est d’abord s’amuser. Alors que ses camarades rêvent d’être footballeurs, Mamadou préfèrerait être chef d’entreprise, pour gagner assez pour nourrir sa famille — il a six frères et sœurs — et ne pas trop travailler. Ses parents n’ont pas de problèmes d’argent, explique-t-il, mais ils ne font pas un métier facile. “Si j’ai assez d’argent, j’achèterai une autre maison pour ma mère”, conclut Mamadou.
Toujours à Pantin, à l’école Montessori. Virgile a quatorze ans et il se définit comme un ado qui a encore parfois "la mentalité d’un enfant”. Pourtant, il regrette son imagination d’autrefois. Il a arrêté de jouer aux jeux imaginaires par peur du regard des autres.
Comme Bradley, Virgile voudrait faire le même métier que son père : informaticien. Lui aussi il a peur de la mort, mais sa grande préoccupation, c’est la crise écologique. “J’ai pas envie de mourir en 2050 à cause du dérèglement climatique”, dit-il. Une peur qui s’est accrue depuis la pandémie.
Emma, elle, a douze ans et vit à Montreuil. Comme Mamadou, quand elle sera grande, elle offrira à sa mère une maison, mais elle voudrait la construire elle-même. Elle sera au bord de la mer, en Normandie, avec du papier peint à fleurs.
L’âge parfait ? Pour Bradley, c’était seize ans. Pour Emma, c’est dix-sept ans, comme sa sœur : l’âge de tous les possibles.
Merci aux enfants de Seine Saint Denis qui ont accepté de répondre aux questions de Karine Le Loët et à leurs parents, à l’école Montessori 21, au centre Gavroche et à la mairie de Pantin.
Reportage : Karine Le Loët
Réalisation : Emily Vallat
Mixage : Sébastien Royer
Musique de fin : "La Quête" d'Orelsan.
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Grandir : des enfants en temps de pandémie
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Quelle culture G à l'école ?
"Sans oser lui demander" reçoit aujourd'hui Olivier Barbarant, poète et inspecteur général de l'Education nationale. Parler avec lui de culture générale, c'est réfléchir au rôle de l'école dans la construction culturelle de chacun, et dans la constitution d'une culture générale en partage.
Chargé de coordonner les réflexions sur les programmes de lettres au lycée et en classes préparatoires, Olivier Barbarant est particulièrement bien placé pour connaitre les attentes diverses que suscite l'enseignement d'un socle culturel commun, que ce soient celles du personnel enseignant, des politiques, de l'administration, des parents d'élève… Il sait aussi les différences territoriales et la part d'héritage familial avec lesquelles l'école doit composer son ambition de donner à une génération un corpus littéraire partagé.
En parlant de culture générale avec celui qui est aussi poète (et lauréat du prix Apollinaire en 2019), nous évoquons donc le rôle de l'école depuis une perspective large, mais aussi à partir d'une trajectoire scolaire individuelle : quelles rencontres ont été déterminantes dans l'apprentissage d'Olivier Barbarant ? Quels auteurs ? Quels professeurs ? Quelle fut, pour l'ancien normalien, l'importance de l'école comme institution ? Comment son rapport à la poésie, à la littérature ou aux arts a-t-il évolué, à la suite de ces premières approches scolaires ?
Romain de Becdelièvre apporte, en Pièce jointe, une salle d'examen et un poète contemporain : retour sur la programmation de Jacques Roubaud au concours de l'École normale supérieure, et sur le déroulement bousculé de l'épreuve écrite cette année-là.
(...)
par Matthieu Garrigou-Lagrange
Suite et fin en cliquant ci-dessous
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Sans oser lui demander reçoit aujourd'hui Olivier Barbarant, poète et inspecteur général de l'Education nationale. Parler avec lui de culture générale, c'est réfléchir au rôle de l'école ...
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Professeurs non remplacés : "Plus de 40 000 heures de cours" perdues, selon la FCPE qui "envisage" un recours en justice
Selon la Nageate Belahcen, coprésidente de la FCPE, il s'agit d'absences liées "en majorité" au Covid-19. L'organisation des parents d'élèves veut inciter les parents à déclarer les professeurs absents sur une plateforme sur internet.
"Plus de 40 000 heures de cours" ont été perdues depuis la rentrée de septembre, a affirmé Nageate Belahcen, coprésidente de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), vendredi 4 février sur franceinfo. Ce décompte correspond aux déclarations des parents d'élèves sur le site Ouyapacours.fcpe.asso.fr mis en place par la FCPE pour recenser le nombre de cours non assurés depuis le début de l'année scolaire. "On devrait être à beaucoup plus en réalité, sur le terrain, puisque tous les parents ne font pas de déclaratif", a précisé Nageate Belahcen. Il s'agit, selon elle, d'absences liées "en majorité" au Covid-19, cas contact ou cas positif.
La FCPE veut inciter les parents à déclarer les professeurs absents sur cette plateforme afin de faire pression sur le ministère de l'Éducation nationale. "On demande au ministère d'augmenter le vivier de professeurs remplaçants parce qu'aujourd'hui il y a un vrai déficit, c'est très récurrent", poursuit la coprésidente de la fédération.
"Avec la période de Covid, on a vraiment le sentiment d'une explosion du nombre de professeurs qui ne sont pas remplacés. Les moyens qui ont été annoncés ne se voient pas sur le terrain". Nageate Belahcen, coprésidente de la FCPE à france info
"On a des parents en détresse qui ne trouvent pas de solution pour leurs enfants sur le terrain", a déploré Nageate Belahcen. La FCPE les "incite" par ailleurs "à utiliser le kit juridique qui est à leur disposition" sur leur plateforme en ligne et qui permet notamment d'"aller au tribunal administratif pour obtenir un remplacement immédiat, puisque c'est un référé-liberté". "On est en train d'envisager sérieusement la possibilité d'aller au tribunal administratif et de faire valoir les droits des élèves à avoir un enseignant en classe", a-t-elle conclu.
A lire... "La Nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police" - Sébastian Roché
EXTRAITS
« La Nation inachevée » : comment le quotidien des jeunes construit leur citoyenneté
A la lumière de plusieurs enquêtes, le sociologue Sebastian Roché explique dans son livre que le sentiment d’appartenance à la communauté nationale se nourrit davantage des interactions, parfois anodines, avec les représentants de l’Etat que des discours théoriques.
Dans cet ouvrage, aboutissement d’un travail commencé il y a une dizaine d’années, le sociologue Sebastian Roché s’efforce de « prendre au sérieux » la question de la formation du « sens de la nation » chez les jeunes et analyse la façon dont l’Etat s’y prend en vue de réaliser le projet, toujours réaffirmé, d’inclusion de la jeunesse. A la lecture, il apparaît vite que les institutions ne s’y prennent pas de la meilleure façon et que les envolées rhétoriques sur la restauration de l’autorité, confondant légitimité et usage de la force, ne risquent pas d’améliorer la situation : « La réalité de l’inclusion citoyenne, écrit l’auteur, ne se réduit pas aux slogans des leaders des partis politiques ou aux bons mots des éditorialistes. Elle répond à des conditions précises qui ne s’alignent pas sur les simplifications ambiantes. »
La thèse principale développée dans cet essai est que le sentiment d’appartenance à la nation ne repose ni sur l’exposé abstrait de la loi ni sur la contrainte, mais sur un attachement subjectif et une adhésion volontaire, issus dans les deux cas de l’expérience concrète des individus. Cette expérience se construit au quotidien dans la relation sensible avec les « agents de première ligne » de l’Etat que sont les enseignants et les policiers. Sebastian Roché place la focale sur l’adolescence et étaye son propos en s’appuyant, outre la littérature nationale et internationale, sur l’analyse des données de deux enquêtes massives : Polis, menée entre 2010 et 2012 auprès de 22 000 collégiens et lycéens en France et en Allemagne et l’étude UPYC qui, en 2015, a touché 18 000 collégiens de plusieurs pays (dont 10 000 en France). La taille de ces échantillons permet de passer la question de l’adhésion à la nation au crible de l’appartenance à différents groupes sociaux et ethnico-religieux.
L’affirmation d’un « cosmopolitisme »
Ainsi, chez les enfants d’un père né en Afrique du Nord, seuls 12 % se définissent comme « totalement » français, 23 % se sentent « plutôt » français et 45 % se disent « partagés », ce qui ne signifie nullement une hostilité. Chez ceux dont le père a la nationalité française, ces chiffres sont respectivement de 49 %, 29 % et 17 %. Les proportions sont différentes mais montrent une tendance commune : les jeunes se retrouvent de moins en moins dans le modèle standard d’une allégeance nationale unique. Un « cosmopolitisme des classes d’âge les plus récentes » est en train de s’affirmer, commente Sebastian Roché. Dans ces conditions, « assimiler toute demande de particularité culturelle à du séparatisme » revient à une négation des positions intermédiaires.
(...)
C’est à chaque contact avec les agents de l’Etat, enseignants ou policiers, que se « dessinent des lignes d’inclusion ou d’exclusion », avance le sociologue. Autant d’interactions « qui pourraient sembler, à distance, insignifiantes, mais qui sont la chair des relations sociales ».
Luc Cédelle
« La Nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police », de Sebastian Roché, Grasset, 400 pages, 22,50 euros.
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" La Nation inachevée " : comment le quotidien des jeunes construit leur citoyenneté
A la lumière de plusieurs enquêtes, le sociologue Sebastian Roché explique dans son livre que le sentiment d'appartenance à la communauté nationale se nourrit davantage des interactions, parfo...
Extrait du livre
La prééminence du cadre politique des États-nations s’est imposée à travers l’Histoire. Il a façonné le sentiment d’une identité collective nouvelle, il est devenu le cadre de la lutte pour la reconnaissance des droits. Cette appartenance nationale est ancrée dans divers mécanismes culturels, dont l’école est le plus visible, de solidarité par l’État-providence, et d’inclusion politique par le droit de vote, le rôle des partis et syndicats. L’État est le cadre des conflits. Le Front populaire et les grandes grèves de mai et juin 36, l’idéal humaniste de la Libération, le mouvement de Mai 68 ont transformé des conflits en droits et en acquis sociaux, en protection sociale et congés payés. Tel était tout au moins le schéma classique de compréhension de l’inclusion nationale. Aujourd’hui, cette identité est, à en croire certains responsables politiques, menacée par le fait d’agiter des drapeaux étrangers lors d’un mariage, de porter un voile ou de ne pas manger de viande de porc à la cantine. Comment expliquer une telle sensibilité identitaire ? La question plus profonde qui taraude la société française est de savoir si l’État peut continuer à fabriquer la nation. Mais qu’est-ce que recouvre l’inscription dans le collectif de la nation au juste ? C’est le point de départ de notre travail.
Repartons des analyses du sociologue Max Weber pour qui « le concept de nation nous renvoie constamment à la relation avec la puissance politique1 ». C’est élémentaire, mais essentiel. Dans ce livre, nous saisirons la nation dans cette connexion des individus à deux collectifs nationaux : « se sentir français », un attachement au pays, d’une part, et désirer avoir « la nationalité française » qui fait écho à l’inscription explicite dans le cadre légal défini par l’État, d’autre part. Ensuite, ajoute Weber, « la nation est le projet de l’État », ce qui le transcende. C’est la réciproque de la première relation. Le concept d’État renvoie constamment à la nation, pourrait-on écrire en symétrisant son propos. En permanence, l’État veut à la fois façonner et exprimer la nation. C’est pourquoi nous appréhenderons la question de la nation non pas uniquement sous l’angle des deux collectifs cités, mais aussi sous celui de la relation aux normes et principes du régime (le vote, la laïcité) ou à la figure de l’État (le président). Le projet national de l’État n’a rien de dissimulé, au contraire, et les exemples abondent pour l’illustrer. Le président Nicolas Sarkozy, défait au second tour de l’élection présidentielle de mai 2012, conclut son discours d’adieu : « Vous êtes la France éternelle, je vous aime, merci, merci. » Le président Emmanuel Macron explique le sens du sacrifice du colonel de gendarmerie à Trèbes en mars 2018 : « Il dit comme aucun autre ce qu’est la France, ce qu’elle ne doit jamais cesser d’être et qu’elle ne cessera jamais d’être tant que des femmes et des hommes décideront de la servir avec le courage, le sens de l’honneur, l’amour de la patrie que vous avez démontrés. » Le culte des morts et la promesse d’immortalité illustrent l’affinité du culte de la nation avec celui de la religion. Un candidat écologiste explique, un peu moins d’un an avant l’échéance, ses intentions pour 2022 : « Je suis candidat à l’élection présidentielle. Parce que j’aime la France et que je veux la servir. » Anne Hidalgo se lance dans la campagne avec son livre Une femme française. Le représentant de l’État célèbre la nation. La nation est un être collectif à caractère surnaturel, immortel, que tout chef de gouvernement ou tout aspirant à la fonction doit honorer.
Les hommes politiques peuvent défier ou mépriser les Français. Plusieurs épisodes récents sont dans toutes les mémoires. C’est Macron qui lance, bravache, « venez me chercher », ou, condescendant, « je traverse la rue et je vous trouve un travail ». Mais jamais la nation ne souffrirait un tel mépris dans leur bouche. La nation française, mise en mots par ceux qui la dirigent ou en ont l’intention, oblige à l’amour et au désintéressement, aucun sacrifice n’est trop grand pour la servir. Elle est une forme symbolique supérieure. La nation s’incarne dans les dirigeants qui, à leur tour, la célèbrent, dans une boucle sans fin. Cette forme s’impose à eux. Ces échanges symboliques ne sont pas une façade, ils sont la manifestation la plus directe de l’existence de cadres mentaux collectifs, l’aboutissement de la construction d’une relation entre le pouvoir et le peuple.
L’État moderne fonde sa légitimité sur la nation. La nation est le nom du peuple politique. L’idée que le pouvoir procède de la nation a été conceptualisée lors de la Révolution, mais lui est antérieure. L’historien David Bell explique comment Louis XVI, sous la pression d’un mécontentement croissant, avait commencé à invoquer le concept de nation comme une source de sa légitimité2, et prétendait « je ne fais qu’un avec la nation », être indissociable de l’idée de nation. Le 17 juin 1789, les députés du tiers état, réunis à Versailles par le roi, se constituent d’eux-mêmes, sur la motion de l’abbé Sieyès, le grand penseur de la souveraineté en cette période, en « Assemblée nationale ». Unilatéralement, elle retire au roi la possibilité d’incarner la nation. Considérant qu’ils représentent « les quatre-vingt-seize centièmes au moins de la nation », sans le clergé ou la noblesse, les députés du tiers état s’approprient la nation. L’assemblée est légitime parce que le peuple se retrouve dans le projet qu’elle incarne. Deux propositions essentielles sont résumées ici : l’État trouve son sens dans la nation, et la nation existe si le peuple s’y reconnaît. Avec l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui veut que « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation », nous avons une définition de ce qu’est une nation politique : un principe de souveraineté, et la manifestation de la « volonté générale ». Mais, pour que la nation ne soit pas qu’un principe juridique, il faut absolument qu’elle existe dans le cœur des citoyens, qu’ils développent une identité nationale vécue subjectivement, c’est-à-dire émotionnellement, dans leur esprit et dans leur chair.
Pourtant, la nation comme identité n’attire les sciences sociales que depuis peu. L’historienne Anne-Marie Thiesse rappelle que l’expression « identité nationale » n’existait pas en France avant les années 1980 et qu’on a commencé à s’y intéresser avec l’émergence de la question de l’identité sociale des groupes humains, que ce soit sous l’influence des psychologues sociaux comme Henri Tajfel ou de sociologues comme Erving Goffman3. Cela ne veut pas dire que le sentiment national n’existait pas avant, et n’a pas une histoire. Il remonte à l’affirmation au XIXe siècle d’États qui défendent la promotion d’une culture comme moyen d’unifier la nation, au point que la nationalisation des identités est un des phénomènes politiques les plus marquants et les plus partagés des deux siècles qui se sont écoulés. La culture politique devient d’abord et avant tout nationale. C’est cet aspect identitaire qui nous intéresse ici : comment l’attachement national se réalise-t-il ? Et particulièrement chez les jeunes ?
Explorer par voie d’enquête le rapport des jeunes à la nation ne dispense pas d’une mise en perspective conceptuelle. Je dirais même plus, la multiplication des petits sondages qui produisent des pourcentages sur une base quotidienne, mais sans vouloir s’ancrer dans les notions qui nous servent à comprendre la nation et la démocratie, est plus trompeuse qu’autre chose. Penser la figure de la nation dans les démocraties suppose de mobiliser et définir trois concepts : la nation, l’État, le « peuple d’État ».
« La Nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police », de Sebastian Roché, Grasset, 400 pages, 22,50 euros.
Claude Lelièvre : L'école républicaine ou l'histoire manipulée
EXTRAITS
Puisque JM Blanquer se présente en vrai républicain, construit-il une école républicaine ? Grand connaisseur de l'histoire de l'Ecole, et spécialement de ses pères fondateurs, l'historien Claude Lelièvre publie un ouvrage (L'école républicaine ou l'histoire manipulée, Le bord de l'eau éditeur) qui passe au crible républicain les grandes réformes de JM Blanquer. Il montre à quel point le débat sur l'école est manipulé par les réactionnaires qui construisent un autre projet d'école, très éloigné de l'école de Jules Ferry. Les mots "République" et "républicains" sont dévoyés pour justifier des réformes qui construisent un autre projet de société. Claude Lelièvre nous en donne des exemples.
"Lorsqu'au nom des lumières on enseigne l'anathème et l'ignorance, la démocratie est en danger. Nous en sommes là". Ces lignes ouvrent votre livre. C'est un ouvrage d'historien ou de militant
C'est un livre d'historien au sens où tout ce qui est évoqué est le résultat d'un travail d'historien. Mais c'est un historien engagé par son travail d'historien. Je trouve dangereux que certaines notions et valeurs soient détournées dans une semi obscurité plus ou moins délibérée qui empêche de discuter de façon approfondie de ce qui s'est passé et de ce qui pourrait se passer car le langage est brouillé. C'est un travail d'historien engagé car l'histoire est détournée sans scrupule. Dans la mesure où je connais certains points c'est de mon devoir d'intervenir. et je le fais en citant mes références, ce qui n'est pas le cas des pamphlets. On est dans une période dangereuse. Il faut que cela cesse et qu'on reparte sur des bases claires et saines. Ce sera un long travail. Il faut commencer tôt.
Tout au long du livre, vous reprenez des réformes de JM Blanquer. Un de ses mantras c'est les fondamentaux : lire, écrire, compter. Avec cela il se présente comme le continuateur de Jules Ferry. Il a raison ?
Il a tort. Il ne peut avancer cela que parce que le public ne connait pas cette histoire. Pour J Ferry, lire, écrire, compter ne vient pas en premier mais en second rang. Pour lui c'est l'instruction civique qui vient en premier. L'objectif premier de l'école c'est de faire des républicains. D'ailleurs J Ferry disait que son école républicaine se distingue de l'ancien régime car elle doit aller bien au delà des rudiments.
(...)
Pour vous, JM Blanquer est-il républicain ?
Au sens fort du terme je ne le pense pas. Il semble préférer le pouvoir personnel. Je ne dis pas que c'est un royaliste ou un tyran. Mais il est dans l'idée du pouvoir personnel et du bonapartisme. Et cela renvoie à la constitution de la Vème République qui n'est pas en continuité avec les constitutions des républiques précédentes et qui est bonapartiste. Même si dans les programmes des candidats à la présidentielle il y a des aspects collectifs, celui qui se présente est toujours montré comme un garant personnel d'un programme. Cela renforce l'idéologie du pouvoir personnel. Il faudrait faire encore un effort pour être républicain...
On voit bien aussi que notre école éduque à la citoyenneté surtout par des cours et des discours et peu par des actes. Eduquer à la citoyenneté en actes faisait partie du plan Langevin Wallon. Cela n'a pas été mis en oeuvre. Et aujourd'hui on le paye.
Propos recueillis par François Jarraud
Claude Lelièvre, L’École républicaine ou l’histoire manipulée. Une dérive réactionnaire. Le bord de l'eau, ISBN 9782356878373, 14€
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Claude Lelièvre : L'école républicaine ou l'histoire manipulée
Puisque JM Blanquer se présente en vrai républicain, construit-il une école républicaine ? Grand connaisseur de l'histoire de l'Ecole, et spécialement de ses pères fondateurs, l'historien Cla...
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Covid-19 et absences à l'école : parents et professeurs s'inquiètent du niveau actuel des élèves
Avant les vacances scolaires de février, certains pointent de graves retards sur les programmes. Le Covid-19 a entraîné de multiples absences, du côté des enfants comme des enseignants.
Depuis deux semaines, la fille de Caroline, élève de 6e à Noisy-le-Grand, en Seine-Saint-Denis, est absente, malade plusieurs jours avant d'avoir été testée positive au Covid-19. Mais pendant tout ce temps, elle n'a eu aucune nouvelle de ses professeurs. "Je ne recevais pas de travail de mes enseignants", raconte la jeune fille, malgré les demandes répétées de sa maman auprès du collège.
Caroline est assez soucieuse que sa fille manque autant de cours, d'autant que son absence s'ajoute à celle de plusieurs professeurs, depuis la rentrée, eux-mêmes malades ou devant garder leurs propres enfants. "Je suis inquiète du décrochage scolaire, confie-t-elle. Il y a eu cette rupture déjà avec le Covid les années précédentes. il y a du retard des élèves, ça se cumule tout ça. Et au final, ce sont des périodes sans travail qui sont longues."
"On a fait garderie"
Selon la Fédération des conseils de parents d'élèves, qui comptabilise sur son site participatif les absences des professeurs, près de 40 000 heures perdues, rien qu'à cause des non-remplacements. De son côté, le dernier bilan du ministère de l'Education nationale, vendredi 28 janvier, fait état de 21 000 classes fermées à cause de l'épidémie, 572 000 enfants et 35 000 professeurs contaminés.
Les familles regrettent ces emplois du temps à trous. Mais elles ne sont pas les seules : les professeurs aussi. Ces dernières semaines, Gaëlle Chable, enseignante dans une école de Troyes et représentante du syndicat Snuipp dans l'Aube, a souvent fonctionné avec seulement la moitié de ses élèves présents. "À un certain moment, on a fait garderie", raconte-t-elle.
"C'était très, très décousu. Nous, ces cinq semaines-là, on a l'impression de les avoir perdues sur l'année." Gaëlle Chable, enseignante à Troyes à france info
"Quand il manque la moitié de la classe, on se demande si on peut faire un nouvel apprentissage, si on peut le faire le lendemain, attendre que tout le monde soit revenu, poursuit-elle. Et puis on n'a pas eu les mêmes élèves en face de nous toute la période." Gaëlle Chable craint des conséquences sur l'ensemble de l'année scolaire.
Covid-19 et absences à l'école : parents et professeurs s'inquiètent du niveau actuel des élèves
Avant les vacances scolaires de février, certains pointent de graves retards sur les programmes. Le Covid-19 a entraîné de multiples absences, du côté des enfants comme des enseignants. Depuis...
« La jeunesse est traversée par un malaise démocratique profond »
EXTRAITS
Dans un entretien au « Monde », les chercheurs Olivier Galland et Marc Lazar, auteurs d’une enquête d’ampleur sur les 18-24 ans, analysent le « désengagement » politique de la jeunesse française.
Olivier Galland est sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS. Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie à Sciences Po, compte parmi les contributeurs de l’Institut Montaigne. Ensemble, ils cosignent une enquête d’ampleur sur « une jeunesse plurielle » menée auprès de 8 000 jeunes, qui croise le ressenti des 18-24 ans avec un échantillon représentatif des deux générations précédentes – celles des parents et des grands-parents.
L’occasion de souligner ce qui a changé d’une génération à l’autre en termes d’engagement politique – ou plutôt de « désengagement », comme le soulignent les auteurs. Mais aussi ce qui a moins (ou très peu) changé en matière de préoccupations sociétales.
On ne manque pas d’enquêtes sur la jeunesse française. Depuis 2020 et la crise sanitaire, qui a fortement touché cette génération, de nombreux chercheurs ont interrogé le « fossé », la « fracture », le « sacrifice » des jeunes… Qu’apportez-vous de plus ou de neuf ?
Olivier Galland : Notre objectif était d’avoir une enquête sur un gros échantillon, pour sortir de la vision « moyenne » de la jeunesse, ou de l’image que certains analystes en tirent en se fondant sur le discours des jeunes que l’on entend s’exprimer car ils sont les plus mobilisés, ou qu’ils disposent de relais.
Il y a bien une jeunesse en tant que classe d’âge, plutôt heureuse, plutôt sensible aux problématiques sociétales, et des jeunesses faites d’individus se rejoignant sur certaines préoccupations, certaines attitudes… Le groupe et les sous-groupes coexistent dans la nuance et la dialectique. En leur sein, des lignes de clivage apparaissent clairement : elles recoupent, par exemple, le « capital culturel » que nous avons pu mesurer à partir d’une question assez simple – celle du nombre de livres possédés dans le foyer parental. Ou le sexe : filles et garçons se positionnent très différemment sur bon nombre de questions.
Marc Lazar : Ce clivage entre les sexes nous a frappés. Il y a bien une jeunesse féminine, constituée de jeunes femmes à l’avant-garde sur beaucoup de questions politiques, très sensibles aux violences sexuelles, mais qui ne se reconnaissent pas pour autant dans la vie politique et associative du pays. Elles ont un ethos assez protestataire tout en rejetant, davantage que les garçons de leur âge, la violence politique et sociale. Ces jeunes filles représentent un potentiel démocratique réel, et pourtant, on ne les retrouve pas dans les associations et les organisations constituées. Peut-être parce que ces formes politiques sont trop masculines ? Nous mettons cela en débat.
(...)
Quel vous semble être, d’une génération à l’autre, le clivage majeur ?
M. L. : Il est de nature politique. L’affiliation politique et l’attachement exprimé à l’égard du système démocratique sont nettement en recul d’une génération à l’autre. L’enquête identifie une frange importante de la jeunesse (26 %) qui se positionne à l’écart du débat démocratique. Ces jeunes-là, des « désengagés », sont souvent invisibles ; ils ne disposent pas de porte-voix et ne cherchent d’ailleurs pas à en avoir. Sur la totalité du panel, presque la majorité – de 40 % à 50 % – ne se reconnaît dans aucun parti, soit quasiment le double de ce qu’on a mesuré auprès de l’échantillon des 46-56 ans. On peut évidemment se demander si c’est là un « effet âge » [un effet du manque d’expérience politique] ou un « effet génération ». Mais l’écart est si fort qu’il nous semble compliqué de le réduire à la première explication.
O. G. : On retrouve ces clivages en matière de violence politique. Aujourd’hui, pratiquement un jeune sur deux estime compréhensible de pouvoir affronter des élus ; et pas loin d’un jeune sur cinq trouve acceptable de dégrader un espace ou un établissement publics. Cela reste une minorité, sans doute, mais c’est très supérieur aux mesures faites auprès des générations antérieures. On a en tête la violence de la jeunesse étudiante des années 1960 et 1970 ; l’historiographie récente a montré qu’elle impliquait aussi une partie de la jeunesse ouvrière. Aujourd’hui, c’est différent : c’est à la fois le canal de l’extrémisme politique qui s’exprime, plus à gauche qu’à droite, mais aussi le canal des jeunes en grande difficulté sociale et personnelle.
(...)
De ce portrait de la jeunesse, quels enseignements tirez-vous, à moins de cent jours de la présidentielle ?
M. L. : Cette génération est traversée par un malaise démocratique profond sur lequel les responsables politiques ont tout intérêt à ouvrir les yeux. Cela aura indubitablement des conséquences dans les urnes en termes d’abstention. Un quart des sondés – ceux que nous avons appelés les « désengagés » – sont indifférents à la politique, mais une frange importante, presque 40 %, est en attente de démocratie participative. Ceux-là constituent un potentiel de voix pour les candidats. Reste à savoir comment les impliquer.
O. G. : L’école peut sans doute jouer un rôle. Au-delà des querelles artificielles qu’elle suscite dans la campagne présidentielle, l’institution scolaire peut participer à l’éveil du citoyen, à former son esprit critique et son sens du débat. Je ne dis pas qu’on doit faire de la politique à l’école, mais que l’école peut aider à retisser de la confiance entre la jeunesse et la politique.
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" La jeunesse est traversée par un malaise démocratique profond "
Olivier Galland est sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS. Marc Lazar, professeur d'histoire et de sociologie à Sciences Po, compte parmi les contributeurs de l'Institut Montaigne ...
Education à la sexualité: l’école pudique
Une enquête du collectif #NousToutes que dévoile «Libération» montre que la loi de 2001, prévoyant trois séances annuelles d’éducation à la sexualité du CP à la terminale, est loin d’être appliquée.
«Au lycée, je n’ai pas du tout eu de cours d’éducation sexuelle. Sur tout le collège, il y a dû y avoir trente minutes en tout où on en a parlé.» En primaire rien de plus à signaler, déplore un élu du Conseil de la vie lycéenne du bassin Nord-Paris. Bien loin des trois séances annuelles du CP à la terminale imposées par la loi Aubry de 2001. Conviés au lycée Jean-Drouant à Paris le 23 novembre à l’occasion d’un déplacement ministériel sur l’«application et le contenu des séances d’éducation à la sexualité», les lycéens ont confronté avec aplomb Elisabeth Moreno, ministre chargée de l’Egalité, Sarah El Haïry, secrétaire d’Etat chargée de la Jeunesse et Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance. Derrière l’imposant mur de briques rouges de cette école hôtelière, les constats fusent et se ressemblent. «Ça n’intéresse pas vraiment les profs», juge l’un. «C’est toujours très bref» et «tabou», renchérit une autre. Un camarade se souvient d’interventions en primaire qui partaient en «fou rire» et du vide depuis la cinquième. A quelques fauteuils de là, une ado fait état de plusieurs venues d’intervenants extérieurs au collège : «Je me rends compte que j’ai eu de la chance.» Semblant ignorer les multiples alertes de ces dernières années, Elisabeth Moreno lance : «Les bras m’en tombent un peu, on aurait aimé entendre que vous aviez eu de super cours.»
Dévoilée par Libération, une enquête du collectif féministe #NousToutes (1) auprès de plus de 10 900 personnes ayant effectué au moins une année au collège ou au lycée depuis 2001, enfonce le clou. Les répondants n’ont eu en moyenne que 2,7 séances d’éducation à la vie sexuelle et affective, soit à peine 13% des 21 séances qu’ils auraient dû avoir. «Ce qui est inquiétant, appuie Sophie Barre, membre du collectif et professeure d’anglais jusqu’en 2020, c’est qu’en analysant les résultats sur les dix dernières années, il n’y a pas eu d’évolution. Les gens âgés de 28 ans aujourd’hui ont eu en moyenne 3,9 séances, tandis que ceux âgés de 18 ans en ont eu 4.» Ces précieuses heures sont majoritairement dispensées au collège (55,3% de cas) par des enseignants de Sciences et vie de la Terre ou un intervenant extérieur. Le rapport de l’inspection générale de l’éducation, censé dresser un bilan, serait bloqué «dans les tuyaux» depuis juin, selon l’Education nationale, qui avance que 88% des établissements mettaient en place des actions de sensibilisation à la sexualité en 2018.
Mépris de la loi
Ce mépris de la législation avait été dénoncé en 2016 par un rapport du Haut Conseil à l’égalité : 4% des collèges et 11,3% des lycées n’avaient mis en place aucune séance, pointait le rapport. Malgré la publication d’une circulaire ministérielle de rappel en 2018, les comptes ne sont pas bons. Au sein de l’académie de Paris par exemple, moins de 20% des élèves du secondaire suivent une séance d’éducation sexuelle chaque année. Grégory Prémon, directeur académique adjoint, présent au déplacement du 23 novembre, salue malgré tout «une sensibilisation assez forte avec plus de 30 000 élèves concernés». Se félicitant d’une «dynamique positive» et d’une «libération de la parole sur un sujet encore très tabou il y a dix ans», il entend «encore progresser». En plus de catalyser panique morale et crispations identitaires – difficile d’oublier les fugaces ABCD de l’égalité sous François Hollande – les séances d’éducation à la sexualité semblent jouir d’un statut à part, les rendant facultatifs. «On ne respecte pas la loi que quand ça nous paraît possible ou que quand ça nous arrange !» tonne Sophie Barre.
Le contenu même de ces séances – réclamées par des élèves dont la conscience des enjeux d’égalité et de genre est de plus en plus aiguisée – ne comble pas les attentes. «C’est vraiment concentré sur un aspect biologique, scientifique. En réalité, on va pas se questionner sur comment fonctionne les hormones pendant un rapport sexuel», lance une élève à l’adresse des ministres. Un constat rejoignant celui de #NousToutes qui relève que la majorité des thèmes abordés sont en réalité inscrits au programme de SVT soit «la reproduction, la contraception, les maladies et les organes génitaux», déroule Sophie Barre. Les démarches sont pourtant censées être complémentaires : d’un côté une vision factuelle, d’acquisition de connaissances, en cours de SVT, et de l’autre, «l’idée de réflexion, d’échange avec les élèves en partant de leurs expériences», explique la militante.
La circulaire de 2018 l’inscrit noir sur blanc : les séances doivent, certes, couvrir le champ biologique mais aussi psycho-émotionnel (respect du corps, orientation sexuelle, identité de genre etc.) et juridique (consentement, violences sexistes et sexuelles, droits des enfants…). La quasi totalité des répondants ont abordé le premier, ce qui explique que 51,4% se sentent prêts à gérer les «aspects pratiques d’une relation sexuelle». Quant aux domaines, psycho-émotionnel et juridique, ils n’ont été vus que par environ la moitié des interrogés. Le quantitatif et le qualitatif se recoupent ici : difficile d’aborder une telle variété de sujets en seulement deux à trois interventions en sept ans. En conséquence, une large majorité des répondants estime qu’elles ne remplissent pas les objectifs inscrits dans les textes officiels de «présenter une vision égalitaire» des relations (65,9% en désaccord), «favoriser le respect de soi et autrui et l’acceptation des différences» (72,5%) ou de «combattre les préjugés sexistes et homophobes» (85,1%).
«Pouvoir transformateur»
Conçues comme un outil d’émancipation pour les élèves, ces séances sont pourtant un véritable levier de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. «La petite fraction de personnes qui en ont eu par exemple plus de dix durant leur scolarité avec des intervenants variés et sur des thèmes divers ont clairement vu un impact plus positif», relève Sophie Barre en insistant sur leur «pouvoir transformateur». Un exemple ? Avoir abordé la notion de consentement lors d’au moins une intervention «fait passer de 15 à 82% la part des personnes déclarant qu’elles connaissent sa définition et veilleront à le faire respecter dans leurs futures relations». Même conclusion sur le sujet des violences sexuelles, qui fait «passer de 11 à 50% la part des répondantes et répondants se disant capables de repérer une situation de violence».
Mis face à l’insuffisance du dispositif en vigueur par les lycéens, le secrétaire d’Etat Adrien Taquet avait annoncé lors du déplacement de novembre aux jeunes représentants l’arrivée prochaine de nouveaux vadémécums à destination des académies. Du réchauffé puisque des guides à destination des personnels ont déjà été élaborés en 2017 puis en 2019. Deuxième annonce : une labellisation des associations pouvant intervenir dans ce cadre… Alors que des agréments pour intervenir dans l’éducation nationale existent déjà. «C’est réinventer quelque chose qui existe déjà !» martelait en novembre le Planning familial, convié au lycée Drouant. La secrétaire d’Etat Sarah El Haïry défendait tout de même le bilan gouvernemental : «On met de nouveaux outils à disposition, on a renforcé le module de formation [à l’égalité, ndlr] pour les enseignants, c’est plus de 18 heures en formation initiale.»
Des efforts encore insuffisants. Au manque de volonté politique s’entremêle toujours la question des moyens. «On ne répond pas à toutes les demandes qu’il y a en France, on n’a ni les moyens ni les personnes. On ne peut pas combler tous les manques de l’Education nationale», appuie le Planning familial, qui confirme le tableau dépeint par les lycéens. Du côté des infirmières scolaires, également sollicitées, même goulot d’étranglement. «Il y a un manque cruel de personnel formé et disponible pour nous aider. On doit être en binôme mais il arrive que les infirmières interviennent seules», constate Gwenaëlle Durand, secrétaire générale du Snies-Unsa, qui insiste sur la nécessité d’une mise à niveau régulière. De l’argent pourtant il y en avait : #NousToutes rappelle que Jean-Michel Blanquer s’est vanté d’avoir rendu en décembre 75 millions d’euros à Bercy de crédits non dépensés.
«Ça peut faire peur»
Au lycée Marguerite-de-Flandre à Gondecourt (Nord), la mobilisation d’une équipe de six personnes, formée en 2018 par l’académie, permet d’assurer une séance annuelle à toutes les classes de seconde. Nombre d’heures de cours très élevés, programmes surchargés… malgré la bonne volonté, difficile d’envisager plus. «Il faut trouver les créneaux horaires, soit 120 heures à placer pour quinze classes, mais aussi des collègues volontaires qui y croient et ont envie de s’investir», note le proviseur Christophe Courdent, en ajoutant : «C’est accepter de faire des heures en dehors de leur discipline, d’être mis en porte à faux par des élèves. Il n’y a pas de réponse toute faite sur les questions d’intimité. Ça peut faire peur.» Sophie Barre a exercé au sein de quatre lycées en dix ans et n’a, elle, jamais vu la tenue d’une seule intervention sur ce sujet. «Il y a un déficit en termes de priorité», regrette-t-elle. Cette difficulté à faire entrer le champ de la vie sexuelle et affective à l’école est symptomatique d’une vision très académique de l’éducation. «En France, dans les établissements, il n’y a que l’enseignement, contrairement à d’autres pays comme le Royaume-Uni. L’éducation à la sexualité c’est de l’humain, des rapports sociaux», analyse-t-elle en relevant aussi des «réticences d’ordre conservatrices», qu’elles soient religieuses ou non, auxquelles la salle des profs, comme le reste de la société, n’échappe pas. Une certaine frilosité peut aussi être constatée chez certains parents qui craignent une forme de «corruption» de leurs enfants, particulièrement en primaire, et peuvent estimer que ces sujets ne relèvent pas de la responsabilité de l’école.
Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale, pointe surtout une multiplication des priorités intenables au vu des ressources disponibles : «Il faudrait faire quelque chose autour de l’éducation à la sexualité, du harcèlement, de la laïcité, des conduites à risques, ça ne s’arrête jamais.» L’annonce par le Premier ministre de l’organisation d’une semaine de l’égalité dans les établissements autour du 8 mars est, pour lui, du même ordre. Parlant d’une «foire aux référents et semaines à thème», il enjoint : «Mettons ça clairement dans les programmes disciplinaires.» Une manière de rendre son application vérifiable, tout en maintenant des interventions extérieures. Une fausse bonne idée ? «Ce qui est enseigné est évalué, considéré comme une discipline avec des connaissances à acquérir, pour moi c’est antinomique [avec l’éducation à la sexualité]. Pour que les élèves se sentent libres de s’exprimer, il faut que ça soit en dehors des programmes», estime Sophie Barre. L’urgence est plutôt de sanctuariser des moments dédiés. A Gondecourt, milieu semi-rural où les élèves sont tributaires du ballet des bus, instituer une «plage horaire pour les projets de ce type dans l’emploi du temps» serait une piste à creuser pour le proviseur.
Appelant à enfin prendre le fléau des violences et inégalités à la racine, #NousToutes lance une pétition pour réclamer l’application de la loi. Vingt ans après et trois présidents plus tard, cet enjeu constelle déjà le programme de plusieurs candidats de gauche. Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon s’engagent notamment à renforcer leur application tandis que Christiane Taubira entend mettre en place au collège une «éducation sexuelle au consentement», qui aboutirait à «un brevet de la non-violence».
Marlène Thomas
(1) L’enquête a été lancée le 29 octobre sur les réseaux sociaux pour une durée d’un mois. 10 938 personnes anonymes y ont répondu via un formulaire en ligne.
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Education à la sexualité: l'école pudique
"Au lycée, je n'ai pas du tout eu de cours d'éducation sexuelle. Sur tout le collège, il y a dû y avoir trente minutes en tout où on en a parlé." En primaire rien de plus à signaler, déplor...
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La sexualité, une question d'éducation
Les recteurs d'académie ont reçu jeudi une circulaire ministérielle leur rappelant que les cours d'éducation sexuelle étaient obligatoires depuis 2001. L'occasion de tordre le cou à une campa...
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En classe, des ados dans le vague et des préjugés bien ancrés
Sur la délicate question de l'éducation sexuelle en milieu scolaire, Sarah Durocher, animatrice pour le Planning familial dans les collèges depuis plus de dix ans, évoque le long chemin à parc...
Bolloré risque de s'emparer de 84 % de l'édition en parascolaire. De 74 % en scolaire…
EXTRAITS
Antoine Gallimard : « La fusion entre Editis et Hachette Livre risque d’avoir des effets délétères sur la création littéraire française »
Le PDG de Madrigall explique, dans un entretien au « Monde », pourquoi il se mobilise, avec d’autres éditeurs, contre l’opération annoncée par Vincent Bolloré.
Le PDG du groupe Madrigall (Gallimard, Flammarion, Casterman…) redoute un effet de souffle lié à la conjugaison des puissances de Vivendi et de Lagardère.
Quelle taille le nouveau groupe occuperait-il ?
Selon nos analyses, il concentrerait 52 % du top 100 des ventes de livres en France [selon des données GFK 2020 consolidées]. Dans le poche de littérature générale, selon ce même critère, sa part de marché atteindrait 78 %. Dans le secteur de l’éducation, si sensible socialement et politiquement, le constat est sans appel : 84 % en parascolaire, 74 % en scolaire… Il n’y a donc pas à douter que cette fusion créerait une situation de domination jamais atteinte sur le marché français, creusant un fossé énorme avec les autres entreprises d’édition, en captant en particulier les livres de plus grande diffusion.
Son poids serait aussi démesuré dans la diffusion et la distribution, qui conditionnent la vente des livres. La moitié des exemplaires diffusés en France le seraient par la nouvelle entité, et 60 % seraient expédiés des entrepôts de Vivendi-Lagardère, laissant très loin derrière les concurrents. Combinée au poids du nouveau groupe sur les best-sellers, cette situation serait délétère pour toute la filière, atteinte dans sa rentabilité et ses marges de manœuvre éditoriales. Cette domination serait accentuée sur certains circuits de vente : 70 % dans les grandes surfaces alimentaires, 52 % dans les grandes enseignes spécialisées. Et même 100 % dans les supermarchés ! Il ne faut pas imaginer que la librairie serait épargnée, le poids cumulé des deux groupes atteignant plus de 46 % en distribution sur ce réseau [source Datalib et GFK, consolidées].
(...)
Que craignez-vous ?
La filière ne pourra conserver sa pluralité si un acteur ultra-dominant s’approprie le plus gros de sa valeur. Et on ne peut concevoir que les aspirations de développement international d’un seul se fassent aux dépens de la vitalité de notre marché intérieur. On a bien vu, après la décision de Bruxelles de 2004 qui avait obligé Hachette à céder les actifs de VUP, que le développement de la filière suppose une diversité des acteurs, y compris chez les plus grands. Des maisons de tailles diverses, grandes, moyennes et petites, ont pu continuer à se développer. L’absence de réel numéro deux sur notre marché serait un risque, tant pour le libre jeu de la concurrence que pour la diversité éditoriale qui en dépend. De ce point de vue, nous sommes dans la droite ligne de 2003.
Mais ce que nous craignons aujourd’hui plus encore, ce sont les effets congloméraux qui pourraient découler d’une telle fusion. Le groupe de Vincent Bolloré est présent dans le domaine des médias, de l’audiovisuel, de la publicité (Canal+, CNews, Banijay, Havas, etc.). Avec Lagardère, cette dimension conglomérale s’accentuerait de façon très sensible, comme on peut le constater dans les programmes communs déjà mis en place entre Europe 1 [Lagardère] et CNews – alors que Bruxelles n’a pas encore rendu d’avis ! Nous redoutons un effet de souffle lié à la combinaison de cette puissance éditoriale, médiatique et publicitaire, en particulier sur le marché des droits et des licences internationales.
Sur le marché du livre, ce mélange des genres peut agir comme un cyclone. Avec son pouvoir d’attraction, le groupe de Vincent Bolloré pourrait assécher les terres de l’édition, en s’accaparant des droits à des prix d’acquisition hors marché. C’est un des piliers de notre culture du livre qui pourrait alors être atteint : la péréquation économique entre des livres de fonds et des livres d’exploitation rapide, laquelle permet le financement de la création dans toute sa diversité.
(...)
Aux Etats-Unis, le rachat de Simon & Schuster par Penguin Random House est pour l’instant bloqué par le ministère de la justice. Est-ce un bon signe à vos yeux ?
C’est un signal fort. Ce qui se passe sur les marchés anglo-saxons pèse forcément sur les modalités d’appréciation à Bruxelles. Les autorités de la concurrence accordent peut-être aujourd’hui plus d’importance aux effets que peuvent avoir des opérations financières sur le tissu social et culturel.
Avez-vous des alliés européens ?
Pas vraiment pour le moment. Mais je suis curieux de savoir comment le milieu culturel espagnol va aborder le sujet d’une éventuelle prise de contrôle de Prisa [El Pais…] par Vivendi.
« Après la “guerre” contre le Covid-19, ouvrir une phase dite de “reconstruction” s’impose »
EXTRAITS
Alors que la répartition des moyens aux écoles pour la rentrée 2022 se prépare, Sylvain Canet, directeur, se demande si l’on peut faire l’économie d’une prise en compte de la crise sanitaire dans l’attribution des postes d’enseignants. « Actons un gel des fermetures pendant deux années au moins », défend-il dans une tribune au « Monde ».
Tribune. La rentrée de septembre 2022 doit-elle être semblable à toutes les autres ? Les arbitrages académiques quant aux fermetures et ouvertures de classes pour septembre se décident actuellement. Une fermeture, dictée par le seul prisme du chiffre et des effectifs, engendre une augmentation du nombre d’élèves dans les classes maintenues, en y complexifiant les apprentissages. Elle force le départ d’un enseignant, déséquilibre une équipe construite et compromet parfois un projet d’école.
La logique strictement comptable correspond-elle aux besoins criants que deux années de crise sanitaire dans les écoles révèlent ? Alors que certaines villes ont connu un exode urbain à la pérennité encore non établie, on doit craindre une gestion déconnectée du réel qui ne tiendrait pas compte des vingt-quatre mois passés : des écoles fermées puis maintenues ouvertes, placées sous de multiples protocoles sanitaires ; des élèves affectés par les dommages collatéraux – tests à répétition, confinements, isolements, absences non remplacées, etc. On doit se protéger d’une nouvelle mise en tension éducative des écoles.
Après ces deux années sur un front sanitaire et pédagogique perturbé ne devrait-on pas considérer que, après la « guerre » contre le Covid-19, ouvrir une phase dite de « reconstruction » s’impose ? Ne faudrait-il pas questionner ces fermetures et préférer les « sous-effectifs » aux « sureffectifs » ?
(...)
Je suis témoin de classes qui ne suivent pas leurs progressions normalement. Combien d’enseignants n’ont jamais vu leur effectif au complet depuis fin octobre 2021 ? Des élèves isolés, des variants successifs, des classes qu’on ferme en décembre ou qu’on suspend en janvier pour des enseignants infectés qu’on ne peut plus remplacer, ce sont autant d’enseignements amputés, réduits ou à revoir, autant de compromis avec le programme, malgré les montagnes déplacées. Des failles apparaissent, et c’est autant d’élèves en difficulté dont les grandes fragilités n’ont pu être résolues. Combien de réunions aux sujets sensibles ont dû être déplacées ou annulées sans pouvoir statuer en présentiel ? Combien de dossiers « maison du handicap »mal ficelés ? Combien d’accompagnants des élèves en situation de handicap ont manqué ?
(...)
Au sortir de cette séquence douloureuse, la nécessité impose de reconstruire les fondamentaux pendant autant d’années que cette crise les a meurtris. Et s’il faut compter : deux ans de perturbations majeures valent bien deux ans de reconstruction. Actons donc un gel des fermetures pendant deux années au moins. Défendons l’idée selon laquelle les classes profiteraient bien d’effectifs limités, parfois même confortables, pendant un temps déterminé ; que la stabilité serait une garantie de bonne reprise en septembre ; qu’une telle initiative dite de reconstruction favoriserait les remédiations espérées. Et qu’au contraire des fermetures affecteraient les élèves plus durement.
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TRIBUNE. Alors que la répartition des moyens aux écoles pour la rentrée 2022 se prépare, Sylvain Canet, directeur, se demande si l'on peut faire l'économie d'une prise en compte de la crise ...