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« On ne combat pas des dérives en faisant la guerre à l’intelligence »
Les 7 et 8 janvier s’est tenu dans le plus bel amphithéâtre de la Sorbonne un colloque intitulé « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture ». Une bonne soixantaine d’universitaires issus de toutes les disciplines y avaient été conviés par Pierre-Henri Tavoillot, président du Collège de philosophie, avec pour partenaires le Comité Laïcité République, l’Observatoire du décolonialisme (en la personne de son rédacteur en chef, Xavier-Laurent Salvador) et Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale.
Répartis en trois sections et douze tables rondes, les intervenants disposaient de huit à vingt minutes pour exprimer leur hostilité à la « pensée woke », considérée comme l’instrument d’une destruction de la civilisation occidentale. Plusieurs s’étaient récusés au dernier moment pour cause de maladie.
Le mot « woke » servait, à la fin du XXe siècle, à définir un mouvement de prise de conscience (un « éveil ») des discriminations subies par les Noirs, par les femmes ou par les minorités sexuelles : on parlait alors de « culture woke ». Depuis 2020, le mot a été repris par les opposants à cette culture qui se plaisent désormais à la dénigrer en comparant ses représentants à une tribu communautariste. Ne classent-ils pas les sujets en fonction de leur race, de leur genre ou de leur religion, afin de réclamer des réparations pour des offenses subies depuis la nuit des temps ?
Aux yeux de leurs détracteurs, les artisans de cette politique identitaire ne seraient qu’un ramassis de néoféministes, d’islamo-gauchistes, de déboulonneurs de statues, de LGBTQIA+, adeptes de la « culture de l’annulation » (cancel culture), tous complices des attentats contre Charlie Hebdo et Samuel Paty. Ils auraient ainsi « gangréné » l’université française pour la transformer en un vaste campus américain. Quant aux défenseurs de cette politique identitaire, de plus en plus actifs, ils regardent leurs adversaires comme de sombres islamophobes, racistes et misogynes. D’où une déferlante d’insultes de part et d’autre.
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Convaincus que ce « mouvement » menace le monde civilisé, les participants au colloque ont vanté les mérites de leur livre fondateur : La Pensée 68. Essai sur l’anti-humanisme contemporain. Publié en 1985 par Luc Ferry et Alain Renaut, l’ouvrage racontait déjà la même histoire : Lacan, Bourdieu, Derrida, etc., étaient déjà regardés par les auteurs du livre comme les sinistres héritiers d’une pensée obscure (Freud, Marx, Nietzsche et Heidegger) ayant donné naissance à deux totalitarismes : le stalinisme et le nazisme.
Quand on sait que Foucault était libéral, proche un temps de la deuxième gauche, et que Derrida, ami de Nelson Mandela, soutenait non seulement les dissidents de Prague mais aussi Salman Rushdie, que Lacan était peu favorable aux barricades, on regrette que les intervenants de la Sorbonne se soient éloignés de toute cohérence historique. Inutile de dire que Freud ne fut en rien un dynamiteur de civilisation mais bien un penseur attentif à ses malaises et aux pulsions mortifères qui la menaçaient et la menacent encore.
Armés de l’hypothèse des « trois âges » et hantés par les barricades de la rue Gay-Lussac, les intervenants de ce colloque visaient moins les dérives identitaires contemporaines – issues des études (studies) de genre et de décolonialité – qu’une armada imaginaire de furieux guillotineurs qui auraient, depuis mai 1968, détruit l’école républicaine. Drôle de « mouvement » !
L’avenir, un cauchemar peuplé de monstres
A l’exception de [l’essayiste québécois] Mathieu Bock-Côté – soutien d’Eric Zemmour –, ces intervenants ne sont pas d’extrême droite, ils n’ont pas réhabilité la France de Vichy. Mais ils se sentent les victimes d’une pensée (le wokisme) dont ils ne parviennent pas à endiguer les méfaits : « C’est fichu », disent-ils en chœur.
Et c’est au nom de cette attitude réactionnaire, inspirée par une époque tourmentée, qu’ils ont réussi à former un collectif destiné à combattre le passé sans avoir à penser ni le présent, qui les révulse, ni l’avenir, qu’ils se représentent comme un cauchemar peuplé de monstres. De quelle « reconstruction » parlent-ils ? On a peine à le savoir. Citons quelques exemples.
Pierre-André Taguieff avait envoyé une vidéo dans laquelle il qualifie Derrida de chef de file d’une « secte intellectuelle internationale » hostile à « l’homme blanc ». Eric Anceau a pris la défense d’Olivier Pétré-Grenouilleau, historien des traites négrières, stupidement attaqué en 2005 par un collectif mémoriel n’ayant aucun rapport avec une quelconque entreprise de déconstruction. Pierre Vermeren a présenté la « pensée 68 » comme la résultante d’une « décomposition dramatique et sanglante de l’Algérie française ». Par la perte de son empire, la France serait devenue une sorte de colonie africaine, intellectuellement régentée par trois adeptes du déconstructionnisme nés en Algérie, et donc déracinés de leur ancrage territorial : Jacques Derrida – toujours lui –, Louis Althusser et Hélène Cixous, brocardée sans ménagement.
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Mais le clou du spectacle fut le discours du ministre de l’éducation nationale. Regrettant que tant d’enseignants aient un tel appétit pour la déconstruction, Jean-Michel Blanquer prononça ces mots qui se passent de commentaire : « Il s’agit de re-républicaniser l’école, car (…) l’école de la République est une école de la République. » Et encore : « Certains cherchent à ringardiser l’approche française de la laïcité, à nous dire qu’elle serait un concept spécifiquement français, incompréhensible ailleurs (…). Je prétends totalement le contraire. Il y a d’autres pays que le nôtre qui ont connu ou qui connaissent la laïcité : à commencer par la Turquie (…) ou l’Uruguay. » Alors qu’en Turquie la religion reste soumise à l’Etat, et qu’en Uruguay le principe de laïcité est sans cesse mis en cause, de tels propos peuvent étonner.
On sait que les revendications identitaires, qui travaillent la société occidentale, sont nées d’un phénomène de repli sur soi postérieur à la chute du mur de Berlin. Et s’il est vrai que les chercheurs qui les théorisent souvent de manière outrancière s’inspirent aujourd’hui, au moins en partie, des penseurs français des années 1970, cela ne signifie pas que les uns et les autres soient coupables d’un « ethnocide » (Taguieff) anti-occidental. A cet égard, les universitaires réunis dans ce conclave devraient, en vue de leur prochain colloque, réviser leur copie : on ne combat pas des dérives en faisant la guerre à l’intelligence.
Elisabeth Roudinesco est historienne, chargée d’un séminaire d’histoire de la psychanalyse à l’Ecole normale supérieure. Cofondatrice de l’Institut Histoire et Lumières de la pensée et collaboratrice du « Monde des livres », elle a récemment publié « Soi-même comme un roi. Essai sur les dérives identitaires » (Seuil, 2021).
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" On ne combat pas des dérives en faisant la guerre à l'intelligence "
TRIBUNE. Le colloque organisé les 7 et 8 janvier à la Sorbonne contre la supposée " pensée woke " s'apparente à une sorte de banquet totémique où ont été voués aux gémonies les meilleurs...
Education/Présidentielle 2022 - Des projets timides concernant l' éducation et la notion de "programmes"
A moins de cent jours du premier tour de l'élection présidentielle, il est peu question de programmes. A l'Ecole, les programmes sont nos feuilles de route. Celles des élèves aussi.
Alors à tous les candidats, je voudrais dire ceci :
Une réflexion aurait du être progressivement menée autour de la notion de discipline scolaire et derrière elle, la question des « programmes ». Deux pistes auraient pu être explorées :
d’une part, scinder les programmes traditionnels en « unités » présentant une cohérence soit de contenu, soit de compétence (démarche proche de la mise en œuvre des « unités de valeurs » à l’Université au début des années soixante-dix) ;
d’autre part, la piste plus ambitieuse proposée, entre autres mais particulièrement, par Edgar Morin consistant à articuler les enseignements des disciplines autour de grandes questions que se pose tout être humain : l’identité terrienne, la condition humaine, qu’est-ce que comprendre un phénomène, comment se construit le savoir, etc. ?
En mars 1998, au moment de la consultation nationale « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? », Edgar Morin avait proposé au Ministère de l’Éducation nationale l’organisation de journées thématiques qui ont regroupé plus d’une soixantaine d’enseignants et de chercheurs de renom. L’idée de départ était de prouver qu’une autre façon de considérer les savoirs et leur enseignement était possible. Les réalités et problématiques du monde d’aujourd’hui sont multidimensionnelles et complexes. Leur enseignement se fait à partir de disciplines compartimentées, elles-mêmes souvent fragmentées en spécialités disjointes : l’élève étant supposé opérer de lui-même des liens, des articulations. Le défi est au contraire de permettre à chaque humain d’accéder à cette culture complexe en proposant une cohérence d’ensemble.
Les disciplines ne sont pas un objectif en soi, elles sont des outils intellectuels pour penser le Monde. Le savoir (dispensé par l’École) doit répondre aux questions essentielles de la conscience humaine : qui sommes-nous, d’où venons-nous, où sommes-nous, comment fonctionne le monde, comment évolue-t-il ? Comme le souligne Edgar Morin, ces journées avaient pour objet de relever un défi : « favoriser l’émergence de nouvelles humanités à partir des deux polarités complémentaires et non antagonistes, la culture scientifique et la culture humaniste » ; permettre ainsi à chaque humain « de se reconnaître humain et de reconnaître en autrui un être humain complexe ; de devenir apte à se situer dans son monde, sur la terre, dans son histoire, dans sa société ». (Le défi du XXIe siècle. Relier les connaissances, p. 15). Vingt-quatre ans après, l’analyse garde toute sa pertinence ; pourtant vingt-quatre ans après, l’École est inchangée. L’élève subit un enseignement toujours aussi fragmenté et une journée de collégien ressemble à un inventaire à la Prévert : calcul algébrique, étude du devoir argumenté, exercices de flûte - aujourd'hui de chant choral -, dialogue en anglais… se succèdent au gré des emplois du temps. Qu’a « construit » ce collégien au terme de sa journée ? La question lui est-elle d’ailleurs posée ? Parfois, j'en ai connu plus d'un, il se la pose. Peut-être serait-il temps d'enfin lui répondre...
Placer la question du sens au cœur de la rénovation à mener est une urgence. On se doute des réticences (pour ne pas dire plus) que cela engendrerait : j'ai déjà dit en d'autres occasions diverses, – pour la simple inscription des matières dans les perspectives du Socle commun – combien les « territoires disciplinaires » résistent. C’est un processus de longue haleine qu’il conviendrait d’initier : refonder cette École du XXIème siècle ne peut s’envisager que sur une dizaine d’années, et donc obtenir l’adhésion du corps social pour que les alternances politiques ne viennent pas altérer le processus. Ce que d'autres pays ont su et surtout VOULU faire en commun.
Pourtant, dans les deux cas, les bénéfices d’une telle révolution scolaire seraient considérables. Il s’agirait de permettre à l’élève d’être dans une spirale positive de construction des savoirs :
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l’élève peut continuer d’avancer dans les matières où il réussit sans s’ennuyer à refaire la même chose là où il échoue. En cas de difficultés, l’élève va à son rythme ;
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cela « remixe » les groupes et oblige à tisser des liens plus nombreux avec d’autres d’âges très différents.
Christophe Chartreux
Quand le Président de la République "emmerde" les enseignants...
Blanquer reçoit les félicitations présidentielles
Face à la grève des enseignants et à l’affaire d’Ibiza, l’Elysée sort l’artillerie. "Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’école ouverte, est en proie à une offensive de déstabilisation insupportable", selon un proche du président de la République.
Ledit ministre a même reçu les félicitations présidentielles pour son intervention de sortie de crise qui "a apaisé la situation".
Olivier Véran, le ministre de la Santé a, lui, été prié de se montrer "plus coopératif pour l’organisation des tests dans les établissements scolaires qui relèvent de sa responsabilité".
Challenges
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Quand Blanquer reçoit les félicitations présidentielles - Challenges
Pas de plaintes ni de jérémiades du côté du Parti animaliste sur le manque de parrainages. Hélène Thouy, sa candidate à la présidentielle, reconnaît pourtant bien volontiers qu'il lui en m...
https://www.challenges.fr/politique/blanquer-recoit-les-felicitations-presidentielles_797649
À propos du témoignage de deux enseignants qui veulent quitter l'école
EXTRAITS
La question de « la crise de la vocation » et de l’augmentation des démissions dans l’enseignement est devenue une question médiatique. Analyse de deux témoignages d'enseignants qui veulent démissionner de l'Éducation Nationale pour des raisons toutefois radicalement différentes.
À propos du témoignages de deux enseignants qui veulent démissionner de l’éducation nationale ( EN)
La question de « la crise de la vocation » et de l’augmentation des démissions dans l’enseignement est devenue une question médiatique comme le montre la récente publication de deux témoignages de jeunes professeurs sur deux sites pourtant politiquement opposés. Malgré leurs options idéologiques différentes, l’analyse comparée de ces deux témoignages montre que l’augmentation des démissions dans l’Education Nationale ( EN) ne s’explique pas uniquement par la dévalorisation du métier d’enseignant (dont ne parlent d’ailleurs pas ces professeurs).
Le premier témoignage publié par « Front populaire », le magazine de Michel Onfray, est celui de Raphael, jeune professeur d’espagnol, qui « comme de nombreux enseignants, a décidé, à contre-cœur, de claquer la porte de l’Éducation nationale » en raison du « nivellement par le bas, des mauvais comportements des élèves et de la tyrannie de la bienveillance »1. En effet selon Raphael « l’autorité, pour l’Éducation nationale, est un mot grossier qui est volontairement confondu avec l’autoritarisme. La peur, la lâcheté de l’administration font que non seulement le professeur est abandonné à son propre sort en cas de conflit avec un élève ou avec un parent, mais en plus, il sera sacrifié afin de ne pas faire de vague. En réalité, l‘Éducation nationale et l'État ont peur parce qu’ils sont faibles ». C’est donc à cause du déclin de l’autorité magistrale que Raphael veut démissionner.
Le site anarchiste Lundi Matin, publie, quant à lui, le témoignage d’un jeune enseignant d’anglais, Hugo, qui, lui aussi, « ne veut plus aller à l’école »2. « Je dis que je n’ai plus envie d’aller à l’école car il fût un temps où cela m’attirait. Je voulais échapper au marché du travail, comme tant d’autres et faire un métier avec du sens, sans avoir saisi toutes ces implications. Aujourd’hui serviteur d’un état bourgeois, je compte les jours qui me séparent de la rentrée ». Hugo ne supporte plus de jouer au flic pour une institution dont l’objectif n’est pas de transmettre des connaissances mais de « dompter la jeunesse » et « de pacifier les jeunes foules ». « Nous, les cadres de l’école de la république, nous dit-il, nous avons l’institution de notre côté et nous l’utiliserons pour briser vos désirs débordants. Vos amusements minables. Votre arrogance déplacée. Moi-même, il m’arrive d’éprouver une pointe de plaisir quand je crois appliquer la juste sanction. Pour moi, c’est là que se noue la dissonance que ressent chaque enseignant dans l’exercice de son métier. On te raconte que tu vas transmettre ton savoir de manière enrichissante et parfois, tu te retrouves à enfiler ton casque de CRS et tu mates les indisciplinés. ». Pour Hugo, ce n’est donc pas le déclin de l’autorité mais à l’inverse l’autoritarisme de l’institution scolaire qu’il juge insupportable. Tout oppose, a priori, les diagnostics d’Hugo et de Raphael, mais au delà de leurs différences, ces témoignages comportent pourtant certains points communs.
En effet, les témoignages de Hugo et de Raphael nous sont présentés par Lundi Matin et par Front Populaire comme révélateurs d’une situation nouvelle au sein de l’Education Nationale. Or, contrairement à ce que prétendent ces deux sites, ce type de témoignage n’a rien de nouveau. En effet , la critique libertaire de l’école républicaine ne date pas d’hier, et on pourrait trouver de nombreux textes ou témoignages critiques sur « l’école-caserne » y compris depuis ces 20 ou 30 dernières années. Quant aux témoignages d’inspiration réac-républicaine, on en trouve de nombreux exemples chaque année depuis le fameux « De l’école » de J.C. Milner,3 en passant par « La fabrique du crétin» de J.C. Brighelli4. Le pamphlet réac ou décliniste sur l’école est un genre littéraire à lui tout seul. Mais qu’il soit réactionnaire ou anti-autoritaire5, le pamphlet sur l’école se doit d’être catastrophiste. Susciter l’intérêt des médias nécessite d’affirmer que tout va mal dans l’Éducation Nationale ( ce qui ne veut évidemment pas dire que tout va bien ) et de ré-affirmer que l’éducation est en crise, même si cette crise n’est par ailleurs pas récente d’après le célèbre essai qu’Hannah Arendt a consacré à ce sujet dans un livre paru en … 19616.
(...)
JY Mas, Professeur de sciences économiques et sociales (SES) dans l'enseignement secondaire en Seine Saint Denis
Billet complet à lire en cliquant ci-dessous
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À propos du témoignage de deux enseignants qui veulent quitter l'école
La question de " la crise de la vocation " et de l'augmentation des démissions dans l'enseignement est devenue une question médiatique. Analyse de deux témoignages d'enseignants qui veulent dém...
Covid à l'école, l'université française, les mathématiques... Trois belles émissions proposées par France Culture
Le covid est-il en train d'épuiser l'école ? Après deux ans d'épidémie et un variant galopant, le covid abîme le temps de l’école avec les absences d’élèves, de professeurs, et des protocoles qui eux aussi grignotent le temps dédié à l'enseignement. Ces heures perdues se rattraperont-t-elles ? Dans quel état notre système scolaire va-t-il sortir de cette crise ? (Etre et savoir, 57 min)
Universités : un modèle économique au cœur du débat. Dans un contexte de massification de l’accès à l’enseignement supérieur, et alors que la question de l'efficacité de celui-ci est un enjeu professionnel majeur pour la population étudiante, la question des moyens alloués aux universités françaises constitue une question politique fondamentale. (Entendez-vous l'éco ? 58 min)
Non, les mathématiques ne sont pas réservées à certaines configurations cérébrales. Ce n'est que la première des idées reçues que le mathématicien David Bessis s'applique à déconstruire. Pour l'auteur de "Mathematica. Une aventure au cœur de nous-mêmes", les mathématiques sont avant tout une expérience physique, qui, loin d'être inféodées au seul raisonnement logique, relèvent d'abord du plaisir charnel de manipuler des objets.
🔗Pour une approche sensible des mathématiques (L'Invité(e) des Matins, 42 min)
Tout ce que font les professeurs allemands pour gagner beaucoup plus que leurs collègues français
Les enseignants exerçant en Allemagne donnent 26 cours par semaine, dans deux matières, sur six niveaux de la cinquième à la terminale. Sans compter la surveillance de la cour de récré, de la cantine… et parfois un bon coup de balai pendant l’interclasse… Extrait du magazine "Nous, les Européens" diffusé dimanche 23 janvier 2022 à 10h40 sur France 3.
Le salaire moyen d’un professeur débutant est de 6 300 euros brut par mois en Allemagne… mais cela demande quelques contreparties. Le magazine "Nous, les Européens" (replay) a suivi une journée de travail de Julia Kochanek qui arrive tous les matins au travail une demi-heure en avance pour peaufiner ses nombreux cours de la journée. Comme tous les profs de son lycée, elle enseigne deux disciplines.
La prof commence par un cours de littérature allemande… et enchaîne une heure plus tard avec un cours de français. Et elle enseigne ces deux matières sur six niveaux, car les collèges et les lycées sont fusionnés outre-Rhin. Les enseignants allemands préparent donc les cours de la cinquième à la terminale : "J’ai un master dans les deux matières, donc je peux les enseigner. Et je donne en tout 26 cours par semaine. C’est assez dense. Je pense qu’on ne peut pas faire plus. C’est déjà limite…" confie-t-elle.
Un enseignant allemand sur trois présenterait des signes d’épuisement
Les profs allemands assurent vingt-sept heures de présence par semaine contre vingt heures en France, sans compter bien sûr la préparation des cours, les corrections… et un bon coup de balai au moment de la récréation. Il n’est pas obligatoire mais la plupart des professeurs considèrent qu’il fait partie de leur travail : "L’image du professeur a beaucoup changé en Allemagne. Un professeur, c’est plus une convivialité avec des élèves, on se sent un peu plus comme à la maison. Tout le monde prend ses responsabilités", explique Julia Kochanek.
"A mon avis, les professeurs français sont, à mon avis, beaucoup plus distants des élèves. Ils sont plus comme des instructeurs. il y a quelqu’un qui sait tout et qui explique aux autres comment ça marche", précise-t-elle. En Allemagne, il n’y a pas de conseillers d’éducation, d’infirmières et de surveillants. Ce sont donc les professeurs qui assurent également toutes ces tâches. Alors, quand elle ne passe pas le balai, Julia surveille aussi les élèves dans la cour ou à la cantine, trois à quatre fois par semaine… Un enseignant allemand sur trois présenterait des signes d’épuisement.
A quoi correspond la somme de 500 000 euros facturée par le cabinet de conseil McKinsey à l'Education nationale ?
Une commission d'enquête du Sénat se penche sur l'influence des cabinets de conseil, qui fournissent régulièrement des prestations aux ministères. Chaque année, hors informatique, le montant de ces prestations s'élève en moyenne à 140 millions d'euros.
Près de 500 000 euros pour préparer un séminaire. Le cabinet McKinsey est de nouveau montré du doigt après l'audition de deux de ses cadres au Sénat, mercredi 19 janvier, dans le cadre d'une commission d'enquête sur l'influence des cabinets de conseil. Le directeur associé de McKinsey France, Karim Tadjeddine, a notamment été interrogé par la sénatrice communiste Eliane Assassi, à propos d'un contrat de 496 800 euros facturé à l'Education nationale. Le responsable s'est contenté d'évoquer l'organisation d'un "séminaire" pour "réfléchir aux grandes tendances des évolutions du secteur de l'enseignement".
Le directeur associé de McKinsey France a également décrit des "travaux de benchmarking, de comparaison" des évolutions du métier d'enseignant et des systèmes éducatifs en Europe. "Dans cette réflexion”, Karim Tadjeddine précise avoir accompagné la Direction interministérielle de la Transformation publique (DITP), qui dépend du ministère éponyme. Installée en 2017, la DITP fait office de guichet unique pour les ministères – à l'exception de celui de Défense – et son rôle est d'orchestrer le système général des commandes passées par les différents ministères.
Le ministère de l'Education nationale confirme à franceinfo avoir sollicité la DITP, en janvier 2020, pour obtenir des éléments de comparaison internationale en vue d'un colloque international, prévu trois mois plus tard à l'Unesco. La moitié du coût a été pris en charge par ce ministère, et l'autre a été assurée par la DITP. Le cabinet McKinsey avait pour mission d'apporter un "éclairage sur le positionnement/rôle du métier d'enseignant dans des pays faisant référence", ainsi que sur "certaines composantes du fonctionnement opérationnel des systèmes scolaires étrangers".
Mais le montant d'un demi-million d'euros a fait bondir la rapporteure de la commission d'enquête, la sénatrice Eliane Assassi, qui compile actuellement les différents bons de commande signés par les ministères.
Prévu pour un colloque... finalement annulé
Une source proche du dossier explique à franceinfo que "ces honoraires ont couvert trois mois de mobilisation, avec une équipe-projet de six personnes et la mobilisation de collaborateurs dans une quinzaine de pays”. Ce travail a donné lieu à un document de référence de 200 pages organisé en plusieurs thématiques (conditions d'enseignement, intérêt de l'innovation dans les systèmes éducatifs, nouveaux modes de gestion…) "Depuis trois ans, il s'agit de l'unique contrat de McKinsey avec l'Education nationale", poursuit cette source, sous couvert d'anonymat, tout en précisant que le cabinet appliquait généralement un rabais "d'au moins 25%" dans le cadre des commandes publiques.
Le colloque a finalement été annulé en raison du Covid, entraînant "une réorientation des travaux qui ont finalement duré jusqu'à la fin du mois de juin, sans modification du budget initial", précisait Amélie de Montchalin, la ministre de la Transformation et de la Fonction publique, en audition. Ce travail n'a donc servi à rien. Mais Amélie de Montchalin assure que le document de McKinsey a connu une seconde vie à la fin de l'année, à travers "la préparation et la rédaction" d'un rapport du Conseil scientifique de l'Education nationale (CSEN), "Quels professeurs au XXIe siècle ?".
L'occasion, enfin, de rentabiliser l'investissement ? Pas vraiment, à en croire l'auteur principal de ce document de 120 pages, Yann Algan, professeur d'économie et doyen de l'École d'affaires publiques de Sciences Po : "Il est issu de mes travaux de recherche, notamment sur les problématiques de coopération des méthodes pédagogiques", explique-t-il à franceinfo, "et des travaux de mes confrères comme Stanislas Dehaene, sur les bénéfices de l'éducation". Dans la dernière partie, qui présente un benchmarking (une analyse comparative) des modes de gouvernance, Yann Algan a bien repris "quelques graphiques produits par McKinsey dans son document, mais cela représente un pourcentage tout à fait négligeable du rapport", estime-t-il. Par ailleurs, selon nos informations, la contribution du cabinet a reçu la note de 3/5 lors de son évaluation par la DIPT.
"Il y a déjà les compétences en interne"
Ce recours répété à des cabinets de conseil privés en agace plus d'un. "Il est incompréhensible que le ministère aille chercher, à l'extérieur, des cabinets, surtout pour de telles sommes, explique à franceinfo Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. Il y a déjà les compétences en interne." Le Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco), une instance indépendante, a justement pour objectif d'accompagner les politiques de pratiques scolaires. Et tous les deux ans, la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) produit notamment un rapport comparatif sur l'Europe de l'éducation – le dernier date de 2020. "Nous n'aurions pas été en capacité d'apporter notre concours à la mission", répond toutefois le service, "car la Depp n'a pas de mission de benchmarking international en dehors des données statistiques".
Au-delà des questions de compétence, qui peuvent être débattues, ces recours aux consultants privés sont parfois motivés par des contraintes de temps. Et quelles que soient les raisons ayant motivé ce recours, cette mission "a été menée dans la stricte application de [la règle du] tourniquet, qui permet à différents cabinets d'être sollicités sans qu'il y ait de choix favorisant untel ou untel", a fait valoir Amélie de Montchalin. Le sénateur Arnaud Bazin a toutefois rappelé à la ministre que le cabinet McKinsey avait décroché onze contrats auprès de l'Etat, pour un montant total de 13,5 millions d'euros...
Un autre exemple, justement, a frappé les membres de la commission d'enquête : une facture provenant de McKinsey de 235 620 euros pour la rédaction d'un guide du télétravail dans la fonction publique à destination des managers. "C'était un enjeu majeur pour l'administration", a justifié Amélie de Montchalin – la commande ministérielle avait été passée avant son arrivée. "C'était un travail mené pour accélérer notre capacité à déployer notre culture du travail. Un sous-traitant a [donc] été utilisé pour voir comment les bonnes pratiques étaient menées dans les autres organisations." La ministre précise que les deux documents, ici disponibles, sont désormais partagés par les collectivités locales, les employeurs publics, et resteront actualisés par l'administration.
Des questions "d'opacité et de souveraineté"
Aussi médiatique soit-il, le cabinet McKinsey n'est qu'un exemple de ces groupes plébiscités par l'Etat, comme Citwell, Accenture.... Entre 2018 et 2020, les ministères ont dépensé chaque année 140 millions d'euros en moyenne pour des prestations de conseil (hors informatique). Interrogée par franceinfo, la rapporteure de la commission, Eliane Assassi (PCF) dénonce des "dérives", alors même "qu'une réduction des fonctionnaires est prônée". Elle soulève également des questions "de dépense publique, d'opacité et de souveraineté – en raison des données en jeu." Et s'interroge sur l'influence de ces opérateurs."Il s'agit de sujets politiques confiés à des cabinets privés, mais c'est le rôle des ministères et de l'administration".
"Il n'est pas absurde, pour réformer l'Etat, d'avoir un œil extérieur", convient la sénatrice UDI de l'Orne Nathalie Goulet, "mais le lien entre le besoin et le montant devrait alors être regardé avec davantage d'attention". Remontée contre les "sommes astronomiques" engagées et de "possibles conflits d'intérêts", l'élue estime que "la ministre a été rattrapée par la patrouille". Le gouvernement promet d'avancer sur le dossier. "Nous avons tiré les leçons de la crise sanitaire", a assuré Amélie de Montchalin, "voyant bien que nous avons parfois eu recours à des cabinets de consultants externes parce que nous ne savions pas où étaient les compétences en interne, ou car elles manquaient tout bonnement."
Lors de son audition, la ministre a donc annoncé la signature prochaine d'une circulaire par le Premier ministre, afin d'établir de nouvelles règles. "Tous les bons de commande supérieurs à 500 000 euros devront être approuvés par un comité d'engagement présidé par le secrétaire général du ministère concerné", a commenté Amélie de Montchalin. Par ailleurs, les ministères devront prouver qu'ils n'ont pas les moyens en interne de réaliser la mission confiée au cabinet de conseil. Enfin, elle a annoncé dans L'Obs qu'ils devront diminuer cette année de "15 % au moins leurs dépenses sur les conseils en stratégie et en organisation".
Fabien Magnenou
La gauche et l’éducation : l’impensé des savoirs scolaires
EXTRAITS
D’un débat entre représentants des candidats de gauche et de l’écologie sur l’éducation ressort l’impensé partagé des savoirs scolaires.
Le 13 janvier, dans son émission A l’air libre, Médiapart a réuni, sous le titre Ecoles : la gauche a-t-elle encore des idées ? les représentant.e.s de quatre candidats (Hidalgo, Jadot, Mélenchon et Roussel) pour débattre d’éducation[1].
Les intervenant.e.s n’ont eu aucun mal à critiquer la politique « brutale », « irresponsable », « méprisante » du ministre du quinquennat actuel (crise sanitaire, traitement des personnels, ParcourSup, inégalités scolaires), voire parfois, pour certains d’entre eux, des quinquennats précédents.
Quant à leurs propositions, elles tournent autour d’un axe essentiel : lutter par divers moyens contre une école du tri social, de l’école maternelle à l’enseignement supérieur.
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Alors, tout a-t-il été dit au cours de cette émission ? Eh bien non. La question des savoirs scolaires n’a jamais été évoquée. Le consensus le plus fort est sans doute celui-ci, et il dépasse largement les frontières de la gauche : les savoirs scolaires sont là, dessinés et sélectionnés une fois pour toutes. ll y a des savoirs qu’on enseigne et d’autres qu’on n’enseigne pas, il y a des savoirs référés à des disciplines scolaires au sein desquelles sont faits encore des choix et sélections de savoirs enseignés par rapport à d’autres qu’on n’enseigne pas. Il y en a d’autres confinés dans des « éducations à » dont les heures d’enseignement ne sont pas prescrites et difficiles à trouver (éducation aux médias et à l’information, au développement durable, etc.). Certains élèves sont assignés à ne pas accéder à certains savoirs (comme les lycéens professionnels interdits d’enseignement de la philosophie). (...)
(...)
S’il y a bien un domaine où l’on pourrait attendre de responsables progressistes une approche critique de l’existant, c’est bien celui de la politique des savoirs installée depuis des décennies. Par leur silence sur cette question, les représentant.e.s des candidats de gauche et des écologistes se limitent, comme d’autres, à revendiquer l’effacement des dernières réformes, la résurrection d’anciens dispositifs, comme s’il suffisait de revenir au statu quo ante et d’injecter plus de crédits dans l’éducation nationale pour rompre avec l’école des inégalités. C’est une illusion : l’école des inégalités, c’est aussi l’école de l’inégalité des savoirs, et cela mérite un débat national prioritaire. Comme tous les autres candidats, les candidat.e.s Hidalgo, Jadot, Mélenchon, Roussel sont pour le moment passés à côté de cette question de fond.
Jean-Pierre Veran, formateur, expert associé France Education International (CIEP), membre professionnel laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université
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La gauche et l'éducation : l'impensé des savoirs scolaires
Le 13 janvier, dans son émission A l'air libre, Médiapart a réuni, sous le titre Ecoles : la gauche a-t-elle encore des idées ? les représentant.e.s de quatre candidats (Hidalgo, Jadot, Mélen...
Jean-Paul Delahaye, son devoir d’école
L’ex-numéro 2 de l’Education nationale, fils d’une femme de ménage célibataire et sorte d’anti-Blanquer, milite pour une scolarité qui n’exclurait plus les classes populaires.
Pendant cinquante ans, il a tu son histoire. «Par pudeur sans doute, par honte peut-être.» Et puis, c’est sorti. Par bribes au début, à mots contenus (toujours). Un jour, alors qu’il venait d’être nommé inspecteur général de l’Education nationale, Jean-Paul Delahaye s’entend dire à une employée municipale qui passait le balai dans une classe : «Ma mère aussi était femme de ménage. Je l’aidais, souvent.» En 2012, quand il arrive rue de Grenelle comme numéro 2 du ministère de l’Education, les mots jaillissent, comme un geyser. Il se revoit au centre de la table, entouré de hauts fonctionnaires nés avec les poches pleines de billes. L’ombre de sa mère, Paulette Becquet, morte trente ans plus tôt, plane aussi. Elle semble être là, avec sa belle robe bleue. «Sa présence signifiait que mon milieu d’origine me rappellerait à mes obligations si j’oubliais d’où je venais.» L’urgence à agir, pour que le destin des enfants pauvres change enfin. En France, les inégalités se reproduisent comme des polycopiés : l’origine sociale détermine les destins scolaires, plus qu’ailleurs. «Et quoi qu’elle dise, l’élite de ce pays, de droite ou de gauche, s’en accommode bien. Tout comme la classe moyenne dont les enfants réussissent.»
En ce mois de mai 2012, Delahaye pensait avoir les moyens d’agir. Il vient d’atteindre le sommet de l’Education nationale, versant nord. Un Himalaya pour lui qui a grandi à Bernay-en-Ponthieu, un village de Picardie. Son enfance n’a pas été simple. La mère élève, seule et sans le sou, cinq enfants. Le père est présent par ellipse, puis disparaît. «Si “l’autre” n’était pas parti définitivement en 1962, j’aurais quitté l’école à 14 ans comme mon frère aîné», écrit Delahaye, retraité actif à l’orée de ses 70 ans, dans un livre, Une exception consolante, macéré pendant une vie. Le genre de bouquin écrit avec les tripes qui retourne (on a pleuré).
Jean-Paul Delahaye a un dehors qui ne colle pas avec le dedans. L’émotion qu’il transmet dans son ouvrage tranche avec le personnage, taiseux et pas sympathique. Il a cette froideur, que l’on retrouve souvent chez les hauts fonctionnaires . «Je me suis construit une carapace me permettant de garder pour moi toute expression démonstrative», plaide-t-il. Il dit ne s’être jamais senti à l’aise dans les mondanités et préféré les soirées chez lui, avec «mes endives et mes tomates». Dans son récit, il décrit avec justesse «l’insécurité permanente», enfant, de savoir le compte en banque vide. Ces heures aussi à guetter du bout de la rue l’arrivée du facteur, signe du versement des allocs. La honte de demander sans cesse à l’épicière de faire crédit. Le peu de livres à la maison, sinon la collection des Tout l’univers, «l’encyclopédie des pauvres, acheté à un représentant». Et cette culpabilité qui s’infiltre, quand on sent être «un poids» pour sa mère. A 11 ans, il découvre un autre monde, interne au lycée d’Abbeville. Ils sont quelques boursiers comme lui mêlés aux gens de bonne famille. «L’internat est un levier essentiel pour l’égalité des droits», défend Delahaye. Ado, il apprend à naviguer entre deux eaux : je suis devenu «un maestro de la métamorphose», jonglant entre les codes sociaux. «J’ai acquis une vraie habileté à parler peu mais bien c’est-à-dire au moment opportun.»
Jean-Paul Delahaye grimpe, la colère au fond du bide. Professeur de lettres-histoire géo, il devient inspecteur, directeur de l’école normale des Ardennes – «mes plus belles années». Sa femme, picarde aussi et chercheuse en littérature enfantine, le suit, avec leurs deux enfants (une fille est urbaniste, un fils prof de maths agrégé). En 1999, Claude Allègre, ministre, l’envoie inspecteur de l’académie de Seine-Saint-Denis, qui est un peu la ceinture noire première Dan de l’Education nationale. Le poste où l’on teste la résistance. Il en garde un plutôt bon souvenir. «Un parcours et un homme rares, sans esbrouffe», en dit l’historien de l’éducation Claude Lelièvre.
L’expression «quand on veut, on peut», le fait blêmir. Que sa «réussite» puisse servir d’alibi, «pour ne rien changer au sort de tous les autres». Rien ne le désole plus que d’être «une exception consolante», donnant bonne conscience aux riches, et espoir aux pauvres. Il a chipé le terme à Ferdinand Buisson, son mentor d’un autre siècle (celui de Jules Ferry). Un architecte de l’ombre, un peu comme lui.
En 2012, quand Jean-Paul Delahaye prend la tête de la direction de l’administration centrale de l’Education nationale (Dgesco), sorte de ministre bis, il a, jure-t-il, la ferme intention de donner les moyens de réussite à tous les élèves, et non plus à quelques-uns. C’était le sens de la réforme des rythmes scolaires, avec la classe le mercredi matin, «très importante pour les enfants qui ont moins que les autres à la maison». Le sens aussi de la réforme du collège, qui étendait, à tous les élèves de 5e, l’apprentissage d’une deuxième langue étrangère plutôt que de le réserver à quelques classes bilangues. «Nous avons été secoués et chahutés, et les critiques ne venaient pas que de nos adversaires de droite…» Echaudé, il quitte ses fonctions en 2014 et part dresser l’état des lieux de la pauvreté à l’école. Son rapport est salué. La réalité qu’il décrit, avec des enfants qui arrivent le matin le ventre vide, des professeurs qui apportent des vêtements à l’école, émeut. «J’ai toujours trouvé qu’il avait la préoccupation sincère, l’analyse juste et le mot fort», loue l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem. Mais l’élan s’arrête là. En 2017, Jean-Michel Blanquer reprend ses quartiers rue de Grenelle (il était Dgesco avant que Delahaye ne le déloge). Lui aussi prône – dans ses discours – la lutte contre les inégalités, avec le dédoublement des CP et CE1 en éducation prioritaire. Delahaye grince : «On aurait pu lui faire crédit de cette volonté s’il n’avait pas rayé d’un trait de plume tout ce que nous avions mis en place.» Il faudra s’en tenir là niveau critique. Il est à son max. Même sur ce séjour à Ibiza, il ne balance pas : «Je suis très gêné […]. Je ne suis pas chasse à l’homme.» L’expérience aidant, il a une conviction : «Notre système élitiste ne changera pas tant que les familles populaires n’arriveront pas à se faire entendre.» Se rêve-t-il ministre ? Il réfute. En octobre quand on a pris le temps de discuter, entre le buste de Jules Ferry et le dico de pédagogie de Ferdinand Buisson, au siège de la Ligue de l’enseignement, il semblait avoir pris de la distance. Il revenait de l’ascension à vélo du mont Ventoux avec l’une de ses petites filles. Mais la semaine dernière, le discours était autre : «Je suis disposé à aider, si on m’appelle», répond-il, sans lâcher le nom de son candidat de gauche chouchou. Il sort un nouveau livre début février, avec diagnostic et ses solutions. En fait, il y croit encore.
Marie Piquemal
14 février 1951 Naissance en Picardie.
2012 Prend la tête de la Dgesco.
Novembre 2021 Une exception consolante (éd. La librairie du labyrinthe).
Février 2022 L’école n’est pas faite pour les pauvres (éd. Le bord de l’eau).
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Jean-Paul Delahaye, son devoir d'école
Pendant cinquante ans, il a tu son histoire. "Par pudeur sans doute, par honte peut-être." Et puis, c'est sorti. Par bribes au début, à mots contenus (toujours). Un jour, alors qu'il venait d'ê...
Le pic Omicron tarde et l'explication du Conseil scientifique ne va pas plaire à Blanquer
La cinquième vague de Covid-19 devait faiblir à la mi-janvier, mais les cas sont toujours à la hausse, et la cause est certainement à chercher dans les écoles.
Le pic ne se dessine pas et l'épidémie de Covid-19, portée par Omicron, repart à la hausse. Pour le Conseil scientifique, c'est certainement la faute des contaminations à l'école.
SCIENCE - Pas de vacances à Ibiza pour le coronavirus. Alors que les modèles de l’Institut Pasteur s’attendaient à un pic de la cinquième vague de Covid-19 à la mi-janvier, le nombre de cas quotidiens continue de battre des records ces derniers jours.
L’écrasante majorité de ces contaminations sont dues au variant Omicron, dont la gravité est “nettement moindre”, note le Conseil scientifique dans son dernier avis, publié jeudi 20 janvier. En ajoutant l’effet de protection des vaccins, les membres du conseil estiment “sauf surprise ou modifications majeures des comportements des citoyens” que “le système hospitalier devrait tenir” dans les semaines à venir.
Une bonne nouvelle donc, mais qui ne répond pas à ce mystère: pourquoi les cas de Covid-19 en France continuent d’exploser alors que le pic est clair au Royaume-Uni et en Afrique du Sud?
Explosion de cas de Covid chez les enfants
Si les projections de Pasteur ont été déjouées, c’est probablement à cause des écoles. “Il semble que cette remontée s’explique par un regain de l’épidémie chez les moins de 15 ans et chez les 30-44 ans, suggérant un effet important de la rentrée des classes: le virus circule de façon intense chez les plus jeunes et se propage ensuite aux parents”, note le Conseil scientifique.
Le graphique suivant permet de s’en rendre compte. L’incidence explose chez les mineurs, alors qu’elle avait commencé à stagner chez les adultes début janvier, avant de repartir doucement à la hausse.
On remarque aussi que si le nombre de tests réalisés baisse, l’incidence tout comme le taux de positivité augmente, la preuve que le virus circule fortement. En une semaine, le nombre d’élèves positifs recensés par le ministère de l’Éducation a augmenté de 40%.
Et si le Conseil scientifique se veut optimiste sur le système hospitalier, il précise que les modélisations de l’Institut Pasteur “ne prennent cependant pas en compte le rebond lié à la rentrée scolaire mentionné plus haut, et pourrait donc sous-estimer l’impact de cette vague sur l’hôpital si le rebond lié à la rentrée scolaire se traduit par un regain des infections chez les plus fragiles”.
Pour les écoles, des conseils non appliqués
Plutôt qu’espérer que tout se passe bien, que faudrait-il faire? Le Conseil scientifique dans son avis apporte une réponse à demi-mot, qui n’a certainement pas plu à Jean-Michel Blanquer. Ce n’est qu’une phrase, mais qui veut dire beaucoup: ” Le Conseil scientifique s’est par ailleurs déjà précédemment exprimé sur la stratégie de dépistage et sur l’ensemble des mesures à prendre au sein des écoles pour limiter la circulation du virus”.
De manière lapidaire, les chercheurs renvoient à plusieurs avis publiés par le passé où une stratégie globale de gestion de l’épidémie dans les écoles était détaillée. Le 8 décembre, dans un avis intitulé “comment concilier les enjeux sanitaires et sociétaux”, les chercheurs rappelaient qu’en pleine vague “l’application de la stratégie de dépistage réactionnel pose des difficultés opérationnelles et a un impact limité sur la transmission dans les classes car le dépistage intervient trop tardivement”.
Au vu de la rentrée de janvier chaotique et des multiples changements du protocole sanitaire à l’école, on peut clairement dire que le Conseil scientifique avait bien anticipé l’avenir. Surtout, les chercheurs proposaient une alternative: “le contrôle par le dépistage itératif”. Et de lancer une perche au gouvernement: “La question de sa généralisation pour la rentrée de janvier 2022 devra se poser, comme elle est réalisée dans de nombreux autres pays européens”.
Un avis atténué suite à “une réunion”
Si le Conseil scientifique se permet d’être si clair sur la question, c’est que ce n’est pas la première fois qu’il écrit cette recommandation. Dans un avis du 13 septembre conjoint avec le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, les chercheurs affirmaient que déjà face au variant Delta, il fallait adapter le protocole scolaire, notamment dans le primaire, où les élèves n’étaient pas vaccinés.
Les scientifiques proposaient au gouvernement une méthode claire
Une “surveillance avec un test par enfant scolarisé et par semaine, en maternelle et en élémentaire. La stratégie repose sur le volontariat et implique le recueil d’un consentement des familles. Il est indispensable que l’adhésion au protocole soit de 50% au minimum pour que la stratégie soit efficiente, ce qui suppose un effort spécifique d’information des familles sur l’intérêt décisif de la démarche pour contenir à la fois la circulation virale en milieu scolaire et les fermetures de classe”
Cet avis se basait sur plusieurs expérimentations, en France et à l’étranger. Et depuis, les preuves se sont accumulées, notamment avec une étude française réalisée par l’Inserm et publiée début décembre, qui démontrait que le dépistage en réaction, à postériori (le protocole actuel) a un faible impact. A l’inverse, un dépistage anticipé, systématique et itératif, permettrait d’éviter au moins un tiers des cas, soit trois fois plus que le protocole actuel.
L’avis du Conseil scientifique fut même plus accablant concernant la gestion actuelle de la crise à l’école. Une première version de cet avis (celle fournie au gouvernement le mercredi 19 janvier) a été publiée jeudi 20 janvier, à 17h. Puis, vers 18h20, elle a été mise à jour. C’est sur cette version que se base notre article. Dans la première, le passage sur l’école était quelque peu différent, rapporteLe Parisien.
Les chercheurs estimaient que “s’il s’avère que la reprise épidémique [...] est bien liée à une circulation très active du virus dans les écoles [...] il conviendra d’y aller au plus vite des moyens supplémentaires pour renforcer les protocoles sanitaires”. Un ton bien plus affirmatif qui a été modifié suite à une réunion jeudi midi où “il est apparu dans les discussions qu’en ce qui concerne la persistance de la cinquième vague, les écoles en sont un élément mais pas le seul”, selon Le Parisien.
Grégory Rozières
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Le pic tarde et l'explication du Conseil scientifique ne va pas plaire à Blanquer
SCIENCE - Pas de vacances à Ibiza pour le coronavirus. Alors que les modèles de l' Institut Pasteur s'attendaient à un pic de la cinquième vague de Covid-19 à la mi-janvier, le nombre de cas ...