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Jean-Michel Blanquer, ministre poids lourd englué dans la crise sanitaire
EXTRAITS
Le ministre de l’éducation nationale se félicite depuis près de deux ans d’avoir maintenu les « écoles ouvertes ». Mais au fil des protocoles sanitaires, les critiques ont gonflé, soulignant de l’improvisation et une certaine désinvolture.
Jeudi 13 janvier, les représentants du monde de l’école ne s’attendaient pas à recevoir un si bon accueil rue de Grenelle. Quelques heures plus tôt, ils battaient le pavé, avec 80 000 autres manifestants à travers la France, contre le ministre de l’éducation et son protocole sanitaire.
A 18 h 30, ils sont une quinzaine à être réunis dans la salle Condorcet de l’hôtel de Rochechouart. Face à eux, le premier ministre, Jean Castex, de qui est partie l’invitation, et un Jean-Michel Blanquer « dans ses petits souliers », diront des participants. Le ministre de la santé, Olivier Véran, positif au Covid-19, n’est présent qu’en « visio ». L’« opération déminage », au soir d’une journée de mobilisation inédite, sonne comme un désaveu pour le ministre de l’éducation. Ou du moins comme une reprise en main de la part de Matignon.
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Un message politique clair
Alors ce jeudi soir, Jean-Michel Blanquer se fait « plus discret » qu’à l’accoutumée, raconteront ses interlocuteurs. S’il tient le propos liminaire, il laisse très vite la parole au premier ministre, qui mène les échanges. Les syndicats expriment leurs attentes, chacun à leur tour, par ordre de représentativité. M. Blanquer écoute, Jean Castex relance. Cela dure trois heures trente. Un temps record, aux dires des protagonistes. Il est question des masques que les enseignants attendent depuis deux ans, des remplaçants qui font défaut, des capteurs de CO2 qui manquent, d’un « dialogue de sourds » qui s’est installé entre les parties prenantes.
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Les critiques qui pleuvent sur le ministre de l’éducation depuis l’annonce du protocole de rentrée dans Le Parisien, le 2 janvier, baissent alors d’un ton… le temps d’un week-end. Avec la révélation par Mediapart, le 17 janvier, des vacances de M. Blanquer à Ibiza, elles repartent de plus belle. Sur les réseaux sociaux, les enseignants se lâchent : une vidéo mettant en scène un sosie du ministre, en veste, cravate, tuba et palmes, se déhanchant sur de la musique techno, devient virale. On a beau défendre, dans son entourage, qu’il « n’a jamais cessé de travailler », ou que sa présence à Paris à la veille de la rentrée n’aurait « pas accéléré le processus de décision », l’image du bon élève de la Macronie est sérieusement écornée. L’intéressé fait amende honorable, du bout des lèvres : partir à Ibiza, c’était « peut-être, un peu, une erreur », concède-t-il sur le plateau du 20 heures de TF1, le 18 janvier.
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« Le Covid, ce n’est pas le sujet sur lequel il est à l’aise, rapporte Sophie Venetitay, du SNES-FSU. Il a essayé à beaucoup de moments de nous parler d’autre chose. » Mais quand il s’éloigne trop du sujet, il est vite rattrapé. C’est manifeste à l’été 2021 : lors d’un conseil de défense tenu en visioconférence depuis le fort de Brégançon (Var), le 11 août, Emmanuel Macron souligne le « flou » qui entoure la rentrée scolaire. Une critique du chef de l’Etat d’autant plus brutale qu’elle est prononcée en l’absence de son destinataire. Plus récemment, le 7 janvier, c’est la participation de M. Blanquer à un colloque visant à « déconstruire la pensée woke », à la Sorbonne, qui interpelle la Macronie. Alors que la communauté éducative peine à faire face à la vague Omicron, son ministre de tutelle donne l’impression d’être ailleurs.
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L’« école ouverte », le ministre en a fait le titre de son livre (Gallimard), à la rentrée de septembre 2021. Une centaine de pages dans lesquelles il défend sa doctrine. Mais dans le monde enseignant, « école ouverte ne veut pas dire école normale », remarque Catherine Nave-Bekhti, du SGEN-CFDT. On y regrette, encore et toujours, « l’absence de concertation » et d’« anticipation », à chaque vague épidémique – « comme si chacune devait être la dernière », poursuit la syndicaliste.
Jean-Michel Blanquer a fini par se laisser piéger par un mode de gouvernance « descendant » et « autoritaire », avance-t-on dans les cercles éducatifs. « Sa façon de faire, c’est : je décide au centre et la périphérie applique, glisse un inspecteur général. Cela fonctionne quand vous maîtrisez les événements, quand les recteurs, les inspecteurs, les directeurs d’école et les chefs d’établissement sont en capacité d’appliquer vos ordres. La crise sanitaire a tout fait dérailler et la déception est à la hauteur du sentiment de maîtrise qu’il donnait. »
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Depuis janvier, les voix des épidémiologistes se font de plus en plus critiques, pour dénoncer l’« obstination déraisonnée » du ministre de l’éducation à garder les écoles ouvertes sans sécurisation, alors que celles-ci se vident. « C’est à se demander si ce ne sont pas les covido-sceptiques qui décident au ministère, avance Mahmoud Zureik, professeur de santé publique et d’épidémiologie. Avec Omicron, l’école est devenue l’épicentre des contaminations. Il n’y a plus que la Société française de pédiatrie et M. Blanquer pour dire le contraire. »
Les statistiques officielles viennent étayer ce type de discours : plus de 500 000 élèves sont déclarés positifs au Covid-19 fin janvier. Les classes ne ferment plus, officiellement, mais certaines fonctionnent avec le tiers voire avec la moitié de leurs élèves en moins. D’une mise à l’isolement à l’autre, les parents se disent « noyés ». La popularité de Jean-Michel Blanquer s’en ressent.
Le 18 janvier, le ministre doit affronter une séance de questions au gouvernement houleuse à l’Assemblée nationale. « Alors le DJ ? » ; « On est mieux à Ibiza ! », entend-on sur les bancs de l’Hémicycle. La majorité le soutient, mais sans faire de zèle.
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En dépit de cette séquence politique compliquée, il n’a pas renoncé non plus à jouer un rôle dans le débat d’idées. Il y a quelques jours, M. Blanquer se portait volontaire pour débattre avec le candidat d’extrême droite Eric Zemmour sur un plateau télévisé. Mardi 8 février au soir, son cabinet faisait un pas de côté, indiquant que « rien n’est encore calé »
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Jean-Michel Blanquer, ministre poids lourd englué dans la crise sanitaire
Le ministre de l'éducation nationale se félicite depuis près de deux ans d'avoir maintenu les " écoles ouvertes ". Mais au fil des protocoles sanitaires, les critiques ont gonflé, soulignant d...
"L’École laïque française est, et jusqu’à un certain point se sait, l’héritière de l’École chrétienne..." (2009) - Mark Sherringham, Président du Conseil Supérieur des Programmes.
Agrégé de philosophie, Mark Sherringham a été nommé le 10 février 2022 Président du Conseil Supérieur des Programmes par Jean-Michel Blanquer. Ce haut fonctionnaire de l’École publique (il a été conseiller au cabinet de François Fillon, puis de Xavier Darcos au ministère de l’Éducation) et inspecteur général de l’Éducation nationale défendait en 2009 dans Famille Chrétienne l’intérêt du christianisme dans les questions éducatives. Entretien.
« L’École laïque française est, et jusqu’à un certain point se sait, l’héritière de l’École chrétienne, et il n’est pas du tout sûr que la laïcisation du système éducatif français, intervenu dans le combat contre l’Église catholique et le pouvoir des congrégations au début du XXe siècle, marque une exclusion culturelle du christianisme hors du domaine de l’éducation dans notre pays, même s’il demeure vrai qu’on est bien souvent passé de l’explicite à l’implicite culturel, et qu’en terme de contrôle politique, l’État...
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Mark Sherringham : " Réintroduire le christianisme dans le débat éducatif "
Agrégé de philosophie, Mark Sherringham a été nommé le 10 février 2022 Président du Conseil Supérieur des Programmes par Jean-Michel Blanquer. Ce haut fonctionnaire de l'École publique (il...
Maths au lycée: la déficience exacte de Blanquer
EXTRAITS
Depuis 2019, la réforme du bac a fragilisé la place des maths au lycée. Devenue facultative en classe de première, la discipline est désertée, notamment par les filles. Face aux craintes d’une baisse du niveau global, d’un creusement des inégalités et d’une pénurie de scientifiques, le ministre fait marche arrière.
Mauvais calculs pour Jean-Michel Blanquer. Face aux multiples alertes des enseignants et sociétés savantes sur la chute très nette des enseignements en maths au lycée, le ministre de l’Education nationale a concédé dimanche au micro de CNews qu’il faudrait réformer sa réforme. Un rétropédalage inattendu pour celui qui avait placé cette matière comme enjeu prioritaire en commandant un rapport au député de l’Essonne Cédric Villani. Cette crainte autour des maths a largement dépassé les seuls bancs de l’Education nationale, trouvant écho jusque dans ceux du Medef, inquiet de voir s’envoler avec ce nouveau système un futur vivier d’ingénieurs. A l’argument utilitariste s’ajoute la récupération politique. La candidate LR, Valérie Pécresse, a pour sa part dénoncé sur BFM TV «un effet pervers» de la réforme qui «a enlevé beaucoup de mathématiques», tout en jugeant, dans une formule controversée : «On a fermé les filières S, qui étaient les filières des bons élèves.»
Dans ce nouveau lycée à la carte, grand œuvre de Blanquer, les filières ont en effet été remplacées dès 2019 par des spécialités (trois en première à raison de quatre heures par semaine et deux en terminale à raison de six heures hebdomadaires). Contrairement aux sections technologiques et professionnelles, les maths sont désormais enseignées en dehors du tronc commun. Ce qui n’était le cas auparavant que dans la série littéraire. La discipline, non obligatoire à partir de la première, ne peut être suivie que comme spécialité avec, à la clé, un niveau exigeant (qui peut être couplé à l’option «maths expertes») ou en prenant l’option «maths complémentaires» en terminale. Seul subsiste pour tous les élèves un enseignement scientifique de deux heures, partagé entre trois matières (SVT, physique-chimie et une mineure de maths). Alors que la primauté des maths vacille, Blanquer voudrait faire de cet enseignement scientifique sa variable d’ajustement. L’idée serait de le «faire évoluer» afin qu’il comporte «plus de mathématiques», selon ses propos sur CNews. Un levier jugé insuffisant face aux enjeux. Décryptage.
Quels effets a produit la réforme du lycée sur l’enseignement des maths?
La réforme du lycée a entraîné des conséquences en cascade pour les maths, matière reine de l’ancien système et de la série S. Le nombre d’heures a baissé de près de 20% de 2018 à 2020, l’une des plus fortes diminutions toutes disciplines confondues, liée à son retrait du tronc commun. Si, à la rentrée, 64,1% des élèves de première générale ont choisi la spécialité mathématiques, en terminale, 45% ne font plus du tout de maths, selon les derniers chiffres du ministère. «Aujourd’hui, ils peuvent panacher les spécialités, et comme les maths c’est assez complexe et qu’ils ne sont plus obligés d’en faire, ils arrêtent», regrette Nathalie Braun, professeure de maths au lycée Rosa-Parks à Thionville (Moselle).
Face à ce désamour, Céline Ibar, qui enseigne au lycée Jules-Supervielle à Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), concède une part de «déception» mais se raccroche : «En spécialité, ils ne sont pas nombreux mais motivés.» La désertion est particulièrement alarmante chez les filles. En 2019, 47,5% étaient scolarisées en terminale S, deux ans plus tard seules 39,8% suivent la spécialité maths. En 1994, elles étaient environ 40%. Un effet prévisible pour Anne Boyé, présidente de l’association Femmes et mathématiques : «Avec la réforme, il faut s’orienter de façon plus précoce, à un moment où les élèves sont sensibles à l’environnement social et largement aussi aux stéréotypes.» Clémence Perronnet, sociologue de l’éducation, abonde : «On sait que quand on donne plus de choix, on obtient des filières plus ségréguées.»
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Moins de maths pour compenser une pénurie d’enseignants ?
La réforme a fragilisé la place des maths au lycée. «On nous a enlevé 33 540 heures depuis 2018», s’indigne le président de l’Apmep, reprenant les chiffres de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp). Officiellement, l’administration n’a jamais admis que cette baisse devait répondre à une pénurie de profs, «mais c’est ce que ça laisse penser», soupire-t-il. Entre 2010 et 2020, le nombre de postes d’enseignants en mathématiques non pourvus à l’issue des concours a augmenté de 153 postes pour le Capes et de 73 pour l’agrégation, faute d’un nombre suffisant de candidats. Une situation décrite comme «extrêmement préoccupante» par un rapport sénatorial de 2021 sur l’attractivité du métier. «Quelqu’un qui a un bon niveau bac +5 en maths sait très bien qu’il peut être recruté ailleurs, dans le privé, à un salaire supérieur», explique Anne Boyé.
Mais le salaire n’est pas l’unique explication. D’autres pays, comme l’Allemagne ou le Luxembourg, peinent à recruter alors que les profs y sont mieux rémunérés. Pour Mélanie Guenais, la base du problème réside dans la «masterisation de la formation des enseignants, qui a entraîné une chute dramatique du nombre de candidats» depuis 2010. En somme, aujourd’hui, tous les enseignants doivent «avoir un niveau bac +5, passer un concours pas très facile et le salaire n’est pas très attractif», résume Anne Boyé.
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par Lucie Beaugé, Violette Vauloup et Marlène Thomas
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Maths au lycée: la déficience exacte de Blanquer
Depuis 2019, la réforme du bac de Blanquer a fragilisé la place des maths au lycée. Devenue facultative en classe de première, la discipline est désertée. Face aux craintes d'une baisse du ni...
La création d’un délit de harcèlement scolaire divise députés et sénateurs
EXTRAITS
Les deux chambres ne sont pas parvenues à s’entendre sur la création d’un tel délit, qui ne fait pas consensus non plus dans le monde associatif. Les sénateurs craignent notamment « une judiciarisation accrue envers les enseignants ».
Difficile de trouver un compromis. Si la lutte contre le harcèlement scolaire est érigée en priorité par la représentation nationale, la création d’un délit spécifique sème la discorde entre parlementaires. Les députés ont adopté en première lecture, début décembre 2021, la proposition de loi, soutenue par le gouvernement, qui instaure cette nouvelle infraction. Fin janvier, les sénateurs ont détricoté le texte, préférant l’introduction de circonstances aggravantes au délit de harcèlement moral. La commission mixte paritaire n’est pas parvenue à réconcilier ces deux visions. Retour à la case départ donc, ce jeudi 10 février, avec le rétablissement, dans les grandes lignes, du texte initial des députés.
Un élève sur dix serait victime de harcèlement, mais les plaintes concernent une minorité de cas. A quoi servira alors ce délit spécifique ? Pour Erwan Balanant, le député MoDem à l’initiative du texte, pas de doute : « Comment percevoir l’interdit quand il est peu lisible ? L’inscription d’un délit de harcèlement scolaire dans le code pénal sera plus claire et plus expressive. Elle permettra de fonder une action pédagogique de prévention. » Le texte prévoit jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende pour les faits les plus graves. Un stage de « sensibilisation aux risques liés au harcèlement » pourra être proposé aux élèves harceleurs comme mesure alternative aux poursuites.
Côté sénateurs, la création de ce délit n’est pas utile. « La portée de ce texte est principalement symbolique. L’arsenal juridique existe. Il faut simplement le faire connaître », assure le sénateur Les Républicains Olivier Paccaud.
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Si la création de ce délit ne fait pas consensus, elle n’est pas la seule pierre d’achoppement entre les parlementaires. Pour le Sénat, la proposition de loi ne doit concerner que le harcèlement entre élèves pour éviter « une judiciarisation accrue envers les enseignants dans un contexte de défiance accrue », souligne Olivier Paccaud. Les députés, eux, intègrent tous les types de harcèlement : entre élèves, mais aussi entre élèves et personnels de l’éducation nationale.
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Sylvie Lecherbonnier
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La création d'un délit de harcèlement scolaire divise députés et sénateurs
Les deux chambres ne sont pas parvenues à s'entendre sur la création d'un tel délit, qui ne fait pas consensus non plus dans le monde associatif. Les sénateurs craignent notamment " une ...
Covid-19 : "On a enfermé l’opinion dans une dichotomie : écoles ouvertes ou écoles fermées."
Covid-19 : à l’école, « un protocole sanitaire ne fait pas, à lui seul, une stratégie de prévention »
EXTRAITS
Dépister ne suffit pas, affirme Mélanie Heard, responsable du pôle santé du think tank Terra Nova, qui suit, depuis deux ans, l’évolution de la réglementation sanitaire en milieu scolaire.
Mélanie Heard est responsable du pôle santé du think tank Terra Nova. Elle analyse les choix opérés – et les difficultés rencontrées – pour sécuriser les écoles en deux ans de crise sanitaire, à l’aune d’exemples venus de l’étranger.
Masques, tests : des pistes d’allégement du protocole sanitaire à l’école sont en passe d’être actées pour entrer en vigueur au retour des vacances de février. Est-ce le bon moment ?
Le mouvement général d’allégement touche tous les secteurs de la société avec le reflux de la vague Omicron ; il est logique que l’école soit concernée. Deux remarques cependant : d’abord, on comprend mal quel argument scientifique vient étayer la décision d’alléger la prévention à l’école, avec un taux d’incidence qui dépasse 4 500 en moyenne nationale chez les enfants scolarisés en primaire, au collège et au lycée – et ce, dans le contexte actuel d’échec de la campagne vaccinale des 5-11 ans.
Deuxième remarque : on justifie le besoin d’allégement par la lourdeur du protocole. De fait, on est arrivé à un point de rupture, en faisant peser tout le poids du dépistage – la charge de trois autotests successifs, quand l’élève est cas contact – sur les parents. Le poids ne vient pas de l’épidémie elle-même ni de la logique de prévention sanitaire, mais bien de l’absence de gestion globale et raisonnée du Covid à l’école. Et, de cela, l’institution est responsable.
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La France a réussi à garder ses écoles ouvertes. N’est-ce pas déjà, en soi, une victoire ?
On a enfermé l’opinion dans une dichotomie : écoles ouvertes ou écoles fermées. Dans d’autres pays – je pense à l’Italie notamment –, on s’interroge non pas sur le seuil de fermeture d’une classe, mais sur le seuil de passage à l’enseignement à distance. En France, on ne peut plus parler d’enseignement en distanciel sans passer pour « aveugle » à ses défauts et à ses conséquences, en particulier en matière d’équité sociale.
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L’aération des salles de classe compte aussi parmi les priorités sur lesquelles les acteurs de la santé alertent. A-t-on fait des progrès ?
Depuis deux ans, on sait que la qualité de l’air à l’école est notre meilleure arme pour éviter les contaminations. On sait aussi que cela exige des investissements : il ne suffit pas de dire aux enseignants d’ouvrir la fenêtre. Tous ceux qui s’y sont intéressés font part de leur étonnement : aérer intelligemment, ça ne va pas de soi, et, sans capteur de CO2 , on n’y arrive pas.
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Propos recueillis par Mattea Battaglia
A lire... Les Français de la Belle Epoque - Antoine Prost
EXTRAIT
L’enquête à laquelle procède en 1899 la Commission de l’enseignement de la Chambre abonde sur ce point en témoignages éloquents de recteurs et de chefs d’établissement. Le dreyfusisme de certains professeurs passe mal. L’accueil de boursiers choque certains parents soucieux des bonnes manières. Le principal de Pontarlier signale par exemple qu’il est de mode et de bon ton dans la bourgeoisie « de mettre ses fils dans les écoles libres ; on croit se donner ainsi un cachet d’aristocratie et des apparences de fortune. On a l’air de reprocher à nos établissements secondaires de s’être trop démocratisés. » À Vienne, aucune famille de la bonne bourgeoisie, médecins, avocats, avoués, notaires, officiers, gros industriels, ne confie plus son fils au collège. Le recteur de Caen va même jusqu’à écrire que le secondaire « ne se recrute plus que parmi les fils des plus humbles fonctionnaires, des petits artisans, des petits commerçants et des ouvriers ».
Ces propos excessifs soulignent l’enjeu : l’enseignement secondaire se définissait comme celui de l’élite et il entendait le rester. Or voici que les collèges privés, déjà très efficaces pour mener au baccalauréat, se mettaient à préparer, eux aussi, aux grandes écoles : le quart environ des candidats reçus à Polytechnique et à Saint-Cyr, 25 sur 60 à Navale, sortaient de chez les pères. Cette concurrence s’accentuait du fait qu’elle portait sur de très faibles effectifs ; les chiffres du secondaire cités plus haut ne doivent pas faire illusion : pour un gros tiers, ils sont gonflés par les élèves des classes élémentaires ou « petites classes », de la onzième à la septième. La cohorte qui suit la scolarité secondaire est très mince : en 1898, 3 % des enfants nés onze ans plus tôt seulement entraient en sixième, et à peine plus, 3,4 %, en 1910. Et les promotions annuelles de bacheliers n’avaient rien à voir avec celles d’aujourd’hui : elles augmentent à la Belle Époque, mais à un niveau très faible : 5 700 lauréats en 1900, 7 700 en 1913. Si le secondaire était bien le creuset où se formaient les élites, celles-ci constituaient un happy few.
« Les Français de la Belle Epoque », d’Antoine Prost, Gallimard
CRITIQUE
« Les Français de la Belle Epoque », d’Antoine Prost, Gallimard, 384 p., 22 €.
La dureté d’un temps révolu
On est frappé, en lisant Les Français de la Belle Epoque, par un choix d’écriture, celui de l’imparfait, comme pour asséner avec plus de force les réalités du passé : « La crasse était générale » ; « Les ouvriers ne vivaient pas très vieux » ; « La grève tuait ». Mais il ne s’agit pas simplement de restituer la dureté d’un temps révolu. L’ouvrage s’appuie sur ces données fondamentales, sans verser dans le misérabilisme, pour déployer ensuite avec un grand sens de la nuance toute la gamme des expériences sociales, passant en revue la condition bourgeoise et le sort des domestiques, la vie des ouvriers et le travail des paysans, les rapports au sein du couple et les inégalités persistantes du système scolaire, l’exiguïté des logements et l’animation des rues.
Un tableau social d’une grande précision que viennent encore affiner l’attention aux variantes régionales et le recours aux témoignages comme à la littérature : on croisera dans ces pages Jean Guéhenno ou Marcel Proust. Mis bout à bout, ces éléments constituent plus que des rappels utiles sur la violence des clivages sociaux d’autrefois. Ils livrent aussi des clés d’explication permettant de comprendre comment une société aussi inégalitaire, aussi divisée autour de la question religieuse, a pu fonctionner, et résister à l’immense choc de 1914. Une « culture de la déférence » tempérée par une véritable mobilité sociale forme l’armature d’une société « beaucoup plus solide et plus forte qu’on aurait pu le penser ».
André Loez
EXTRAIT
« La fête n’est pas le loisir. Celui-ci s’imbrique dans les interstices d’un travail qui ne sature pas les journées. Les ouvriers de la Belle Epoque avaient peu de loisirs, qu’ils consacraient à leurs enfants et à leur famille, notamment le dimanche. Mais des fêtes ponctuaient leur existence ; elles constituaient une rupture dans un labeur continu, une transgression réglée des normes et des usages quotidiens, avec des cortèges, des flonflons, des manèges, des jeux traditionnels, course en sac et mâts de cocagne, de grands bals. (…) Les fêtes occupaient un espace public genré. Les garçons jouaient dans la rue, mais peu les filles, et pas aux mêmes jeux. La sociabilité féminine se déployait au lavoir : là circulaient les nouvelles et les rumeurs du quartier. »
Les Français de la Belle Epoque, page 105
Antoine Prost : « Transformer en histoire la demande de mémoire de nos contemporains » (lemonde.fr)
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Épisode 25 : La société française de 1870 à 1914 avec Antoine Prost. APHG Brèves de classe est le podcast officiel de l'APHG. Dans chaque épisode, un universitaire vient présenter un chapit...
https://www.aphg.fr/APHG-Breves-de-classe-no25-La-societe-francaise-de-1870-a-1914-avec-Antoine
Demi-salaire pour des profs contractuels, en cas de Covid-19
Recrutés à tour de bras pour remplacer la vague d’enseignants absents, les jeunes contractuels qui ont la malchance d’attraper le Covid risquent de ne plus être payés.
Touchés par un Covid-19 qui circule largement dans les établissements scolaires, les enseignants manquent à tous les étages. Faute d’une réserve suffisante de remplaçants contre laquelle s’insurgent régulièrement parents d’élèves et syndicats enseignants, l’éducation nationale recrute tout ce qu’elle peut trouver comme contractuels à durée déterminée. Pour la FSU, un pas de plus vient d’être franchi dans "la précarisation de nos professions, enseignant et accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH)".
"Non contente de développer toujours davantage les contrats précaires en CDD ou CDI, de jeter certains d’entre eux et elles avant les vacances scolaires, de généraliser les contrats à temps partiel imposés, de sous-payer ces personnels… voilà que l’éducation nationale en vient à faire payer à ces personnels le fait d’être malades du Covid-19" s’insurge la FSU.
Le syndicat dénonce le sort réservé aux contractuels victimes du Covid moins de 4 mois après le début de leur contrat. En cas de contamination et de retrait obligatoire de 5 à 7 jours, "ils voient leur salaire complètement suspendu sur la durée de leur isolement". Outre la journée de carence rétablie depuis le 22 janvier, les indemnités journalières versées par la sécurité sociale couvrent à peine la moitié du salaire espéré. "Alors même que ces personnels ont très probablement été contaminés dans le cadre de leur travail", martèle la FSU.
Aucune réponse satisfaisante
Interpellée par les syndicats, la direction académique n’aurait donné, selon la FSU, "aucune réponse satisfaisante".
Interrogée par la Dépêche du Midi, la direction a fait savoir qu’elle n’était pas maître de ce dossier : "c’est le rectorat qui gère".
Pas de quoi arranger les affaires de cette jeune étudiante en préparation du concours de professeur des écoles, recrutée par contrat il y a moins de quatre mois jusqu’à la fin de l’année. Touchée par le virus du Covid-19 avant d’avoir franchi le seuil des quatre mois, elle a eu la mauvaise surprise d’apprendre qu’elle ne toucherait, en indemnité journalière par la sécurité sociale, que l’équivalent d’un demi-salaire.
Une double peine vécue comme une injustice, mais pas au point de témoigner à visage ouvert.
"Elle nous a contactés pour savoir si c’était normal. Mais comme elle veut présenter le concours d’entrée à la formation d’enseignant, elle a peur de s’attirer des ennuis", expliquent les représentants FSU en déplorant ce régime de la peur. "Ils sont dans une précarité telle qu’ils ne sont pas prêts à s’exprimer, même anonymement.
Le 3 janvier sur la chaîne de télévision LCI, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer appelait tous ceux, "qui n’ont pas réussi leurs concours, mais qui ont des aptitudes à l’enseignement" à prêter main-forte dans les écoles. Dans le Tarn selon la direction académique, actuellement 100 classes par jour sont fermées dans le Tarn, faute de remplaçant.
M.L
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Demi-salaire pour des profs contractuels, en cas de Covid-19
l'essentiel Recrutés à tour de bras pour remplacer la vague d'enseignants absents, les jeunes contractuels qui ont la malchance d'attraper le Covid risquent de ne plus être payés. Touchés par ...
Mieux protéger les enfants sur Internet : "Il faut en parler avec eux au moins une fois par semaine"
Le Safer Internet Day est une journée internationale, organisée depuis 2004 et portée par 14 pays européens. Elle vise à sensibiliser les jeunes, leurs parents et leurs éducateurs à de meilleures pratiques du numérique. En 2021, 30% des 8-18 ans ont été choqués par des contenus rencontrés involontairement sur Internet.
La 19ème édition du Safer Internet Day, journée mondiale pour un Internet plus sûr, a pour thème "Enfants connectés, tous concernés". Exposés de plus en plus jeunes aux réseaux sociaux, 20% des adolescents, du CE2 à la terminale, ont déjà été confrontés à une situation de cyberharcèlement, selon une enquête menée par la plateforme e-Enfance. Autre chiffre qui interpelle : 40% des enfants en primaire ont déjà un compte sur un réseau social en primaire, si l'on en croit une enquête YouGov relayée par Phonandroid.
Quels sont les principaux risques pour eux ? Comment les protéger ? Analyse avec Corinne Henin, experte indépendante en cybersécurité qui intervient dans des classes de primaire, et Daniel Jasmin, fondateur de l'École des réseaux sociaux, qui créé des ressources pour favoriser le dialogue parents-enfants.
FRANCE INTER : Quelles sont les principales menaces pour les jeunes sur Internet aujourd'hui ?
CORINNE HENIN : "J'en distingue quatre. Tout d'abord, les fake news et la manipulation des croyances. Les réseaux sociaux favorisent [dans votre flux] des contenus similaires à ceux que vous avez déjà "likés" ou partagés, pour que vous restiez sur la plateforme. Donc vous vous forgez une vision biaisée du monde. Il y a ensuite la manipulation du besoin de popularité des jeunes. Les collégiens ont besoin de cette popularité, et ils se prennent en photo tout le temps, parfois en oubliant qui ils sont. Cela peut aller jusqu'à la pédopornographie : ils se déshabillent de plus en plus, au fur et à mesure que les mentions "j'aime" tombent. Ensuite, viennent l'addiction et le temps d'écran [Un enfant entre 7 et 12 ans passe en moyenne 5h30 par jour devant un écran, ndlr]. Et enfin le cyberharcèlement."
Chez les jeunes, l'addiction à Internet est démultipliée
Ces menaces touchent aussi les adultes, pourquoi sont-elles plus prégnantes chez les jeunes ?
CORINNE HENIN : "Internet est plus dangereux pour les jeunes que pour les adultes, car l’addiction est démultipliée. Quand on reçoit un like, on a un shot de dopamine, et donc on va republier quelque chose pour avoir un nouveau like. Le gros problème, c'est aussi l'impulsivité. Internet est considéré par votre cerveau comme un espace à part entière. Si l'on croise quelqu'un dans la rue qu'on n'aime pas, notre surmoi nous empêche de lui faire un geste insultant. Sur internet, le surmoi n'existe pas."
À quel âge faut-il en parler avec ses enfants ?
DANIEL JASMIN : "Dès la primaire. On sent que la cible de début de dialogue est en CE2-CM1. Ca devient prégnant en CM2, car en 6ème les enfants s'équipent de smartphones. À 13 ans c'est beaucoup trop tard, car les enfants ont déjà six ans de vie numérique derrière eux, il faut alors déconstruire. Par ailleurs, la proximité des élèves avec leurs enseignants et leurs parents est beaucoup plus forte en primaire."
Quels conseils donneriez-vous aux parents ?
DANIEL JASMIN : "Ma recommandation principale c'est d'en parler au moins une fois par semaine avec ses enfants. Il ne faut pas faire uniquement de la prévention, il faut s'intéresser, demander à l'enfant "qu'as-tu découvert de nouveau aujourd'hui ?" Le problème principal aujourd'hui, c'est qu'au-delà de prévenir, on ne s'intéresse même pas à ce que l'enfant fait sur Internet."
CORINNE HENIN : "Tout d'abord, il faut montrer l'exemple. Vous pouvez difficilement demander à votre enfant de ne pas utiliser son téléphone, si vous êtes tout le temps dessus. Ensuite, faire des choses ensemble sur Internet : si vous aimez jouer ou regarder des vidéos, partagez ces moments avec eux. Comme ça il auront l'habitude, et s'ils ont vu une vidéo choquante, verbaliser sera plus facile pour eux.
Ne pas résoudre le problème du harcèlement à la place de l'enfant.
Il faut les considérer comme des personnes autonomes. À chaque fois que j'ai vu des comportements d'interdiction, j'ai vu des ados qui les [contournaient], qui utilisaient des messageries instantanées, ou allaient sur Internet en dehors de chez eux. Enfin, ne pas essayer de résoudre le problème du harcèlement à la place de l'enfant. Souvent, ça fait "pire que mieux". Si l'enfant se fait harceler sur un téléphone et que l'un de ses parents va voir le camarade harceleur à la sortie du collège, souvent ça recommencera, car l'enfant sera considéré comme faible. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à utiliser la grosse artillerie. Porter plainte ou s'adresser au médiateur de gendarmerie."
De nombreuses initiatives existent pour tenter d'accompagner les parents dans la "parentalité numérique". L'application FamiNum (disponible sur le site FamiNum.com) propose d'aider les parents à réduire le temps d'écran des enfants, en désamorçant les conflits qui y sont liés. Le site jeprotegemonenfant.gouv propose notamment des ressources pour protéger les jeunes du contenu pornographique. Enfin, l'association e-Enfance gère le 30.18, le numéro national pour les jeunes victimes de violences numérique (gratuit, anonyme et confidentiel, du lundi au samedi de 9h à 20h).
Juliette Geay
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Mieux protéger les enfants sur Internet : "Il faut en parler avec eux au moins une fois par semaine"
Le Safer Internet Day est une journée internationale, organisée depuis 2004 et portée par 14 pays européens. Elle vise à sensibiliser les jeunes, leurs parents et leurs éducateurs à de meill...
Histoire - Le massacre de Charonne en 1962, ils s'en souviennent...
Bilan du “massacre de Charonne” ce 8 février 1962 à Paris en pleine guerre d'Algérie : 9 morts et plus de 250 blessés. Des années plus tard, des rescapés se souviennent de cette répression sanglante menée par une police sous autorité du préfet Maurice Papon.
Bilan du “massacre de Charonne” ce 8 février 1962 à Paris : 9 morts et plus de 250 blessés. En pleine guerre d’Algérie, après 8 ans de violences, des milliers de manifestants, la plupart militants de gauche, avaient bravé l’état d’urgence pour réclamer la paix. Ils manifestent suite à une série d'attentats de l’Organisation armée secrète (OAS), opposée à l’indépendance de l’Algérie. La veille, une de ces explosions avait défiguré une fillette de 4 ans. A 19h30, alors que l’ordre de dispersion a été donné près du métro Charonne, la police, noyautée par l’extrême droite et sous l’autorité du préfet Maurice Papon, s’en prend aux manifestants. Des années plus tard, des manifestants présents se souviennent de ce traumatisme, qui ne sera jamais jugé.
Une attaque sans sommation
René Tardiveau, un policier syndiqué sur place, qui n'a pas participé à l'attaque, se souvient pour un reportage de FR3 en 1982 : "On est en renfort, on est stationné et on nous a muni du bidule, cette grande matraque qui ressemble à un manche de pioche."
Claude Bouret, président de la CFTC en 1962. 20 ans après, il se souvient : "Plusieurs rangs de policiers qui étaient dans le noir et qu'on distinguait assez mal se sont rués sur le premier rang et ont provoqué le mouvement de reflux des premiers rangs, la panique."
Roger Gillot, président de la CFTC en 1962, se souvient, 20 ans plus tard : "Sans aucun avertissement, sans aucune sommation, ça je l’affirme, les premiers coups ont plu sur les manifestants."
Axel Kahn, généticien, se souvenait en 2010 au micro de Laure Adler sur France Culture : "En tant que jeune dirigeant des Jeunesses communistes à l'époque, j'ai contribué à organiser la manifestation. Nul manifestant n'était armé. Il y avait un très profond sentiment d'indignation."
Jean Faucher, militant communiste, se souvenait pour FR3 en 1982 : "J'entends encore, sous la pression, des vitres qui éclatent, des cris, des hurlements de douleur. On tournait la tête et on voyait des visages en sang. Et puis les forces de police, avec leur grandes matraques, qui cognaient, cognaient avec un acharnement bestial."
Un rescapé : "_Ils frappaient et tout en frappant ils disaient : '_Sales communistes, on va vous faire crever'".
Julien Guérin, militant CGT : "C'était plus ceux qui étaient à terre que ceux qui étaient encore debout qui étaient attaqués par la police. Et j'ai eu la jambe cassée à ce moment-là. Et heureusement, un camarade, que je ne connaissais pas d'ailleurs, m'a aidé à me relever et m'a aidé à pénétrer dans le café."
Marina Vlady, comédienne, en 1996 sur France Inter : "Une avalanche de gens qui sont tombés debout dans cette bouche de métro. Et en plus, la police a commencé à nous jeter des grilles d'arbres dessus, ce qui fait qu'il y a eu huit morts. J'ai réussi à m'en sortir je pense, en piétinant ce qui était en dessous de moi et je suis sortie de cette mêlée à moitié déshabillée. J'ai couru, j'ai sauté la grille du métro, ce qui est incroyable."
Régine Hayem, militante CGT, pour FR3 en 1982 : "Cette vision absolument dantesque du boulevard, dans une brume étonnante, avec ces gardes mobiles, la matraque à la main, essayant de casser les chaussures des femmes, les chaussures à talons. Ils tapaient dessus pour les casser. C'était une vision folle. Ils étaient dans un état d'excitation que je ne concevais pas possible."
Jean Faucher, militant communiste : "Avec quelle férocité, on voyait des gens qu'on appelle des hommes s'acharner sur cette population qui venait manifester sa volonté de paix en Algérie contre l'OAS."
Le traumatisme
Un rescapé, 20 ans plus tard : "J’avais le crâne ouvert et ils m’ont suturé avec trois points de suture. Ensuite, j'avais mal partout, j'avais mal aux épaules, j'avais mal aux bras suite aux coups et deux jours après, j'avais les épaules et les bras tout noirs suite aux hématomes."
Liliane Mattinguais, militante CGT : "Et ce qui a été pénible, surtout, ça a été le lendemain, quand on s'est retrouvé dans un atelier où il manquait deux personnes. Dans la nuit, j'ai effectivement su que Suzanne Martorell avait été tuée. Et le petit Daniel Féry, je ne l'ai su que le lendemain matin. Alors évidemment, en arrivant au travail le lendemain, devoir prendre la place des camarades qui avaient été tués la veille c'est quelque chose qu'on ne peut pas s'imaginer, finalement."
Liliane, rescapée du massacre de Charonne, témoignait de ses souvenirs dans l'émission de France Inter "Là-bas si j'y suis" en 1992 : "C'est vrai que tous ceux qui sont morts pratiquement étaient communistes. Et j'ai trouvé que ça prenait une autre ampleur. Alors, j'ai adhéré au Parti communiste."
Dans la même émission, en 1992, une rescapée de Charonne : "Je n'ai pas pu contourner la bouche de métro et je suis tombée dedans. Après, j'en ai eu des séquelles psychologiques et de santé. Je suis devenue très claustrophobe. Impossible de prendre le métro. Et en plus, impossible d'agir, c'est-à-dire que c'est un non-événement. Il n'y a pas eu de jugement, il n'y a pas eu de coupable."
La parole politique
Le lendemain, le 9 février 1962, Maurice Legay, directeur général de la police municipale, a prononcé ces mots : "L'action de la police n'y est pour rien, sinon dans le fait qui est son devoir, d'avoir cherché à dégager la voie publique."
Roger Frey, ministre de l'Intérieur, le 9 février 1962 : "Des groupes organisés, de véritables émeutiers, armés de manches de pioche, de boulons, de morceaux de grilles, de pavés, d'outils divers ont attaqué le service d'ordre, en particulier boulevard Beaumarchais, rue de Charonne et rue de Turenne. Aucune manifestation qui trouble l'ordre public ne peut constituer un soutien. Bien au contraire. Elle représente alors un élément de la subversion même, en exacerbant les passions et en empêchant surtout les forces de l'ordre de remplir leur mission."
Michel Debré, premier ministre, le 12 février 1962 commente ainsi l'événement : "Il n'y a point d'État si la première mission dont il est chargé, c'est à dire l'ordre public, n'est pas respectée."
Michel Debré a même félicité le préfet de police, Maurice Papon, quelques jours plus tard pour sa fermeté. Les policiers auteurs des violences n'ont jamais été sanctionnés. Un début d'enquête a été amorcé : des auditions de la police judiciaire, des convocations chez un juge d'instruction. Mais devant les protestations des policiers impliqués, le juge a été déplacé et l'enquête s'est arrêtée.
Les obsèques
Les funérailles des victimes du 8 février ont lieu le 13 février 1962 en direction du Père-Lachaise à Paris.
Un journaliste commente d'impressionnantes images ce 13 février : "À ses huit victimes, Paris a fait les funérailles les plus éloquentes. De la Bourse du travail, où les cercueils avaient été exposés et avaient reçu un premier hommage, jusqu'au cimetière du Père-Lachaise, une foule immense dont le nombre peut s'évaluer à plusieurs centaines de milliers de personnes, a suivi le cortège. Cortège silencieux, seulement ponctué des accents d'une marche funèbre et dont nul cri, nul incident n'a troublé le déroulement. Des monceaux de fleurs, gerbes coûteuses ou humbles bouquets, ont donné le ton de la piété populaire. Ce cortège funèbre, qu'on évalue à 150 000 à 1 million de présence, avait la valeur d'une affirmation solennelle : il ne faut plus que la paix intérieure soit troublée."
Urida Gherab, rescapée du massacre de Charonne, se souvenait dans l'émission "La Fabrique de l'Histoire" pour France Culture en 2001 : "Plus d'un million de personnes. Pas une seule force de l'ordre sur le chemin. Donc, il y avait cette rage, cette peine et cette envie de paix en Algérie. Je crois que c'est ça qui ressortait de tout ça."
En 1966, une loi a amnistié tous les faits en rapport avec la guerre d'Algérie. Les responsables de la répression du métro Charonne n'ont jamais été inquiétés.
Archives : “Round-up” RTF 1962 ; JT de 20H, RTF 1962, “Charonne 62” FR3, 1982 ; journal A2 1982, “Là-bas si j’y suis”, France Inter 1992, “La Fabrique de l’histoire” France Culture, 2001 (doc INA : A. Delaveau)
Camille Renard
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Le massacre de Charonne en 1962, ils s'en souviennent
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« Ces deux années de pandémie ont fracturé le corps enseignant d’un point de vue pédagogique »
EXTRAITS
Depuis le confinement de mars 2020, les écarts entre les méthodes d’enseignement se sont accentués, notamment avec l’irruption du numérique, relève Luc Ria, professeur en sciences de l’éducation. Pour une partie des professeurs, « on ne reviendra pas à l’école d’avant ».
Professeur des universités en sciences de l’éducation, Luc Ria est également directeur de l’Institut français de l’éducation. Il a conduit pendant le premier confinement du printemps 2020 une enquête sur les pratiques pédagogiques des enseignants, et a recueilli près de 5 000 réponses. Depuis, lui et son équipe poursuivent ce travail par le biais d’une enquête qualitative au long cours avec une vingtaine d’enseignants pour comprendre comment la pandémie fait évoluer les pratiques pédagogiques.
Le confinement de mars 2020 a été, selon vous, le point de départ d’une révolution pédagogique. Pourquoi ?
La culture de la classe est très forte en France. Cette forme scolaire est garante d’une unité de temps et d’espace qui permet à tous les élèves de bénéficier d’une offre d’enseignement commune. Le confinement du printemps 2020 a mis un frein brutal au groupe classe. Il a annihilé ce qui était possible et presque naturel pour les enseignants. Environ un tiers des enseignants se sont retrouvés en plein désarroi avec le sentiment que leur activité était empêchée, voire mutilée, un tiers a essayé tant bien que mal de rebondir et un tiers s’est penché sur des formes nouvelles d’enseignement et a construit de nouvelles ressources pédagogiques.
Quelles sont les solutions les plus marquantes ?
Des enseignants ont produit des capsules vidéo, par exemple, au point d’effectuer parfois un vrai travail de youtubeur. Il leur a fallu réinventer le métier, avec des questions simples mais essentielles : comment donne-t-on une consigne par ce canal ? Alors que, en classe, transmettre une instruction est assez transparent, voire automatique, les enseignants ont commencé à réfléchir du point de vue de l’élève en tant qu’individu. Un véritable changement de perspective.
Même chose sur la classe inversée [les cours à la maison, les exercices en classe], qui a pris un nouvel essor. Cette méthode permet de repositionner les connaissances en amont, en aval ou en parallèle du cours. Ce qui a changé fondamentalement, c’est cette prise de conscience des possibilités de l’asynchrone. Avant la pandémie, tout était en présentiel, si ce n’est la portion congrue des devoirs à la maison. La classe était conçue comme une sorte de bulle. Aujourd’hui, des réflexions s’engagent sur l’agenda scolaire selon une dynamique spatio-temporelle renouvelée.
(...)
Que crée cette diversité des pratiques sur le corps enseignant ?
Actuellement, beaucoup doutent de la suite. S’il n’y a pas une reprise en main des équipes ainsi que des projets construits de manière solidaire, certains vont avoir l’impression de ne pas retrouver leur place. Ces deux années de montagnes russes ont augmenté les écarts en termes de professionnalité, dans la capacité à enseigner « le moins mal possible » dans ce contexte chaotique. Cela n’a rien de générationnel : il y a des gens agiles ou résistants à tout âge. Il n’en reste pas moins que l’unité de la profession est en danger.
Sylvie Lecherbonnier
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" Ces deux années de pandémie ont fracturé le corps enseignant d'un point de vue pédagogique "
Depuis le confinement de mars 2020, les écarts entre les méthodes d'enseignement se sont accentués, notamment avec l'irruption du numérique, relève Luc Ria, professeur en sciences de l'éducat...