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Comédie-Française : lancement des visioconférences pour les enseignants « Lire Molière aujourd’hui »
"... l’évolution des méthodes d’apprentissage de l’art (...) Loin du moule contraignant de l’éducation classique.
Ecole buissonnière
A Metz, apprendre l’art du large
Au centre Pompidou-Metz, une exposition questionne l’évolution des méthodes d’apprentissage de l’art et explore les fertiles années 60 et 70 durant lesquelles un esprit libertaire et novateur animait les écoles. Loin du moule contraignant de l’éducation classique.
De loin en loin, sur les cimaises du centre Pompidou-Metz, s’affichent des images bigarrées où des gens, de tous âges, tirent tous ensemble et chacun de leur côté sur des filets élastiques, déambulent dans les rues, la tête coiffée d’un fatras de bouts de tissus, de lettres et de biscuits, se déguisent en sorcières ou construisent des cabanes avec des palettes de chantier et des bouts de ferrailles. L’extravagance bon enfant qui règne dans ces ateliers de création mis en place par des artistes reflète bien l’esprit libertaire et novateur que veut réanimer l’Art d’apprendre : celui qui souffla fort dans les écoles (d’art mais pas seulement) autour des années 60-70.
En Allemagne, en France, en Belgique, au Brésil, aux Etats-Unis, des artistes prennent l’initiative de casser le moule de l’éducation stricte et mortifère qui est dispensée à des élèves qu’on veut sages et immobiles. La révolution des apprentissages passe ainsi d’abord par la libération des corps et des mouvements du carcan du pupitre, représenté dans l’installation d’Eva Koťátková, sous forme d’une espèce de petit musée des tortures pédagogiques avec des gravures de têtes maintenues hautes et droites par des corsets, des dos redressés par des prothèses, et la panoplie de la raideur géométrique (équerre, triangle…). A laquelle s’opposent les lignes continues mais biscornues et tremblotantes tracées sur les murs d’une des premières salles de l’exposition.
Se relayant jour et nuit
Pour les tracer, les étudiants de l’Ecole d’art de Metz ont mis leurs pinceaux dans ceux de leurs aînés de l’Ecole de Hambourg qui, en 1959, ont appliqué le programme débridé que leur proposa le poète Bazon Brock et l’artiste Hundertwasser : peindre ensemble, en se relayant jour et nuit, une ligne qui serpente du sol au plafond de la salle 213 de leur institution pour filer ensuite à travers toute la ville. Elle n’ira pas si loin. Symbole d’un enseignement qui prend la tangente, mise en œuvre aussi d’«une lenteur méditative» qui tient du rituel initiatique collectif, la ligne sera interrompue nette par la direction de l’Ecole tandis que ses initiateurs prendront la porte.
Tout comme Joseph Beuys, viré des Beaux-arts de Düsseldorf pour avoir accepté sans sélection aucune tous les étudiants et étudiantes dans son atelier. Une vidéo le montre d’ailleurs installé devant l’une d’elles, perplexe et dubitative, face au maître qui tente de lui faire comprendre qu’il n’en est pas un, qu’il n’a rien à lui enseigner, rien qu’elle n’ait besoin de savoir ni de savoir-faire, que de se lancer, intuitivement, qu’il n’en sait au fond pas plus qu’elle.
«Ni élève ni maître»
La mise à plat, à bas, de la verticalité de l’enseignement, fut un des aiguillons de ces années-là. Robert Filliou, qui publia en 1970 une somme collaborative, intitulée Enseigner et apprendre, arts vivants résumait ainsi le programme : «Echange insouciant d’information et d’expérience. Ni élève ni maître. Parfaite licence, parfois parler, parfois se taire». Plutôt que de dispenser des leçons, les formations proposées par les artistes consistent alors à établir des listes de questions. Sans réponse. A commencer par celle que peint Lea Lublin, en 1974, sur une toile si interminable qu’elle en traîne au sol : «L’art est-il une illusion ? L’art est-il une sensation ? L’art est-il une marchandise ?…»
Non loin, l’exposition déroule une centaine d’autres interrogations scrupuleusement écrites à la main par Jef Geys, sur une feuille de papier kraft longue de six mètres que l’artiste et enseignant en primaire, dans la petite ville belge de Balen, avait accroché au fond de sa classe, où ses jeunes élèves eurent droit non seulement d’expérimenter ses Boîtes de jeux sensoriels dont un exemplaire ouvre l’exposition, mais aussi d’accueillir dans leur classe des œuvres d’artistes contemporains tels que Buren ou Broodthaers.
Comme elles s’en fichent
Ce qui frappe dans l’expo, c’est aussi la géographie de ces formations buissonnières : elles naissent souvent dans des coins paumés, à la faveur d’initiatives isolées. Comme s’il avait fallu passer par la périphérie pour avoir un peu de latitude pédagogique. L’éphémère université de Vincennes, accessible aux non-bacheliers et le premier département d’arts plastiques qu’elle abrite, trouvent ainsi leur place avec les affiches sérigraphiées qui défendent d’autres causes que celles de la condition étudiante. Les artistes, ou apprentis artistes, font passer le mot de l’agitation à laquelle ils ont été formés. Si l’art a bouleversé la hiérarchie instituée naguère entre le maître et l’élève, il doit contribuer à répandre la bonne nouvelle.
Et se mettre aux nouvelles technologies. C’est l’une des sections les plus captivantes de l’exposition. Comment ces artistes qui ne veulent plus rien savoir, se saisissent-ils, dans les années 70, de la caméra accessible au commun des mortels ? Cinq lycéennes, dans la fleur de l’âge, gloussent et s’expriment fort intelligemment sur leur avenir, celui que leur réserve le conseil de classe et la conseillère d’orientation. Ce sera broderie, couture ou aide maternelle. Face caméra, dans un jardin public, à la nuit tombée, leur gouaille et leur attitude, crânement nonchalante, disent, à l’écran, comme elles s’en fichent, qu’elles savent qu’on ne leur a guère laissé leur chance. En filmant ces mômes d’un collège d’enseignement technique de Vaux-le-Pénil, un village près de Melun, en 1972, Liliane Terrier, (leur prof de français) et Jean-Louis Boissier (prof à Vincennes, à l’époque) appliquent les leçons (de bon sens) mises en œuvre par Beuys ou Broodthaers : laisser parler l’élève, le laisser prendre tout le cadre. Le centre Pompidou-Metz ne pouvait guère faire autrement que d’appliquer à lui-même et à son exposition cette obligation. L’art d’apprendre se finit donc par «une salle de classe expérimentale» aménagée par le studio de design de Stéphanie Marin et où les enfants de quelques écoles de Metz, assis, debout, assis sur des chaises qui leur permettent de rebondir, feront ce qu’ils peuvent et veulent, accomplissant, peut-être sans le savoir, cet idéal pédagogique fixé par Filliou : «Ce que la vie signifie pour l’homme est l’opportunité (et l’obligation) de se créer soi-même.» Sans avoir besoin de personne ?
Judicaël Lavrador
«L’Art d’apprendre, une école des créateurs», au centre Pompidou Metz, à Metz (57) jusqu’au 29 août.
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A Metz, apprendre l'art du large
Au centre Pompidou-Metz, une exposition questionne l'évolution des méthodes d'apprentissage de l'art et explore les fertiles années 60 et 70 durant lesquelles un esprit libertaire et novateur ...
Déclassement, manque de reconnaissance… ces enseignants qui veulent changer de métier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Y aurait-il une crise des vocations vers l’enseignement ? Régulièrement, face aux problèmes de remplacements de profs, exacerbés par la crise du Covid, les médias soulèvent cette question. Lors des concours de recrutement d’enseignants en 2021, un certain nombre de postes sont restés non pourvus.
En novembre dernier, un article du Monde pointait ainsi un autre phénomène, celui des démissions : encore discret du point de vue statistique, il aurait cependant triplé entre 2013 et 2018, pour atteindre 1648 démissions en 2020-2021. Une donnée qui peut cacher un mouvement plus vaste comme le rappelaient Magali Danner, Géraldine Farges et leurs co-autrices dans la revue Education et Sociétés :
« la démission n’est pas la seule manière de quitter la classe ; d’autres existent, moins visibles, tels la disponibilité – permettant de quitter temporairement la fonction publique – les mobilités vers d’autres corps, les détachements dans des associations ou des services administratifs. »
Sur le terrain, nombreux pourtant sont encore les lycéennes et les lycéens, les étudiantes et les étudiants qui expriment l’envie d’embrasser cette profession, surtout dans le premier degré. C’est donc plus en aval dans les parcours que se joueraient les désaffections. Celles-ci concernent des enseignants dont la vocation était très forte au départ et qui commencent à douter, une fois en poste, face aux conditions d’exercice du métier, comme le pointait un numéro de la Revue internationale de sociologie de l’éducation autour des professions éducatives à l’heure des réformes.
Plusieurs facteurs matériels et symboliques d’une désaffection du professorat ont ainsi pu être identifiés dans les recherches récentes, qu’il s’agisse du faible niveau des rémunérations en regard des diplômes exigés, du manque de reconnaissance des difficultés du métier et du niveau important de responsabilité envers les élèves et les familles. Des éléments structurels auxquels s’ajoutent de profonds bouleversements dans les politiques publiques qui ont instauré un système managérial inédit dans le domaine de l’éducation, vecteur d’effets négatifs sur l’attachement des professeurs à leur activité professionnelle.
Par exemple, la quantification des actes pédagogiques comme celle des compétences acquises par les élèves et leur évaluation en continu, en se multipliant, empiète sur le temps consacré aux échanges avec les élèves, technicisant à outrance la relation éducative. Celle-ci se trouve soumise à des contrôles dont la cadence nie le temps long nécessaire aux apprentissages.
Bureaucratisation croissante
Nous avons pu éclairer cette fragilisation des vocations dans une étude auprès de femmes enseignantes en reprise d’études dans un master professionnel de la petite enfance. Leur but étant de « sortir de l’école, quitter leur métier ». Le fait que le professorat dans le premier degré soit très féminisé (80 % en moyenne) justifie cette focalisation de l’enquête sur les enseignantes.
Surtout, il s’agit d’explorer les déterminants sociaux qui pèsent sur la remise en cause d’un choix de métier à l’origine très solide, fréquemment, forgé dès l’enfance et vécu sur le mode de la vocation et de l’amour des enfants du fait des mécanismes de genre assignant les femmes aux métiers du care (éducation des enfants et soin à autrui).
Les profils sociologiques des enseignantes sont ceux de bonnes élèves qui se sont conformées avec application aux injonctions sexuées d’orientation vers l’enseignement, de telle manière qu’elles ont été éduquées à vivre leur choix du professorat comme un destin professionnel parfait pour les femmes, contrairement aux hommes, déclarant des motivations plus utilitaires comme la sécurité de l’emploi.
Les observations recueillies pour l’étude concernent des enseignantes de maternelle et d’éducation spécialisée âgées de 30 à 50 ans, entrées dans ce métier d’abord longtemps rêvé au fil de leurs études, puis réalisé avec fierté, mais ensuite vécu dans la souffrance au travail et les désillusions. Dans cette perturbation de la vocation, on retrouve les motifs de la dégradation des conditions de travail ou l’incertitude entretenue sur le statut des fonctionnaires, de leur rémunération et les droits à la retraite.
Mais apparaît aussi la découverte d’autres milieux professionnels comme les services « Enfance » dans les villes, et d’autres façons de travailler ouvrant la perspective d’une mobilité sociale ascendante pour ces femmes très diplômées. Parmi les conditions favorisant cette envie d’une bifurcation professionnelle et son passage à l’acte figurent des leviers non négligeables comme une vie de couple égalitaire et le féminisme de certaines.
Les réformes qui ont imposé une bureaucratisation croissante des actes éducatifs sont en toile de fond de ces remises en question. Chronophage, le pilotage par contrats d’objectifs et indicateurs de performance érode le temps long nécessaire à la pédagogie. L’injonction à monter des projets implique de sortir des préoccupations strictement centrées sur les contenus à transmettre et de les intégrer dans une architecture large d’actions et de partenariats de tous ordres comme les projets de cité éducative ou d’innovation pédagogique.
Manque de reconnaissance
Faute de temps et de moyens, les enquêtées disent ne plus supporter de devoir faire autre chose que veiller à l’accompagnement patient et bienveillant des apprentissages fondamentaux. Selon elles, l’éloignement de leur cœur de métier produit de la perte de sens et entame leur passion initiale, au point de les pousser à changer de secteur, voir même à rejeter tout métier de la relation directe à l’enfant.
Plus encore, l’expérience imposée de partenariats avec de nombreux services d’éducation périscolaires à travers le montage de projets éducatifs conduit à des remaniements identitaires non négligeables. L’école, la professeure, perdant leur position centrale et quasi exclusive de la question pédagogique, les professionnelles vont reconsidérer les avantages de leur statut et découvrir les atouts d’autres métiers dans le champ éducatif. En sorte qu’un nouvel horizon s’est ouvert pour les plus jeunes, quand pour les plus âgées il s’agit d’emprunter une voie de secours pour tenir jusqu’à la retraite.
En effet, le spectre d’une période d’activité allongée pose le problème de l’énergie nécessaire au quotidien pour faire face à des groupes importants d’élèves dont les familles éprouvent de grandes difficultés sociales. Dès lors, incarnant des modèles de renoncement professionnel, ces femmes ne jouent plus le rôle attractif qu’elles avaient auprès des candidates au professorat. De figure sociale admirée et enviée, le professorat perd de son aura et ne sort pas vainqueur de la comparaison avec d’autres métiers moins exposés, moins prenants et mieux rémunérés.
La désaffection est bien entendu multifactorielle. Il est ainsi remarquable d’observer dans notre échantillon que ces ruptures biographiques touchent des enseignantes d’origine populaire dont l’école a pu constituer une première étape d’ascension sociale, et à l’inverse des femmes d’origine favorisée vivant mal le déclassement du métier. Quand l’enseignement n’est plus une source de reconnaissance et de satisfaction à la hauteur, elles cherchent des portes de sortie vers des directions de services « enfance » dans des collectivités locales ou le pilotage de dispositifs éducatifs variés développés par la Caisse d’allocations familiales par exemple.
Levier d’émancipation, la qualification élevée des enseignantes peut être mobilisée dans cet objectif de réalisation de soi autrement que dans le professorat. Mais cela concerne surtout celles qui bénéficient de rapports de genre favorables, en tant que fille réussissant dans la famille et conjointe dont la place est égale dans le couple. Elles peuvent ainsi imposer leur projet et recevoir les soutiens indispensables pour se décharger de l’articulation contraignante entre tâches domestiques et impératifs professionnels, qui pèse d’abord sur les femmes.
En somme, la déstabilisation des vocations observée à travers les réorientations des enseignantes a l’avantage d’éclairer les effets des transformations de l’activité sur des choix pourtant fermement ancrés au départ, autant que les besoins féminins d’une meilleure valorisation de leurs compétences
Sophie Devineau, Professeure des universités en sociologie, Université de Rouen Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Déclassement, manque de reconnaissance... ces enseignants qui veulent changer de métier
Y aurait-il une crise des vocations vers l'enseignement ? Régulièrement, face aux problèmes de remplacements de profs, exacerbés par la crise du Covid, les médias soulèvent cette question. Lo...
Le non-remplacement d’enseignants fait des ravages : 259 heures perdues en un mois dans un collège de Seine-Saint-Denis
EXTRAITS
Pendant quatre semaines, Mediapart a compté les absences non remplacées au collège Albert-Camus de Neuilly-sur-Marne. Verdict : les élèves ont été privés de 15 % de leurs heures de cours. De plus en plus de parents en colère s’organisent, en Seine-Saint-Denis, pour saisir la justice.
Alors qu’un ballet de trottinettes et de vélos converge vers le collège Albert-Camus, le hall s’emplit d’un brouhaha assourdissant. Ce petit établissement de 450 élèves et 17 classes situé à Neuilly-sur-Marne, en Seine-Saint-Denis, a vécu un mois et demi de tumultes. Comme partout, tandis que la vague du variant Omicron s’abattait sur la France, les membres du corps enseignant sont tombés comme des mouches, sans personne pour assurer l’intérim. « Le problème, c’est que les parents sont pris en otage, regrette Valérie, mère d’une élève de quatrième. Il est très difficile de se rendre compte du retard accumulé, mais je pense qu’une partie du programme est sacrifiée. »
Pour documenter le malaise ambiant, Mediapart a obtenu des statistiques relatives aux absences d’enseignant·es. D’après nos informations, entre le 10 janvier et le 4 février, soit quatre semaines complètes, l’administration a relevé 259 heures perdues, sur 1 768 heures prévues dans les emplois du temps. Soit 10 à 20 % selon les semaines, entre le pic épidémique et le début de la décrue.
Un taux qui dépasse les derniers calculs de la Cour des comptes. Le 2 décembre, les magistrats financiers ont épinglé le ministère de l’éducation nationale : près de 2 millions d’heures ont été perdues dans les collèges et les lycées sur l’année scolaire 2018-2019, soit 10 %. Des chiffres qui représentaient déjà une augmentation de 24 % par rapport à l’année précédente.
Plus de 150 élèves regroupé·es dans le gymnase
Sur le terrain, c’est un casse-tête pour le personnel encadrant, forcé d’occuper des masses d’élèves qui ont été de plus en plus conséquentes au fil des vagues de Covid-19. « Quand on peut, on essaie de prévenir les élèves par messagerie électronique, mais s’ils se pointent, ils sont surveillés par les surveillants, explique un personnel d’Albert-Camus. Ils les prennent dans une classe ou en permanence. Et s’il y a trop d'élèves par rapport à la taille de la salle et qu'il manque des surveillants, on les met dans le gymnase. » Un cas de figure qui s’est présenté en janvier : le collège a été contraint d’y regrouper 180 personnes.
« Chaque jour, nous avons au minimum cinquante-cinq élèves dehors et trois professeurs, reconnaît ce fonctionnaire. C’est par roulement, et ils n’y peuvent rien. La pandémie a impacté tout le monde de façon continue. »
Envoyé·es sur le front pour gérer les classes à chaque absence, les 8 assistant·es d’éducation (AED, ou surveillant·es) de l’établissement ont vécu quelques journées harassantes. « Au début, il arrivait qu’on ait deux voire trois classes dans une salle, confie le jeune homme. Mais il y avait énormément de bruit... Ça parle, ça a envie de bouger, c’est épuisant pour nous. Tout le monde est censé prendre un cahier et faire quelque chose, mais dans la réalité ils ne travaillent jamais d’eux-mêmes. Plus tard, nous avons été autorisés à les mettre dans la cour, c’était la récré. »
La situation, cependant, était déjà critique bien avant Omicron. « Mon fils est en sixième et, à la rentrée dernière, il y avait trois professeurs absents. Le prof de français a été remplacé au bout de deux semaines, celui d’histoire est arrivé en octobre après cinq semaines d’absence, et le prof de technologie est arrivé en décembre », explique Loïc, parent d’élève. L’établissement, qui ne compte qu’un seul poste d’enseignant de technologie, n’a bénéficié d’aucune alternative, laissant les élèves de troisième sans solution, l’année de leur brevet.
Principale fédération de parents d’élèves, la FCPE s’égosille depuis plusieurs années déjà pour dénoncer un système lacunaire et des moyens insuffisants. « Cette question des non-remplacements est structurelle au sein de l’éducation nationale, peste Nageate Belahcen, présidente. Mais avec la crise sanitaire, il aurait fallu anticiper et augmenter les brigades de professeurs remplaçants. »
(...)
Sur le parvis du collège Albert-Camus, deux ados semblent ne pas être bien inquiets pour la suite, malgré les trous répétés dans leur emploi du temps. « Quand il n'y a pas cours, moi je suis content, sourit l’un. On peut de toute façon les récupérer sur Pronote [logiciel de gestion de vie scolaire – Ndlr]. »
Il faut dire que les futur·es lauréat·es du brevet auront passé le plus clair de leurs années « collège » au rythme de la pandémie. Sorte de génération « C » rompue à l'exercice du distanciel, du semi-présentiel et des cours en pointillés, dont on sait déjà l’impact néfaste sur les inégalités sociales. Sur l'année 2020-2021, des études du ministère ont en effet constaté que l’impact de la crise avait été plus important dans les établissements classés REP et REP+ (Réseau d'éducation prioritaire).
Prisca Borrel
Le non-remplacement d’enseignants fait des ravages : 259 heures per... — Mediapart
Moi JEune: «Je passe ma vie sur les routes» (+ mon commentaire)
Difficultés à trouver un travail, à rejoindre son lycée ou ses amis… En milieu rural, les jeunes subissent fortement le manque d’offre de transports en commun et dépendent de leur permis pour mener leur vie.
En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur La-zep.fr, dressent un panorama inédit et bien vivant des jeunesses de France. Retrouvez les précédentes publications.
«Ces temps de transports ont un impact sur moi»
Jérémy, 17 ans, lycéen, Ille-et-Vilaine
«Je passe près de vingt heures dans les transports en commun par semaine, en bus, en car scolaire, en métro ou en voiture. Du lundi au vendredi, je me lève à 6 heures pour prendre le car scolaire à 6 h 40. J’ai un peu plus d’une heure de route pour aller de mon village rural d’un peu plus de 1 000 habitants, Saint-Onen, à Rennes, à une trentaine de kilomètres. Puis, à Rennes, je prends le bus de ville ou le métro pour aller au lycée qui n’est pas en centre-ville. J’en ai pour trente minutes environ.
«La journée se passe, entre six et huit heures de cours selon les jours. Le soir, je reprends métro, bus, et car scolaire pour retourner chez moi. Quand je finis à 18 heures, j’arrive dans mon village vers 19 h 30. Le mercredi, j’ai la chance de ne pas avoir cours de la journée, mais le soir j’ai entraînement de football à Dinan, à une heure aller-retour en voiture. Je rentre vers 21 heures après l’entraînement. Le week-end, j’ai au moins un match le samedi, à minimum trente minutes en voiture de chez moi. Mais il m’arrive d’aller aussi jouer très loin comme à Brest, à des centaines de kilomètres, ou à Vitré, de l’autre côté de Rennes direction Paris. Le dimanche, je vais parfois assister à des matchs au Stade rennais ou rendre visite à ma famille, là encore forcément en transports.
«Oui, je passe ma vie sur les routes. J’ai voulu faire du sport et cela nécessite des déplacements. Et j’étudie à Rennes car les options que j’ai choisies n’étaient pas dans mon lycée de secteur. Il n’y a pas beaucoup de lycées autour de mon village, et ceux qui existent ne proposent pas forcément toutes les options. Le lycée le plus proche était à Montfort, à trente minutes de ma maison familiale. Pour intégrer ce lycée public, je n’étais pas prioritaire, j’ai été mis sur liste d’attente, et finalement j’ai dû aller à Rennes. Tous ces temps de transports ont un impact sur moi, je le sais : la fatigue d’abord, que ce soit physique ou mentale. Physiquement, je me dépense beaucoup et je ne pense pas avoir assez de temps de sommeil. Mentalement, car je ne suis jamais posé chez moi. Et, quand je rentre, je dois faire mes devoirs, manger, etc. Pendant les vacances, je n’ai pas non plus le temps de me poser ; je suis employé dans une entreprise au moins une semaine sur deux, où je ne peux que me rendre en voiture. Je ne choisis pas de passer autant de temps sur la route mais lorsque l’on habite dans un milieu rural, on n’a pas forcément le choix.»
«Ma mère est mon chauffeur favori»
Lucie, 15 ans, lycéenne, Puy-de-Dôme
«Elle s’appelle Lili, elle a une quarantaine d’années, elle est prof mais, pour moi, elle est chauffeur à plein temps… et c’est ma mère adorée. Pas facile d’habiter à la campagne, d’avoir trois ados et d’être la seule à la maison à avoir le permis. Chaque semaine, elle se lance un défi… Ou plutôt, c’est nous, ses trois enfants, qui lui en lançons un. Réussira-t-elle à faire plus de 150 kilomètres cette semaine encore ? Les allers-retours Billom-Vertaizon, ça, elle gère. Entre la benjamine qu’il faut aller chercher deux fois par semaine, la cadette qui finit parfois les cours à 18 h 30 et l’aîné qui prend des cours particuliers près du collège, elle connaît par cœur ce trajet. Elle pourrait presque le faire les yeux fermés (#ToujoursPlus).
«Et nous, on monte, on descend, on remonte et on redescend sans arrêt. Le compteur tourne et tourne encore. En une semaine, elle fait presque 68 kilomètres rien que pour le collège. Et tout ça sans compter les conseils d’administration, les changements d’emploi du temps, les grèves… Bref, Billom, c’est la destination phare de mon chauffeur favori. Bien sûr, s’il n’y avait que ça, ce job serait bien trop facile.
«Il ne faut surtout pas oublier nos «activités extrascolaires» (#EnferDesParents). Elles prennent tellement de place que, parfois, ma mère est obligée de corriger ses copies dans la voiture en nous attendant. Cette voiture se transforme alors en minibureau très fonctionnel. Il y a une petite lumière qui s’éteint au bout de seulement cinq minutes – ma mère s’éclaire alors à la lumière de son téléphone –, un siège passager en mode débarras, un empilement de feuilles et de classeurs, et enfin le volant qui sert à se caler pour écrire quand elle a mal au dos. Et nous, quand on arrive, on rentre dans cette voiture et on détruit toute cette organisation minutieuse.
«Mais là, je m’égare. Revenons aux activités. D’après « mon chauffeur », c’est l’ennemi numéro 1 du temps libre des parents. Elle pense qu’on en fait trop ! Nous, on n’est pas d’accord, on fait juste du basket, de la danse, du piano… En une semaine, elle fait plus de 82 kilomètres pour nous conduire. Les allers-retours s’enchaînent et les pleins aussi. Et le compteur continue de tourner, il ne s’arrête jamais, pas même les mercredis après-midi quand il n’y a pas d’activités. Ses enfants adorés (#Nous) lui trouvent toujours quelque chose à faire.»
«Sans permis, c’est impossible de trouver un emploi»
Loreen, 20 ans, en recherche d’emploi, Finistère
«J’ai découvert la pâtisserie pendant mon stage dans un restaurant ouvrier. Fraisier, framboisier, poirier, écriture au cornet, décor en pâte d’amande… La patronne me mettait souvent à la préparation des desserts. J’aime préparer et monter les entremets, c’est créatif ! Je me suis donc orientée vers un CAP pâtisserie. J’ai trouvé le métier qui me passionne. Quand on rentre dans un labo de pâtisserie, on peut sentir les biscuits qui sont en train de cuire, la bonne odeur des fruits de saison… Il faut être très minutieux, concentré. Le pâtissier que j’admire beaucoup, c’est Cyril Lignac. J’adore la finition de ses préparations.
«Mon problème, c’est que j’habite à la campagne, dans le Finistère, en Bretagne. Sans permis, c’est impossible de trouver un emploi. La ville la plus proche, c’est Brest, mais c’est à 30 kilomètres. Ça va faire un an et demi que je cherche… Quand j’appelle ou que je me déplace chez les employeurs, un des premiers trucs qu’on me demande, c’est si j’ai le permis. Et quand je dis non, on me dit que ça va être compliqué… En un an et demi, j’ai juste travaillé quatre jours au festival des Vieilles Charrues, en restauration rapide, et à la ramasse de fraises. Pas les jobs de mes rêves et c’est mon père qui m’amenait en voiture… Pendant mon CAP, j’étais à l’internat donc je n’avais pas le temps de me lancer dans le permis, et puis pas le budget pour payer toutes les séances de code…
«Tous les jours, je regarde les annonces sur Pôle Emploi ou sur Indeed. En pâtisserie, il y a tout le temps de nouvelles annonces, mais c’est trop loin de chez moi… Parfois, je n’ai même pas de réponse. Je me suis aussi inscrite dans des boîtes d’intérim. Je réfléchis à habiter sur Brest car il y a beaucoup plus de moyens de transport. Mais vu que je ne travaille pas, ça va être compliqué de trouver un logement… J’ai eu cinq entretiens d’embauche qui se sont bien passés mais, au final, je n’ai pas été prise. Avec tous ces refus, j’ai perdu espoir de trouver un emploi… J’avais même plus envie de chercher.
«Heureusement, mes parents m’ont remotivée. Et ma dernière formatrice de stage m’a appris à ne pas baisser les bras quand je n’arrivais pas à quelque chose. Si je trouve un emploi, j’aimerais ensuite faire une mention complémentaire en pâtisserie chez les Compagnons du devoir. Si je l’obtiens, je pars six ans en tour de France et, si tout se passe bien, je peux faire mes trois dernières années à l’étranger. J’aurais pu rentrer en septembre, j’étais prise, mais j’ai demandé à décaler. Parce qu’avant il faut que je trouve un travail pour gagner de l’argent et payer la formation. Assurance, caisse à outils, garantie, tenues… ça fait à peu près 1 000 euros. Pour l’instant, vu que je ne travaille pas, je fais des pâtisseries chez moi pour mes parents, mes frères et ma sœur. J’invente des choses. J’ai fait un gâteau au yaourt avec une crème pâtissière chocolat et caramel. C’était trop bon. Si je ne cuisine pas, ça me manque !»
«Ma moto m’a changé la vie»
Eliot, 17 ans, lycéen, Loire
«2 000 euros par frère avec l’héritage d’un grand-oncle de mon père. Antoine, le plus grand, l’a utilisé pour investir dans une voiture. Pierre, le deuxième, a utilisé les trois quarts dans un ordinateur et le reste pour payer son loyer. Colin, le troisième, pour s’acheter lui aussi un ordinateur plus puissant. Et moi, je m’en suis servi pour m’acheter ma moto. J’ai toujours voulu avoir une moto pour rouler seul et avoir une pleine liberté de mouvement. Dans mon village, les transports en commun, c’est limite le néant. Alors, à partir du moment où j’ai eu ma moto et mon brevet de sécurité routière, ce fut le début de mon autonomie. J’ai eu mon BSR pile le jour de mes 14 ans et ma moto deux semaines après, même si j’ai commencé à en chercher une deux mois auparavant.
«J’ai mis du temps à la trouver. J’ai d’abord cherché d’occasion, sans réussite. Toutes celles dans mon budget étaient soit trop vieilles et trop abîmées soit modifiées et donc pas fiables. Puis, je suis tombé sur LA moto dans un magasin qui ne vend que des motos neuves. Elle était aussi chère que celles d’occasion à peu près potables : 2 000 euros, pile mon budget. Elle a un style original pour une 50 cm³ [les premières motos autorisées à partir de 14 ans, ndlr] : c’est une Scrambler, une moto neuve mais avec un style vintage créé après la Seconde Guerre mondiale (quand les particuliers retapaient des motos avec des pièces détachées). Elle consomme très peu d’essence, donc c’est moins cher pour me déplacer. Après trois ans, elle est toujours en super état, sans jamais avoir eu besoin de réparation.
«Je vis à la campagne dans un petit village de 800 habitants, loin de tout. Pour aller prendre le bus et rejoindre la ville la plus proche, c’est une heure à pied. En plus, je suis à vingt minutes de marche du village, et mon pote le plus proche est à plus de trente minutes. Depuis que j’ai ma moto, j’y suis en cinq minutes. Avec ma moto, c’était donc le début d’une nouvelle vie sociale avec tous mes potes qui habitent dans d’autres villages. C’était impensable d’y aller à pied pour une après-midi. J’aurais pu demander à mes parents, mais mon père travaille beaucoup et n’est pas chez moi trois jours par semaine. Et ma mère est infirmière, elle est souvent fatiguée après le travail. Je sais qu’en cas de besoin, ils seront toujours là pour m’emmener mais pouvoir me débrouiller, c’est pour moi comme une reconnaissance de tout ce que mes parents font pour moi.
«Aujourd’hui, je peux aller voir mes potes quand je veux et plus juste à travers un écran. Je les vois minimum une fois dans la semaine en dehors des cours, sans compter les soirées. S’il y en a une qui est organisée au dernier moment, je suis sûr de pouvoir y aller si j’en ai envie. Un jour, je suis parti en soirée un vendredi soir et j’ai pu aller le lendemain au cinéma à plus de 50 kilomètres sans hésiter. Aujourd’hui, je me rends compte à quel point ma moto m’a changé la vie. Je remercie mes parents de me soutenir et de me faire confiance pour veiller à rester en sécurité sur la route. Au début, j’ai aidé à nettoyer la maison et à faire plus de jardin que d’habitude, et en échange ils me payaient l’essence. Mais au fil du temps, ils me l’ont payé sans contrepartie. Je leur rends en me débrouillant seul au maximum pour le reste. Parfois, je me sers de la moto pour aller en cours si je commence plus tard ou finis plus tôt. Ça me permet de toujours être libre sans jamais être bloqué sans moyen de transport.»
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Moi JEune: "Je passe ma vie sur les routes"
Difficultés à trouver un travail, à rejoindre son lycée ou ses amis... En milieu rural, les jeunes subissent fortement le manque d'offre de transports en commun et dépendent de leur permis pou...
Et à cet excellent dossier, j'ajouterai la situation des élèves de collèges ruraux.
J'ai enseigné 36 ans en collège rural - entre Dieppe et Rouen - et j'ai, pendant toutes ces années, pesté contre les horaires imposés aux élèves par les emplois du temps qui ne tenaient quasiment jamais compte des temps de trajet en car de ramassage scolaire.
Ce qui revenait, par exemple pour des élèves de 6e, à des réveils dès 5h45 pour un certain nombre d'entre elles et eux, 6h, 6h15, 6h 30 pour la quasi totalité lorsqu'elles et ils commençaient leur "métier d'élève" à 8h. Le retour chez eux, pour celles et ceux partis très tôt, avait lieu fort tard lorsque la journée de cours s'achevait à 17h. La maison n'était rejointe qu'à 18h, voire 18h30/19h dans certains cas.
Evidemment, ces élèves de 6e - mais c'était le cas pour tous les niveaux - DEVAIENT "performer" et gare à celles et ceux qui se montraient épuisés dès 10h. Je vous laisse imaginer dans quel état se trouvaient - et se trouvent toujours car rien n'a changé - ces élèves le soir pour apprendre correctement une leçon ou réaliser un ou des devoirs !
CC
Pourquoi s’inquiéter du franglais ?
L'Académie française s'inquiète d'un recours aux anglicismes dans la langue française. Un usage qu'elle juge abusif, en particulier dans le langage institutionnel. Le "franglais" est-il une menace pour la langue de Molière ?
L’Académie Française s’inquiète de l’essor des anglicismes dans la langue de Molière. Dans un rapport rendu public mardi 15 février 2022, elle en appelle à la prise de conscience collective, estimant que l’emploi de certains mots anglais en particulier dans le langage institutionnel fait peser le risque d’une fracture sociale et générationnelle. « Click and collect », « Drive », « Franceconnect », « Before », « Kit »… l’emploi banalisé de ces expressions met-il en péril la langue française ?
Julie Neveux, linguiste, maîtresse de Conférences à Sorbonne Université. Auteure de « Je parle comme je suis », ed. Grasset (septembre 2020).
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Pourquoi s'inquiéter du franglais ?
L'Académie française s'inquiète d'un recours aux anglicismes dans la langue française. Un usage qu'elle juge abusif, en particulier dans le langage institutionnel. Le "franglais" est-il une men...
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La nomination d’un philosophe chrétien à la tête du Conseil national des programmes fait débat
Ancien conseiller de Raymond Barre, François Fillon et Xavier Darcos, Mark Sherringham prône un retour au christianisme dans les questions éducatives. La FSU, principal syndicat de l’Éducation nationale, exprime sa « vive inquiétude ».
C’est une nomination qui provoque des remous. Par un arrêté du 9 février, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Banquer a nommé le philosophe Mark Sherringham, président du Conseil supérieur des programmes. Cette instance créée en 2013 est chargée, notamment, de faire des propositions sur le contenu du socle commun de connaissances et de compétences et de culture
que les élèves sont censés acquérir durant leur scolarité. À ce titre, elle oriente les programmes scolaires, en veillant à leur cohérence
.
Une instance politique
Indépendant sur le papier, le Conseil supérieur des programmes est en fait un organisme hautement politique. En septembre 2017, son président, le géographe Michel Lussault, ancien militant socialiste, avait démissionné avec fracas, quelques mois après la nomination de Jean-Michel Blanquer, estimant que celui-ci avait franchi des limites
en remettant en cause de façon brutale et unilatérale des évolutions qui avaient longuement été discutées pendant les années précédentes
.
Son successeur, la philosophe Souâd Ayada était, elle, complètement en phase avec la ligne politique de Jean-Michel Blanquer basée sur le retour aux savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter. Récemment nommée directrice du nouvel Institut français d’islamologie, elle a eu le temps de jeter un pavé dans la mare en remettant en cause l’enseignement moral et civique en classes de 5e, 4e et 3e, estimant notamment disproportionnée la place prise par l’étude des discriminations.
Philosophe chrétien
La nomination de Mark Sherringham annonce-t-elle une nouvelle inflexion, à droite ? Ancien conseiller de Raymond Barre, de François Fillon, puis de Xavier Darcos, Mark Sherringham a été doyen de l’inspection générale de philosophie (comme Souad Ayada), avant d’être détaché pendant huit ans au service culturel de l’ambassade de France aux États-Unis. Plus récemment, c’est lui qui a été à l’initiative des nouvelles classes préparatoires au professorat des écoles.
Sur le papier, le nouveau président du Conseil supérieur des programmes a le profil pour occuper le poste. Mais ses détracteurs rappellent ses prises de position passées en faveur d’un retour au christianisme dans les questions éducatives. Si l’on devait un moment faire abstraction des principes, des contenus, des méthodes et des institutions que le christianisme a directement proposés et développés en France et en Europe, depuis deux mille ans, notre système éducatif actuel serait vidé d’une bonne partie de sa substance
, écrivait-il en 2001 dans son livre Christianisme et éducation. L’école laïque française est l’héritière de l’École chrétienne
, disait-il encore en 2009 dans la revue Familles chrétienne.
La FSU exprime sa « vive inquiétude »
Dans L’école hors de la République, les journalistes Jacques Duplessy et Anna Erelle révèlent, de leur côté, comment Mark Sherringham est intervenu, en juillet 2020, pour que les élèves d’établissement privés bretons obtiennent le bac, alors que le rectorat estimait leur dossier incomplet, en raison du manque de notes obtenues en contrôle continu.
À l’annonce de sa nomination, la FSU a exprimé sa « vive inquiétude » : Dans un contexte où associations et syndicats appellent au retour d’une instance indépendante, capable d’élaborer des programmes pérennes et de transcender les conflits idéologiques, le choix d’une personnalité si peu acquise aux valeurs essentielles de l’école publique et laïque relève d’un intolérable mépris et d’une ultime provocation
Arnaud Bélier
Les âneries historiques de Zemmour sur l'École à jet continu - Par Claude Lelièvre
Il avait déjà fait fort avec la proposition du « retour » du certificat d'études primaires (à la fin de l'élémentaire actuel !). Il continue de façon réitérée en prétendant qu'il faut revenir aux « méthodes de Jules Ferry » : le « par cœur » et « la dictée », alors qu'en réalité Jules Ferry et son lieutenant historique Lavisse ne se prononçaient nullement en ce sens.
Le pseudo-savant Eric Zemmour profite de la méconnaissance assez répandue de nombre de Français sur ces sujets pour semer la confusion (sa confusion?) propice à toutes les régressions historiques qui accompagnent et servent son dessein politique très réactionnaire et ante-républicain (dans le domaine de l'Ecole comme dans beaucoup d'autres).
Lors d'une réunion électorale tenue dans le département de l'Aisne le 14 janvier et à nouveau samedi dernier sur France 2, il a mis en avant qu'il fallait revenir aux « méthodes de Jules Ferry », en particulier au « par coeur » et aux « dictées ».
Contrairement à une légende tenace, Jules Ferry a en réalité tenté de diminuer la forte pression de l'orthographe et de la dictée dans l'enseignement primaire. D'abord en s'en prenant à ce qui a été au fondement de la promotion emblématique de la dictée (à savoir son rôle dans la sélection des instituteurs) lors de la discussion au Sénat sur la nature du « brevet de capacité » le 31 mars 1881 : « Mettre l’orthographe, qui est une des grandes prétentions de la langue française, mais prétention parfois excessive, au premier rang de toutes les connaissances ce n’est pas faire de la bonne pédagogie : il vaut mieux être capable d’écrire une lettre, de rédiger un récit, de faire n’importe quelle composition française, dût-on même la semer de quelques fautes d’orthographe ». Et Jules Ferry conclut au congrès pédagogique des directeurs d’écoles normales et des inspecteurs primaires du 19 avril 1881 : « Aux anciens procédés qui consument tant de temps en vain, à la vieille méthode grammaticale, à la dictée – à l’abus de la dictée –, il faut substituer un enseignement plus libre, plus vivant, plus substantiel ».
Des années plus tard, dans une lettre adressée en 1887 au directeur de la Revue de l’enseignement secondaire et supérieur, Jules Ferry a souligné lui-même ce qui était pour lui essentiel : « Il faut se fixer sur la Note qui a suivi les programmes de 1880. On pourra modifier les programmes, on ne mordra pas sur ces prescriptions si claires qui renferment en quatre pages toute la substance des controverses pédagogiques soulevées depuis vingt ans, sur ces instructions qui marquent si nettement la différence entre l’esprit ancien et l’esprit nouveau […]. Oui, vraiment, tout est là. Car les nouvelles méthodes […] éclairent et réchauffent la classe, elles la fortifient de tout ce qu’elles enlèvent aux routines, aux analyses à outrance, à tous les exercices mécaniques et surannés »
Lavisse : ''L'histoire ne s'apprend pas par cœur, mais par le cœur »
L'historien Ernest Lavisse a été l'auteur d'une série de manuels d'histoire de France (les « petits Lavisse ») destinés aux différentes classes de l'enseignement primaire qui sont devenus des best-sellers et le modèle de la plupart des manuels d'histoire qui ont suivi. Il a fortement et durablement influencé l'enseignement de l'histoire à l'école primaire et la représentation que l'on en a. C'est ce que l'on désigne actuellement sous l'expression « roman national » . Ernest Lavisse, lui, parlait à ce sujet de « contes » et « légendes » pour développer le « sentiment patriotique »
Il ne saurait donc être question d'enseigner l'histoire « avec le calme qui sied à l'enseignement de la règle des participes ; il s'agit ici de la chair de notre chair et du sang de notre sang […] ; l'histoire ne s'apprend pas par cœur, mais par le cœur » (article « Histoire », in Dictionnaire pédagogique, dirigé par Ferdinand Buisson,1187)
Quant au « rétablissement du certificat d'études à la fin du primaire pour mesurer l'acquisition des savoirs fondamentaux » qu'Eric Zemmour a aussi réitéré, cela n'a aucun sens, ni historique ni actuel. Historiquement, le certificat de fin d'études a été pour la grande majorité des enfants le seul diplôme qu'ils pouvaient avoir, à la fin de leur instruction obligatoire qui se terminait pour la plupart à 13 ans (puis 14 ans à partir de 1936). Il ne s'agissait nullement de mesurer l'acquisition des savoirs dits fondamentaux à l'issue de l'enseignement élémentaire, vers 11 ans, avant de continuer des études dans l'enseignement secondaire, au collège...
Décidément, le pseudo-savant Eric Zemmour est incorrigible.
Claude Lelièvre
Voir aussi « L'Ecole républicaine ou l'histoire manipulée. Une dérive réactionnaire » publié en février 2022 aux Editions Le Bord de l'eau.
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Les âneries historiques de Zemmour sur l'École à jet continu
Le pseudo-savant Eric Zemmour profite de la méconnaissance assez répandue de nombre de Français sur ces sujets pour semer la confusion (sa confusion?) propice à toutes les régressions historiq...
À Kaboul, dans une école clandestine de filles : "Nous continuerons d'enseigner, elles ont besoin d'éducation"
Photo ADRIEN VAUTIER
Reportage |Avec l'arrivée des talibans, les filles sont désormais privées de collège ou de lycée. Nos envoyés spéciaux ont pu se rendre dans une école clandestine, ouverte dans l'anonymat dans un quartier de Kaboul, malgré les risques encourus.
Depuis qu’ils sont revenus au pouvoir, les talibans n’autorisent pas les filles à aller au collège et au lycée. Seules les écoles primaires sont ouvertes. Les garçons eux ont pu reprendre le chemin des écoles secondaires dès septembre. Des écoles clandestines ont vu le jour pour permettre aux jeunes filles de suivre malgré tout leur scolarité. Reportage de nos envoyés spéciaux à Kaboul.
C'est dans une modeste maison située sur les hauteurs de Kaboul qu'une classe se tient quatre fois par jour dans une pièce en contrebas, à l'abri des regards. Ces jeunes Afghanes ont entre 14 et 20 ans. Elles suivent des cours d'anglais dispensés par Leila. "L'anglais est très important. On a besoin d'étudier l'anglais. C'est pourquoi on a fait ce centre, explique l'enseignante. Toutes les filles veulent aller étudier dans un autre pays et si on veut aller à l'université, on doit connaître cette langue."
Mohadessa a 17 ans, et comme toutes les filles de son âge, elle a des rêves : "Étant donné que les talibans n'autorisent pas les filles à aller à l'école, je viens ici poursuivre mon éducation. C'est très important pour moi car je veux devenir médecin. Mon ambition est d'aller à l'université."
Pour la propriétaire de la maison, les jeunes filles de son pays ne peuvent pas rester sans avenir. Elle connaît les risques auxquels elle s'expose en accueillant des cours chez elle. "Ici, on enseigne l'anglais et les mathématiques explique la jeune femme. Si les talibans étaient au courant, ils pourraient peut-être nous dire quelque chose. Je prends le risque, et nous continuerons d'enseigner car ces filles ont besoin d'éducation."
Les talibans semblent pour le moment tolérer ces écoles clandestines. Les fondamentalistes répètent que l'interdiction de l'enseignement secondaire est provisoire pour les filles. Ils ont promis que les écoles allaient rouvrir d'ici fin mars, mais dans un cadre islamique conforme aux exigences.
Avec la collaboration de Sébastien Lopoukhine
Par Valérie Crova et Éric Audra
Un testing dans les universités révèle des discriminations lorsqu’on porte un nom de famille maghrébin
EXTRAITS
Une étude menée sur 600 masters établit que près d’un master sur cinq réserve un accueil discriminatoire à une demande d’un candidat dont le nom est Mohamed Messaoudi.
Mohamed Messaoudi, Lucas Martin et Thomas Legrand : trois étudiants fictifs bientôt titulaires d’une licence interrogent par écrit des responsables de masters sur les modalités de candidature à leurs formations. Tous trois n’obtiendront pas automatiquement la même réponse, comme le révèle un « testing » réalisé auprès de 19 universités, publié mardi 15 février.
Pour évaluer les discriminations liées à l’origine et au handicap dans l’accès aux formations, une équipe de recherche du tout nouvel Observatoire national des discriminations et de l’égalité dans le supérieur (Ondes), piloté par l’université Gustave-Eiffel, a généré plus de 1 800 demandes d’information sur les modalités de candidature. Elles ont été envoyées, en mars 2021, aux responsables de 607 masters, signées par un candidat de référence, un candidat indiquant qu’il se déplace en fauteuil roulant et un candidat avec un nom et un prénom originaires d’Afrique du Nord.
Bilan : 17 % des responsables de master – soit près d’un sur cinq – n’ont pas donné suite ou ont donné une réponse défavorable au mail adressé par Mohamed Messaoudi, tout en ayant répondu à la sollicitation de Thomas Legrand. Dans l’ensemble, Lucas Martin, handicapé moteur, affiche un taux de réponse proche de celui de Thomas Legrand (67,7 % contre 69,7 %). Mohamed Messaoudi se cantonne à 61,1 % de réponses, autrement dit, cet étudiant au patronyme maghrébin se retrouve avec 12,3 % de chances en moins de recevoir une réponse positive à une simple demande d’information.
(...)
« Le comportement discriminant sera plus élevé si les masters se trouvent dans une configuration où il y a beaucoup de candidats, où les débouchés professionnels sont avérés, et les salaires élevés », détaille Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’université Gustave-Eiffel et coauteur de l’étude avec Sylvain Chareyron, maître de conférences en sciences économiques à l’université Paris-Est Créteil (UPEC) et Louis-Alexandre Erb, chargé d’études à la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Les filières discriminantes sont celles qui assurent la meilleure insertion professionnelle de leurs diplômés et un salaire médian le plus élevé, tandis que les filières non discriminantes offrent une moindre réussite.
(...)
Trois mois après le « testing », en vue de proposer des interprétations aux différences de traitement observées, l’équipe de recherche a discrètement sondé, au nom du ministère de l’enseignement supérieur, dont l’Observatoire est partenaire, les 607 masters sans les interroger directement sur la question des discriminations, mais au sujet des « difficultés de recrutement » rencontrées par les responsables de formation.
Il ressort des 175 réponses reçues que les enseignants chargés de choisir les candidats n’affichent aucune volonté de préférer tel ou tel profil. Les responsables de formation ayant eu un comportement discriminant lors de la demande d’information « déclarent plus souvent être favorables à la diversité et ne déclarent pas qu’il est important de favoriser les candidatures européennes », rapporte la post-enquête.
(...)
L’organisation du recrutement peut également aggraver les différences de traitement, les enseignants discriminants étant plus souvent seuls à la tâche. « Il faut former les responsables de formation à la problématique des discriminations et éviter qu’ils décident seuls », conclut le coauteur de l’enquête, qui plaide pour que le recrutement soit collégial afin d’éviter « des raccourcis cognitifs et le piège des stéréotypes ».
L’autre levier d’action passera nécessairement par la création de places supplémentaires en master, seule à même d’équilibrer les tensions entre filières liées au passage de la sélection à l’entrée en M1 depuis la rentrée 2017 et non plus entre M1 et M2. Une note du service statistique du ministère de l’enseignement supérieur, publiée le 10 février, souligne la décroissance du taux de poursuite en master à l’issue d’une licence générale : celui-ci est passé de 72 % pour la cohorte 2016 à 66 % pour celle de 2018.