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Vivement l'Ecole!

education

«L’enfance, qui se déroulait dans l’espace public, s’est retirée dans les chambres»

4 Décembre 2021 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education, #Jeunesse

Orange Jeux : Jouer partout en streaming sur TV, PC, mobile et tablette

EXTRAITS

Comment les parents font-ils pour élever leurs enfants dans la ville ? Le sociologue Clément Rivière a mené son enquête à Paris et à Milan, auprès de familles de milieux populaires ou plus favorisés, tiraillées entre la volonté de surprotéger leur progéniture et le désir de la voir s’épanouir.

Certains en viennent aujourd’hui à parler de l’avènement de «l’enfant d’intérieur». Depuis quelques décennies, dans le monde occidental, les enfants ont progressivement déserté les rues des villes pour leur chambre et les multiples activités organisées. On ne «traîne» plus, ou beaucoup moins. Le sociologue Clément Rivière, maître de conférences à l’université de Lille, a enquêté auprès des parents de deux quartiers mixtes socialement de Paris et Milan (la Villette et Belleville, dans le XIXe arrondissement de Paris, et le «triangle Monza-Padova» à Milan).

(...)

On imagine toujours les villes des années 60 pleines d’enfants, alors qu’on en voit rarement jouer dans les rues aujourd’hui. Est-ce une image d’Epinal ?

De nombreuses recherches ont montré que, depuis quelques décennies, les enfants sont de moins en moins longtemps seuls dans les espaces publics des villes occidentales. Leur présence dans les rues ou dans les parcs, le rayon de leurs déplacements sans la présence d’un parent ou d’une baby-sitter sont partout en recul en Europe, aux Etats-Unis, en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Lia Karsten, une géographe néerlandaise, parle même de l’avènement de «l’enfant d’intérieur» (indoor child). L’expression révèle bien le passage progressif, sur une longue période, d’une enfance qui se déroulait principalement dans l’espace public à celle que nous connaissons aujourd’hui et qui a surtout pour décor la chambre ou des espaces sécurisés comme l’école ou les aires de jeu.

Quelles sont les raisons de cet «enfermement» progressif des enfants ?

On ne peut comprendre leur retrait de l’espace public sans prendre en compte le développement massif de l’automobile en ville. Mécaniquement, chaque voiture garée prend la place de ce qui pourrait potentiellement constituer un espace de jeu. Surtout, le risque d’accidents est le premier danger qu’évoquent les parents pour justifier que leurs enfants ne font pas seuls le trajet vers l’école ou ne retrouvent pas des copains dans le quartier. Les parents enseignent à leurs enfants une concentration permanente face au risque automobile : marcher sur le trottoir, traverser sur les passages piétons et toujours se méfier des véhicules motorisés qui pourraient transgresser les règles, même quand le feu est rouge. Les parents enseignent à leurs enfants les règles de la circulation mais aussi à douter du respect de ces règles par les adultes…

Historiquement, les progrès techniques ont amené les urbains à passer de plus en plus de temps chez eux… Pourquoi ?

Le développement des réseaux d’approvisionnement en eau, en électricité, en chauffage, puis la machine à laver, le réfrigérateur, la télévision… à mesure que les machines ont gagné les logements, les rues se sont dépeuplées. Toutes ces innovations rendent moins nécessaire la coexistence avec les autres, au-dehors. Plus la peine de sortir pour laver le linge ou de faire ses courses chaque jour. Ce mouvement s’est intensifié ces dernières décennies avec l’apparition des ordinateurs individuels, des jeux vidéo, des téléphones portables ou des réseaux sociaux qui expliquent en partie le déclin du jeu à l’extérieur. Les sociabilités enfantines se sont elles aussi recentrées vers le domicile, que les enfants y jouent seuls ou y invitent leurs copains. Au point que certains, comme le sociologue Hervé Glevarec, ont décrit l’apparition d’une «culture de la chambre» : une façon d’habiter sa chambre, d’y exposer ses jouets, de la décorer, d’y passer du temps.

La peur des pédocriminels revient souvent dans les discours des parents pour expliquer leur réticence à laisser sortir seuls leurs enfants.

La montée en visibilité du fait pédocriminel, à partir de la fin des années 70 aux Etats-Unis – au point qu’il y avait des photos d’enfants disparus sur les bouteilles de lait dans les supermarchés –, puis dans les années 90 en France et en Europe lors de la médiatisation de l’affaire Dutroux, a transformé les normes de contrôle parentales. Ce qui ne veut pas dire bien entendu que les enlèvements et les pédocriminels n’existaient pas avant, mais ils sont devenus plus centraux dans les craintes des parents et dans leurs recommandations : ne pas faire confiance à un homme qu’on ne connaît pas même quand il a l’air gentil, ne pas l’écouter, encore moins lui répondre… Les parents se trouvent d’ailleurs devant un dilemme : comment enseigner la méfiance sans céder sur la politesse ?

(...)

Les enfants circulent-ils différemment dans la ville en fonction des milieux sociaux ?

On ne peut comprendre la façon dont les enfants évoluent dans les espaces publics si on ne prend pas en compte les ressources des familles et leurs conditions de logement : plus le logement est exigu et densément occupé, plus l’extérieur est précieux pour les enfants. Par ailleurs, dans certaines familles de classes populaires, les enfants n’ont pas d’activité organisée en dehors de l’école, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne font rien mais qu’ils ont beaucoup plus de temps libre, quand d’autres enfants ont un «agenda de ministre», comme me le confiait un père de famille parisien, prof d’université, à propos de sa fille qui avait poterie le lundi, théâtre le mardi, etc. Cette multiplication d’activités entraîne un rapport à l’espace public plus résiduel. La rue est alors faite pour se déplacer, accompagné par une garde d’enfant, pas pour y passer du temps – ce qui reviendrait à «traîner».

Les enfants en tirent-ils des compétences différentes ?

Les enfants de classes populaires jouent plus souvent au-dehors, ils y discutent de la vie avec des amis, ils y mènent des expériences plus ou moins amusantes ou dangereuses. Tout cela contribue à créer un rapport au quartier socialement très contrasté : les enfants des classes populaires ont une connaissance beaucoup plus fine de l’espace local et des autres enfants, ils sont plus autonomes, moins dépendants des adultes. Les enfants plus favorisés sont en revanche plus habitués à sortir du quartier, ce qui constitue un atout pour la suite. Ce clivage s’accentue encore quand, bien souvent, les enfants de classes moyennes supérieures sont scolarisés hors de leur quartier d’origine, ou dans une école privée plus loin de chez eux, dans le cadre de pratiques d’évitement scolaire. Ils sont alors amenés à prendre les transports en commun plus tôt que leurs camarades restés dans le collège du secteur.

(...)

On sait que la ville est vécue différemment par les femmes et les hommes. Qu’en est-il des filles ?

A 8, 9 ou 10 ans, les filles sont jugées plus mûres par leurs parents, plus attentives à leur environnement, capables de mieux réagir au danger que les garçons du même âge. On pense qu’elles prennent moins de risques, qu’elles respectent mieux les règles que leurs parents leur inculquent. Bref, elles sont perçues comme plus obéissantes, et ont souvent davantage de latitude que les garçons au sein de la ville. Mais de manière assez brutale, avec l’arrivée de la puberté, le regard des parents sur leur fille change et on les perçoit désormais comme étant plus exposées au danger que les garçons. Petit à petit se mettent en place des pratiques spécifiques pour encadrer leurs usages de la ville : on contrôle davantage leurs horaires de sortie, leur habillement, la manière dont elles se présentent en public (maquillage, coiffure). On leur transmet un ensemble de recommandations relatives à leurs attitudes, notamment dans les transports en commun, qui permettent de comprendre comment se créent des dispositions différentes chez les femmes et les hommes adultes : on invite les filles à la discrétion, à ne pas se faire remarquer, à une forme de passivité même – si une fille se fait embêter, elle ne doit pas réagir et faire comme si elle n’avait rien entendu. Alors même qu’un certain nombre d’entre eux regrettent cette situation, je n’ai pas rencontré de parents qui favorisent la capacité d’autodéfense de leur fille, qui leur enseignent à ne pas se laisser faire, à contester les normes de genre dans l’espace public. Les mères, notamment, habituées à se faire importuner ou harceler dans la rue, transmettent et reproduisent très largement ces normes genrées, y compris lorsqu’elles déplorent leur prégnance.

Propos recueillis par Sonya Faure

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"Au collège, c’est un peu la punition d’aller en Bac professionnel, vulgairement, on dit que c’est pour les cassos. "

4 Décembre 2021 , Rédigé par France Culture Publié dans #Education

https://www.letudiant.fr/static/uploads/mediatheque/ETU_ETU/6/1/211893-lycee-professionnel-des-freres-moreau-quincy-sous-senart-essonne-3-dr-766x438.jpg

Le lycée pro c’est presque 700 000 élèves, qui évoluent entre 200 certificats d'aptitude professionnelle (C.A.P.) qui peuvent se faire en deux ans  et une centaine de Bac pro qui se font eux, en 3 ans. Ils peuvent se former pour travailler dans le bâtiment, dans l’industrie, dans le tertiaire, en cuisine, en esthétique, en assistance à la personne, en vente, en commerce, en sécurité, en logistique, en gestion administration, en horticulture, en élevage, en mécanique; les possibilités sont multiples, mais les débouchés plus incertains.  

La plupart des lycéens du pro le disent, ils n’ont pas totalement choisi leur orientation et la filière pro est souvent plus subie que choisie. Ange Nicolas se souvient "Au collège, c’est un peu la punition d’aller en Bac professionnel, vulgairement,  on dit que c’est pour les cassos. " et Djanet Ayari-Battus de rajouter "J’étais en crise d’adolescence et donc j’allais où on m’emmenait. Ça m’était égal." Il faut dire qu’elle a mauvaise réputation, aussi bien parmi les élèves, que parmi les profs ou les parents…  

Pourtant,  souvent cette vision change une fois qu’on a commencé son parcours. Ange Nicolas le  reconnait "Je ne voulais pas y aller. Mais ce n’est pas l’élève qui décide malheureusement. Avec le recul, ce n’était pas une mauvaise idée de faire un bac professionnel, mais sur le coup je ne voulais pas y aller". Les choses deviennent concrètes, même si les lycéens ne sont pas dupes de la détermination sociale qui les a mené vers ces filières et du regard qu’on pose sur eux, qui lui ne change pas. Elisa le regrette "Les gens pensent qu’il faut être en filière générale pour bien réussir sa vie." 

Avec :

  • Janet Ayari-Battus,  Ange NicolasEmma Filoche,  ancien.es lycéen.nes de la filière professionnelle
  • NoredineQuentinGabrielLucileBilal et Elisa, lycéen.nes de la filière professionnelle dans les lycées Camille Jenatzy,  Lucas le Nehou et Elisa Lemonnier à Paris,  Suscinio à Morlaix et Henri Senez à Hénin-Beaumont, et au CENTQUATRE-PARIS.

Un documentaire  de Perrine Kervran, réalisée par Doria Zénine et Vincent Decque  avec la collaboration de Zineb Soulaimani

Bibliographie
Liens

« Apprendre, enseigner en lycée professionnel : pratiques, dispositifs et contenus » : numéro 59 (2017) de la revue Spirale (revue de recherches en éducation).

La voie professionnelle au lycée : mode d’emploi sur le site du ministère de l’Education nationale.

Ma rentrée en lycée professionnel : premiers pas dans un nouveau monde. 

Récit à lire sur le site de L’Etudiant.Le lycée professionnel et son public : Des élèves partagés entre formation professionnelle et formation scolaire

Thèse de doctorat en sociologie d’Abir Ahmad (Université de Nice-Sophia Antipolis, 2014).

Motivation des élèves de lycée professionnel. Article de Caroline Desombre, Michaël Bailleul, Carole Baez et Célénie Brasselet, Université de Lille, publié dans la revue de recherches en éducation Spirale, n°59, 2017.  

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Festival du film d' éducation - Evreux du 3 au 5 décembre

3 Décembre 2021 , Rédigé par Festival du film d'éducation Publié dans #Education, #Cinéma

Chaque année depuis 16 ans, durant  5 jours à Évreux, le Festival International du Film d’Éducation  propose un large choix de film, courts, moyens, longs métrage, fictions, animations, documentaires.

Des films "d'éducation" ?

Les films proposés et le regard de leurs réalisateurs abordent les grandes problématiques de l’éducation, de l’enfance et de la jeunesse, de la transmission culturelle ou intergénérationnelle, et de la lutte contre toutes les discriminations, à travers des histoires et des parcours de vie d’enfants, de jeunes et d’adultes. Ces films de fiction, ces documentaires ou ces films d’animation, de tous les formats, s’adressent à un très large public, parents, éducateurs, responsables associatifs, politiques ou des collectivités locales et tout citoyen. Le festival propose également pour les jeunes de nombreuses situations éducatives et culturelles de découverte et de construction d’images et d’histoires. Plusieurs tables rondes et de nombreux débats, réalisateurs-publics, sont proposés pendant le festival. Ce dernier représente ainsi un formidable espace de confrontations, de regards croisés et d’échanges. C’est un lieu culturel de construction de lien pour tous les citoyens et d’invention pour tous les acteurs éducatifs. C’est aussi un espace “d’éducation populaire”, articulant le “voir” des films avec le “parler” de grands témoins, qui permet de défricher encore et toujours les questions de l’éducation. Il favorise le rôle de transmission d’un patrimoine vivant d’œuvres fortes, européennes et internationales, en Normandie, dans toute la France métropolitaine et d’Outre-mer, en Europe et au-delà, à travers "Les Echos du festival", des éditions décentralisées qui ont lieu tout au long de l’année.

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« Le combat pour la réussite scolaire de tous les enfants est loin d'être terminé"

3 Décembre 2021 , Rédigé par ATD Quart Monde Publié dans #Education

"Aujourd’hui, on dépense 32 millions d’euros pour l’accompagnement éducatif des 1,7 million d’enfants relevant de l’éducation prioritaire, pour l’aide aux devoirs, des activités associatives ou sportives. Cela fait 18,80 euros par an et par élève. Combien dépense-t-on pour l’accompagnement à la préparation des concours des 87 000 étudiants en classe préparatoire aux grandes écoles, parmi lesquels on voit assez peu d’enfants de pauvres ? 70 millions d’euros chaque année, soit un peu plus de 800 euros par étudiant."

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EXTRAIT

Ancien numéro deux du ministère de l’Éducation nationale, Jean-Paul Delahaye raconte, dans son livre « Exception consolante », son parcours, de la misère rurale aux palais de la République. Il décrit un système scolaire toujours fortement inégalitaire.

Que signifie le titre de votre livre, Exception consolante ?

Il vient d’une expression d’un collaborateur de Jules Ferry, Ferdinand Buisson, à la fin du XIXe siècle. À l’époque, on laissait, de temps en temps, entrer dans les lycées faits pour les enfants de bourgeois, quelques boursiers, enfants du peuple. Ils étaient donc des exceptions, pour consoler la société des injustices qu’elle créait en séparant les enfants selon qu’ils étaient enfants du peuple ou enfants de bourgeois.

Cette expression me correspond bien. Je suis issu d’une famille très pauvre, ma mère a élevé seule cinq enfants en étant femme de ménage et ouvrière agricole. J’ai été boursier dans les années 1960, dans un système éducatif qui n’était pas fait pour tous. Par ce livre, j’ai voulu montrer que le combat pour la réussite scolaire de tous les enfants est loin d’être terminé.

Comment expliquez-vous la persistance des écarts de réussite scolaire, plus de 50 ans plus tard ?

La situation n’est pas exactement la même, heureusement. Nous avons assisté à une formidable démocratisation de l’accès à l’enseignement secondaire. Aujourd’hui, 80 % d’une classe d’âge parvient au niveau du baccalauréat. Des enfants de pauvres ont donc réussi, enfin, à rentrer plus nombreux dans le système éducatif et ne sont plus des exceptions.

Mais on a vu aussi un déplacement des inégalités. La France est encore un des pays dans lequel l’origine sociale pèse le plus sur le destin scolaire. C’est dans notre pays qu’il est le plus dommageable d’être pauvre si on veut avoir un parcours scolaire de réussite.

(...)

Que faudrait-il mettre en œuvre pour faire réussir tous les élèves ?

Par exemple, une semaine d’école de cinq jours, avec des journées plus courtes permettant des activités périscolaires et des moments privilégiés d’accompagnement des élèves. On sait que les écarts se creusent une fois qu’on a franchi la porte de l’école et qu’on se retrouve seul ou pas pour faire ses devoirs, qu’on va au conservatoire ou dans un cours de soutien scolaire privé ou qu’on n’a même pas, chez soi, un espace pour travailler.

Aujourd’hui, on dépense 32 millions d’euros pour l’accompagnement éducatif des 1,7 million d’enfants relevant de l’éducation prioritaire, pour l’aide aux devoirs, des activités associatives ou sportives. Cela fait 18,80 euros par an et par élève. Combien dépense-t-on pour l’accompagnement à la préparation des concours des 87 000 étudiants en classe préparatoire aux grandes écoles, parmi lesquels on voit assez peu d’enfants de pauvres ? 70 millions d’euros chaque année, soit un peu plus de 800 euros par étudiant. On fait des économies sur l’accompagnement des enfants les plus pauvres et ces économies sont utilisées pour préserver les privilèges des élites héréditaires, qui se clonent de génération en génération. Qui sont les assistés dans ce pays ?

Il faut également que la scolarité obligatoire, jusqu’à la troisième, ne soit pas un moment de tri et de sélection, mais le moment du commun, avec des programmes communs et la coexistence des différentes classes sociales. Comment espérer vivre ensemble si on n’a pas cette base commune ? Commençons par scolariser ensemble les enfants.

(...)

Je reste pourtant optimiste, on va progressivement vers davantage d’égalité. Mais cela ne va pas assez vite, parce que les milieux populaires ne sont pas suffisamment écoutés et entendus. Il faut aussi que les classes moyennes comprennent qu’elles ont intérêt à la réussite de tous et n’aient pas peur qu’un élargissement de la base sociale de la réussite scolaire entraîne un nivellement par le bas. Il faut retrouver, dans notre pays, un esprit d’intérêt général. 

Propos recueillis par Julie Clair-Robelet

À lire

Exception consolante. Un grain de pauvre dans la machine

Jean-Paul Delahaye, Éditions de la Librairie du Labyrinthe, 2021, 253p., 17 €

Se qualifiant de « migrant social », Jean-Paul Delahaye n’oublie ni son origine, ni le sacrifice d’une mère pour que son fils devienne une « exception consolante« . Le livre s’ouvre sur le fantôme de sa mère, qui l’accompagne le jour de son entrée au ministère de l’Éducation nationale où il doit contribuer à mettre en œuvre une politique qui lui tient à cœur. Mêlant ses souvenirs d’enfance et d’adolescence en Picardie et ses analyses sur le système éducatif, l’auteur du rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire ; le choix de la solidarité pour la réussite de tous », paru en 2015, décrit avec précision les inégalités scolaires subies, aujourd’hui comme hier, par les « enfants de pauvres ».

Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de décembre 2021.

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Baker contre Blanquer

3 Décembre 2021 , Rédigé par Liberation Publié dans #Blanquer, #Education, #Philosophie

Podcast / C'est arrivé le. 3 juin 1906 : Joséphine Baker, la plus  résistante des meneuses de revue

Joséphine Baker. Photo studio Harcourt

La puissance radicale de la figure de Joséphine Baker est aux antipodes des discours pleutres des politiques d’aujourd’hui. Elle souligne la nécessité pour la gauche de s’appuyer désormais sur cette façon d’être contestataire, à la fois morale et populaire.

Comment ne pas trouver profondément réjouissante l’entrée de la grande Joséphine Baker, première femme noire au Panthéon viriliste – elle qui réunit tant de traits qui sont chers à tou·te·s, le génie artistique, le courage dans la Résistance, la générosité envers les enfants de toutes couleurs ? Comment ne pas adorer cette image culte de Joséphine Baker aux côtés de Martin Luther King, à la Marche des libertés à Washington en août 1963, en uniforme de l’armée de l’air française bardée de décorations ? Comment ne pas apprécier pour une fois un président qui a été capable d’honorer une femme par ces mots mêmes «héroïne de guerre, danseuse, chanteuse, noire défendant les noirs, mais d’abord femme défendant les humains» ? Le premier trait, bien appuyé, le combat dans la Résistance – ah on ne prononce pas le nom d’«espionne», moins valorisant malgré ce qu’il demande d’ingéniosité, de courage et de charmes – est bien sûr ce qui vaut à Joséphine Baker cette panthéonisation – refusée à Gisèle Halimi pour cause de sympathies FLN pendant la guerre d’Algérie.

Mais la vraie force du geste est de récompenser une artiste singulière, une figure érotisée et fantasque de la Revue nègre, une icône enfin de la culture populaire – dont la manière d’être et le style de vie, d’un bout à l’autre, exprimaient une esthétique et une éthique originale, et profondément anticonformiste. Et on ne l’a guère souligné au-delà de l’image de 1963 : Joséphine Baker fut victime du racisme dès sa naissance – une enfance dans la pauvreté et la violence extrêmes – et lors de chacun de ses passages aux Etats-Unis. Cette expérience fit d’elle une puissante militante globale pour les droits civiques. Dès 1955, Joséphine Baker porta l’écho en Europe de l’indignation soulevée par le lynchage au Mississippi du jeune Afro-Américain Emmett Till, suivi de l’acquittement des deux assassins, qui ne se sont pas gênés pour revendiquer leur crime. Son discours en préface au «I have a dream» de King (avec à ses côtés Marlon Brando, Paul Newman, Joan Baez, Bob Dylan…) est l’exemple même d’un positionnement de la culture contre le racisme. Elle y rappelle ses voyages aux Etats-Unis dans les années 1950 : «On ne me laissait pas entrer dans les bons hôtels parce que j’étais de couleur, ou manger dans certains restaurants. Et je me suis dit : “Mon Dieu, je suis Joséphine, et s’ils me font ça à moi, qu’est-ce qu’ils font aux autres personnes en Amérique ?” J’ai été invitée dans les palais de rois et reines, dans les maisons des présidents… Mais je n’ai pas pu entrer dans un hôtel en Amérique et obtenir une tasse de café, et cela m’a mise en colère.» Elle ne manque pas d’évoquer les autres minorités : «Les Asiatiques, les Mexicains et les Indiens, ceux d’ici aux USA et ceux de l’Inde.» Tout est dit, comme une prémonition de ce moment de 2021 où Joséphine Baker serait considérée en France à la hauteur de son génie, mais ô combien mieux que tant d’habitants des quartiers populaires.

Se défendre, partout dans le monde, par ce qu’elle était

Macron nous dit que le jour de ce discours, «elle était plus française que jamais». Que veut-il dire par là, à part l’uniforme ? La lutte pour les droits deviendrait une spécialité française ? Mais notre président précise : «Elle ne défendait pas une couleur de peau», «elle portait une certaine idée de l’homme (sic)». Que diable signifie «défendre une couleur de peau» ? On ne «défend» pas une couleur, on se défend – quand on est attaqué, et en se défendant on révèle les conditions sociales et politiques de cette attaque. Cette défense a un nom, l’antiracisme, n’en déplaise au Président et son ministre de l’Education qui aiment si peu ce mot. Se défendre, partout dans le monde, par ce qu’elle était (noire, femme, bisexuelle, artiste, espionne… ), c’est ce que fit Joséphine Baker. Baker, pas Blanquer.

Un discours qui promeut une artiste grandiose, mais en même temps fait la leçon aux autres personnes racisées sur la bonne façon de l’être – pas «en colère» mais gentille et universaliste, qualificatif dont on affuble Joséphine Baker – en lui attribuant l’idéologie présidentielle dans le genre du mansplaining le plus lourdingue. Ce moralisme est insupportable en soi, mais encore plus pour une personnalité qui fut d’abord caractérisée par son anticonformisme et sa combativité, aux antipodes des discours pleutres des politiques d’aujourd’hui. Leur conformisme «nous chagrine» comme le disait Emerson, car en récusant toute revendication il (se) nourrit (de) l’imbécillité nationaliste et la caricature identitaire de la droite et de l’extrême droite. Mais comment ne pas déplorer aussi l’incapacité des politiques notamment à gauche à se saisir d’une telle occasion pour s’en différencier ?

La puissance radicale de la figure de Joséphine Baker, le sens de sa panthéonisation dans notre culture, soulignent la nécessité désormais à gauche de s’appuyer sur ce potentiel pédagogique de valorisation d’une façon d’être morale et contestataire. Elles rappellent que la culture populaire – danse, musique, séries télévisées, sport, BD, rap… est la source d’une partie de la culture politique et que cette vitalité nous sauve d’une politique réactionnaire (1), de la culture ringardissime que nous présente sa propagande électorale. Les thématiques de la Casa de Papel, The Handmaid’s Tale, Hippocrate sont reprises dans des manifestations ; les punchlines des rappeurs sont détournées pour démasquer les modes conformistes de discours politique. Ces éléments, comme l’allure de Joséphine, constituent la toile de fond esthétique des mouvements contemporains, ceux – antiracistes, féministes, environnementalistes – qui pourraient changer la donne des prochains mois, comme ceux sur lesquels Joseph Biden s’est appuyé pour défaire Trump en 2020.

Sandra Laugier

(1) Voir Frédérique Matonti, Comment nous sommes devenus réacs, Fayard, 2021.

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Les enseignants sont-ils vraiment absents si souvent que ça ?

3 Décembre 2021 , Rédigé par Le Bien Public Publié dans #Education

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EXTRAITS

Un rapport de la Cour des comptes publié jeudi estime que 10% des heures de cours des collégiens et lycéens sont "perdues" à cause des profs absents non remplacés. Mais la plupart du temps, ces absences n'empêchent pas les enseignants de travailler. Explications.

Un enseignant absent n'est pas toujours remplacé. Les parents d'élèves en savent quelque chose. Certains n'hésitent d'ailleurs plus "à engager la responsabilité de l’État devant les tribunaux pour défaut de continuité du service public de l’Éducation", constate la Cour des comptes dans un rapport publié ce jeudi. La juridiction estime que près de 10% des heures de cours ont été "perdues" dans le secondaire lors de l’année scolaire 2018-2019. Un chiffre en progression de 24% par rapport à l’année précédente.

Quatre milliards d'euros par an

Pour les sages de la rue de Cambon, "la raison principale d’un tel niveau de temps d’enseignement non assuré est étroitement liée aux difficultés tenant aux absences de courte durée", qui ne sont remplacées que dans un cas sur cinq au collège et au lycée. Tous niveaux compris, le coût des absences des professeurs est estimé par la Cour à près de quatre milliards d'euros par an.

Mais les magistrats distinguent les "absences devant les élèves" (congés maladie, accidents du travail, maternité, etc.) des "absences au travail" (formations, réunions pédagogiques, voyages scolaires, etc.). Car en réalité, les absences pour des raisons individuelles représentent seulement un tiers des heures "perdues".

(...)

... "les enseignants ne sont pas plus absents que les autres agents de la fonction publique d’État", rappelle la Cour des comptes. Ils le sont même "moins que les agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière" et que les salariés du privé.

D'après les données de la DGAFP (Direction générale de l'Administration et de la Fonction publique), la proportion d’absents au moins un jour au cours d’une semaine pour raison de santé s'établissait en 2019 à 2,6% chez les enseignants, contre 3,2% dans le reste de la fonction publique d’État (FPE).

(...)

La Cour des comptes souhaiterait aussi que les chefs d'établissement puissent imposer des heures supplémentaires aux enseignants pour remplacer leur collègue absent. Elle recommande enfin d’annualiser le temps de travail des profs du secondaire. Pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes Fsu, "ce n'est pas la solution" : "Pour pouvoir remplacer les professeurs absents il faut des moyens de remplacement", rétorque-t-elle sur le site du Café pédagogique.

L.G.

Article complet à lire en cliquant ci-dessous

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Vichy et les juifs : l’historien Robert O. Paxton répond à Eric Zemmour, dans un rare entretien au « Monde »

2 Décembre 2021 , Rédigé par Le Monde Publié dans #Education

Eric Zemmour répète depuis 2014 que le régime de Vichy aurait « protégé les juifs français et donné les juifs étrangers ». Cible du polémiste, l’historien américain Robert O. Paxton répond, dans une interview vidéo accordée au « Monde » depuis New York.

(...)

Quelques livres pour en savoir plus :

  • La France à l’heure allemande (1940-1944), Philippe Burrin (Seuil)
  • La survie des Juifs en France 1940-1944, Jacques Semelin et Serge Klarsfeld (CNRS Editions)
  • L’Etat contre les juifs, Laurent Joly (Grasset)
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Les enseignants ne sont pas plus absents que les autres agents de la fonction publique

2 Décembre 2021 , Rédigé par Le Monde Publié dans #Education

Retour sur notre web-conférence : absentéisme, le management responsable ?  - Actualité fonction publique

EXTRAITS

Alors que les polémiques sont nombreuses sur l’absentéisme dans l’éducation nationale depuis plus de vingt ans, la situation n’est pas plus critique qu’ailleurs.

Appeler des professeurs retraités à la rescousse des écoles de Seine-et-Marne : la décision prise, fin novembre, par la direction académique pour pallier des absences d’enseignants a fait grand bruit sur les réseaux sociaux. Elle n’est pourtant pas tout à fait une surprise. La problématique des absences non remplacées dans les écoles, les collèges et les lycées revient sur le devant de la scène avec une « saisonnalité » bien connue des services de l’éducation nationale.

C’est mi-décembre que les congés maladie ordinaire (les « CMO », dans le jargon de l’école) atteignent un « pic », écrivent les statisticiens du ministère de l’éducation dans une note d’information consacrée au sujet en 2020. « Les besoins en remplacement durant la période hivernale sont beaucoup plus importants qu’en début ou en fin d’année scolaire », précisaient-ils. Leur analyse portait sur l’année scolaire 2017-2018, bien avant la première vague de Covid-19.

Peut-on pour autant en déduire que les enseignants sont plus sujets aux absences que d’autres fonctionnaires, ou que d’autres travailleurs ? « Mauvais procès », répond-on dans les rangs syndicaux, où l’on n’a pas oublié la polémique sur les « professeurs décrocheurs » agitée au début de la crise sanitaire, en 2020. Enième controverse : le 4 septembre 1997, déjà, jour de sa première rentrée comme ministre de l’éducation, Claude Allègre s’en prenait de manière véhémente à l’« absentéisme » de ses administrés, évoquant un mystérieux taux de 12 % d’enseignants absents. Le soir même, il revoyait le chiffre à la baisse. Mais le mal était fait.

(...)

D’autres rapports et enquêtes tendent à démontrer que les enseignants ne sont pas plus absents que les autres agents de la fonction publique – et qu’ils le sont même moins que dans les fonctions territoriale et hospitalière –, en dépit des congés maternité, nombreux dans une profession largement féminisée. A chaque instance son mode de calcul : si le service statistique de l’éducation nationale estime, en moyenne et pour chaque jour ouvré, que 5,6 % des enseignants du public sont absents pour raisons de santé, hors week-ends et congés (note d’information de 2020), la direction générale de l’administration et de la fonction publique a calculé, pour sa part, que la proportion des enseignants absents un jour au cours d’une semaine donnée, toujours pour motif de santé, n’est que de 2,7 % (rapport de 2019 valant pour 2018), contre 4,5 % pour la fonction publique territoriale, 5,1 % pour la fonction publique hospitalière et 3,9 % dans le secteur privé. Autre donnée, émanant de l’éducation nationale : environ un enseignant sur deux du public a été absent sur l’année 2017-2018 pour raisons de santé, la durée moyenne n’excédant pas neuf jours (hors week-ends et congés).

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Mattea Battaglia

On écoutera aussi avec intérêt l'extrait consacré ici à cet "absentéisme".

C'est à partir de la 56e seconde de la vidéo en cliquant ci-dessous

CC

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Mantes-la-Jolie, des lycéens à genoux - Et maintenant ?

2 Décembre 2021 , Rédigé par France Culture Publié dans #Education

Lycéens mis à genoux par la police à Mantes-la-Jolie : Blanquer "choqué",  la gauche "scandalisée" - midilibre.fr

On est un enfant jusqu’à 18 ans...

C’est l’histoire d’une interpellation qui survient en pleine mobilisation lycéenne à Mantes-la-Jolie, dans un climat de haute tension. Maître Arié Alimi constate que "on a ciblé des lycéens à un moment donné de leur vie, au moment d’une grève c’est-à-dire le moment où d’adolescent on passe à citoyen. Peut-être que l’État inconsciemment se rend compte que s’il veut diriger plus facilement des populations, et bien il faut taper à la racine et faire peur tout de suite."

L’histoire de 151 jeunes interpellés par les forces de l’ordre qui sont restés agenouillés plusieurs heures durant, les mains dans le dos ou sur la tête avant d’être transférés dans différents postes de police des Yvelines. Un événement qui va laisser des traces. Un lycéen s'étonne : "On doit éviter les policiers ! Alors que les policiers, normalement, ils ont des yeux, ils voient qu’on est des enfants, qu’on est des élèves."

Pour les familles plus que blessées, il s’agit d’une arrestation humiliante et inacceptable. Pour le commissaire de la ville, il s'agissait d' "interrompre un processus incontrôlé", comme le confirme Arnaud Verhile, officier et commissaire de police à Mantes-la-Jolie. _"_Le recteur d’académie m’a appelé personnellement pour me remercier du travail que j’avais fait pour garantir la sécurité de cet établissement scolaire. C’est ça la vérité !"

Depuis, l’enquête préliminaire, confiée à I’Inspection générale de la Police nationale(IGPN), qui avait déjà établi "qu’il n’y avait pas de faute" commise par la police lors de cette arrestation, a été classée sans suite.

Mais que s’est-il réellement passé ?

Avec :

Lecture des textes, Yannick Choirat

Merci au Service d’Information et de Communication de la Police (SICoP)

Un documentaire de Johanna Bedeau, réalisé par Angélique Tibau.

Liens

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Sexe et ados : que peut la littérature ?

1 Décembre 2021 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education

Noël et le sexe : aucun rapport ?

La sexualité des jeunes est longtemps restée taboue dans les livres. Certains éditeurs commencent enfin à s’y intéresser, au-delà du seul aspect éducatif.

«Pour public averti», «à ne pas mettre entre toutes les mains», «pas avant 16 ans» sont les formules qui accompagnent souvent les critiques des quelques romans pour ados osant braver la sexualité. C’est qu’il faut du courage, et de l’habileté, aux écrivains pour écrire sur ce thème. Plus encore lorsqu’ils écrivent pour les adolescents.

Il leur faut, déjà, se confronter aux parents, qui manifestent souvent avec fracas leur désapprobation face à des textes abordant trop directement le sujet. Et puis la commission de surveillance de la loi de censure sur les publications destinées à la jeunesse reste bien active et scrute tout particulièrement les romans ados. Persistent aussi beaucoup d’idées reçues, et de craintes, sur la sexualité des jeunes, à rebours de leurs pratiques. Enfin, se pose la question des limites d’une production de contenus potentiellement érotiques, donc propres à susciter le désir, écrits par des adultes et adressés à un lectorat mineur. Les pressions, contraintes et chausse-trapes qui pèsent sur les épaules des écrivains s’aventurant sur ce terrain sont ainsi nombreuses. Lequel ressemble fort à l’un des derniers tabous de la littérature jeunesse. (1)

De fait, en dépit du développement fulgurant du roman ado ces dernières décennies, le thème reste rare. Et lorsqu’il est abordé, c’est le plus souvent sous l’angle éducatif de la première fois, des complexes, des grossesses non désirées, etc. Comme s’il fallait une justification pour aborder le sexe dans la littérature adressée à la jeunesse. On trouve dans ce registre de superbes textes mais leur tentative d’amener par un biais détourné une forme d’éducation à la sexualité finalement assez institutionnelle se trouve rapidement démasquée par un public se méfiant des discours normatifs sur le sujet.

Décalage avec une conception commune

Pourtant, les choses évoluent. La collection «l’Ardeur», lancée par l’éditeur Thierry Magnier, est emblématique de ce frémissement. Elle entend se poser «résolument du côté du plaisir et de l’exploration libre et multiple que nous offrent nos corps». Elle est aussi résolument littéraire. On y trouve en effet des imaginaires variés explorant toutes les sexualités, une place significative accordée à la masturbation, en particulier féminine, une exploration de la sensualité des corps, y compris masculins, et des scènes de sexe explicites, là où d’autres referment prudemment la porte de la chambre d’ado sur une ellipse. Le dernier titre en date, Queen Kong, d’Hélène Vignal, a l’audace notable de raconter à la première personne du singulier la pratique sexuelle débridée d’une lycéenne déconnectée du sentiment amoureux. Ce, alors même que les enquêtes montrent la prédominance de ce lien dans les représentations des jeunes filles sur la sexualité. (2)

Car, du côté des ados, le film documentaire de Julie Talon, diffusé en juin et toujours en ligne sur le site d’Arte, Préliminaires, montre avec éloquence la diversification de leurs pratiques, leur aptitude à utiliser des mots crus – et justes – pour en parler. Surtout, des joues rougies, des yeux embués et des lourds soupirs marquant ces témoignages émergent à la fois le constat douloureux d’une différence de représentation de la sexualité entre filles et garçons, la difficulté à vivre des orientations non hétéronormées, et la complexité des malentendus et souffrances causées par un consentement aux contours troubles. On mesure alors le décalage avec une conception commune de la sexualité adolescente encore focalisée sur la crainte des grossesses non désirées ou les comportements à risque. L’ampleur et la complexité des besoins réels des jeunes en la matière paraissent vertigineuses.

Dire l’indicible

A cet égard, une collection plus ancienne, Scripto, chez Gallimard Jeunesse, offre l’espoir d’une littérature en capacité de toucher à ces zones grises de la sexualité adolescente par la force de ses écritures. Je serai vivante, de Nastasia Rugani, paru en juin, est le monologue d’une jeune fille pendant le dépôt de plainte pour le viol commis sur elle par son petit ami. Le texte d’une centaine de pages est un concentré poétique, rugueux, qui fouisse les méandres de la douleur dans le corps, la peau, l’âme abîmée. Il cerne le viol dans la singularité d’une situation sociale, d’un lieu, fut-il celui atrocement tendre et gracieux d’un cerisier sous un ciel d’avril. Et cette écriture poétique s’affirme dès lors comme l’unique condition pour dire l’indicible. Dans cette même collection, un texte à paraître en janvier, de Claire Castillon, les Longueurs, s’aventure quant à lui sur le terrain délicat du récit d’une relation pédophile entre un adulte manipulateur et une enfant sous emprise, porté par la langue heurtée, effroyable de justesse, d’une adolescente perdue entre attachement à son bourreau et dévastation intime entretenue par un abus durable.

On pourrait à juste titre se demander «Que peut la littérature ?» à l’heure où les ados disposent d’accès libres et anonymes à des contenus qui évoquent sans filtre ces sujets sur Netflix ou Instagram. Or, ces romans récents, par leur grande qualité littéraire, la force de leur écriture, l’intelligence des situations mises en scène témoignent à eux seuls des possibles, des forces et des puissances incomparables de la littérature sur ces questions.

Sujet retors de la littérature jeunesse, la sexualité pourrait bien, dès alors, incarner l’une des voies de sa propre régénération. Car cette forme d’expression mêlant intime, capacité à explorer l’Autre, offrant justesse et précision de la langue tout en pouvant déployer une esthétique fulgurante est assurément la plus à même d’accueillir la détresse, la douleur, les espoirs et les désirs d’une jeunesse qui se cherche.

Sophie Van der Linden

(1) Cf. «La sexualité, tabou ultime», dans En quête d’un grand peut-être, Guide de littérature ado, Tom et Nathan Levêque, éditions du Grand Peut-être, 2020.

(2) Voir les travaux de Nathalie Bajos, notamment l’enquête Fecond de 2010.

Cet article est tiré du Libé spécial auteur·es jeunesse. Pour la troisième année, Libération se met aux couleurs et textes de la jeunesse pour le Salon du livre de Montreuil qui ouvre ses portes le 1er décembre. Retrouvez tous les articles ici.

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