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Vivement l'Ecole!

culture

Sortir... Exposition "Elliott Erwitt" / Musée Maillol - Paris

27 Mars 2023 , Rédigé par christophe Publié dans #Art, #Culture

10 photos pour (re)découvrir le travail d'Elliott Erwitt - Elle

Santa Monica, California (USA 1955) © Elliott Erwitt

Son humanisme et ses prises de vue subtilement comiques

L’exposition Elliott Erwitt. Une rétrospective rend hommage à l’un des photographes les plus importants du XXème siècle, membre de Magnum Photos depuis 1954.

Le parcours présente son œuvre à travers un ensemble de 215 photographies en noir et blanc et en couleur.

Photographe américain d’origine européenne, Elliott Erwitt est à la fois un peintre de l’intime, photojournaliste, photographe publicitaire, réalisateur et portraitiste de personnalités comme Marilyn Monroe ou encore Jackie Kennedy, Charles de Gaulle, Ernesto “Che” Guevara, Alfred Hitchcock, Nikita Khrouchtchev,…

(Suite et fin en cliquant sur le lien de bas de page)

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Le génie de l’oreille - Donner voix aux grands textes : Éric Chartier en a fait sa vocation...

25 Mars 2023 , Rédigé par La Vie des Idées Publié dans #Culture, #Litterature

Donner voix aux grands textes : Éric Chartier en a fait sa vocation, aussi bien sur les planches des théâtres où il incarne à lui seul romans et essais, que dans l’élaboration d’outils pédagogiques destinés à initier le plus grand nombre à la littérature, en surmontant l’obstacle de la chose imprimée.

Ariel Suhamy

Suite à lire en cliquant ci-dessous

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Les «écoles de la culture» font cause commune contre la réforme des retraites

25 Mars 2023 , Rédigé par Libération Publié dans #Education, #Culture

https://www.connaissancedesarts.com/wp-content/thumbnails/uploads/2020/06/cda20_klee_musique_senecio-tt-width-1200-height-900-fill-0-crop-1-bgcolor-ffffff.jpg

Paul Klee

Les élèves de nombreux établissements d’art, de design ou d’architecture s’organisent pour faire front commun et défendre leurs établissements et leurs professions.

Preuve que le mouvement s’élargit et qu’il y a de la convergence dans l’air : les écoles des beaux-arts et de design (45 en France dont 32 occupées à ce jour) et les écoles d’archi (20 écoles occupées sur les 22 que compte le réseau national) font désormais cause commune, sous l’intitulé «écoles de la culture en lutte». Comme l’explique Jeremy Lecomte, enseignant à l’école d’archi de Versailles, on assisterait aujourd’hui à une «mobilisation protéiforme». Parmi les ingrédients déclencheurs : une repolitisation des étudiants qui ont créé l’an passé leur premier syndicat, Le Massicot, et s’organisent de plus en plus en collectifs ou associations internes veillant au respect des identités multiples et à la reconnaissance du statut de «travailleurs et travailleuses de l’art» qu’ils feront valoir à leur sortie de l’école.

En marge de l’école et principalement dans le champ de l’art, syndicats — comme le Snéac, le Snap ou le Staa – collectifs et associations – comme La Buse, Economie solidaire de l’art ou Documentations – presque tous nés lors de la dernière mobilisation contre la réforme des retraites en 2019, fournissent contenus théoriques et outils juridiques pour articuler cette repolitisation d’un secteur où le marché, jusque-là seul maître, avait tout fragmenté jusqu’à extinction totale des revendications collectives. Un phénomène qui n’a par exemple pas affecté le spectacle vivant, beaucoup plus fédéré.

Baisse des activités et hausse des prix de scolarité

Plus conjoncturels, deux autres prétextes ont fini de renverser la vapeur et permis qu’aujourd’hui, écoles d’art et de design mais aussi d’architecture se retrouvent sur un front commun. Le premier est le ralliement contre la réforme des retraites, dans des secteurs où précarité et carrières en dents de scie ne collent pas au système en vigueur. Jeudi 23 mars, ils étaient des centaines, étudiants de l’école d’art de Cergy, des Arts déco, de Boulle, Duperré ou encore de l’école du Louvre, à s’être donné rendez-vous boulevard Beaumarchais, participant au rajeunissement flagrant de la mobilisation. Le second est plus circonscrit à la situation des écoles d’art et d’architecture qui depuis quelques mois se prennent de plein fouet le retour de bâton de l’inflation (avec une explosion de la facture d’électricité dans des écoles qui sont souvent de véritables passoires thermiques, mais aussi l’augmentation du coût des matériaux dont ces écoles sont de grosses consommatrices) et dans le cas spécifique des écoles d’art territoriales, l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, salué par tous, mais qui a plombé les finances des établissements désormais administrés par les collectivités territoriales qui refusent de mettre au pot.

Résultat, un peu partout en France, de Valenciennes (l’une des plus anciennes écoles d’art, tout simplement menacée de fermeture à très court terme), à Poitiers, Angoulême, Aix, Bordeaux, Toulouse ou Lyon, des écoles suppriment des postes d’enseignants, ferment des ateliers ou renoncent à faire venir des personnalités du monde de la culture, faute de moyens, tout en augmentant leurs frais d’inscription. Idem dans les écoles d’architecture : à l’Ensa Rouen, d’où le feu est parti au retour des vacances de février pour se généraliser à l’ensemble des établissements, ce sont plusieurs cas de burn-out qui ont pénalisé le bon fonctionnement de l’école et entraîné la fermeture provisoire de l’établissement. Tandis qu’à Versailles, on a récemment supprimé la bibliothèque pour en faire un espace de privatisation. D’un côté, c’est plus d’argent qui entre dans les caisses de l’école et, on peut l’espérer, plus d’argent pour la pédagogie, mais de l’autre on déshabille l’établissement de ses attributs. Et c’est bien cet appauvrissement général, réel autant que symbolique, qui est dénoncé.

Rendez-vous avec le ministère

Sur les 45 écoles d’art et de design réparties sur tout le territoire, 32 sont actuellement occupées par les étudiants, ainsi que presque 100 % des écoles d’architecture, selon des modalités variables. Dures dans certains cas, avec des étudiants qui se relaient la nuit (à la Villa Arson de Nice ou à l’école d’art de Bordeaux ou à Cergy par exemple), et plus légères ailleurs, avec une banalisation des notes et des absences. Un peu partout, les AG se sont également multipliées ces derniers jours, aux Beaux-Arts de Paris ou dans les sept écoles du Sud qui ont organisé, mercredi 22 mars, une action spectaculaire au Mucem. «L’action coup de poing au Mucem a été un vrai succès et a dépassé toutes nos espérances, 150 participants, une banderole déroulée depuis le haut de la tour du roi René au Fort St-Jean, occupation bruyante du hall avec slogans, discours et die-in massif devant l’entrée. C’était fou, spectaculaire et fédérateur», résume Florian Gaité, enseignant à l’école d’art d’Aix-en-Provence, avant de préciser, «le tout s’est déroulé sans accroc, ni intervention policière».

Le 13 mars dernier, deux délégations de représentants des écoles d’art et d’archi ont rencontré des représentants du ministère qui ont promis d’étudier la situation au cas par cas et de réfléchir à une solution de soutien pérenne. Un premier rendu doit avoir lieu ce lundi 27 mars pour les écoles d’art, tandis que les écoles d’archi qui manifestaient une nouvelle fois ce vendredi à partir de 14 heures place du Palais Royal, attendent dès ce jour les premières conclusions.

Lundi 27 mars au soir, un autre rendez-vous organisé dans l’une des écoles de la région parisienne devrait cette fois permettre aux étudiants, mais aussi à des éboueurs, raffineurs, cheminots ou travailleurs de la sous-traitance, d’échanger sur ce qu’ils ont en partage. L’historienne d’architecture Fanny Lopez, qui organisa récemment une visite de l’incinérateur d’Ivry avec ses étudiants de Paris Malaquais, ainsi que l’écrivaine Sandra Lucbert, proche du mouvement Art en Grève, devraient être de la partie. «Un nœud se crée», affirme une membre de l’interorganisation des écoles d’art et de design, «les écoles d’art, de design et d’archi, sont des lieux parfaits pour créer de la pensée politique».

Claire Moulène

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Les femmes censurées des « Fleurs du mal »

20 Mars 2023 , Rédigé par The Conversation Publié dans #Culture, #Litterature

Les femmes censurées des « Fleurs du mal »
Dessin de Jan Frans De Boever, “Epigraphe pour un livre maudit”, 1924, illustrant le vers introductif de l'édition définitive des “Fleurs du mal” de Baudelaire. Arts & Antiques St. John/Wikimedia, CC BY
Pedro Baños Gallego, Universidad de Murcia

Au XIXe siècle, la poésie française connaît une période de renouveau. C’est une époque de divergences, de contrastes : de nombreux auteurs et écoles artistiques développent à travers leurs écrits une manière très personnelle de voir le monde.

Il en résulte une grande variété de courants littéraires : romantisme, réalisme, naturalisme, symbolisme et décadentisme, entre autres.

Peinture d’un homme lisant assis à une table
Portrait de Charles Baudelaire par Gustave Courbet. Musée Fabre/Wikimedia

C’est dans ce contexte de diversité artistique qu’émergent des auteurs comme Charles Baudelaire. Classé plus tard parmi les « poètes maudits », Baudelaire a vécu le XIXe siècle à l’image de la jeunesse bohème qui l’entourait. De l’alcoolisme à la consommation d’opium, en passant par la prostitution et les maladies vénériennes, la vie de Baudelaire est très éloignée de la morale catholique qui prévaut dans la société de l’époque.

À une époque où la vie personnelle infuse la littérature, il n’est pas surprenant que ces thèmes aient fini par imprégner la production artistique de l’auteur.

Les Fleurs du mal

L’œuvre la plus connue de Baudelaire est sans aucun doute Les Fleurs du mal. Ce recueil de poèmes, qui a tant influencé la poésie, a été réécrit et modifié plusieurs fois avant d’être finalement publié.

Deux éditions ont vu le jour du vivant de l’auteur, avec des modifications substantielles dans leur structure : l’édition de 1861 ne reprend pas les six poèmes censurés, mais en ajoute 32 autres, tandis qu’une publication partielle d’Auguste Poulet-Malassis en 1866 ose inclure les poèmes « interdits ». La première édition considérée comme définitive est l’édition posthume de 1868. Cependant, les 151 poèmes de cette version ne comprennent pas non plus les textes censurés.

Pourquoi ces poèmes ont-ils été « éliminés » de l’œuvre ?

Dès la première publication des Fleurs du mal, le 25 juin 1857, la vie immorale de Baudelaire (et donc sa littérature) suscitent une vive controverse : six poèmes sont censurés, pour cause de blasphème.

Première page d’un journal du milieu du XIXᵉ siècle
Première page du Figaro du 5 juillet 1857 critiquant les Fleurs du mal. Gallica/Bibliothèque nationale de France, CC BY

Quelques jours plus tard, dans son édition du 5 juillet, le célèbre journal Le Figaro publiait la critique suivante des Fleurs du mal :

« Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les folies de l’âme, à toutes les putréfactions du cœur ; quand même il les guérirait, mais elles sont incurables. »

Après plusieurs articles de presse qualifiant l’ouvrage d’immoral, l’affaire est portée devant les tribunaux : le 21 août de la même année, Baudelaire est condamné pour outrage aux bonnes mœurs. Outre l’amende de trois cents francs, le tribunal décide d’interdire les poèmes « Les Bijoux », « Le Léthé », « À celle qui est trop gaie », « Lesbos », « Les Femmes maudites » et « Les Métamorphoses du vampire ».

Ce n’est qu’en 1949 qu’un tribunal français lève l’interdiction de publication de ces textes, estimant près d’un siècle plus tard que « les poèmes visés par la prévention ne contiennent pas de termes obscènes ou même grossiers et n’excèdent pas, dans leur forme expressive, les libertés laissées à l’artiste ».

En finir avec la femme idéalisée

L’un des arguments phares de ces dénonciations repose sur l’image de la femme dans Les Fleurs du mal. Baudelaire explore la figure féminine sous un angle profondément contraire aux normes morales de la France du XIXe siècle : lesbianisme, sadisme, prostitution et érotisme explicite n’ont pas leur place aux yeux des censeurs catholiques de l’époque.

Il faut rappeler que la France, malgré la Révolution française, ne devient un État non confessionnel qu’à partir de 1905. Les délits d’« atteinte à la morale publique » ou d’« atteinte à la morale religieuse » étaient encore pleinement en vigueur au XIXe siècle, ce qui peut nous donner une indication du poids que l’idéologie de l’Église possédait encore en France. Pour prendre un autre exemple, le célèbre ouvrage Madame Bovary a été fortement attaqué cinq mois avant Les Fleurs du mal pour les mêmes raisons.

À la femme idéalisée et divinisée du romantisme, Baudelaire juxtapose l’envers du décor : la prostitution et la femme fatale sont des concepts aussi réels pour l’auteur que la femme-objet de culte.

Si les sources d’inspiration féminines de Baudelaire (Marie Daubrun, Madame Sabatier, Jeanne Duval ou la propre mère de l’écrivain) sont des figures vénérées pour leur sainteté et leur bonté, Baudelaire analyse en profondeur les aspects sombres de sa relation avec certaines d’entre elles.

Dans Lesbos, par exemple, l’auteur explore, à travers diverses images, un sadisme inhérent à la condition féminine :

Tu tires ton pardon de l’éternel martyre,
Infligé sans relâche aux cœurs ambitieux,
Qu’attire loin de nous le radieux sourire
Entrevu vaguement au bord des autres cieux !
Tu tires ton pardon de l’éternel martyre !

De même, dans « Les Métamorphoses du vampire », Baudelaire ajoute à cette volonté explicitement néfaste des images qui, dans le contexte de l’époque, représentent un érotisme qui ne peut que choquer le lecteur :

La femme cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu’un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
“Moi, j’ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d’un lit l’antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
Et fais rire les vieux du rire des enfants”.

Enfin, dans le poème « Femmes damnées (Delphine et Hippolyte) », Baudelaire expose sans ambiguïté une relation homosexuelle entre les deux femmes. Tout au long du poème, érotisme et réflexion sur le lesbianisme se succèdent à parts égales :

Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée !
Toi que j’aime à jamais, ma sœur d’élection,
Quand même tu serais une embûche dressée
Et le commencement de ma perdition !

Peinture d’une femme en robe blanche assise sur un canapé
Portrait de Jeanne Duval, maîtresse de Charles Baudelaire, par Édouard Manet. Wikimedia

Un provocateur né

Bien que, pour les lecteurs modernes, il puisse sembler que ces thèmes aient déjà été largement traités à travers toutes les formes d’art, pour le public de son époque, Baudelaire était un véritable provocateur.

La femme, jusqu’alors idéalisée, incarne désormais une dualité ange-démon qui inclut les aspects les plus sordides du vécu de l’auteur. De plus, Baudelaire explicite certains conflits idéologiques et moraux dont les fondements ne sont autres que le choc entre l’image irréelle de la « femme bonne », catholique et pure, et la réalité crue qui entoure le poète. En elle coexistent la bonté et la délinquance, la sexualité explicite et la pudeur, la prostitution et la censure moralisatrice.

Des raisons suffisantes pour envisager de censurer le poète à l’époque, mais pas assez pour arrêter l’irrésistible ascension des Fleurs du mal.The Conversation

Pedro Baños Gallego, Profesor de Filología Francesa, Universidad de Murcia

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Pourquoi les mondes imaginaires sont-ils de plus en plus populaires ?

10 Mars 2023 , Rédigé par The Conversation Publié dans #Litterature, #Culture

Pourquoi les mondes imaginaires sont-ils de plus en plus populaires ?
Notre appétence pour les mondes imaginaires est corrélée à notre quête de nouveauté. Allociné
Edgar Dubourg, École normale supérieure (ENS) – PSL et Nicolas Baumard, École normale supérieure (ENS) – PSL

Depuis quelques décennies, nous sommes témoins d’un engouement mondial pour les mondes imaginaires. Des mondes fictifs tels que ceux que l’on retrouve dans les romans, les films, les mangas, les séries télévisées et les jeux vidéo ne cessent de gagner en popularité et en complexité. Des univers aussi riches et élaborés que ceux de Star Wars, One Piece, Zelda, Game of Thrones, Elden Ring, Harry Potter ou encore le Seigneur des Anneaux attirent chacun des millions de fans à travers le monde. Pourquoi tant de succès, et pourquoi aujourd’hui, et non pas plus tôt ?

Les mondes imaginaires existent certes depuis très longtemps : l’Odyssée, écrite il y a presque 3000 ans, se situe souvent dans des îles qui n’existent pas, mais inspirées d’îles existantes, comme l’île des Cyclopes (ainsi nommée en hommage au texte d’Homère), au large de la Sicile. Homère n’a fait qu’y imaginer des cyclopes. En comparaison, J.-K. Rowling a inventé des territoires magiques dissimulés au sein du monde réel, avec de nombreuses descriptions précises de lieux imaginaires. Et Georges Lucas, avec Star Wars, a inventé des centaines de planètes.

L’exploration selon le jeu vidéo Zelda.

Des écrivains tels que Jules Verne et Edgar Allan Poe ont aussi créé des univers fictifs, dès le XIXe siècle. Cependant, leurs écrits développent une intrigue qui a la primeur sur le monde créé. L’univers imaginaire est plutôt un prétexte à des aventures, pas une invention en soi. Tolkien, au début du XXe siècle, a inventé un monde avec une géographie, une végétation, des espèces, un langage et des civilisations. Ce monde imaginaire, complet, autonome, et cohérent, a du sens indépendamment de l’histoire de la quête de Frodon par exemple.

C’est depuis Tolkien, et surtout ces dernières décennies, que ces mondes imaginaires sont devenus aussi complexes et riches et se sont répandus. Pourquoi sont-ils devenus si populaires ? Nous posons l’hypothèse selon laquelle la curiosité joue un rôle central dans ce phénomène culturel d’ampleur.

La curiosité pour des environnements nouveaux

Dans une de ses lettres, J.R.R. Tolkien écrivait lui-même qu’une partie de l’attrait du Seigneur des Anneaux « repose sur le sentiment intrinsèque de récompense que nous éprouvons en regardant au loin une île non visitée ou les tours d’une ville lointaine ». Une intuition partagée par Shigeru Miyamoto, le créateur de Zelda, l’un des jeux vidéo les plus vendus au monde, dans lequel on peut incarner Link et explorer librement Hyrule, un monde d’inspiration médiévale. Miyamoto disait qu’il voulait créer « un univers de jeu qui transmette le même sentiment que celui que l’on ressent lorsqu’on explore une nouvelle ville pour la première fois ».

L’intuition de ces deux créateurs de mondes imaginaires a été indirectement confirmée par des études récentes en sciences cognitives. Le cerveau de toute espèce mobile est en effet doté d’un système dopaminergique, qui est associé à la motivation et à la récompense. Des recherches en neurosciences montrent que ce système est aussi activé lorsque nous découvrons de nouveaux objets ou lorsque nous décidons d’explorer un nouvel environnement. Il nous incite à chercher des informations nouvelles qui seront mobilisées dans le futur. Tous les animaux sont curieux de nouveaux environnements, même si le degré de curiosité diffère d’une espèce à l’autre.

Le jeu inspiré de la saga Harry Potter nous plonge dans des mondes imaginaires.

C’est un des systèmes cognitifs les plus anciens dans l’histoire évolutionnaire de la cognition animale, car il était nécessaire à la navigation dans l’espace. Cela explique pourquoi, quand des éthologues leur présentent un objet nouveau et un objet familier, des espèces aussi différentes que les dauphins ou les macaques observent plus longtemps les objets nouveaux – une mesure commune de la curiosité.

Un avantage dans l’évolution

Cette curiosité pour des environnements nouveaux est un comportement adaptatif. Au cours de l’histoire de notre espèce, la curiosité humaine a évolué en réponse aux exigences de survie et de reproduction. Les humains qui ont développé une curiosité accrue ont été mieux équipés pour explorer leur environnement et découvrir de nouvelles ressources. Cette capacité a permis à ces individus de survivre plus longtemps et donc de se reproduire davantage, menant à la lente propagation des gènes associés à cette curiosité accrue dans la population.

Le héros face à l’inconnu, une mise en scène visuelle qui attise notre curiosité dans Avatar.

La curiosité se nourrit de promesses d’informations nouvelles. C’est pour cela que les environnements nouveaux sont si fascinants pour nos cerveaux : la vision d’un monde imaginaire est un indice qui nous informe qu’une grande quantité d’informations reste à découvrir. Il faut noter que cette curiosité pour les environnements nouveaux est activée même si l’environnement nouveau est fictionnel, car le mécanisme qui nous pousse à découvrir de nouveaux environnements n’a pas évolué dans un contexte où la fiction existait. Nous savons bien sûr faire la différence entre la réalité et la fiction, mais nos préférences héritées de l’évolution ne prennent pas en compte cette frontière : elles s’intéressent à toutes sortes d’informations.

La promesse de découvertes nous attire dans les affiches promotionnelles des fictions dans lesquelles un personnage fait face à un large panorama d’un monde imaginaire, prêt à l’explorer. Nous aimons cette idée qu’il reste du chemin à parcourir. Des psychologues ont par exemple montré que des photographies de paysage sont en moyenne plus appréciées quand elles indiquent visuellement la présence d’opportunités de découverte – avec, par exemple, l’image d’une forêt au loin et un chemin sinueux qui disparaît dans les arbres.

La variation de la curiosité

Si la curiosité a été sélectionnée au cours de l’évolution, le degré de curiosité n’est ni fixe, ni toujours le même. On voit très bien qu’autour de nous, certaines personnes sont plus exploratrices que d’autres. Un des facteurs qui expliquent ces différences est la génétique : la curiosité fait partie intégrante de notre personnalité, qui est en partie déterminée par notre patrimoine génétique hérité de nos parents.

Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818. Un avant-goût romantique du boom des fictions pleines de mondes imaginaires des 20ᵉ et XXIᵉ siècle ? Wikimedia

Cependant, un autre facteur important détermine le niveau de curiosité des individus. Il est important de noter que la curiosité a des conséquences qui peuvent être néfastes pour un organisme – par exemple, si l’exploration ne paye pas, le temps passé à explorer est perdu. Or, ces conséquences ne sont pas aussi négatives pour l’organisme selon s’il se trouve dans un environnement pauvre en ressources ou dans un environnement riche en ressources.

L’évolution a donc façonné le système de la curiosité pour être flexible en fonction de l’environnement dans lequel se trouve un organisme, pour gérer ses « coûts » et ses « bénéfices ». Les scientifiques en écologie comportementale appellent cette flexibilité la plasticité phénotypique.

Dans des environnements prospères et donc prévisibles, les individus ont accès à davantage de ressources et sont donc moins susceptibles de faire l’expérience d’une pénurie ou d’un danger immédiat. Par conséquent, ils peuvent se permettre d’être plus explorateurs et curieux, en prenant des risques pour rechercher de nouvelles opportunités et expériences qui peuvent être bénéfiques à long terme.

En revanche, dans des environnements plus pauvres et plus imprévisibles, les risques associés à l’exploration sont plus élevés, car un échec peut entraîner des dommages importants. Dans de tels environnements, les individus devraient être plus motivés à se concentrer sur l’exploitation de leur environnement pour satisfaire leurs besoins immédiats, plutôt que de prendre des risques pour explorer de nouvelles opportunités.

Des études ont confirmé que chez des espèces aussi différentes que les perroquets et les orangs-outangs, les individus qui ont été nourris ou ont un accès direct à de la nourriture sont plus curieux que les autres, toutes choses égales par ailleurs.

Chez les humains, des études montrent que les habitants de sociétés dotées d’un produit intérieur brut par habitant plus élevé (qui bénéficient donc de meilleures conditions de vie, en matière d’alimentation, d’accès au soin, et d’accès à l’éducation) sont en moyenne plus ouverts à de nouvelles expériences. D’autres études montrent que les individus vivant dans des familles qui bénéficient de meilleures conditions de vie sont plus curieux, ont moins de chance de voir leur niveau de curiosité décroître en grandissant, et que cela peut expliquer les différences de capacités d’apprentissage qu’on observe entre des pays qui n’ont pas le même niveau de développement économique.

L’attrait pour les mondes imaginaires

Nous avons ainsi formulé l’hypothèse selon laquelle le succès culturel récent des mondes imaginaires s’explique par l’amélioration des conditions de vie au cours des dernières décennies. Cette amélioration des conditions de vie aurait mené à des changements de mentalité majeurs. Notamment, comme l’environnement des individus devient plus prévisible et plus sûr, les coûts liés à la curiosité pour des environnements nouveaux diminuent. Cette évolution des mentalités pourrait donc expliquer l’accroissement de la popularité et de la richesse des mondes imaginaires. Bien sûr, explorer des mondes imaginaires ne comporte aucun risque en soi, mais, encore une fois, la frontière entre la réalité et la fiction importe peu en la matière. Seule compte la sensibilité de nos préférences : il faut être curieux des environnements nouveaux dans la vie réelle pour trouver attrayants les mondes imaginaires dans les fictions.

Nous avons d’abord montré, dans une étude à paraître, que le niveau de curiosité des individus est en effet corrélé à leur préférence pour les mondes imaginaires : les personnes plus exploratrices aiment davantage les mondes imaginaires, les personnes moins exploratrices les aiment moins. Nous avons ensuite regardé l’évolution des mondes imaginaires dans les romans et les films : environ 10 % des films produits et 10 % des romans parus développent un monde imaginaire au début du XXe siècle, contre environ 20 % d’entre eux aujourd’hui. Cela correspond à une augmentation de 100 % en un siècle, dans les deux médias. Cette augmentation suit l’augmentation permanente du niveau de richesses des pays industrialisés tout au long du XXe siècle. Bien que cette association ne prouve pas l’existence d’un lien causal, elle tend à confirmer notre hypothèse selon laquelle la popularité croissante de ces mondes imaginaires s’explique en partie par la croissance économique et l’amélioration des conditions de vie, qui augmenterait naturellement la motivation de lecteurs et lectrices, et des téléspectateurs et téléspectatrices, à explorer ces nouveaux mondes.

Nos recherches s’inscrivent dans un projet plus global qui vise à une meilleure compréhension de notre attrait pour les fictions, grâce à notre compréhension de la psychologie humaine. Par exemple, en comprenant d’où vient la peur et comment cette émotion fonctionne, on peut mieux comprendre notre attrait pour les films d’horreur et les attractions effrayantes.

Inversement, ces recherches peuvent aussi mener à une meilleure compréhension de la psychologie, grâce aux fictions. Par exemple, tracer l’histoire de la représentation de l’amour dans les textes littéraires permet de mieux comprendre l’histoire du sentiment amoureux et les facteurs de ses fluctuations, dont les bases psychologiques et biologiques sont désormais bien connues.


Cet article est issu d’un cycle de conférences proposées par l’ENS-PSL dans le cadre de la 25ᵉ édition de la Semaine du cerveau, du 13 au 17 mars 2023. À cette occasion, des chercheuses et chercheurs proposent des interventions sur le thème « pensée et émotions : du réel à l’imaginaire ». Retrouvez Edgar Dubourg le 14/03 à 18h30 pour la conférence : « Comment expliquer notre fascination pour les mondes imaginaires ? »The Conversation

Edgar Dubourg, Doctorant en études cognitives, École normale supérieure (ENS) – PSL et Nicolas Baumard, Chercheur en études cognitives, École normale supérieure (ENS) – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Sortir - L'encre en mouvement, Une histoire de la peinture chinoise au XXe siècle

5 Février 2023 , Rédigé par Liberation Publié dans #Art, #Culture

Au Musée Cernuschi, à Paris, le renouveau de la peinture à l'encre en Chine  au XXᵉ siècle

Peinture

Au musée Cernuschi, la peinture chinoise encre en scène

L’institution parisienne dresse un passionnant panorama de l’art produit en Chine au siècle dernier, entre tradition impériale, influence française et censure maoïste.

C’est une histoire rapprochée et mouvante de la peinture chinoise au XXe siècle et de son matériau de prédilection, l’encre, que le musée Cernuschi met en scène. Rapprochée parce que l’évolution des styles et des sujets s’observent, à la loupe, dans les seuls tracés, plus ou moins arides, rugueux, denses ou déliés, des compositions calligraphiques qui ouvrent l’exposition. La démonstration est éloquente, alors que pour un œil profane, évaluer la singularité de chacune de ces œuvres écrites et si iconiques n’a rien de simple. Mais là, ça saute aux yeux : la calligraphie fine, primitive d’un Kang Youwei ; celle, cursive, alerte, de Wu Changshuo ; ou encore celle arrondie de Yao Hua, qui aligne sur deux longs rouleaux verticaux une vieille sentence d’un auteur du IVe siècle. Or, outre ces rudiments de calligraphie, ce qu’on découvre, c’est que les artistes chinois du XXe siècle ont tous puisé dans les traditions plastiques de l’empire du Milieu, en y mêlant volontiers les genres ou les techniques occidentales et japonaises pour les infléchir.

Dès les années 20, les peintures de fleurs, d’animaux ou de paysages s’inspirent des arts déco français et visent à sortir la peinture d’une empreinte trop lettrée. Sur le papier, les tiges feuillues et pétales carmin de Pivoines (Yu Fei’an, 1947) sont étoffées d’un réalisme poudreux, de même que le plumage ocre de deux Oies sauvages (Chen Zhifo, 1940) tapies dans les joncs. Les artistes saisissent la faune et la flore dans la délicatesse de leurs textures et l’harmonieuse complexité de leurs formes. Puis portent leur regard vers les populations et les minorités peu représentées jusque-là, en s’aventurant, après l’invasion japonaise (en 1937), vers l’ouest du pays. Des jeunes filles portant des hottes, des paysannes et tout un petit peuple œuvrant à la production du thé dans un long rouleau narratif de quelque 3 mètres de long montrent à cette période les visées ethnographiques de l’art chinois, qui se teinte volontiers d’une palette folklorique et d’un style naïf.

Veinules, nuées vaporeuses, constellations…

A ce stade, l’expo rend compte d’une autre secousse dans l’histoire chinoise causée par l’arrivée du nu. Genre complètement étranger à sa tradition, exercice imposé dans les académies parisiennes, il est travaillé à leur sauce, c’est-à-dire à l’encre et non au crayon ou au pinceau, par les jeunes artistes chinois émigrés. Cela donne des corps schématiques mais inscrivant sans pudeur, sur le papier, l’intimité de leurs formes et de leurs postures. A l’image de ces deux silhouettes, dans Modèle et dessinatrice (attribué à Hua Tianyou, vers 1940), qui se font face et s’effleurent, la pointe des pieds et les bras étendus de l’une finissant par se fondre dans le buste de l’autre. Tandis que pendant la période maoïste, l’encre, considérée comme le vestige honni d’une époque féodale réactionnaire, doit céder la place à l’huile et au réalisme socialiste, elle continue à couler dans les œuvres de la diaspora. Au point de ne plus suivre aucune limite. Coulures, tâches, veinules, nuées vaporeuses, constellations : sans que les subtilités de sa texture ne cessent d’épaissir les œuvres, l’encre se propage en formes abstraites à la faveur notamment des recherches d’un Zao Wou-Ki, avant que dans les années 90, une autre génération n’opère une nouvelle synthèse entre ces compositions et la figuration traditionnelle en appelant joliment «à ne pas couper le fil du cerf-volant». Une histoire d’encrages décidément volatiles.

Judicaël Lavrador

«L’Encre en mouvement : une histoire de la peinture chinoise au XXe siècle» au musée Cernuschi, à Paris (75008). Jusqu’au 5 mars.

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De la culture avant toute chose - Par Christophe Chartreux

15 Janvier 2023 , Rédigé par christophe Publié dans #Education, #Culture

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De la culture avant toute chose !...

Il y avait jadis, sur France Inter, une émission intitulée "De la musique avant toute chose".

Sans verser dans une nostalgie toujours trompeuse, ce temps-là semble s'être perdu dans un autre: celui de la vitesse et de la bêtise triomphante dominées toutes deux par un maître aux dents longues: le marché. Ce marché organisateur que Tzvetan Todorov a appelé "Le nouveau désordre mondial". De la musique avant toute chose, nous sommes passés, sans nous en rendre compte tant la perversité du "système" est grande, à la bêtise avant toute chose.

Je ne définirai pas ici ce concept de "bêtise" triomphante. Bernard Stiegler l'a fait avant et mieux que moi. Philippe Meirieu, Denis Kambouchner et, encore, Bernard Stiegler en parlent  fort bien dans L'Ecole, le numérique et la société qui vient paru aux éditions Mille.et.une.nuits. (Vous pouvez aussi écouter leur entretien à ce sujet ICI )

En revanche il me semble nécessaire de dire que l' Ecole, au sens le plus large et institutionnel du terme, a un rôle capital à jouer pour contrer les effets ravageurs de cette "bêtise" installée chaque soir sur nos écrans. Je dis "chaque soir" car nos élèves ont encore la chance de ne pas être scotchés devant la télévision durant la journée, passant d'émissions d'une rare stupidité à des feuilletons profondément, n'ayons pas peur des mots, débiles. A moins bien entendu de "zapper" vers des chaînes dites "culturelles" mais, autre perversion organisée sciemment, destinées aux initiés. La culture, les arts, aujourd'hui en France, ne sont pas partagés. Ils sont "réservés". L'Ecole donc, au-delà de l'Histoire des Arts qu'il faut maintenir et renforcer par tous les moyens, de la maternelle à la terminale, dans toutes les filières, doit être un fer de lance, une "base avancée" du développement, de la vulgarisation DES cultures, DES arts, de TOUS les arts. Je suis aujourd'hui - et depuis fort longtemps - persuadé que les dictatures qui nous écrasent, qui s'installent dans nos "parts de cerveau disponible", dictatures de la bêtise et du marché, seront combattues par la possibilité offerte à toutes et tous d'entrer dans ces "mondes réservés", de les investir et d'y investir.

N'est-il pas scandaleux, dramatique, que quatre-vingt pour cent des élèves d'un collège rural - le mien, mais pas que le mien - n'aient jamais mis les pieds plus d'une fois, en troisième, dans un musée, dans un théâtre, dans une salle de concert ? Ne parlons pas de galeries de peinture! Evoquant un jour une de ces "galeries", une de mes élèves a cru que j'évoquais la galerie marchande du supermarché voisin !

N'est-il pas tragique que des élèves de collège n'aient pas accès à l'Art sauf une heure par semaine grâce à nos collègues professeurs d'Arts plastiques et de musique qui font tout ce qui est en leur pouvoir, avec passion, mais dont la parole "compte" si peu lors des conseils de classe ?

N'est-il pas signifiant de constater avec tristesse que de nombreux collègues souhaitent la disparition pure et simple de l'Histoire des Arts au collège ? Si tel était le cas, ce serait alors laisser porte grande ouverte à la "misère symbolique", dernière marche avant la misère tout court*, dont les victimes sont toujours les mêmes enfants, des mêmes catégories sociales, écrasés par la bêtise médiaticopolitique.

L'Ecole doit être rempart et fer de lance : rempart contre les assauts d'un libéralisme d'une perversité extrême et fer de lance d'une conquête à venir, celle d'une "Education artistique vivante" ! Nous, enseignants, quel que soit notre "niveau", quelle que soit la matière enseignée, DEVONS être les "Hussards noirs" d'une nouvelle culture républicaine à diffuser par tous les moyens imaginables, y compris les plus contemporains (Internet).

Redonnons la parole à l'intelligence partagée ! Redonnons la parole à l'Art ! Travaillons main dans la main avec les artistes ! Luttons ensemble contre le formatage de l'esprit !

Une révolution à venir !...

Christophe Chartreux

A lire absolument: Education artistique: l'échec n'est pas permis par Philippe Meirieu

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Sortir... Exposition. Fabrice Hyber... La Vallée. Du 8 décembre 2022 au 30 avril 2023 / Fondation Cartier Paris

29 Décembre 2022 , Rédigé par Fondation Cartier Publié dans #Art, #Culture

EXTRAIT

Du 8 décembre 2022 au 30 avril 2023, la Fondation Cartier présente La Vallée, une grande monographie consacrée à la peinture de Fabrice Hyber. Dans ses toiles peintes « du bout des doigts », l’artiste français donne à voir le déploiement d’une pensée libre et vivante. Réunissant une soixantaine de toiles dont près de quinze œuvres produites spécifiquement pour l’exposition, Fabrice Hyber crée au sein de la Fondation Cartier pour l'art contemporain une école ouverte à toutes les hypothèses. Le visiteur est invité à traverser différentes salles de classe selon un parcours qui suit les méandres de la pensée de l’artiste.

Artiste, semeur, entrepreneur, poète, Fabrice Hyber est l’auteur d’œuvres prolifiques précisément répertoriées. Faisant fi des catégories, il incorpore dans le champ de l’art tous les domaines de la vie, des mathématiques aux neurosciences, en passant par le commerce, l’histoire, l’astrophysique, mais aussi l’amour, le corps et les mutations du vivant.

(...)

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Patrick Boucheron : «L’histoire est l’art de se souvenir de ce dont on est capable, du pire comme du meilleur»

17 Décembre 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Histoire, #Culture

Pour vous réconcilier avec l'histoire - Liste de 11 livres - Babelio

Dans son dernier livre, l’historien explique comment des dates finissent par compter dans nos imaginaires collectifs, de l’an zéro au serment du Jeu de paume en passant par la libération de Mandela… et 2022, avec la guerre en Ukraine ?

Quelle année ! Guerre en Ukraine, révolution en Irancatastrophes climatiques, mort d’Elizabeth II… La liste des événements qui nous auront bousculés en 2022, individuellement ou collectivement, est longue. La date marque-t-elle un changement d’époque ? C’est une question pour Patrick Boucheron. Depuis quelques années, avec l’Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017) ou Prendre dates (Verdier, 2015, avec Mathieu Riboulet), l’historien médiéviste explore les dates qui ponctuent nos chronologies. Cet automne, il a poursuivi ce travail avec Quand l’histoire fait dates. Dix manières de créer l’événement (Seuil, Arte Editions), livre adapté d’une série réalisée pour la chaîne franco-allemande.

Refusant de prendre les dates dans l’ordre, il propose un classement par thèmes qui montre comment chacune est devenue importante à nos yeux. Il y a celles qui désignent un début, comme l’an zéro ; celles qui marquent une (re)fondation, comme 1789 ; ou encore celles qui désignent un passé auquel nous sommes redevables, comme 1776 et la Déclaration d’indépendance américaine. On y découvre que les motifs qui fondent une «grande date» sont nombreux, parfois fragiles, et souvent considérés a posteriori. Ce qui explique la difficulté à trancher dès maintenant sur le sort qui sera réservé à 2022.

L’année 2022 fera-t-elle date ?

Il existe des dates «coupantes», comme le 11 septembre 2001, qui marquent une bascule et s’imposent d’elles-mêmes. D’autres sont des dates «épaisses», qui ne sont pas fondées sur un seul événement, mais construites autour de leur capacité à en agréger plusieurs : ainsi de 1848, qui est plutôt un «millésime». Si 2022 vient à faire date, elle entrera sans doute dans cette catégorie. Prenons le début de la guerre le 24 février : dramatiser ce moment de l’invasion russe, c’est être oublieux d’une histoire plus longue. Au moment où on se rend compte que quelque chose d’historique se produit, on se demande aussi pourquoi on y a si peu pensé depuis 2014 et l’annexion de la Crimée.

On comprend alors que l’événement est bien ce qui advient de ce qui est advenu. On a dit parfois que le conflit ukrainien était la première guerre en Europe depuis 1945. Qu’est-ce qui fait qu’on a oublié le siège de Sarajevo, il y a exactement trente ans ? Pour qu’on se souvienne de quelque chose, il faut qu’on en oublie une autre. Malgré tout, c’est peut-être cette année 2022 qui nous marquera le plus individuellement – l’émotion face aux images des réfugiés sur les routes, le risque d’accident ou d’attaque nucléaires, et peut-être les coupures d’électricité à venir cet hiver…

Une date importante résonne-t-elle forcément dans l’intime ?

Il y a des événements qui fracassent d’un coup la frontière entre le privé et le public, entre ce qui est à l’intérieur de soi et l’extérieur. Depuis 2020, cette porosité est de plus en plus douloureusement éprouvée. Une pandémie est un événement assez convaincant pour nous faire admettre qu’on est traversé par l’histoire, en l’occurrence par la circulation d’un virus, qu’il y a quelque chose qui n’est pas nous, mais qui devient nous. Le Covid est tout de même un exercice à très grande échelle de simultanéité et de globalité.

Les méga-feux et les tempêtes de l’été ont aussi rendu très sensible le basculement écologique.

Faire l’histoire du climat consiste toujours à relier deux choses. D’un côté, les seuils écologiques de forçage : nos émissions de gaz à effet de serre ou la dégradation humaine des écosystèmes ont des conséquences irréversibles. De l’autre côté, des seuils de sensibilité humaine face à ce qui se passe. Nous étions cet été exposés à une double information : «Il fait chaud, et enfin on s’en rend compte». Mais qui s’en est alors rendu compte ? Au Pakistan ou au Sénégal, on le savait depuis bien longtemps. Cette impression de basculement est sans doute une émotion de privilégiés, loin d’être largement partagée. J’ai beaucoup de mal à imaginer que nous ressentons tous en même temps, avec la même intensité, une même temporalité.

Est-ce pour cela que vous préférez travailler sur des dates plutôt que sur des époques, qui impliquent une certaine homogénéité dans une société ?

L’époque prend souvent de grands airs. Je ne veux pas disserter pendant des heures pour savoir si la Renaissance existe. Elle existe d’une certaine manière puisque Michelet l’a inventée. Les époques sont des inventions poétiques qui deviennent irrécusables. Mais elles ne disent rien de l’expérience du temps. Inversement, l’événement historique nous saisit où on est. J’ai toujours entendu mes parents dire : «On se souviendra toujours de l’endroit où on était quand on a appris la mort de Kennedy.» Ce sentiment, nous avons pu l’éprouver avec les attentats de 2015. Pour ma part, j’étais dans le métro. Je sais exactement où et quand mon téléphone a vibré et affiché l’alerte, quels gestes j’ai fait. Ça m’a figé. Ce rapport entre le lieu et le temps, le jeu abstrait des périodisations ne parvient pas à le rendre. La date dit «ça a eu lieu». C’est du temps qui se plie dans l’espace.

Mais est-ce que la date ne triche pas avec l’époque ? Comme vous le disiez, 2022 cache en fait une période, qui débute a minima en 2014.

Cela pose la question du chrononyme : par quels noms va-t-on dire le temps ? Par quelles dates va-t-on borner une époque ? Qui le choisit, et quand ? Nommer le temps, c’est le politiser : les dates qui nous paraissent couramment admises sont le fruit d’un mouvement de naturalisation, c’est-à-dire d’oubli de l’origine. J’aime l’histoire du 20 juin 1789, le serment du Jeu de paume. C’est «la» date par excellence, puisque les députés du tiers état se réunissent, jurent de ne jamais se séparer avant d’avoir donné une Constitution à la France, et ainsi, prennent date avec l’avenir. Ils devraient eux-mêmes être conscients qu’ils ont fait quelque chose d’historique. Eh bien non. Quand on regarde leurs journaux ou leur correspondance, on voit qu’il n’y en a pas deux qui comprennent en même temps la même chose. Ils ont fait l’histoire sans le savoir, alors même qu’ils en sont acteurs.

En allant de date en date, ne risque-t-on pas de perdre une cohérence que les tenants du roman national peuvent revendiquer ?

L’histoire savante s’inquiète toujours d’être en retard par rapport à une puissance narrative qui serait du côté de la réaction, et qui lui conférerait à la fois intelligibilité et entrain. Evidemment, à mes yeux, l’histoire ne peut pas être une manière de nous rassurer sur nos identités, de nous conforter dans nos continuités. Au contraire, elle est l’art des discontinuités. Elle doit «défriser», déconcerter, sortir d’une linéarité supposément cohérente – au risque, parfois, de la désorientation. En préparant l’Histoire mondiale de la France, nous nous sommes souvent demandé : «Qu’est-ce que ça raconte au fond ?».

En fait, nous proposions une autre intelligibilité que celle du cours du temps. On recommence ailleurs, avec d’autres personnages, une autre histoire. Cela n’efface aucunement le plaisir. Dans le Dossier Vercingétorix, qui démonte toutes les idées reçues sur ce personnage, Christian Goudineau dit qu’il a beau savoir que la scène d’Astérix où Vercingétorix jette sur les pieds de César les armes de son triomphe est fausse, que c’est une invention des peintres pompiers, pour lui, cette scène ressemblera toujours à ça parce que l’enfant en lui est plus fort que l’historien qui en a démonté les limites.

Ne faut-il pas d’abord apprendre les bases de l’histoire, dans l’ordre chronologique pour ensuite les subvertir ?

Je suis partagé sur cette idée… J’aime le côté immédiat : se lancer, sauter dans l’histoire comme dans un train en marche. Quand il est parti en Chine, Marco Polo savait simplement que c’était très loin et très grand : pourquoi faudrait-il forcément en savoir mille fois plus pour s’embarquer avec lui ? Non, décidément, je ne crois pas qu’il faille «poser les bases d’abord».

Vous citez le procès de Socrate (-399), la Déclaration d’indépendance américaine (1776) ou le coup d’Etat au Chili (11 septembre 1973) comme autant d’héritages dont nous pouvons décider d’être redevables. Comment l’histoire peut-elle réarmer de nouveaux combats ?

Oui, nous héritons du passé. Mais loin de toute quête identitaire, il nous faut pluraliser ces héritages si nous voulons qu’ils nourrissent le présent. La libération de Nelson Mandela pourrait aussi rejoindre ces grandes dates dont nous sommes redevables… Voilà un homme qui a passé vingt-sept ans en prison, et porte une idée sublime dès ses premiers pas hors de sa geôle : «Telle était ma mission : libérer à la fois l’opprimé et l’oppresseur», écrit-il dans ses mémoires. Nous gagnerions à nous en souvenir dans tous les combats qui nous animent aujourd’hui, qu’ils soient sociaux, militaires, féministes, antiracistes, etc. : la libération n’est pas complète tant qu’on n’a pas libéré son oppresseur.

L’important, c’est aussi de ne pas s’en tenir aux récits glorieux : on hérite aussi de problèmes. C’est ce que l’historien Antoine Lilti [qui vient de rentrer au Collège de France, ndlr] rappelle : l’héritage des Lumières n’est pas un répertoire de slogans, c’est une collection de dilemmes. Prenez aussi le procès de Socrate. On aimerait que sous le soleil de l’été grec, soient nées en même temps la philosophie et la démocratie. Sauf que Socrate n’était peut-être pas un démocrate convaincu, et que la démocratie grecque s’est aussi fondée dans l’assassinat politique de ce philosophe.

Tout cela donne un début un peu boiteux à l’un de nos mythes fondateurs. Mais Ulysse aussi boitait, et c’est cela aussi notre héritage. C’est justement pour ça qu’il faut en prendre soin. Pour moi, l’histoire est tranquillement révolutionnaire : elle n’est pas émancipatrice par ses injonctions ou ses déclarations mais par sa pratique. Et ce n’est pas parce qu’on aura démontré que nos valeurs sont parfois conflictuelles, qu’on y tiendra moins, au contraire.

L’année 2022, c’est aussi les 60 ans des accords d’Evian

L’année a été intéressante pour les enjeux mémoriaux de la guerre d’Algérie, évidemment conflictuels, mais peut-être moins qu’on ne le craignait. C’est en partie le résultat d’un savoir universitaire qu’il faut saluer. Il y avait des historiens pionniers, il y a désormais toute une génération de chercheurs (Raphaëlle Branche, Sylvie Thénault, Malika Rahal, Karima Dirèche, Abderahmen Moumen et bien d’autres) qui nous interdisent aujourd’hui d’affirmer que «cette histoire n’a jamais été dite».

En revenant sur la fausse donation de Constantin, qui a permis à l’Eglise catholique d’asseoir son pouvoir dans l’Europe médiévale, vous rappelez qu’au fil du temps, nombreux sont ceux qui falsifient l’histoire ou effacent les traces de leurs actions. Un peu comme la Russie aujourd’hui.

J’essaie d’avoir un rapport à la fois attentif et distancié à l’histoire en train de se faire. Je veux garder le présent à l’œil, et si je mets en regard les événements du passé et ceux du présent, je n’insiste pas quand il y a un écho. Je ne suis pas un historien du 17 octobre 1961 ni un spécialiste d’Akhenaton, mais dans Quand l’histoire fait dates, j’ai essayé d’être l’historien du passage de l’un à un autre, autour de la question de l’effacement des traces. Il est étonnant de penser qu’Akhenaton est aujourd’hui l’un des pharaons les plus connus, alors que ses successeurs ont cherché à l’effacer totalement des mémoires.

L’historien Emmanuel Blanchard a montré que c’est précisément en tentant de cacher les preuves du massacre d’Algériens à Paris, le 17 octobre 1961, que l’Etat en a laissé d’autres… Il y a quelque chose de rassurant à voir qu’on n’effacera jamais les traces. «Rien n’est jamais perdu pour l’histoire», écrivait Walter Benjamin. L’historien n’est sans doute pas le mieux placé pour faire un diagnostic du présent, en revanche, il peut éclairer notre manière d’appréhender le présent en racontant d’autres histoires. L’histoire est l’art de se souvenir de ce dont on est capable, du pire comme du meilleur. L’émancipation que permet l’histoire se situe là.

Entre effondrement écologique et menace nucléaire, 2022 a été marquée par une peur de la fin du monde, comme l’an zéro qui n’est pas sans lien avec l’apocalypse, l’an mille, et bien sûr, Hiroshima.

Vous avez raison, il y en a bien plus que ce que je ne l’imaginais. Pour l’année 2022, je ne parierais pas sur une prise de conscience généralisée de la possibilité de l’extinction de l’espèce, mais peut-être d’une prise de conscience plus sourde que d’autres fins du monde sont possibles. La possibilité d’une apocalypse nucléaire qui est revenue en force en 2022, c’est pour moi le retour d’un souvenir d’enfance, presque une hantise.

Si on met aujourd’hui bout à bout le défi climatique, la reprise de l’épidémie de Covid, le retour de la guerre nucléaire, ça fait quand même beaucoup. Non seulement d’autres mondes sont possibles, mais d’autres fins du monde sont possibles aussi, et c’est avec tout cela qu’on doit faire.

Propos recueillis par Thibaut Sardier et Sonya Faure

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Marcel Proust, de l'art et du baron

10 Décembre 2022 , Rédigé par Liberation Publié dans #Art, #Litterature, #Culture

Proust et les arts : d'étoiles en étoiles - Thierry Laget - Hazan - Grand  format - Librairie Gallimard PARIS

Les asperges de Manet, les mariés en noir de Rembrandt, une baie de Turner… Thierry Laget recense les toiles vues par le romancier chez les amis, au Louvre, à l’étranger et qui irriguent l’œuvre.

Proust arrivait tard aux vernissages pour regarder les tableaux en paix : il préférait que les têtes, coiffées ou pas, ne s’interposent pas entre lui et eux. Invité chez les Rothschild, il sait qu’il y verra deux Rembrandt représentant un homme et une femme en noir sur fond noir, l’un et l’autre enveloppés d’une minutieux col de dentelles : Portrait de Maerten Soolmans et Portrait d’Oopjen Coppit. «J’ai adoré ces tableaux du jour où j’en ai vu les photographies, écrit-il, mais j’avais aussi vu les têtes du baron et de la baronne Gustave de Rothschild, et cette association de ces beaux Rembrandt avec les têtes du baron et de la baronne, je trouvais ça horrible. Alors j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai écrit à la baronne que j’aimerais voir ses Rembrandt un jour où ni elle ni son mari ne seraient là.» Elle accepte. Profiter des trésors des grands collectionneurs sans avoir à supporter leur présence, voilà un rêve d’esthète que la baronne a dû comprendre, mais l’historiette n’est pas qu’anecdotique : dans son travail, Proust ne cesse de confronter la réalité à l’art pour mieux en percevoir la profondeur et la transfigurer. La réalité, ce sont ces têtes encombrantes, ces têtes qui réapparaissent dans la Recherche, ressuscitées et métamorphosées par de perpétuelles explorations et hybridations artistiquesElles ont besoin de Rembrandt comme Rembrandt a besoin d’elles pour finir dans l’apothéose du roman.

Proust et les arts, le livre de Thierry Laget, écrivain et grand spécialiste de Proust, reproduit en beauté les deux Rembrandt en vis-à-vis du texte, de même qu’il reproduit chacune des œuvres qui jalonnent et déterminent son enquête sur cette odyssée : le voyage de Marcel parmi les œuvres d’art sur le chemin qui, tel Ulysse, le conduit du temps perdu au temps retrouvé. Le surtitre, «D’étoiles en étoiles», fait songer à la Nuit étoilée de Van Gogh : pour pénétrer la réalité du monde, il faut entrer dans la nuit qui enveloppe nos habitudes, notre conscience, en se guidant des étoiles. Chez Proust, ces étoiles sont artistiques. Thierry Laget rappelle que la visite d’une exposition Whistler, en 1905, éclaire les premiers pas dans la Recherche. Une première ébauche de Françoise, la domestique de la famille du narrateur, fait directement référence à ce tableau. Elle «n’avait guère qu’une robe et un bonnet et quelque vieux manteau ou vieux chapeau à Maman qui n’avait jamais été joli et qui était complètement usé», mais «en les portant elle leur communiquait autant de style et de grandeur que Whistler en les peignant à la coiffe de sa mère ou à la robe de chambre de Carlyle». Françoise, ajoute-t-il, remplaçait parfois son bonnet «par des dentelles noires, peut-être pas précieuses en tant que dentelles mais qui prenaient sur ses cheveux gris la beauté qu’elles auraient eue dans un Chardin». Les portraits de Carlyle et de la mère de l’artiste sont reproduits, en pleine page, de même que, plus loin, des Chardin. On peut ainsi voir ce que Proust voyait et ce qu’il en a fait. Si la beauté du monde est dans le regard de l’artiste, celle des œuvres est dans le regard de l’écrivain.

«Superposition d’une infinité de tableaux réels»

Le livre recense et analyse d’abord les tableaux et les sculptures que le jeune Proust pouvait voir chez lui et chez les amis de sa famille, puis, élargissant le cercle, ce qu’il a vu au Louvre, dans les expositions parisiennes, chez les collectionneurs, puis dans ses voyages en Bretagne, en Hollande, à Chartres, à Amiens, à Venise, enfin, ce qu’il a pu voir et comprendre de l’art moderne (assez peu directement, mais plus qu’on ne le croit, et il a connu et finalement apprécié Picasso). On dirait une abeille mondaine et obstinée («Cet œil de la foi qu’est le snobisme», dit-il). Butinant tous azimuts et sélectionnant peu à peu, le génial insecte élargit et précise son champ d’action pour mieux préparer son miel. L’inventaire de Laget, d’une savante clarté, est guidé par le souci de comprendre l’évolution du regardeur et le travail de l’écrivain. Cela conduit finalement à Elstir, le peintre de la Recherche. Tout a été dit sur les artistes qui l’ont inspiré (sans le limiter), sur le fait que son œuvre est la «superposition d’une infinité de tableaux réels». Ici, accompagné par Proust, on les voit. Son nom est l’anagramme des six dernières lettres de Whistler, comme si la création romanesque prenait, grâce à la Recherche, le relais de la création picturale ; mais Elstir rappelle aussi et tour à tour Gustave Moreau, les japonistes, Corot, Chardin, Manet. La célèbre botte d’asperges de celui-ci devient, peinte par l’artiste imaginaire, une botte de radis. M. de Norpois, cette vieille boussole qui indique le sud, n’y voit qu’une «vive pochade», le narrateur la trouve admirable. C’est que le regard n’en finit jamais avec le radis, l’asperge, les pommes, les restes d’un repas, les grands fonds des natures mortes. L’une des leçons d’Elstir, qui est aussi celle de Proust, est qu’il «n’est de légitimité que dans le réel». Encore faut-il savoir le regarder et, par la grâce de la métaphore, donner au style qui le réverbère «une sorte d’éternité». On peut alors répondre à Norpois ce que Proust écrit à propos d’une église, et qui résume sa conception de l’art : «Un clocher, s’il est insaisissable pendant des jours, a plus de valeur qu’une théorie complète du Monde.»

Dans l’enfance et la jeunesse de Proust, écrit Thierry Laget, «les chefs-d’œuvre sont regroupés autour de lui, à vingt minutes de marche. Pour voir ce qu’il pouvait admirer dans les salons de deux ou trois arrondissements parisiens, l’amateur du XXIème siècle doit parcourir des centaines de milliers de kilomètres.» Le privilège ne s’oppose pas à l’empreinte carbone, ni la vie mondaine aux passions artistiques. Il peut ainsi voir, chez les Polignac, Un champ de tulipes près de Haarlem de MonetLe prince l’avait convoité dans une vente avant son mariage, mais, dit-il, «quelle rage ! ce tableau me fut enlevé par une Américaine dont je vouai le nom à l’exécration. Quelques années plus tard, j’épousais l’Américaine et j’entrais en possession du tableau !» C’est l’héritière des machines à coudre Singer.

«M. Groult» achète en gros

Proust s’arrange toujours pour se faire inviter là où sont les œuvres qu’il veut voir. Chez Camille Groult, qui a fait fortune dans le commerce des pâtes et des farines, il découvre des tas de Watteau et «le Louvre de la peinture anglaise (notre Louvre, hélas ! en contient si peu !)», mais «si M. Groult m’invitait tous les jours à voir ses Turner (il l’a fait du reste), comme je ne quitte plus mon lit, je ne pourrais en profiter». Une particularité de «M. Groult» est qu’il achète «en gros» et qu’on lui refile souvent des «couchers de soleil qui ne s’étaient pas tous levés sur leur signataire». Il n’est pas dupe et, quand un autre collectionneur lui montre ses propres Turner, il lui dit : «Ils sont bien, mais les plus beaux sont les faux.» Sur une double page est reproduit Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain, un Turner doré et fantomatique peint vers 1835. La vie a fondu dans l’étoffe brumeuse des couleurs comme dans une forge installée non pas aux enfers, mais quelque part entre ciel et terre. Proust l’a vu chez le collectionneur. Il est désormais au Louvre.

Proust, qui écrit son premier article artistique à 19 ans en le signant «Brabant», va très souvent au Louvre. Il est à son époque désert, surtout le matin. Le futur écrivain a commencé par se rêver en directeur de musée ou en inspecteur général des monuments historiques, genre Prosper Mérimée, un boulot tranquille qui lui permettrait d’écrire. Pour lui, «les musées sont des maisons qui abritent seulement des pensées». Thierry Laget recense quelques merveilleux témoignages sur ses visites. Lucien Daudet se rappelle «de longues stations devant les deux “Philosophes” de Rembrandt, […], son admiration pour Fra Angelico, dont il appelait les roses et les jaunes des “couleurs crémeuses et comestibles” ; sa connaissance parfaite de tous les passages des Ecritures transposés par le peintre». En vis-à-vis, sur une page, Couronnement de la Vierge, peint vers 1434-1435. Cocteau résume le sentiment de ceux qui l’ont accompagné : «Proust avait l’air d’une lampe allumée en plein jour, d’une sonnerie de téléphone dans une maison vide.»

Analyses par spectométrie

Cette lampe permet de voir ce que, sans elle, on ne voit pas. L’historiette des Rembrandt des Rothschild en fait foi. Aujourd’hui, le premier tableau se trouve à Amsterdam, le second, à Paris. Dans une esquisse du Temps retrouvé, Proust installe l’un chez la princesse de Guermantes. Face à lui, le narrateur rêve de voir l’autre, «le portrait cruellement divorcé de celui-ci de la grande femme en noir, debout les yeux en amandes fixés au-delà de la fenêtre». La critique a longtemps débattu pour savoir si ces deux tableaux étaient contemporains. Thierry Laget précise qu’il a fallu attendre 2018, et des analyses par spectométrie, pour découvrir qu’ils avaient non seulement été peints la même année, en 1634, mais qu’ils «avaient été sur une même toile, découpée après coup. Le regard de Proust, aussi pénétrant que les rayons X, avait deviné que ces portraits avaient été “cruellement divorcé(s)”».

Philippe Lançon

Thierry Laget, D’étoiles en étoiles, Proust et les arts, Hazan, 280 pp, 170 illustrations, 120€.

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