
EXTRAITS
Le gouvernement, qui a annoncé le relèvement du protocole sanitaire au niveau 3, veut maintenir le plus possible les classes ouvertes. La communauté éducative s’interroge sur la faisabilité de cette stratégie.
« La priorité reste et restera de préserver l’éducation de nos enfants » : l’engagement pris par le premier ministre, Jean Castex, lundi 6 décembre au soir, au terme d’une conférence de presse lui permettant de décliner la réponse du gouvernement face à la cinquième vague de Covid-19, a suscité des réactions contrastées au sein de la communauté éducative.
Avec, d’un côté, des parents d’élèves plutôt satisfaits que les écoles restent ouvertes et que les vacances scolaires ne soient pas anticipées – une piste écartée, lundi matin, en conseil de défense. Et de l’autre, des enseignants contraints de mettre en œuvre un énième changement de protocole dans le premier degré. Et même, coup sur coup, deux changements : alors que depuis ce même lundi, les classes du primaire ne ferment plus au premier cas de Covid-19 déclaré, pour pousser au dépistage systématique des écoliers (et à l’éviction des seuls cas positifs), elles basculeront, à compter du mercredi 9 décembre, du 2e au 3e échelon d’un protocole sanitaire pensé sur quatre niveaux.
Concrètement, le « serrage de vis » annoncé par le gouvernement est relatif – et insuffisant, aux dires des syndicats d’enseignants : il se limite pour l’essentiel à l’obligation du port du masque en extérieur (dans la cour de récréation), à de nouvelles restrictions durant les cours de sport (sans activités « de contact »), ainsi qu’à la cantine (en lien avec les collectivités).
Pas de changement, en revanche, dans les collèges et lycées, qui redoutaient de devoir rebasculer vers un enseignement « hybride ». Mais en primaire, l’éducation nationale pousse un peu plus avant sa stratégie : face à la hausse du taux d’incidence chez les 6-10 ans, qui dépasse désormais 900 cas pour 100 000 au sein d’une classe d’âge non vaccinée, elle entend garder les écoles – et désormais aussi les classes – ouvertes. « C’est notre boussole », a défendu le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, sur RTL mardi 7 décembre.
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Sur le papier, le dernier bilan épidémiologique communiqué par le ministère de l’éducation nationale fait bien état, début décembre, d’un nombre de classes fermées divisé par deux : elles sont repassées sous la barre des 5 000, vendredi 3 décembre, après avoir frôlé les 9 000 une semaine plus tôt. Mais, dans le même temps, le recensement d’élèves déclarés positifs s’est envolé au-delà de 33 000. Une « explosion » ? Sur RTL mardi matin, M. Blanquer a récusé l’expression : « Ce qui a explosé, c’est le nombre d’enfants testés, a-t-il avancé. Avant les vacances de la Toussaint, il y avait trois fois moins de tests pour les enfants que pour les adultes. » C’est l’inverse aujourd’hui, a-t-il assuré.
Les directrices et directeurs d’école n’ont pas attendu cette hausse pour intégrer la préconisation du dépistage – et, parfois, le geste lui-même – dans leur quotidien : cela fait plusieurs mois que M. Blanquer l’a érigé en élément central de la stratégie sanitaire dans les écoles, bien que sur les 600 000 tests hebdomadaires promis, rarement plus de 300 000 parviennent à être réalisés. Ils n’étaient même que 228 000 la semaine dernière, de source ministérielle.
Les résistances du côté des familles n’expliquent pas tout. Cette stratégie repose sur une étroite coordination entre tous les acteurs : école, parents mais aussi laboratoires, qui apportent les kits salivaires (des tubes dans lesquels cracher) à l’école, viennent les rechercher, réalisent les tests et adressent les résultats aux familles.
« Ici, ce n’est pas Paris, s’agace Laurence (elle a requis l’anonymat), directrice d’un groupe scolaire dans l’ouest de la France. On n’a pas de kits en stock. La pharmacie du coin n’a jamais pris d’enfants en charge, et le premier laboratoire est à 20 kilomètres. Tenir dans ces conditions jusqu’à Noël, ça va être du sport ! »
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Dans les cercles scientifiques, une question circule : pourquoi l’éducation nationale a-t-elle choisi de généraliser ce protocole de dépistage en primaire, et pas un autre ? En cela, elle n’a pas suivi les recommandations du conseil scientifique et du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale. Dans un avis commun du 13 septembre, les deux instances préconisaient de réserver la stratégie de dépistage réactif aux collèges et aux lycées.
Pour les écoles primaires, en revanche, elles en défendaient une autre, dite « itérative ». En clair, il s’agit de proposer un dépistage hebdomadaire en milieu scolaire, sans attendre qu’un enfant ait été détecté positif. Seuls les écoliers contaminés sont alors renvoyés chez eux. Cette façon de faire présente un atout : chez les moins de 10 ans, les cas asymptomatiques sont très fréquents, ce qui justifie de réitérer les tests chez le plus grand nombre.
Les travaux de modélisation, notamment ceux menés par l’équipe de Vittoria Colizza à l’Inserm, ont montré l’intérêt d’un dépistage hebdomadaire systématique en primaire : il ferait chuter de 30 % le nombre de cas par rapport à une stratégie fondée sur le diagnostic des cas symptomatiques, suivi de la fermeture de la classe.
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« En s’enfermant dans l’idée qu’il n’y avait pas de problème de circulation du virus à l’école, on a négligé tous les moyens de freiner sa diffusion », reprend l’épidémiologiste Mahmoud Zureik. Il aurait fallu en particulier, dit-il, « des investissements massifs pour adapter les cantines et les systèmes de ventilation et d’aération ». A ce sujet, la communauté éducative attend aussi un état des lieux.
Mattea Battaglia et Florence Rosier