Les trajectoires scolaires des jeunes des quartiers populaires, entre parcours d’obstacles et aspirations à la réussite
Quel est le rapport des jeunes de quartiers populaires à l’école ? Comment ces personnes racontent-elles leur orientation scolaire quand les difficultés économiques limitent le champ des possibles ? Que signifie à leurs yeux « réussir », et quel rôle leur scolarité joue-t-elle dans cette trajectoire ? Ce sont des questions que nous avons documentées au cours de la recherche participative Pop-Part (2017-2022), qui portait plus largement sur les pratiques et les représentations des jeunes de quartiers populaires dans dix villes franciliennes.
L’analyse des données recueillies lors d’entretiens semi-directifs conduits dans deux de ces villes, Corbeil-Essonnes (11 entretiens) et Pantin (13 entretiens) nous aide à comprendre comment ces jeunes font face de manière très diversifiée à l’injonction actuelle d’être « entrepreneur de soi-même », dans le contexte de la « nouvelle école capitaliste ». Cette méthode nous permet de tenir compte à la fois de leurs trajectoires objectives, mais aussi de la manière dont elles nous sont présentées en entretien.
Orientations subies et stratégies
Certaines des personnes interrogées insistent sur leurs difficultés, leurs incertitudes, les contraintes qui pèsent sur elles (injustices, discriminations, orientations subies…). D’autres se montrent très sûres d’elles, racontent comment elles ont développé des stratégies pour passer avec succès les étapes leur permettant de « réussir » leurs études (en évitant des établissements aux faibles taux de réussite ou à la mauvaise réputation, en faisant des choix d’orientations dans des secteurs vus comme favorables à l’insertion professionnelle…).
Par exemple, alors que l’un (Mathieu, 23 ans, Pantin) se raconte comme un « homme d’affaires », qui maîtrise sa trajectoire et met tout en œuvre pour, in fine, vivre de sa passion, la photo, une autre (Chaïma, 21 ans, Corbeil-Essonnes) relate son orientation subie, l’arrêt de ses études pour aider financièrement sa famille, et évoque longuement les discriminations liées au port du voile au lycée puis dans le monde professionnel.
Ces variations s’expliquent par la diversité de la jeunesse des quartiers populaires, constituée d’individus aux positions sociales hétérogènes, du point de vue de l’âge, du genre, des situations économiques et familiales, mais aussi du parcours migratoire et de la religion. Elles révèlent le clivage entre les classes populaires stabilisées par l’emploi, et celles plus précaires aux situations parentales marquées par le handicap, les maladies professionnelles, le chômage, les séparations des parents, etc.
Alors que ces jeunes partagent une expérience commune des inégalités et de la stigmatisation (territoriale, raciale, religieuse…), elles et ils font ainsi preuve d’une plus ou moins grande capacité à réinterpréter les contraintes en opportunité pour se sentir et se dire maîtres ou maîtresses de leur trajectoire et, partant, pour se conformer à ce que le système scolaire attend des élèves.
Un parcours d’obstacles
Venir de la classe populaire, habiter un quartier populaire, être racisée ou racisé, mais aussi, pour certaines, être une femme, constituent autant de stigmates qui impliquent pour les personnes qui en sont porteuses de montrer qu’elles sont en capacité de « s’en sortir malgré tout ».
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Si le poids de ces stigmates n’est pas également mis en avant dans les récits recueillis, il apparaît systématiquement, comme une toile de fond qui conditionne le rapport à la scolarité. Qu’elles soient racontées sur le mode de la maîtrise ou en soulignant leur caractère subi, les trajectoires ont dès lors en commun de ressembler à un parcours d’obstacles.
Certains jeunes subissent leurs trajectoires et les présentent comme telles, en mettant notamment en scène l’opposition entre leur volonté individuelle et la volonté de l’institution scolaire. D’autres ont dû faire face à de multiples reprises à des orientations subies, mais ne les présentent pas de cette façon et soulignent, par exemple, l’intérêt des filières professionnelles ou celui des affectations APB ou Parcoursup. D’autres enfin racontent les grands plans d’orientation mis en œuvre et l’énergie débordante déployée pour développer des tactiques ou des stratégies scolaires leur permettant de naviguer contre les itinéraires scolaires auxquels elles et ils étaient a priori destinés au vu de leurs caractéristiques sociales.
Un obstacle majeur que l’on aurait pu attendre, celui des conditions matérielles (logement, mobilités, ressources économiques), est le plus souvent masqué dans les récits. On peut interpréter comme de la pudeur, la discrétion à ce sujet étant commune aux réponses tout au long de la recherche. On peut y lire aussi la volonté de ne pas se présenter comme victime mais plutôt comme actrice ou acteur de sa trajectoire. Or, ces trajectoires sont marquées par une précarité économique plus ou moins forte, qui limite l’espace des possibles scolaires et professionnels.
Définir la réussite
La scolarité apparaît pour toutes les personnes interrogées comme un passage obligé, qui sera considéré comme réussi dans la mesure où il leur aura permis d’accéder à l’avenir rêvé.
Dans leurs discours, le plaisir et l’intérêt viennent après, une fois les bancs de l’école derrière elles. La réussite se caractérise alors par une vie libérée des contraintes institutionnelles auxquelles elles ont dû faire face durant leur scolarité. Si l’avenir idéal est décrit différemment suivant les positions sociales des jeunes, des traits communs apparaissent. Ainsi, le triptyque famille -logement-travail constitue un socle commun des critères de réussite, même si les contours (nombre d’enfants, type de logement, nature du travail) varient.
Boubacar (23 ans, résidant à Corbeil-Essonnes) place par exemple ce triptyque – « travailler […] prend(re) (s)on appartement […] fai(re) sa vie avec (s)a femme » – comme horizon pour sortir de sa condition actuelle, pour « se sortir de là ». Oumy (20 ans, résidant à Corbeil-Essonnes) a une vision plus précise de son idéal, qui repose néanmoins sur cette même base : « ouvrir ma propre entreprise dans un quartier ou un (autre) pays », être « quelqu’un qui se fait respecter […] qui a eu un lourd passé au niveau travail et qui s’en sort », « mariée avec trois enfants maximum ».
À l’instar des projets d’Oumy, monter son entreprise est souvent présenté comme un horizon libérateur, permettant de choisir le domaine dans lequel on travaille, la manière dont on organise son travail et le lieu où l’on travaille. Une telle projection dans l’entrepreneuriat permet de déconstruire une lecture fataliste, dans laquelle la trajectoire serait tracée d’avance par des mécanismes de domination socio-économiques, et d’ouvrir des possibles.
Dans tous les cas, l’enjeu n’est pas alors d’abord de correspondre aux critères dominants de la réussite sociale, mais d’être bien, de ne pas avoir à renier ses convictions, d’avoir choisi sa situation, même si elle ne correspond pas à une trajectoire d’ascension sociale ou n’est que faiblement désirable socialement.
Les récits des jeunes de quartiers populaires enquêtés montrent ainsi combien la négociation avec les normes sociales de « réussite » professionnelle ou familiale se construit au singulier et au quotidien. Cette négociation interroge les formes de requalifications (matérielles et symboliques) dans les quartiers populaires, parfois paradoxales dans leur relatif ajustement aux discours dominants sur la réussite individuelle.
Ce texte a été rédigé par Jeanne Demoulin et Leïla Frouillou avec le Collectif Pop-Part.
Jeanne Demoulin, Maîtresse de conférences en sciences de l'éducation, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et Leila Frouillou, Maîtresse de conférences en sociologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Coup de coeur... Emanuele Trevi...
J'ai une certitude : pendant que j'écris et tant que je continuerai à écrire ces lignes, Pia est ici, sa présence est aussi encombrante que la table à laquelle je suis assis, ou que la lampe. Mais quand je pense à Pia, il n'y a que moi qui pense à elle, elle est entièrement dans ma tête, et seule l'absence répond à l'autre bout du fil. Lorsque je rêve d'elle, c'est la même chose, c'est une autre partie de mon moi qui crée sa propre Pia. J'en déduis que l'écriture est un moyen singulièrement approprié pour évoquer les morts et je conseille à tous ceux qui ont la nostalgie d'un être cher de s'y exercer : ne pas penser à lui mais composer un écrit à son sujet ; on le constate vite, le défunt est attiré par l'écriture, il trouve toujours un moyen inattendu de surgir dans les mots que nous lui consacrons, il se manifeste de sa propre initiative; ce n'est pas nous qui pensons à lui, c'est vraiment lui, une fois pour toutes.
Emanuele Trevi - Deux vies
La politique de dédoublement des CP et CE1 de l’éducation prioritaire ? Des effets modérés, voire nuls...
EXTRAIT
La politique de dédoublement des CP et CE1 de l’éducation prioritaire a exercé des effets modérés, voire nuls, sur la progression scolaire des élèves. Une autre limite de cette politique tient au fait qu’elle concerne moins de 15 % des élèves en difficulté scolaire scolarisés à l’école élémentaire.
Au cours du quinquennat d’Emmanuel Macron, le système éducatif a connu des transformations profondes avec les réformes du lycée et du baccalauréat, la mise en place de Parcoursup (Bodin, Orange, 2019 ; Frouillou et alli, 2020 ; Tiberj, 2021), le bouleversement de la formation des maîtres (Merle, 2019), la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 de l’éducation prioritaire, etc.
Plusieurs bilans sont déjà disponibles tel celui réalisé par l’Institut Montaigne (Institut Montaigne, 2021). Son intérêt est limité. Il reprend souvent les évaluations élogieuses réalisées par le ministère lui-même. Certains bilans ont une approche strictement quantitative. Ainsi, l’École Supérieure de Journalisme (ESJ) de Lille a réalisé un Macromètre. Cette exhaustivité a l’intérêt de montrer la part des promesses tenues. Toutefois, la question centrale n’est pas seulement de savoir si les promesses ont été tenues, mais d’analyser leurs effets.
Il en est ainsi de la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 en REP (Réseau d’Éducation Prioritaire) et REP+, promesse électorale du président Macron mise en œuvre dès la rentrée scolaire 2017. Cette politique éducative, considérée dans le discours du ministre Blanquer comme une mesure de justice sociale, voire « la mesure la plus sociale que vous pouvez imaginer », est une forme de discrimination positive, comparable à la politique d’éducation prioritaire mise en place en 1981. L’objectif poursuivi est de « donner plus à ceux qui ont moins », en l’occurrence aux écoliers, souvent d’origine populaire et en difficulté scolaire, scolarisés dans les classes des REP et REP+. Quel est le bilan de cette politique éducative ? Est-il pertinent de la poursuivre ?
(...)
Pierre Merle
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Le dédoublement des classes de CP et CE1 : quel bilan ?
La politique de dédoublement des CP et CE1 de l'éducation prioritaire a exercé des effets modérés, voire nuls, sur la progression scolaire des élèves. Une autre limite de cette politique tie...
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Architecture scolaire : bien-être des élèves... et des enseignants
Architecture scolaire : un besoin de modernisation et de modularité
"Pour la majorité des collèges et lycées, l’aménagement des espaces participe à créer un environnement propice au travail, mais ce n’est pas toujours le cas. Les collèges et lycées sont très nombreux à être interpellés sur la température, la luminosité et l’insonorisation des salles. Beaucoup d’établissements déclarent ne pas avoir suffisamment de sanitaires et être interpellés pour des dégradations et des difficultés d’approvisionnement en produits hygiéniques (papier, savon…). Dans l’établissement, en règle générale, les élèves disposent d’espaces réservés au travail en autonomie, d’espaces de détente et de lieux d’expression réservés. Les enseignants disposent de peu d’espaces réservés à la collaboration et, souvent, le mobilier est peu adapté à la pédagogie différenciée."/Cnesco
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Architecture scolaire - Cnesco
Pour la majorité des collèges et lycées, l'aménagement des espaces participe à créer un environnement propice au travail, mais ce n'est pas toujours le cas. Les collèges et lycées sont trè...
https://www.cnesco.fr/qualite-vie-ecole/architecture-scolaire/
Retraite - La jeunesse aux avant-poste de la contestation

La réforme des retraites est l’un des enjeux majeurs du second quinquennat d’Emmanuel Macron, qui aspire à être le président qui réglera un dossier ouvert dès le début des années 1990. Lors de la campagne présidentielle de 2022, il s’était d’ailleurs engagé à faire aboutir une réforme dont il avait dû reporter l’adoption début 2020, sous la double pression de la rue et de la crise Covid.
Il s’engage ainsi dans un bras de fer avec les organisations syndicales, dont la mobilisation commence le jeudi 19 janvier 2023 par un appel intersyndical à la manifestation et à la grève.
Si le souvenir du mouvement de novembre-décembre 1995 contre le « plan Juppé » est dans tous les esprits, le contexte politique et social a radicalement changé et contribue à modifier le rapport de forces entre le pouvoir et la rue.
Les grandes manifestations de 1995 constituent un tournant dans l’histoire des mobilisations sociales en France. Jusqu’alors, les grands mouvements sociaux visaient à obtenir des acquis sociaux, comme en mai-juin 1936, voire à défendre l’utopie d’une nouvelle société, comme en mai 1968.
À partir des années 1970, la crise économique, l’attention portée par les gouvernements successifs à la question sociale, la montée de l’individualisme, le déclin du communisme et la dilution de l’identité ouvrière affaiblissent les mouvements revendicatifs.
La jeunesse aux avant-poste de la contestation
Les organisations syndicales adoptent alors une position plus défensive. De fait, c’est plutôt la jeunesse lycéenne et étudiante qui est promue aux avant-poste de la contestation, en 1973 contre la loi Debré), en 1986 contre la loi Devaquet réformant l’Université ou encore en 1994 contre le Contrat d’insertion professionnelle proposé par le gouvernement d’Édouard Balladur et présenté comme un « smic jeunes ». À chaque fois, le pouvoir est contraint d’abandonner son projet de réforme.
Le même Édouard Balladur avait fait adopter une première réforme des retraites, en juillet 1993, sans susciter de contestation frontale. Il avait, il est vrai, pris de multiples précautions : la réforme a été présentée dans la foulée de la très large victoire de la droite aux législatives de 1993, en plein milieu de l’été ; elle s’appuyait sur les recommandations du Livre blanc sur les retraites qui, publié deux ans plus tôt, a suscité une première prise de conscience collective de la nécessité d’une réforme ; elle concernait les seuls salariés du secteur privé.
Deux ans plus tard, le Premier ministre Alain Juppé adopte une tout autre méthode pour présenter sa réforme, qui étend aux salariés du secteur public les dispositions de la loi de 1993. Comme son prédécesseur, il pensait sans doute profiter de l’état de grâce dont bénéficie traditionnellement un gouvernement en début de mandat, après l’élection présidentielle gagnée en mai 1995 par Jacques Chirac.
Mais cette réforme semble en décalage par rapport à la campagne du candidat Chirac, centrée sur la « fracture sociale ». L’annonce du plan Juppé confirme ainsi, aux yeux de l’opinion, un changement de discours opéré dès la fin de l’été 1995 : la priorité est désormais à la réduction des déficits publics.
Front commun à gauche
À la réforme des retraites s’ajoutent à l’époque une réforme de l’assurance maladie, le blocage du montant de certaines prestations sociales et l’annonce d’un plan de rigueur à la SNCF. Cette accumulation sonne comme une provocation pour les organisations syndicales, mais aussi pour une majorité de l’opinion publique qui soutient la contestation. Un mouvement de grève touche l’ensemble du secteur public – notamment le transport –, scandé par six grandes journées nationales de mobilisation dont la dernière, le 12 décembre, regroupe près de 2 millions de personnes selon les syndicats.
Jamais, depuis mai 68, un mouvement social n’avait mobilisé autant de salariés sur une durée aussi longue : un mois.
L’opposition de gauche, jusqu’alors désarçonnée par la fin du mitterrandisme, voit là une occasion inespérée de reprendre l’offensive. Les intellectuels se déchirent entre ceux qui, derrière Pierre Bourdieu, dénoncent l’avènement d’un néo-libéralisme défendu par la noblesse d’État et ceux qui, derrière l’historien et syndicaliste Jacques Julliard, voient dans ces manifestations le symptôme d’une stérile « mélancolie sociale ».
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Cette épreuve de force tourne à l’avantage de la rue, qui bénéficie du soutien de l’opinion – à tel point que les médias ont pu parler de « grève par procuration ». Le 15 décembre 1995, Alain Juppé en prend acte et retire le projet de réforme des retraites. Cet échec affaiblit l’exécutif dès le début du septennat. Il peut d’ailleurs être considéré comme l’un des facteurs de la défaite électorale de la droite aux législatives provoquées par la dissolution de l’Assemblée nationale de 1997.
Prudence politique
Comme le souvenir de Mai 68 a alimenté, au sein de la classe politique, une véritable phobie des mouvements étudiants, la grève de 1995 et l’échec du plan Juppé ont accrédité l’idée que la réforme des retraites présentait de hauts risques politiques. C’est sans doute ce qui explique l’extrême prudence avec laquelle les gouvernements successifs abordent désormais le sujet.
En 2003, toujours sous la présidence Chirac, c’est significativement le ministre des Affaires sociales, François Fillon, et non le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, qui porte une réforme des retraites tout en se gardant bien de toucher aux régimes spéciaux. Il fait alors face à un important mouvement de grève, qui parvient à mobiliser près d’1 million de personnes. Mais les organisations syndicales ne sont pas soutenues, comme en 1995, par l’opinion publique – et Fillon peut donc faire voter sa réforme.
À l’automne 2007, quelques mois seulement après son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy présente un projet portant à 40 annuités également la durée de cotisation pour les bénéficiaires des régimes spéciaux. C’était d’ailleurs l’une de ses promesses de campagne. Mais, face à un mouvement social particulièrement suivi dans les transports et à EDF, il laisse à son ministre du Travail, Xavier Bertrand, une grande latitude pour négocier des compensations qui font dire à certains économistes que cette réforme est l’une des « réformes ratées du président Sarkozy ».
Affirmer la prépondérance du pouvoir sur la rue
L’impact réel de la réforme importe peu, il s’agit avant tout de donner l’impression du changement et d’affirmer symboliquement la prépondérance du pouvoir du politique sur celui de la rue. Il s’agissait là, pour le nouveau président, d’un enjeu important : dix-huit mois auparavant, en avril 2006, le gouvernement Villepin n’avait-il pas été contraint de retirer son projet de « Contrat première embauche », suite à un mouvement étudiant de grande ampleur, soutenu par une partie des organisations de salariés qui y voyaient une attaque contre le droit du travail ?
Même symbolique, cette victoire du politique permet aux gouvernements successifs d’imposer leurs projets de réforme, face à des mobilisations sociales qui tendent à se multiplier, à se radicaliser et à échapper parfois au contrôle des organisations syndicales – comme l’a montré le mouvement « Nuit debout », en marge de la mobilisation contre la « loi Travail » de 2016 ou encore la contestation des « gilets jaunes », à l’automne 2018.
Un test majeur pour Emmanuel Macron
En 2010, la réforme portée par Eric Woerth est adoptée, en dépit d’une mobilisation qui fait descendre plus d’un million de personnes dans la rue. En 2016 puis 2017, les présidents Hollande puis Macron passent outre la contestation sociale et n’hésitent pas à recourir à l’article 49.3 comme aux ordonnances pour assouplir la réglementation du travail.
Et c’est avant tout la crise Covid, bien plus que la mobilisation de la rue, qui interrompt l’élaboration de la réforme des retraites, engagée à la fin de l’année 2020 par le gouvernement d’Édouard Philippe. Or, le bras de fer entre le pouvoir et la rue qui démarre le 19 janvier pourrait confirmer cette prépondérance du pouvoir sur la rue, d’autant que le gouvernement a pris soin, au préalable, de disposer d’une majorité parlementaire pour faire adopter cette nouvelle réforme, en négociant avec Les Républicains.
Au-delà de la question des retraites, Emmanuel Macron met en jeu sa capacité à affirmer sa légitimité face à des oppositions aux formes multiples. Il s’agit là d’un test majeur, dont l’issue influera forcément sur l’ensemble de son second mandat.
Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Retraites : comment la réforme incarne le bras de fer entre le pouvoir et la rue
La réforme des retraites est l'un des enjeux majeurs du second quinquennat d'Emmanuel Macron, qui aspire à être le président qui réglera un dossier ouvert dès le début des années 1990. Lors...
Coup de coeur... Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais...
Acte I - Scène 2
[…]
FIGARO. Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets à Chloris, que j'envoyais des énigmes aux journaux, qu'il courait des madrigaux de ma façon ; en un mot, quand il a su que j'étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique et m'a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l'amour des lettres est incompatible avec l'esprit des affaires.
LE COMTE. Puissamment raisonné ! Et tu ne lui fis pas représenter…
FIGARO. Je me crus trop heureux d'en être oublié, persuadé qu'un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.
LE COMTE. Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu'à mon service tu étais un assez mauvais sujet.
FIGARO. Eh ! mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défaut.
LE COMTE. Paresseux, dérangé…
FIGARO. Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ?
LE COMTE, riant. Pas mal ! Et tu t'es retiré en cette ville ?
FIGARO. Non, pas tout de suite.
LE COMTE, l'arrêtant. Un moment… J'ai cru que c'était elle…
Dis toujours, je t'entends de reste.
FIGARO. De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talents littéraires ; et le théâtre me parut un champ d'honneur…
LE COMTE. Ah ! miséricorde !
FIGARO. (Pendant sa réplique, le comte regarde avec attention du côté de la jalousie.) En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succès, car j'avais rempli le parterre des plus excellents travailleurs ; des mains… comme des battoirs ; j'avais interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds ; et d'honneur, avant la pièce, le café m'avait paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale…
LE COMTE. Ah ! la cabale ! monsieur l'auteur tombé !
FIGARO. Tout comme un autre ; pourquoi pas ? ils m'ont sifflé ; mais si jamais je puis les rassembler…
LE COMTE. L'ennui te vengera bien d'eux ?
FIGARO. Ah ! comme je leur en garde, morbleu !
LE COMTE. Tu jures ! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures, au Palais, pour maudire ses juges ?
FIGARO. On a vingt-quatre ans au théâtre ; la vie est trop courte pour user un pareil ressentiment.
LE COMTE. Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid.
FIGARO. C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maître. Voyant à Madrid que la république des lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait ; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d'argent ; à la fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid ; et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra-Morena, l'Andalousie, accueilli dans une ville, emprisonné dans l'autre, et partout supérieur aux événements : loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là ; aidant au bon temps, supportant le mauvais ; me moquant des sots, bravant les méchants ; riant de ma misère, et faisant la barbe à tout le monde, vous me voyez enfin établi dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira de m'ordonner.
LE COMTE. Qui t'a donné une philosophie aussi gaie ?
FIGARO. L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce côté ?
LE COMTE. Sauvons-nous.
FIGARO. Pourquoi ?
LE COMTE. Viens donc, malheureux ! tu me perds.
Ils se cachent.
Beaumarchais - Le Barbier de Séville - Acte I, scène 2 (extrait)
Examens : comment inciter les élèves à relire ce qu’ils écrivent
Malgré les avantages évidents de la relecture, les élèves sont en général réticents à reprendre les premières versions de leur travail, rechignant face à l’effort supplémentaire que cela leur demande. Ou alors, s’ils le font, ils se contentent de bâcler cette phase de révision.
La maîtrise de l’écrit se manifeste par une orthographe et une grammaire correctes, une présentation logique des idées et une utilisation appropriée des détails et des preuves. Or, trop de lycéens ont un niveau insuffisant de ce point de vue.
Apprendre à se relire est une compétence qui servira aux élèves de diverses manières. Les recherches montrent que, si l’écriture est un moyen efficace d’aider les élèves à retenir des informations dans différents domaines, l’étape de la révision les aide à développer une compréhension conceptuelle plus profonde du sujet sur lequel ils écrivent.
Différences de motivation
La relecture est également un élément essentiel pour les épreuves d’admission dans l’enseignement supérieur, quand l’écrit comporte un essai ou une dissertation. Mais au-delà du champ scolaire et étudiant, l’écriture joue aussi un rôle important dans le domaine professionnel. Les formes de communication numérique sont utilisées dans 80 % des emplois d’ouvriers et 93 % des postes d’employés. Se relire est essentiel pour être à l’aise avec les compétences requises dans un monde où le travail virtuel est de plus en plus courant.
Étant donné tous ces avantages, comment motiver les étudiants à investir le temps et les efforts nécessaires à une bonne relecture ? En tant que chercheuse spécialiste des questions de motivation, j’ai réalisé avec des collègues une étude en 2021 qui montre que tout se rapporte aux raisons qu’a un élève de bien écrire ;
Certains élèves veulent améliorer leurs compétences rédactionnelles tandis que d’autres s’inquiètent surtout de leurs performances par rapport à celles de leurs camarades. En gardant en tête ces différences de motivation, voici quelques pistes pour créer les conditions incitant les élèves à se relire et se corriger.
Donner confiance aux élèves
Réduire l’anxiété est un premier paramètre sur lequel on peut jouer. Cette émotion s’accompagne de pensées négatives et d’un malaise physique, ce qui peut diminuer la capacité des élèves à se concentrer quand ils écrivent. Elle peut aussi rendre les élèves réticents à relire ce qu’ils écrivent. Il est important que les étudiants acceptent qu’écrire demande des efforts qui peuvent générer une certaine anxiété, que ressentir cela n’a rien d’anormal. Créer un environnement de classe encourageant les élèves à demander de l’aide peut rassurer les élèves et les amener à améliorer leur écriture.
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Si les élèves ne considèrent pas l’écriture comme une activité utile sur le plan personnel, ils risquent de ne pas se sentir motivés pour relire leur travail. On peut donc privilégier les genres d’écriture qui les amènent à explorer leurs intérêts si on veut les motiver à bien écrire. Les recherches montrent que les expériences d’écriture agréables en classe incitent plus les élèves à reprendre leurs textes.
Les croyances des élèves quant à leur capacité à bien écrire peuvent aussi influencer leur tendance à se relire. L’un des moyens les plus efficaces de donner aux élèves confiance dans leurs compétences en la matière est de leur donner des occasions de réussite. Les élèves peuvent ressentir ces succès quand ils atteignent leurs objectifs, surmontent leurs réticences personnelles et reçoivent des retours positifs.
Les tâches d’écriture qui exigent plus de compétences que celles dont dispose actuellement un élève peuvent le faire douter de lui-même. Mais si ces exercices difficiles sont conçus pour s’appuyer sur des compétences déjà maîtrisées, ils peuvent au contraire lui donner plus d’assurance.
Des évaluations précises
Les recherches montrent que les étudiants qui se focalisent sur l’acquisition de connaissances et l’amélioration de leurs capacités d’écriture ont tendance à davantage se relire que les étudiants qui se comparent aux autres. Le fait de se concentrer sur l’un ou l’autre objectif est influencé par les messages directs ou indirects que les enseignants leur envoient. Les efforts des enseignants pour favoriser l’apprentissage sont particulièrement importants dans un contexte scolaire compétitif où les comparaisons sociales sont inévitables.
Les pratiques de correction qui vont au-delà de la simple notation sont efficaces pour réduire l’anxiété et encourager la relecture. Quand les élèves reçoivent des commentaires d’évaluation ciblés, cela peut les aider à comprendre dans quel sens se relire pour atteindre les objectifs scolaires.
Dans le cas d’exercices complexes, diviser la tâche en mini-tâches permet aux enseignants de faire un retour aux élèves à chacune des étapes avant que les élèves ne soumettent le devoir pour l’évaluation finale.
Narmada Paul, Clinical Assistant Professor in Educational Psychology, University of Kentucky
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Examens : comment inciter les élèves à relire ce qu'ils écrivent
Malgré les avantages évidents de la relecture, les élèves sont en général réticents à reprendre les premières versions de leur travail, rechignant face à l'effort supplémentaire que cela...
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