Coup de coeur... Joseph Kessel... La fontaine Médicis
Richard aborda Étienne de la façon la plus négligente, en rejetant avec affectation ses cheveux naturellement bouclés qu'il portait très longs et en désordre. Il s'aperçut alors, et en fut heureux, que son front arrivait au niveau de celui d'Étienne, et que ce dernier ne paraissait plus grand qu'à cause de sa minceur. Mais dès que Bernan, ayant écouté attentivement les questions de son camarade, commença de lui répondre, Richard ne s'occupa plus ni de ses préventions ni de ses attitudes. La voix sourde et pensive d'Étienne, la simplicité absolue de son langage, la façon un peu hésitante qu'il avait de parler, comme s'il cherchait avant tout une vérification, une approbation intérieure, firent sentir à Richard que ce garçon bien habillé, bien tenu, et au maintien distant n'avait aucun orgueil. Et Richard fut content d'oublier le sien. Il ne savait pas à quel point il avait besoin de naturel, et, se trouvant tout à coup heureux, attribua ce bonheur à Étienne. Soudain, ils se mirent à discuter sur les valeurs de la vie. Étienne eut son premier sourire, maladroit, difficile, comme si, venant des sources les plus profondes, il avait dû filtrer à travers beaucoup de résistances.
– Enfin, je trouve quelqu'un qui parle ma langue, s'écria-t-il. Vous savez ce que je veux dire, Dalleau. Les autres emploient les mêmes mots que nous. Mais ces mots, sauf pour l'usage le plus vulgaire, je ne les comprends jamais ainsi qu'ils le font. Ils perdent leur sens, leur poids, leur pouvoir.
– C'est vrai, absolument vrai, s'écria Richard. Combien de fois je l'ai senti sans y réfléchir. Bernan, vous êtes un grand type de m'avoir fait mettre le doigt dessus. Un grand type...
Dès lors, ils se virent chaque jour. Dans la grande cour de la Sorbonne, dans les galeries, le long des fresques de Puvis de Chavannes ou sous les arbres du Luxembourg, ils menaient des conversations sans fin ni mesure. Ils avaient ce besoin l'un de l'autre qui ne poursuit que les très jeunes hommes quand ils sentent la première amitié s'épanouir en eux comme une plante sacrée, quand leur commerce les aide à se révéler, et qu'ils assistent avec émerveillement à cette découverte.
A la Noël, Étienne remit un paquet assez volumineux à Richard en disant très vite :
– J'ai pensé que ce cadeau ne vous gênera pas à recevoir, et qu'il vous plaira. Je ne vous ai jamais parlé de ces bouquins, parce que... ça ne se raconte pas.
Le paquet contenait les principaux romans de Dostoïevski.
Joseph Kessel - la Fontaine Médicis
"Adolescentes" - Documentaire... Anaïs et Emma, de 13 à 18 ans... C'était il y a deux ans...
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Adolescentes | Film Complet | Documentaire | ARTE Cinema
Amies inséparables, Anaïs et Emma appartiennent à des milieux très différents et ont des caractères opposés. Adolescentes suit leur évolution, de l'âge de 13 à 18 ans, où les transformat...
Les trajectoires scolaires des jeunes des quartiers populaires, entre parcours d’obstacles et aspirations à la réussite
Quel est le rapport des jeunes de quartiers populaires à l’école ? Comment ces personnes racontent-elles leur orientation scolaire quand les difficultés économiques limitent le champ des possibles ? Que signifie à leurs yeux « réussir », et quel rôle leur scolarité joue-t-elle dans cette trajectoire ? Ce sont des questions que nous avons documentées au cours de la recherche participative Pop-Part (2017-2022), qui portait plus largement sur les pratiques et les représentations des jeunes de quartiers populaires dans dix villes franciliennes.
L’analyse des données recueillies lors d’entretiens semi-directifs conduits dans deux de ces villes, Corbeil-Essonnes (11 entretiens) et Pantin (13 entretiens) nous aide à comprendre comment ces jeunes font face de manière très diversifiée à l’injonction actuelle d’être « entrepreneur de soi-même », dans le contexte de la « nouvelle école capitaliste ». Cette méthode nous permet de tenir compte à la fois de leurs trajectoires objectives, mais aussi de la manière dont elles nous sont présentées en entretien.
Orientations subies et stratégies
Certaines des personnes interrogées insistent sur leurs difficultés, leurs incertitudes, les contraintes qui pèsent sur elles (injustices, discriminations, orientations subies…). D’autres se montrent très sûres d’elles, racontent comment elles ont développé des stratégies pour passer avec succès les étapes leur permettant de « réussir » leurs études (en évitant des établissements aux faibles taux de réussite ou à la mauvaise réputation, en faisant des choix d’orientations dans des secteurs vus comme favorables à l’insertion professionnelle…).
Par exemple, alors que l’un (Mathieu, 23 ans, Pantin) se raconte comme un « homme d’affaires », qui maîtrise sa trajectoire et met tout en œuvre pour, in fine, vivre de sa passion, la photo, une autre (Chaïma, 21 ans, Corbeil-Essonnes) relate son orientation subie, l’arrêt de ses études pour aider financièrement sa famille, et évoque longuement les discriminations liées au port du voile au lycée puis dans le monde professionnel.
Ces variations s’expliquent par la diversité de la jeunesse des quartiers populaires, constituée d’individus aux positions sociales hétérogènes, du point de vue de l’âge, du genre, des situations économiques et familiales, mais aussi du parcours migratoire et de la religion. Elles révèlent le clivage entre les classes populaires stabilisées par l’emploi, et celles plus précaires aux situations parentales marquées par le handicap, les maladies professionnelles, le chômage, les séparations des parents, etc.
Alors que ces jeunes partagent une expérience commune des inégalités et de la stigmatisation (territoriale, raciale, religieuse…), elles et ils font ainsi preuve d’une plus ou moins grande capacité à réinterpréter les contraintes en opportunité pour se sentir et se dire maîtres ou maîtresses de leur trajectoire et, partant, pour se conformer à ce que le système scolaire attend des élèves.
Un parcours d’obstacles
Venir de la classe populaire, habiter un quartier populaire, être racisée ou racisé, mais aussi, pour certaines, être une femme, constituent autant de stigmates qui impliquent pour les personnes qui en sont porteuses de montrer qu’elles sont en capacité de « s’en sortir malgré tout ».
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Si le poids de ces stigmates n’est pas également mis en avant dans les récits recueillis, il apparaît systématiquement, comme une toile de fond qui conditionne le rapport à la scolarité. Qu’elles soient racontées sur le mode de la maîtrise ou en soulignant leur caractère subi, les trajectoires ont dès lors en commun de ressembler à un parcours d’obstacles.
Certains jeunes subissent leurs trajectoires et les présentent comme telles, en mettant notamment en scène l’opposition entre leur volonté individuelle et la volonté de l’institution scolaire. D’autres ont dû faire face à de multiples reprises à des orientations subies, mais ne les présentent pas de cette façon et soulignent, par exemple, l’intérêt des filières professionnelles ou celui des affectations APB ou Parcoursup. D’autres enfin racontent les grands plans d’orientation mis en œuvre et l’énergie débordante déployée pour développer des tactiques ou des stratégies scolaires leur permettant de naviguer contre les itinéraires scolaires auxquels elles et ils étaient a priori destinés au vu de leurs caractéristiques sociales.
Un obstacle majeur que l’on aurait pu attendre, celui des conditions matérielles (logement, mobilités, ressources économiques), est le plus souvent masqué dans les récits. On peut interpréter comme de la pudeur, la discrétion à ce sujet étant commune aux réponses tout au long de la recherche. On peut y lire aussi la volonté de ne pas se présenter comme victime mais plutôt comme actrice ou acteur de sa trajectoire. Or, ces trajectoires sont marquées par une précarité économique plus ou moins forte, qui limite l’espace des possibles scolaires et professionnels.
Définir la réussite
La scolarité apparaît pour toutes les personnes interrogées comme un passage obligé, qui sera considéré comme réussi dans la mesure où il leur aura permis d’accéder à l’avenir rêvé.
Dans leurs discours, le plaisir et l’intérêt viennent après, une fois les bancs de l’école derrière elles. La réussite se caractérise alors par une vie libérée des contraintes institutionnelles auxquelles elles ont dû faire face durant leur scolarité. Si l’avenir idéal est décrit différemment suivant les positions sociales des jeunes, des traits communs apparaissent. Ainsi, le triptyque famille -logement-travail constitue un socle commun des critères de réussite, même si les contours (nombre d’enfants, type de logement, nature du travail) varient.
Boubacar (23 ans, résidant à Corbeil-Essonnes) place par exemple ce triptyque – « travailler […] prend(re) (s)on appartement […] fai(re) sa vie avec (s)a femme » – comme horizon pour sortir de sa condition actuelle, pour « se sortir de là ». Oumy (20 ans, résidant à Corbeil-Essonnes) a une vision plus précise de son idéal, qui repose néanmoins sur cette même base : « ouvrir ma propre entreprise dans un quartier ou un (autre) pays », être « quelqu’un qui se fait respecter […] qui a eu un lourd passé au niveau travail et qui s’en sort », « mariée avec trois enfants maximum ».
À l’instar des projets d’Oumy, monter son entreprise est souvent présenté comme un horizon libérateur, permettant de choisir le domaine dans lequel on travaille, la manière dont on organise son travail et le lieu où l’on travaille. Une telle projection dans l’entrepreneuriat permet de déconstruire une lecture fataliste, dans laquelle la trajectoire serait tracée d’avance par des mécanismes de domination socio-économiques, et d’ouvrir des possibles.
Dans tous les cas, l’enjeu n’est pas alors d’abord de correspondre aux critères dominants de la réussite sociale, mais d’être bien, de ne pas avoir à renier ses convictions, d’avoir choisi sa situation, même si elle ne correspond pas à une trajectoire d’ascension sociale ou n’est que faiblement désirable socialement.
Les récits des jeunes de quartiers populaires enquêtés montrent ainsi combien la négociation avec les normes sociales de « réussite » professionnelle ou familiale se construit au singulier et au quotidien. Cette négociation interroge les formes de requalifications (matérielles et symboliques) dans les quartiers populaires, parfois paradoxales dans leur relatif ajustement aux discours dominants sur la réussite individuelle.
Ce texte a été rédigé par Jeanne Demoulin et Leïla Frouillou avec le Collectif Pop-Part.
Jeanne Demoulin, Maîtresse de conférences en sciences de l'éducation, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et Leila Frouillou, Maîtresse de conférences en sociologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Coupe du monde 2022 : un brassard remisé au Qatar, l’homophobie légitimée en classe
Les prises de position françaises sur le respect de la culture qatarie aux dépens des droits humains viennent relativiser auprès des élèves d’un lycée de banlieue parisienne la défense des minorités sexuelles.
Cet article est tiré du Libé spécial auteur·es jeunesse. Pour la quatrième année, Libération se met aux couleurs et textes de la jeunesse pour le Salon du livre de Montreuil qui ouvre ses portes le 30 novembre. Retrouvez tous les articles ici.
Un lycée public d’une banlieue parisienne, un après-midi. Je suis invitée pour échanger avec une classe de seconde, à propos de mon livre la Pointe du compas (1). Le texte donne à entendre la prise de parole d’une adolescente qui fustige l’écrasant bagage qu’impose le fait de naître fille et enquête sur son héritage familial. C’est l’occasion d’un échange avec les élèves sur le genre, la sexualité, les injonctions. Chacun est invité à s’appuyer sur son expérience personnelle pour témoigner. On évoque le consentement, le couple, les rapports de domination, la morale et la devise française. La valeur «famille» semble faire consensus dans l’assemblée, «se marier et avoir des enfants» c’est le graal, «surtout si on gagne beaucoup d’argent». Le discours ambiant est assez binaire, les filles vont «prendre soin» et les garçons «protéger leur clan». Un jeune homme affirme détenir une étude sociologique qui prouve que les hommes au travail sont plus efficients que les femmes. Une jeune fille lève la main sans se décourager pour prôner une égalité radicale entre toutes et tous. Toutes les couleurs politiques semblent présentes… Sauf peut-être celles de l’arc-en-ciel. Protéger les siens, oui mais… «si mon fils est gay, je le renie».
Après plusieurs années d’interventions auprès de publics scolaires, je ne m’habitue pas à ces prises de position pourtant récurrentes et banales, mais cette fois-ci ça faisait longtemps. La réflexion est suivie d’un bruissement d’approbations. Avec les intervenants présents, nous reprenons les bases : l’orientation sexuelle comme condition et non comme choix, le principe d’une école et d’une république inclusive pour toutes et tous. Nous tentons de disséquer l’homophobie, comment elle se construit et peut se déconstruire. Un autre garçon m’interpelle «Mais, Madame, si tout le monde décide d’être homosexuel, il n’y aura plus personne sur Terre ?» A l’heure où la surpopulation menace notre vie sur Terre, je lui dis qu’on tient peut-être une piste. Ma plaisanterie tombe à plat.
«Si ça nous choque, on est pas obligés d’accepter»
C’est là qu’entre en scène la Coupe du monde au Qatar, et les échos des prises de position françaises au sujet du brassard qui était censé soutenir la cause LGBTQIA + au Mondial de football. Ces jeunes ont vu le capitaine de l’équipe de France préférer respecter la «culture» qatarie au soutien des minorités de genre, et par la même entendu que le non-respect de droits humains pouvait être qualifié de culturel, donc de légitime. Ces jeunes ont entendu le président français proférer qu’il ne fallait pas politiser le sport et vu des personnes en position de pouvoir promouvoir la réserve et la discretion au sujet de droits que l’on aurait espéré inaliénables. «Si ça nous choque, on est pas obligés d’accepter.» Lorsque l’on met en perspective la question du racisme avec celle de l’homophobie, aucune hésitation. A voix haute, toute la classe est d’accord sur l’égalité entre les individus de toutes origines. Mais l’orientation sexuelle et le genre restent des critères qui ouvrent un espace de négociation intellectuelle et de point de vue personnel.
La dream team de 1998 puis celle de 2018 ont été politiques à un endroit d’inclusion et de représentation des minorités. Qu’est-ce que l’équipe de 2022 porte comme message auprès des jeunes générations ? Si Macron ne voulait pas voir se mélanger sport et politique, force est de constater que le sport et ses stars se frottent à l’éducation (éminemment politique), et jouent bel et bien sur l’avancement comme sur le recul des mentalités.
Anne Rebhinder
(1) Ed. Actes Sud junior, 72 pp, 10,50 €.
Évaluations nationales : Le bilan médiocre des années Blanquer
EXTRAIT
Les résultats des évaluations nationales de CP, Ce1 et 6ème , conçues et organisées par l’Éducation nationale, plaident guère en faveur de la politique éducative menée sous le premier quinquennat Macron et poursuivie sous le second. Si les résultats sont meilleurs à l’entrée en CP, ils baissent à l’entrée en Ce1 en 2022 par rapport à 2021. En 6ème on observe une nette chute aussi bien en français qu’en maths pour la génération qui a connu les premiers dédoublements.
Des élèves mieux préparés au test en maternelle
Que dire d’évaluations où l’Éducation nationale s’autoévalue et où le politique s’invite pour commenter les résultats, d’évaluations où certains exercices sont changés d’année en année, interdisant toute comparaison ? Rien ne peut remplacer les évaluations internationales qui, jusque-là ne plaident pas en faveur des politiques éducatives menées par la rue de Grenelle. Se pose aussi la question de la normalité des résultats. Alors que les politiques commentent longuement la moindre variation de pourcentage il n’y a aucun commentaire sur l’énormité du taux d’échec en Rep+ et même du taux moyen.
En CP, à la rentrée 2022, 81% des élèves connaissent le nom et le son des lettres, 82% savent manipuler des syllabes et 83% des phonèmes. Ces résultats sont légèrement meilleurs (de 0.5 à 1%) qu’à la rentrée 2021. Et le ministère s’en félicite. Nous y voyons plutôt une progression dans la préparation aux tests en maternelle, sans que cela soit forcément un progrès. Un tiers des enfants a encore du mal à comprendre des mots à l’oral ou à résoudre un problème.
(...)
François Jarraud
Suite et fin en cliquant ci-dessous
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Évaluations nationales : Le bilan médiocre des années Blanquer
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Coup de coeur... Roland Barthes...
Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre. C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir. L’émoi vient d’un double contact : d’une part, toute une activité de discours vient relever discrètement, indirectement, un signifié unique, qui est « je te désire », et le libère, l’alimente, le ramifie, le fait exploser (le langage jouit de se toucher lui-même) ; d’autre part, j’enroule l’autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle, j’entretiens ce frôlage, je me dépense à faire durer le commentaire duquel je soumets la relation.
Roland Barthes - Fragments d'un discours amoureux
Abstention, extrême droite... Qu'avons-nous raté ?
Deux chiffres retiennent depuis quelques années mon attention et avivent mes angoisses, provoquent un questionnement. Le chiffre de l'abstention de plus en plus important à chaque échéance électorale avec parmi ces abstentionnistes un nombre très conséquent de jeunes. Et un autre annonçant régulièrement que Marine Le Pen ferait le plein des voix chez les 18-22 ans.
Il est indéniable qu'une partie importante de la jeunesse de ce pays est "au mieux" complètement démotivée, au pire attirée par les extrêmes, notamment l'extrême droite.
Comment cette génération de 18-22 ans, et en élargissant à 18-30 ans pour les abstentionnistes, COMMENT ces jeunes passés par l'Ecole, passés devant des professeurs véhiculant d'autres valeurs que celles déversées par le Rassemblement National, peuvent-ils aujourd'hui tendre une oreille attentive à un discours de haine ?
En clair, qu'avons-nous raté ?
Les gouvernants et Ministres qui ont occupé le bureau de la Rue de Grenelle n'ont, dans leur quasi-totalité, pas compris qu'un ascenseur social en panne, et qu'on ne fait rien pour réparer, qu'on rafistole, offre à ceux qui en sont prisonniers des occasions multiples de TOUT tenter pour échapper au piège. Dans ce "TOUT", il y a les extrêmes populistes prompts à récupérer les égarés, les oubliés, les ghettoïsés, les délaissés. Tous ceux qui à défaut de se glisser dans le moule préfabriqué -mais pas pour eux- de la "machine-école" iront se vautrer innocemment dans la démagogie du Rassemblement National ou resteront au fond de leur lit les jours d'élection.
Les locataires de la Rue de Grenelle, et je le dis sans esprit de provocation, nos syndicats aussi parfois, ont laissé l'Ecole au milieu d'un gué balayé, submergé par les "valeurs" marchandes. N'avez-vous jamais été choqué de constater que le premier reportage des télévisions françaises présentant la rentrée scolaire soit tourné dans une grande surface ? Le premier geste de la rentrée scolaire est devenu d'abord un geste d'achat, concession faite -une de plus- à la société de consommation, de mauvaise consommation, de gaspillage dans la plupart des cas. Jamais je n'ai entendu un Ministre ou un responsable syndical pester contre ces habitudes.
L'Ecole a cédé. Oh j'entends bien sûr d'ici les déclinologues entonner leurs antiennes. Je ne vais pas ici les énumérer. On ne les connait que trop et elles se trompent souvent de cibles, toujours de méthodes. L'Ecole a cédé, non pas aux pédagogues (bien au contraire hélas !), non pas à un quelconque oubli de l'apprentissage des valeurs républicaines, non pas non plus à un "modernisme" qui l'obligerait à regretter l'encre, les pleins et déliés ou la blouse grise. Non.
L'Ecole a fait le choix de l'immobilisme plutôt que celui la résistance active qu'il aurait fallu opposer -que certains opposent contre vents et marées- au diktat des évaluations à outrance, au diktat de l'empilement de réformettes indigestes, mal choisies, mal mises en place. Au diktat de la vitesse et du "trop plein", car il faut toujours en faire plus, plus vite et avec moins. Toujours remplir nos jeunes cervelles. Du moins remplir celles qui acceptent les grandes quantités... Au diktat de la lâcheté alors que la vérité obligeait à reconnaître que nos programmes scolaires sont à refonder, à relier. Au diktat d'une pensée unique consistant à nous arc-bouter sur l'illusion que notre Ecole française serait la meilleure du monde. Au diktat des tenants d'un système transformant la nécessaire SELECTION en une sélection sociale depuis la maternelle jusqu'à l'Université. Le regretté Richard Descoings aurait pu témoigner encore des difficultés qu'il éprouva à faire admettre au Conseil d'Administration de Sciences-Po qu'ouvrir la prestigieuse maison de la rue Saint Guillaume aux élèves de ZEP fut un chemin de Croix. En France l'élitisme est une vertu. Hélas on n'en regarde que ceux qui en bénéficient. Plus rarement ceux qui échouent, qui échouent très tôt, qui échouent dès la maternelle puis toute leur vie. Dès le plus jeune âge en France, certains sont en échec dès l'aube de leur "métier d'élève". Les futurs désespérés sont très bien "formés" en France...
Et ce sont ces cohortes d'abandonnés d'un système qui ne veut pas se réformer ou se réforme mal qui iront demain glisser dans l'urne un bulletin RN. Oh pas par amour immodéré des thèses du parti de Marine Le Pen. Mais plutôt par dépit. Par dégoût. Par fatalisme. Pour dire qu'il ne leur reste que ça. Pour se "venger" peut-être. Et tous ceux aussi qui n'iront pas voter du tout, écœurés, découragés...
Jusqu'à quand allons-nous "rater" nos élèves ?... Après la catastrophe, il sera trop tard pour nous.
Mais plus encore pour eux !
Christophe Chartreux
A voir... "Annie colère"...
Le nouveau film de Blandine Lenoir avec Laure Calamy, Zita Hanrot et India Hair. Le 30 novembre au cinéma.
Synopsis :
Février 1974. Parce qu’elle se retrouve enceinte accidentellement, Annie, ouvrière et mère de deux enfants, rencontre le MLAC – Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception qui pratique les avortements illégaux aux yeux de tous. Accueillie par ce mouvement unique, fondé sur l’aide concrète aux femmes et le partage des savoirs, elle va trouver dans la bataille pour l’adoption de la loi sur l'avortement un nouveau sens à sa vie.
"On apprend le roman national avec les « grands hommes », en l’occurrence ici une « grande femme » : tout le monde connait le combat héroïque de Simone Veil, mais on a oublié les militant·e·s qui ont poussé Giscard d’Estaing à modifier la loi (...) J’ai eu envie de fabriquer ces images manquantes."
Blandine Lenoir, réalisatrice
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Sortie du film Annie Colère avec Laure Calamy
Synopsis : Février 1974. Parce qu'elle se retrouve enceinte accidentellement, Annie, ouvrière et mère de deux enfants, rencontre le MLAC - Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la ...