Débat : Après le classement de Shanghai, penser d’autres modèles d’excellence scientifique
Ninon Junca, cheffe de projet RESET au sein de l’Université de Bordeaux, a participé à la rédaction de cet article avec Marion Paoletti.
Si elle ne manque pas d’ironie, l’invitation lancée en avril 2022 par le président chinois aux universités de son pays de quitter, près de 20 ans après son invention, le classement de Shanghai constitue peut-être un moment charnière pour promouvoir d’autres modèles de classement des institutions d’enseignement supérieur.
L’Union européenne parait particulièrement bien armée pour proposer des critères de classement qui reposent sur d’autres valeurs propres et un modèle scientifique véritablement universel. Son action en la matière, ancienne, mais peut-être trop discrète jusqu’à présent compte tenu de la puissance du modèle de Shanghai, mérite sans doute d’être mieux affirmée au moment où celui-ci est un peu déstabilisé.
Un moment propice pour la réflexion
Rendu public à l’été 2003, le premier classement international des universités a eu un impact majeur sur le secteur académique mondial et ses agents. Pensé au départ pour permettre aux universités chinoises de se moderniser en s’alignant sur les standards américains de mesure de la productivité scientifique (nombre de publications, de citations, de prix scientifiques, etc.), ce classement a très vite gagné en visibilité à l’international et exacerbé la concurrence entre établissements d’un continent à l’autre. Chaque université dans le monde veut renforcer son positionnement pour obtenir davantage de financements et attirer les meilleurs étudiants et chercheurs.
L’impact en France a été particulièrement important, coïncidant avec l’abandon d’un discours égalitaire entre chercheurs et établissements. Certes, la compétition sur le marché académique n’est pas que capitaliste, et elle n’est pas due pas qu’aux seuls effets des classements mais aussi à la diffusion du Nouveau Management Public (NMP), doctrine de réforme de l’État à l’œuvre dans tous les secteurs publics depuis les années 1990 et contribuant à la mise en concurrence des agents, des services, des administrations.
Conjuguant leurs logiques et effets, classement et Nouveau Management Public ont bouleversé les politiques universitaires. La compétition commence à l’intérieur des établissements, elle s’élargit au niveau national à travers les nouvelles agences de l’État chargées de l’évaluation des structures académiques (HCERES) ou des projets de recherche financés (ANR, appels nationaux lancés par l’État) et elle se joue aussi sur la scène européenne et mondiale.
Au niveau des établissements, la politique de fusion, dans le but premier de progresser dans le classement grâce à un effet de masse, est majeure en France, au premier rang des pays européens par le nombre de fusions réalisées entre 2000 et 2015. Au niveau des individus, la mesure de la performance s’effectue principalement à travers deux critères : la quantification des publications et l’internationalisation.
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L’annonce de la part de la Chine d’un repli sur un modèle national constitue un moment propice pour la réflexion, incitant à se pencher sur les projets de transformation commune des établissements que l’Union européenne finance de longue date, dans un sens favorable à l’égalité des carrières et à l’équité. C’est notamment le cas du projet RESET (Redesigning Equality and Scientific Excellence Together) que l’université de Bordeaux coordonne et qui associe les universités de Porto, Thessalonique, Lodz, Oulou, Ruhr-Bochum et Sciences Po.
Dans le cadre de ce projet ont été menées en 2021 dans les établissements partenaires des enquêtes quantitatives sur les inégalités de carrière, et des enquêtes qualitatives sur la perception de l’excellence scientifique par les agents chargés de la mettre en œuvre. Leurs résultats amènent à interroger le modèle scientifique promu par l’université de Shanghai et à questionner la notion d’excellence scientifique à l’aune de la notion d’équité. Le constat a fondé l’engagement commun, rendu public en juin 2022, des sept présidents d’universités européennes concernées en faveur d’une excellence scientifique inclusive, tenant compte des inégalités qui traversent les institutions académiques.
Des critères aveugles aux inégalités de genre
L’excellence peut être définie comme ce qui présente « des caractéristiques exceptionnelles ». Quand l’exception devient la norme, la notion perd de sa pertinence pour les agents chargés de la mettre en œuvre. Les données qualitatives recueillies dans le projet RESET, à travers plusieurs focus groups dans quatre universités (Bordeaux, Lodz, Porto, Thessalonique) au printemps 2021 et composés de manière homogène de chercheurs, d’enseignants, de personnels administratifs et de membres de l’équipe de gouvernance, signalent, au-delà des différences liées au contextes nationaux, l’ambivalence partagée de la notion.
Pour la majorité des personnes, l’excellence scientifique est une notion qui devrait être positive et constitue parfois un puissant moteur individuel. Elle se trouve aussi associée aux idées de pression et de surcharge de travail. Un élément a été souligné en particulier par les personnels administratifs : le manque de reconnaissance de leur participation, notamment dans les services de soutien à la recherche.
Les participants aux groupes de discussion ont également souligné la difficulté à concilier vies et environnements personnels et professionnels pour atteindre l’excellence. La « recherche constante de l’excellence » semble lui faire perdre son sens. L’« excellence » a perdu sa partie « supra » et s’est transformée en un élément « normal » et parfois « insensé ». Par ailleurs, la pression liée au nombre de publications est perçue par les chercheurs comme une menace pour la qualité de leurs résultats de recherche. La notion d’excellence scientifique associée aux publications parait étroite par rapport à l’étendue des tâches à l’université, elle n’intègre pas l’activité pédagogique ou administrative : il faudrait plutôt parler d’excellence académique.
La notion est par ailleurs associée dans la littérature à celle de méritocratie que le principe de sélection est supposé garantir. Or l’objectivité des critères quantitatifs de mesure de la productivité scientifique demeure aveugle aux inégalités sociales que l’université enregistre et reproduit, au risque d’une association peu convaincante des termes « excellence » et « mérite ». Les données sur les inégalités sexuées dans le milieu académique sont bien renseignées, à tous les niveaux (établissements, États, Union européenne). Celles, inédites, produites dans le cadre de RESET, montrent la persistance d’injustices liées au genre, en particulier dans les carrières scientifiques, moins dans les carrières administratives.
Quel que soit le marché du travail académique en Europe, les mêmes inégalités genrées sont à l’œuvre, avec sensiblement la même répartition sexuée à toutes les étapes de la carrière. Alors que les femmes réussissent mieux leurs études universitaires et sont nettement majoritaires en master, elles ne sont plus en 2018 que 48 % en doctorat au sein de l’UE (43 % en France), 42 % au niveau Maître de conférences, et 26 % au niveau professeur des universités. Six présidents d’universités sur sept au sein de l’UE sont des hommes.
Redéfinir le mérite
Les causes de ces inégalités sont désormais bien renseignées. On sait aussi quelles sont les politiques à mettre en œuvre pour les résorber de manière transversale, en ouvrant la boite noire des recrutements et des promotions, de la production et du transfert des connaissances. Associées, dans une perspective intersectionnelle, à la lutte contre les discriminations, ces politiques tendent à rendre effective l’égale capacité à être reconnu excellent et excellente.
La prise en compte de l’égalité et de la diversité comme critère de classement semble devoir trouver facilement sa place dans un modèle européen, sans laisser l’initiative comme aujourd’hui à des groupes privés.
Cette redéfinition du mérite dans l’excellence scientifique pourrait d’autant plus amener à faire évoluer les critères à l’œuvre depuis 2003 qu’elle est associée à d’autres politiques dont les effets peuvent aller dans le même sens :
une attention aux impacts sociaux des recherches dans leur évaluation – ce que porte particulièrement en matière d’égalité des sexes le Gender Impact Assessment ;
une réflexion en cours sur l’empreinte environnementale des universités et des activités de recherche, conformément aux objectifs de développement durable de l’ONU ;
un modèle de science ouverte, qui pourrait à terme déboucher sur une évaluation plus qualitative des recherches.
Le moment est sûrement venu d’intégrer l’ensemble de ces évolutions pour lesquelles l’UE œuvre à bas bruit depuis longtemps pour diffuser un nouveau classement des universités.
Marion Paoletti, Professeure de Science politique, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Débat : Après le classement de Shanghai, penser d'autres modèles d'excellence scientifique
Ninon Junca, cheffe de projet RESET au sein de l'Université de Bordeaux, a participé à la rédaction de cet article avec Marion Paoletti. Si elle ne manque pas d'ironie, l'invitation lancée en ...
Coup de coeur... Gustave Flaubert...
Elle se plaignit d'éprouver, depuis le commencement de la saison, des étourdissements ; elle demanda si les bains de mer lui seraient utiles ; elle se mit à causer du couvent, Charles de son collège, les phrases leur vinrent. Ils montèrent dans sa chambre. Elle lui fit voir ses anciens cahiers de musique, les petits livres qu'on lui avait donnés en prix et les couronnes en feuilles de chêne, abandonnées dans un bas d'armoire. Elle lui parla encore de sa mère, du cimetière, et même lui montra dans le jardin la plate-bande dont elle cueillait les fleurs, tous les premiers vendredis de chaque mois, pour les aller mettre sur sa tombe. Mais le jardinier qu'ils avaient n'y entendait rien ; on était si mal servi ! Elle eût bien voulu, ne fût-ce au moins que pendant l'hiver, habiter la ville, quoique la longueur des beaux jours rendît peut-être la campagne plus ennuyeuse encore durant l'été ; et, selon ce qu'elle disait, sa voix était claire, aiguë, ou se couvrant de langueur tout à coup, traînait des modulations qui finissaient presque en murmures, quand elle se parlait à elle-même, tantôt joyeuse, ouvrant des yeux naïfs, puis les paupières à demi closes, le regard noyé d'ennui, la pensée vagabondant.
Gustave Flaubert - Madame Bovary
Appel à la grève Sur la réforme des lycées pro, Emmanuel Macron crée l’union contre lui
Le projet du Président, qui vise à augmenter considérablement le poids de l’entreprise dans la voie professionnelle, est parvenu à fédérer des syndicats qui font habituellement bande à part. Ils appellent à la grève le 18 octobre.
Ils passent à l’offensive. Vendredi, seize syndicats de l’éducation ont décidé d’appeler à la grève le 18 octobre afin qu’Emmanuel Macron retire son projet de réforme des lycées professionnels. Une telle union syndicale autour de la voie pro n’a rien d’anodin. Déjà depuis cet été, la quasi-totalité des syndicats de professeurs de lycée professionnel (PLP) a décidé de s’unir dans une intersyndicale inédite, à laquelle le Snetaa-FO, majoritaire mais habituellement plus prompt au compromis, s’est joint. Les élèves ne devraient pas être en reste, puisqu’ils vont aussi être invités à se mobiliser dans les semaines à venir, notamment à l’initiative du collectif Une voie pour tous.
Tutelle du ministère du Travail
Le Président a annoncé la couleur dès sa campagne : il veut faire de la voie professionnelle un axe majeur de son projet pour l’école. Une bonne chose, tant les enjeux sont grands : un lycéen sur trois étudie en filière professionnelle, mais c’est là que se concentrent les deux tiers des décrocheurs et seuls 41 % des élèves de CAP et 53 % des élèves de bac pro n’ayant pas poursuivi leurs études ont un emploi deux ans après l’obtention de leur diplôme. Macron souhaite donc à la fois rendre la voie professionnelle, plus souvent subie que choisie, plus attractive et plus insérante. Comment ? En la rapprochant du monde de l’entreprise. L’assertion, vieille comme l’enseignement professionnel lui-même, fait bondir les enseignants, qui ne cessent de rappeler qu’une bonne partie de leur boulot consiste justement à entretenir des liens avec le monde du travail.
Insuffisant pour le Président, qui décidait notamment, début juillet, de nommer une ministre déléguée à l’Enseignement et à la Formation professionnelle, Carole Grandjean, sous la double tutelle des ministères de l’Education nationale et du Travail. Une première, les portefeuilles de ce type ayant toujours échu au seul ministère de l’Education. Depuis, il continue d’avancer ses pions, vantant le modèle de l’apprentissage, qui a certes explosé ces dernières années, mais dans le supérieur, chez des étudiants majeurs et issus de catégories sociales plus favorisées que les lycéens professionnels. Et se disant notamment favorable au recrutement, dans les lycées pro, de professeurs associés issus du monde de l’entreprise, qui pourraient éventuellement présider les conseils d’administration – un rôle normalement dévolu aux proviseurs.
«Coupure scolaire»
Si la réforme des lycées pro baigne encore dans le flou, une mesure concrète cristallise les oppositions : à compter de la rentrée 2023, la durée des stages – 22 semaines en bac pro – augmentera de 50 %. Et ces «périodes de formation en milieu professionnel» (PFMP) seront gratifiées par l’Etat, une nouveauté. «C’est très bien d’être payé. Il y a une rémunération attrayante parce que ce sont des élèves issus de milieux défavorisés. Mais à quel prix ? Quelle place on laisse à la scolarité ? interroge Dylan Ayissi, fondateur du collectif Une voie pour tous, lui-même ancien élève de lycée pro. 50 % de stages en plus, ils ne se rendent pas compte de ce que ça représente comme coupure scolaire.» Car pour augmenter le temps en entreprise, il faudra bien rogner sur les enseignements.
Macron assure que les heures de matières générales – français, histoire, maths… – ne diminueront pas. «Ce sont des enseignements fondamentaux», défendait récemment l’Elysée auprès de la presse. Une position contraire aurait mis le feu aux salles des profs, ces matières ayant déjà été amputées lors de la précédente réforme de la voie pro, en 2018. Le Président évoque même la possibilité de renforcer ces matières. Comment ? Il renvoie aux concertations qui doivent avoir lieu dans les semaines à venir et qui permettront à chaque établissement de définir sa propre feuille de route. Mais suggère notamment l’idée d’échelonner les départs des élèves en stage et d’en profiter pour dédoubler les classes afin d’assurer des cours en plus petits effectifs.
Reste que si les périodes en entreprise s’allongent et les heures de matières générales ne diminuent pas, il faudra rogner sur les enseignements professionnels, qui mêlent théorie et pratique. «Les entreprises disent des élèves “il lui manque de la culture générale” ou “il lui manque du savoir-être, il ne doit pas agresser le client, il doit être zen, mettre à distance les choses”», déroule Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO. Elles ne disent jamais “c’est un mauvais menuisier ou un mauvais chauffeur poids lourd”.» Hors de question, donc, de toucher à ces enseignements professionnels qui permettent d’inculquer un certain nombre de codes.
Discrimination en stage
Sur le terrain, on craint par ailleurs certains effets de bord à l’allongement du temps en entreprise. «La discrimination en stage, on la constate. Une fille en maintenance des équipements industriels ou un jeune issu de l’immigration en commerce, il est difficile de leur trouver un terrain de stage. Donc plus on va augmenter les PFMP, plus on va augmenter les inégalités entre les élèves», alerte Philippe Dauriac, professeur de lettres-histoire à Chasseneuil-sur-Bonnieure (Charente) et secrétaire national de la CGT Educ’action en charge du pôle enseignement professionnel. Les élèves handicapés, sur-représentés en lycée pro et qui ont déjà des difficultés à être accompagnés à la hauteur de leurs besoins lorsqu’ils partent en stage, risquent aussi d’être lésés.
D’aucuns se demandent s’il ne faudrait pas réduire les congés pour pouvoir rallonger les stages sans amputer les enseignements, mais «la plupart de nos élèves travaillent pendant les vacances et ont besoin de cet argent», tempère Laurence Colin, proviseure d’un lycée hôtelier à Arcachon et secrétaire générale adjointe du SNPDEN-Unsa, principal syndicat des personnels de direction.
Autre gros morceau de la réforme : la refonte de la carte des formations. Une opération que tout le monde appelle de ses vœux, les déséquilibres étant parfois criants entre les envies des élèves, les besoins des entreprises et les formations offertes. Mais les avis divergent quant à l’objectif à atteindre. Dans l’esprit de l’exécutif, «il y a une volonté de calibrer les filières professionnelles vers des métiers qui peinent à recruter. On veut instrumentaliser l’orientation des jeunes post-troisième vers des métiers qui sont aujourd’hui désertés par les actifs du fait de conditions de travail et salariales déplorables : l’hôtellerie-restauration, l’aide à domicile, le bâtiment. C’est un scandale scolaire. Le ministère préfère répondre aux besoins particuliers, immédiats et locaux de certaines entreprises et abandonne l’ambition scolaire pour un tiers de la jeunesse lycéenne», attaque Sigrid Gérardin, cosecrétaire générale du Snuep-FSU. «On se dit “il manque des gens pour tourner des boulons à droite, donc on va créer une formation pour tourner des boulons à droite”. Mais on ne se demande pas si les gens s’épanouissent. Le lycée professionnel ne doit pas avoir pour simple vocation de suivre un marché économique, il faut que ce soit un lieu où les élèves s’éclatent aussi», plaide Dylan Ayissi, qui pousse pour le développement de formations en communication, jeu vidéo ou sport.
«L’école doit rester un sanctuaire»
Emmanuel Macron, lui, parle rénovation thermique, chaudronnerie ou grand âge. Et entend faire germer des envies dès le collège. Pour cela, les établissements volontaires peuvent, depuis cette rentrée, proposer des «demi-journées avenir» à leurs élèves de cinquième, dans le cadre desquelles des professionnels de tous secteurs et des PLP peuvent venir parler de divers métiers et les adolescents aller visiter des entreprises. «L’idée est de faire en sorte que la voie professionnelle soit mieux connue de tous, qu’elle attire tous les élèves qui ont envie d’y aller véritablement en connaissance de cause et donc que les élèves y arrivent motivés», précise l’Elysée. Sur le papier, l’idée a du potentiel, mais soulève plus d’interrogations que de réponses.
Quels enseignants vont chapeauter ces demi-journées ? A quel rythme ? Le cabinet de Carole Grandjean nous répond que c’est, là encore, laissé à l’appréciation de chaque collège, la mesure étant en phase expérimentale. Du côté du Snetaa-FO, on adhère… si les professeurs de lycée pro prennent les rênes. «Qui peut vraiment permettre de mettre au mieux l’entreprise au cœur de l’école tout en faisant en sorte qu’elle reste autonome, indépendante, laïque ? Ce sont les PLP. Chez nous, l’entreprise n’est pas une ennemie, c’est une alliée. Mais elle n’est qu’un support pédagogique, ce n’est pas elle qui décide de quand elle vient, ce qu’elle fait, quels sont ses objectifs. L’école doit rester un sanctuaire», soutient Pascal Vivier.
La ministre déléguée à l’Enseignement professionnel n’ignore pas l’hostilité que provoque la réforme et a consulté en cascade les différents syndicats les heures qui ont précédé l’intersyndicale de jeudi. Sans succès. «Il faut l’unité la plus importante pour être en capacité de mener le combat, insiste Philippe Dauriac, de la CGT. Il n’y a pas une personne qui travaille sur cette réforme qui mettrait son enfant en lycée pro. Ils se disent “c’est bon pour les enfants des autres, mais pas les nôtres”. On ne va pas laisser faire ce projet de démantèlement.»
Elsa Maudet
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Sur la réforme des lycées pro, Emmanuel Macron crée l'union contre lui
Le projet du Président, qui vise à augmenter considérablement le poids de l'entreprise dans la voie professionnelle, est parvenu à fédérer des syndicats qui font habituellement bande à part....
Mais qui veut encore être prof de nos jours ?
En pleine crise du recrutement des enseignants, les nouveaux profs font leur première rentrée. Qui sont ceux qui rentrent dans le métier au moment où il peine à attirer ?
816 candidats admissibles pour 1.035 postes au Capes externe de mathématiques en mai 2022, des classes de plus en plus chargées… En cette période de rentrée scolaire, le manque de professeurs dans l'Éducation nationale se fait de plus en plus criant. Pourtant, comme chaque année, de nombreux candidats ont passé le concours et commencent leur nouveau métier d'enseignant.
Valentine vient d'obtenir l'agrégation de mathématiques. Affectée en lycée en région parisienne, elle réalise un rêve de longue date. «Je suis tellement contente ! Enseigner, pouvoir apporter quelque chose aux élèves, j'ai commencé à y penser l'année après mon bac. Pendant mes études, j'avais tellement le nez dans mes bouquins que je ne savais plus pourquoi je faisais tout ça. Je me disais “quand je serai prof, je me sentirai utile”.»
Frédéric, lui, n'a pas eu le Capes en 2021. Contractuel depuis trois ans, il compte bien retenter sa chance l'année prochaine, car son travail de professeur de sciences économiques et sociales lui plaît beaucoup. «Être devant une classe, le contact avec les élèves, c'est génial. Je n'ai jamais été aussi content de me lever le matin. On a une grande liberté dans nos emplois du temps : tu peux faire des semaines hyper intenses, d'autres plus allégées ensuite. Et il y a la dynamique de l'établissement, le travail avec d'autres enseignants pour monter des projets... Ainsi que la liberté et l'autonomie que je n'avais pas dans mes précédents boulots.»
Des «variables d'ajustement»
Au-delà de leur enthousiasme, ni l'un ni l'autre ne sont naïfs sur les conditions de travail particulières de l'Éducation nationale. D'après Valentine, «c'est une vérité. J'ai commencé la semaine dernière, et à peine ma prérentrée faite, j'apprends que je dois enseigner une seconde matière qui s'appelle “SNT, sciences numériques et technologiques”, alors que je n'ai absolument pas été formée pour ça.» L'annonce tardive lui a laissé peu de temps pour préparer ses cours. «Quand j'ai su ça, tout le monde autour de moi m'a dit: “Bienvenue dans l'Éducation nationale !”»
Pour Frédéric, qui travaille dans un lycée privé, l'un des pires aspects est le «mépris» de l'administration. «Pendant ma troisième année, j'ai fait un remplacement dans une classe prépa. À peine sorti du premier cours, le directeur me dit : “On a un problème, l'inspecteur général refuse que vous fassiez cours aux prépas parce que vous n'êtes pas titulaire.” Le fait qu'ils aient attendu que je me retrouve devant la classe pour me le dire alors que j'avais passé deux ou trois mois à préparer les cours, ce n'est pas très agréable –en matière d'estime de soi et de reconnaissance. Un mois plus tard, l'établissement m'a proposé de me rémunérer sur ses fonds propres pour faire cours parce qu'il n'y avait personne d'autre. On a vraiment l'impression d'être des variables d'ajustement.»
Frédéric évoque aussi la précarité du statut de contractuel : «Quand j'ai commencé, j'étais toujours renouvelé par périodes de quinze jours car je remplaçais un congé maladie. Ce qui m'a permis de le faire, c'est d'être en couple avec une personne qui a un salaire fixe. Je ne sais pas si j'aurais pu tenir longtemps si j'avais été célibataire.»
Nouveaux profs, nouveaux profils ?
Pour Victoria David, doctorante en sciences de l'éducation et spécialiste de l'attractivité du métier de professeur, il y a deux évolutions majeures dans le recrutement des enseignants. «Depuis quelques années, pour pouvoir passer le concours de l'enseignement, il faut un master, c'est-à-dire un plus haut niveau d'éducation qu'auparavant, note-t-elle. Ça change un peu la composition sociale des entrants: tout le monde ne peut pas aller jusqu'au master, socialement parlant.»
Elle observe par ailleurs une part croissante de personnes en reconversion dans les lauréats du concours: «Entre les différents concours de l'enseignement public, 37% des admis ont été précédemment actifs. Cela varie selon les concours: il y a beaucoup plus de reconversions dans le primaire que dans le secondaire. Et dans les concours du secondaire, ça concerne surtout le lycée professionnel et l'enseignement technologique. Ce qui est naturel: on va enseigner le métier qu'on a exercé précédemment.»
«Il est intéressant de mettre en perspective cette évolution avec l'évolution de l'activité elle-même, explique Victoria David. L'école traditionnelle française, c'est plutôt un enseignant qui transmet son savoir de manière descendante. Mais ces dernières décennies, il y a eu une évolution vers une démocratisation de l'enseignement, vers une complexification du métier. On demande aux enseignants plus de compétences, c'est pour ça qu'on augmente le niveau d'études nécessaire.»
Une crise partie pour durer
Mais l'arrivée de personnes en reconversion professionnelle ne suffit pas à résoudre la crise de l'attractivité du métier. D'après Victoria David, elle est multifactorielle. «Une des raisons, c'est un vieillissement du corps enseignant: les enseignants du baby-boom arrivent à la retraite. Ça n'a pas forcément été anticipé correctement.»
Pour elle, il faut également prendre en compte les conditions de travail, qui peuvent dissuader les candidats: un salaire insuffisant par rapport au niveau d'études, un manque de reconnaissance lié à une image dégradée du métier, ou encore la possibilité d'être muté n'importe où en France. C'est d'ailleurs pour cette raison que Frédéric, qui habite Nantes, souhaite passer le concours dans le privé: «Je préfèrerais aller dans le public, mais je sais que je vais me retrouver en banlieue parisienne. Là, je viens d'avoir un enfant, autant dire que je n'ai pas du tout envie de vivre loin de ma famille.»
De plus, selon Victoria David, il existe une tension entre le profil des enseignants et l'évolution de leur métier. «C'est une profession assez étrange, l'enseignement, quand on y pense: ce sont des professionnels avec un statut de cadre mais le contenu de tout ce qu'ils doivent faire est prescrit par en haut. On attend d'un côté une plus grande compétence, et de l'autre, une plus grande obéissance. C'est très inconfortable, et je pense qu'il y a un malaise.»
Ce qui ne change pas, ce sont les motivations des nouveaux enseignants. «Quand on leur demande pourquoi ils veulent enseigner, les gens continuent à répondre “c'est par passion pour ma matière, par passion pour l'enseignement, parce que j'ai envie de partager mon savoir”, etc., comme avant», témoigne la doctorante.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, «les motivations que l'on pourrait appeler “extrinsèques” –parce qu'il y a des vacances, pas beaucoup d'heures de travail, etc. dont on entend beaucoup parler dans le débat public– sont en fait assez peu invoquées, assure-t-elle. Et quand elles le sont, elles sont associées à une plus grande insatisfaction et à un plus grand turnover.»
«Pour moi, enseigner, c'est participer au développement de l'enfant, au niveau de ses connaissances, mais aussi de toute sa vie, résume Valentine. C'est vrai qu'il y a des contraintes. Mais moi, ce qui me porte, c'est le fait de transmettre.»
Hélène Paquet
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Mais qui veut encore être prof de nos jours?
Temps de lecture: 5 min 816 candidats admissibles pour 1.035 postes au Capes externe de mathématiques en mai 2022, des classes de plus en plus chargées... En cette période de rentrée scolaire, ...
A propos d'une gifle... Ou comment les médias passent à côté de l'essentiel...
Petite anecdote vécue hier matin.
Elle n'a évidemment aucune valeur généralisante mais je la crois néanmoins signifiante d'une "ambiance" et surtout des différences notoires d'appréciation de l'actualité.
Il m'arrive de prendre mon café certains jours avec des habitué-e-s des petits matins. Ce sont ces "français-e-s qui se lèvent tôt, qu'on a applaudis un temps pour les oublier depuis. Passons.
Lorsque j'ai voulu aborder avec quelques-un-e-s l'affaire Quatennens, ils et elles ont été unanimes. Avec cette phrase de l'un d'entre eux résumant l'opinion de la douzaine de personnes présentes :
"Nous - il est conducteur d'engin dans une petite entreprise - on en prend tous les jours des baffes dans la gueule. Les patrons et le gouvernement, ils nous en balancent tous les jours ! Qui en parle ? Après faut pas s'étonner si on vote Le Pen ! C'est des trucs qui intéressent les parisiens ça !". Ah cette tenace et prégnante opposition Paris/Province..
C'est terrifiant ET signifiant. J'avais beau argumenter pour démontrer l'importance politique de cette gifle inacceptable de la part d'un élu de la République, la France "ouvrière" et "rurale" s'en fiche. C'est le dernier de ses soucis. Elle se sent totalement ignorée. François Ruffin a raison de demander à la gauche de reparler du travail. Pas à la manière d'un Roussel, mais montrer et démontrer que ces français-là sont LE souci des préoccupations politiques à gauche. Or, ce n'est pas le cas.
Un autre des habitués de ce café a ajouté, en voyant BFMTv allumé au-dessus du comptoir et diffusant des images d'Ukraine :
"On n'en a rien à foutre de l'Ukraine. Qu'ils (les journalistes je suppose) viennent dans les entreprises, sur le terrain. En France aussi c'est la guerre ! Et on se fait bien taper sur la gueule".
Bien entendu tout cela est outré. Je reste néanmoins persuadé que ces réflexions sont celles entendues dans bien des endroits en France. Et pas qu'au petit matin... C'est le terreau désespérant et désespéré où poussent très facilement les idées brunes. L'Italie risque d'en être l'illustration prochaine, après la Suède et quelques autres pays
Reste que ce petit épisode matinal amène à se poser quelques questions et à tenter d'y répondre, notamment à propos du traitement de l'affaire Quatennens et de sa réception réelle chez les "français du quotidien".
Les médias, depuis la gifle avouée par l'élu France Insoumise, traitent cette affaire - ce qui est parfaitement normal - mais pour de mauvaises raisons. Il faut se dire les choses.
Pour de très nombreux commentateurs et chroniqueurs, il s'agit de se payer Melenchon - dont le tweet après l'aveu d'Adrien Quatennens fut d'une maladresse coupable ! - et quelques autres élu-e-s et responsables de partis dans une psychologisation constante du politique.
Les politiciens et leurs déboires semblent être LE sujet essentiel. J'attendais, et j'attends encore, des reportages sur les violences sexuelles évidemment, mais aussi sociales, celles surlignées lors de ce petit matin partagé avec quelques citoyens et citoyennes lambda. Rien. Seuls les politiques, quasi exclusivement des hommes, font l'objet de commentaires et de reportages, souvent bâclés d'ailleurs. Il faut entretenir l'intérêt spectaculaire. "Ça fait de l'audience coco ! Vas-y, fonce interviewer Bompard. C'est un bon client !". Je caricature à peine des propos de salles de rédaction.
On aurait pu prendre cet épisode comme un tremplin pour faire de la pédagogie, s’interroger sur le côté juridique, culturel, et sur ce qu’est la violence aujourd’hui. Mais non. L'espace médiatique français est resté focalisé sur le nombril des personnalités politiques. Les femmes victimes de violences ? Où ça ? Lesquelles ?
Pathétique et délétère !
Christophe Chartreux
Coup de coeur... Pierre Adrian...
Je quittai la grande maison par la route de la mer. Je longeai le sentier côtier. Le ciel se dégageait comme promis. Ia brise se leva. Il était onze heures du matin en vacances. Une heure douce et parfaite. Le creux de matinée infinisait la journée. J'étais heureux. J'avais le cœur léger sur mon vélo, seul maître de moi-même. Je gagnai la côte sauvage et j'aurais dú deviner, en cycliste aguerri, que si je roulais sans effort c'était que le vent me poussait. Dans la lande, les ajoncs pliaient. Les chevaux broutaient la bruyère, impassibles. Plus loin, les vagues se brisaient sur les écueils sans un bruit. La mer shampouinait des récifs. Il faudrait revenir ici le soir. Je ne connaissais pas plus beau coucher de soleil que celui de la côte sauvage. Souvent on n'entendait que le vent et la mer semblait muette. C'était le spectacle le plus saisissant. Ces vagues s'acharnaient sur le granit en silence. Le soleil déclinait puis se noyait dans l'océan, quelque part vers Ouessant. La lumière crevait les yeux.
Pierre Adrian - Que reviennent ceux qui sont loin
Le nouveau « filon » pour muter des profs gênants sans s’encombrer d’une sanction
Le cas de Kai Terada, enseignant non sanctionné mais muté « dans l'intérêt du service » dans les Hauts-de-Seine à la rentrée scolaire, relance le débat sur la manière dont l’Éducation nationale se jouerait du droit administratif pour déplacer les militants syndicaux les plus bruyants.
Kai Terada, le coup fut brutal. Enseignant en mathématiques à Nanterre (Hauts-de-Seine), militant actif et connu auprès de jeunes sans papiers, cosecrétaire départemental du syndicat Sud Éducation, l’homme a appris par voie d'huissier, le 5 septembre 2022, sa suspension, pour quatre mois, sans qu’aucun motif ne lui soit signifié. « La nuit suivante, j’avoue que je n’ai pas très bien dormi. »
Kai Terada conserve son salaire mais n’a plus le droit de se présenter dans le lycée où il exerce sans discontinuer depuis seize ans et se retrouve également sous la menace d’une mutation dans « l’intérêt du service », c’est-à-dire d’être déplacé dans un autre établissement, contre son gré.
Son cas a soulevé une large indignation dans la sphère enseignante, une manifestation de soutien a eu lieu mercredi 21 septembre 2022 sous les fenêtres du nouveau ministre de l’éducation nationale, en présence de plusieurs représentants syndicaux nationaux et de quelques député·es et élu·es de la Nupes. Car cette affaire a une histoire, qui voyage de Nanterre à Bobigny, en passant par Clermont-Ferrand, Nantes ou Bordeaux. Celle d’enseignant·es qui ont comme point commun d’être notoirement impliqué·es auprès de leurs élèves, très actifs et actives syndicalement, sur qui tombe le couperet d’une mutation, sans que rien d’explicite ne leur soit pourtant reproché.
Benoît Arvis est avocat, spécialisé dans les litiges opposant les agent·es à l’administration. La « mutation dans l’intérêt du service » est un procédé qui n’a rien de neuf et elle est surtout utilisée dans la fonction publique d’État, mais jusqu’ici tenue « à l’écart de l’organisation du mouvement des enseignants, assez étrangère même à l’Éducation nationale ». Et pour cause, considère l’avocat, « cette mesure discrétionnaire signe un acte d’autorité, une crispation hiérarchique, elle se manie normalement avec une extrême précaution ». Depuis 2018 et les années Blanquer, du nom du ministre de l’éducation nationale lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, les procédures se sont pourtant multipliées.
Pour Kai Terada, c’est un audit de plusieurs semaines mené en mars 2022 qui déclenche la procédure. L’enseignant se doute qu’il est « dans le collimateur », notamment à la suite d’un mouvement de grève assez dur, en 2020, à l’occasion de la réforme du baccalauréat. Il demande le 30 juin à consulter son dossier administratif : « Il n’y avait rien dedans, le vide, même pas de “chemise discipline”. » En septembre, quelques jours après que sa suspension lui est notifiée, il est convoqué au rectorat de Versailles, accompagné de défenseurs syndicaux et d’un avocat. « Toujours rien dans le dossier, et il m’a été répété que ce n’était surtout pas une sanction disciplinaire. Mais alors, pourquoi je suis muté ? »
Interrogé, le rectorat de Versailles se justifie : « Des situations de tensions au sein du lycée Joliot-Curie ont été remontées auprès des services académiques. Elles ont conduit à une mission de l’IGÉSR [l’inspection générale de l’éducation nationale et du sport –ndlr] à la demande du rectorat. Les faits portés à la connaissance des services du rectorat de Versailles nous ont conduits à arrêter un certain nombre de mesures afin de garantir le fonctionnement serein de cet établissement. » Parmi elles, la suspension de Kai Terada, une « mesure conservatoire » qui ne revêt pas « le caractère d’une procédure disciplinaire » mais qui a été prise « dans l’intérêt du service ».
Hélène a été mutée en 2021, en cours d’année, dans l’intérêt du service, en quinze jours c’était plié.
Jules Siran, Sud Éducation
Un processus opaque, assez similaire à celui vécu en 2019 par quatre enseignants du collège République de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, sanctionnés et mutés d’office. Un an plus tard, c’est au tour des « trois de Melle », dans les Deux-Sèvres, d’être suspendu·es, pour finir par écoper de sanctions allant du blâme à l’abaissement d’échelon, en passant par la mutation. Des mesures qui sont toutes contestées devant la justice.
À Clermont-Ferrand, la même année, six enseignant·es syndicalistes sont poursuivi·es pour « intrusion non autorisée dans un établissement scolaire » dans le cadre d’une grève, et placé·es sous la menace de sanctions disciplinaires, un fait alors inédit selon les organisations syndicales nationales. À Rennes, c’est au tour d’Édouard Descottes, lui aussi syndicaliste et très engagé au sein du réseau RESF (Réseau éducation sans frontières) d’être muté d’office, pour avoir notamment « encouragé à des actions consistant à entraver le fonctionnement du service public d’éducation ». Une « première vague », selon Jules Siran, cosecrétaire fédéral de Sud Éducation, à la suite de la très forte mobilisation contre les « E3C », ces épreuves communes de contrôle continu, mises en œuvre dans la nouvelle formule du baccalauréat.
Puis vint le cas d’Hélène Careil, enseignante engagée de l’école Marie-Curie de Bobigny (93), syndicaliste et adepte de la pédagogie Freinet, en poste dans l’école longtemps dirigée par Véronique Decker, connue pour ses nombreux écrits sur l’éducation en Seine-Saint-Denis. « Hélène a été mutée en 2021, en cours d’année, dans l’intérêt du service, en quinze jours c’était plié », raconte Jules Siran. Deux mois avant la fin de l’année scolaire, en 2022, six enseignant·es de l’école Pasteur de Saint-Denis sont eux aussi brutalement muté·es « dans l’intérêt du service », une affaire racontée ici par Mediapart. Là encore, c’est totalement inédit.
« À chaque fois, on est dans le haut du panier des bastions syndicaux, décrit Jules Siran. Il n’y a pas d’éléments pour une vraie sanction, mais le rectorat veut ramener “le calme” et la “sérénité” dans l’établissement. Le mode opératoire est toujours le même : on lance une procédure contre des militants sans fondement disciplinaire. » Interrogé sur une forme de récurrence dans le motif, le ministère de l’éducation nationale ne nous a pas répondu.
Le risque d’une sorte de « fait du prince »
En droit public, une procédure disciplinaire exige un cadre d’examen paritaire, avec des délais de convocation, la réunion d’une commission paritaire académique, réunissant administration et représentants syndicaux. Cette commission instruit un dossier, avec des délais de convocation, la possibilité pour les agent·es accusé·es de se défendre et d’être accompagné·es d’un syndicat ou d’un avocat, commission qui aboutit à un vote, dans lequel l’administration garde une voix prépondérante. « C’est très imparfait, mais on est dans une sorte d’État de droit », argue Jules Siran.
Depuis la loi de transformation de la fonction publique (votée en 2018, appliquée depuis 2019), qui a réduit comme peau de chagrin le pouvoir et le périmètre de ces commissions paritaires, la mutation dans l’intérêt du service n’est plus soumise à une commission préalable. Le risque est alors grand d’une sorte de « fait du prince ».
« La procédure de mutation dans l’intérêt du service, c’est un bon filon, un nouveau totem pour l’administration », critique Grégory Thuizat, secrétaire du syndicat SNUipp en Seine-saint-Denis. Une véritable « zone grise », qui n’est « malheureusement pas bien contrôlée par le juge », ce qui peut donner l’impression que « le processus est hors de contrôle », ajoute l’avocat Benoît Arvis. « Ce n’est cependant pas totalement en dehors du droit, car souvent précédé d’une enquête interne. Mais ces enquêtes dans l’Éducation nationale sont une catastrophe, elles sont menées par des membres académiques qui n’ont pas de vraie indépendance, ce n’est pas sérieux. »
« L’administration marche sur une ligne de crête dans ce genre d’affaires : la mutation dans l’intérêt du service lui permet de se protéger, car les recours portés devant le tribunal sont irrecevables à moins de prouver une discrimination puisqu’il n’y a pas officiellement sanction, confirme Bérenger Jacquinet, l’avocat des six enseignant·es de l’école Pasteur, muté·es contre leur gré. Mais les conditions permettant de qualifier une telle mesure sont quand même assez strictes, on ne peut pas qualifier d’“intérêt du service” tout et n’importe quoi, au bon vouloir du recteur ou de la rectrice. Nous considérons en l’espèce que la mutation est abusive. »
Abusive et incompréhensible, surtout, s’entête l’un·e des plaignant·es de Pasteur, toujours en accident de service (l’équivalent de l’accident de travail dans la fonction publique) plusieurs mois après l’annonce de sa mutation : « C’est extrêmement violent. Oui, nous étions à 100 % engagés pour les élèves, dans des conditions d’exercice difficiles, sans jamais hésiter à signaler les dysfonctionnements. Il n’aurait jamais fallu les dire puisque nous risquions de le payer… C’est d’autant plus injuste que mes collègues et moi avons toujours été très protocolaires, en passant d’abord par la hiérarchie, puis les instances de santé et sécurité, jamais par la presse ou en essayant d’en faire une grosse histoire. »
Toutes ces procédures ont été contestées, d’abord en référé (procédure rapide pouvant suspendre une décision de l’administration, en attendant un jugement sur le fond), le plus souvent perdues, mais également sur le fond du dossier, et sont en attente d’audience et de jugement pour la plupart. « Les rectorats jouent sur le temps long, la disproportion financière et un terrain juridique qui ne nous est pas favorable, fustige Aladin Lévêque, l’un des enseignants visés à Melle. Nous nous battons contre des dossiers complètement à charge, anonymisés, avec des pièces falsifiées, sans aucune vraisemblance. »
« Il n’y a que Pap Ndiaye pour arrêter ça »
Rassemblé·es dans le collectif « Sois prof et tais-toi », ces enseignant·es sont soutenu·es par une intersyndicale très large qui n’hésite plus à parler de « répression syndicale », qui viserait les organisations syndicales les plus contestataires, sans exclusive, allant de Sud Éducation à la CGT, en passant par FO ou le SNES-FSU. Des organisations prônant et pratiquant, pour certaines, une lutte de plus en plus dure ces dernières années dans les établissements, y compris par la grève, arguant du caractère totalement verrouillé du dialogue social ordinaire.
La conséquence à la fois d’une politique de « concertation » tous azimuts qui masque mal une relation devenue totalement délétère entre un ancien ministre, Jean-Michel Blanquer, et toutes les organisations syndicales, mais également d’une volonté plus profonde de rapprocher la fonction publique du fonctionnement managérial en entreprise.
« Avec le cas de Kai Terada, qui intervient au début de ce nouveau quinquennat, nous sommes à la croisée des chemins, assure Grégory Thuizat. Est-ce que le signal que va envoyer l’institution c’est la rupture ou la continuité du mandat Blanquer ? C’est tout l’enjeu du rassemblement de mercredi. » Même son de cloche chez Aladin Lévêque, depuis les Deux-Sèvres. « Ils ont tout essayé ces dernières années, en passer par la voie pénale à Clermont-Ferrand, la suspension puis la procédure disciplinaire, le blâme sans sanction disciplinaire, et ce nouveau cocktail de l’arbitraire, suspension sans motivation et mutation dans l’intérêt du service. Il n’y a que Pap Ndiaye pour arrêter ça. »
Jules Siran peine à y croire, son syndicat prépare d’ailleurs une saisine de la Défenseure des droits pour « présomption de discrimination syndicale » vis-à-vis de Sud Éducation, notoirement et depuis longtemps dans le viseur. « Au moment de la nomination du nouveau ministre, nous avons noté la volonté d’afficher un symbole progressiste. Pap Ndiaye, c’est quand même un historien qu’on cite dans les bibliographies de nos formations syndicales ! Mais les cas de répression se poursuivent et se ressemblent. »
Se refusant à commenter sur le fond ces décisions, le ministère a néanmoins reçu en audience une délégation assez conséquente à l’issue de la manifestation de mercredi, ce qui signe, sur la forme, un petit changement de pied. Kai Terada sera lui fixé sur son sort jeudi 22 septembre, à l'issue de sa convocation par le rectorat de Versailles.
Mathilde Goanec
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Dans l’enseignement privé, de plus en plus d’élèves très favorisés
EXTRAITS
Au collège, le secteur privé sous contrat compte 40 % d’élèves très favorisés, contre 20 % dans le secteur public, et l’écart ne cesse de se creuser. Alors que l’entre-soi se renforce, le ministre de l’éducation nationale veut relancer une politique de mixité sociale.
C’est une note des services statistiques du ministère de l’éducation nationale, parue pourtant au cœur de l’été, qui ne cesse d’alimenter les débats dans les cercles éducatifs, tant les chiffres y sont éloquents. Si l’enseignement privé sous contrat accueille environ un élève sur cinq en France depuis plusieurs décennies, l’entre-soi s’y est davantage renforcé que dans le public, indique cette étude, alors que le ministre, Pap Ndiaye, a fait de la mixité sociale une de ses priorités. A la rentrée 2021, 40 % des élèves scolarisés dans un collège privé sous contrat étaient issus d’un milieu social très favorisé, contre à peine 20 % dans le public.
Inversement, 18 % des collégiens du secteur privé sous contrat faisaient partie de classes sociales défavorisées, contre 42 % des élèves du secteur public. Des écarts qui n’ont fait que croître, alors que la ségrégation parmi les collèges publics suit une tendance légèrement à la baisse depuis 2018. En 1989, la proportion d’élèves de milieu social très favorisé était déjà supérieure de 11 points en classe de sixième dans les collèges privés par rapport au public. Elle grimpe aujourd’hui à plus de 20 points, avec une accélération depuis les années 2010. Le collège concentre les enjeux de mixité sociale, il est vrai. A l’école élémentaire, les familles font le choix de la proximité.
Au lycée, l’orientation entre filière générale, technologique et professionnelle provoque un tri social, les classes défavorisées étant plus représentées dans les deux dernières voies. Au-delà des chiffres nationaux, c’est à l’échelle locale que tout se joue, tant lieu de résidence et milieu social sont liés. Historiquement, les collèges et lycées privés se sont davantage implantés dans les centres-villes, volontiers plus bourgeois. Aujourd’hui, si un dixième des collèges privés scolarisent moins de 6 % d’élèves de milieu défavorisé, un dixième en accueille au moins 39 %, note l’étude du ministère de l’éducation nationale.
De fait, les écarts de composition sociale entre le privé et le public atteignent leur paroxysme en Ile-de-France, dans le sud méditerranéen et les départements et régions d’outre-mer. Le cas de Paris est, à ce titre, exemplaire. Dans la capitale, 37 % des collégiens sont scolarisés dans l’enseignement privé sous contrat, qui compte 3 % d’élèves défavorisés dans ses effectifs, selon les calculs de l’économiste de l’éducation Julien Grenet. Selon une étude qu’il a conduite en 2017, la « ségrégation sociale » dans les collèges de la capitale est due pour moitié à la typologie du quartier de résidence lui-même, et pour l’autre moitié à la part des élèves inscrits dans l’enseignement privé, une faible part (5 %) relevant d’inscriptions dans un collège public hors secteur.
(...)
L’entrée en sixième, point de bascule
Si, pour une part, les familles scolarisent leur enfant dans le privé par conviction religieuse notamment, pour une autre, ce choix n’était pas acquis au départ. L’entrée en sixième marque le plus souvent le point de bascule. La réputation du collège de secteur, la volonté de « donner le meilleur à son enfant » ou des craintes sur le niveau scolaire ou des violences supposées au sein de l’établissement jouent à plein pour éviter le public. Un dilemme qui touche davantage les classes moyennes et supérieures des grandes villes, où la concurrence entre public et privé est plus frontale, mais qui n’épargne pas d’autres territoires.
« Dans ce système scolaire devenu marché, des tensions existent entre l’intérêt général et les intérêts particuliers, entre l’égalité et la liberté », décrypte le sociologue Aziz Jellab. Cadre dans la fonction publique territoriale près de Clermont-Ferrand, Violaine (elle n’a pas souhaité donner son nom) n’imaginait pas un instant « mettre ses enfants dans le privé ». Une infirmière scolaire sème le doute pour son fils aîné, détectant une précocité en classe de CE1. « Il sera peut-être davantage dans son élément dans le privé », souffle-t-elle. Issue d’une « famille de profs », Violaine se dit bousculée et réfléchit tout au long de l’école élémentaire, avant d’opter pour un collège privé à l’entrée en sixième. « Il s’agissait de le protéger », raconte-t-elle, toujours en « dissonance cognitive » face à cette décision quelques années plus tard.
(...)
« Enseignement semi-public »
En parallèle de la fermeture de deux collèges publics ghettoïsés et d’une répartition des élèves dans les autres établissements du territoire, le conseil départemental de la Haute-Garonne module depuis 2019 une partie de la dotation de fonctionnement qu’il attribue aux collèges en fonction de leur composition sociale. Un dispositif d’incitation financière, sous forme de bonus-malus, qui ne concerne que les crédits pédagogiques, de l’ordre de 54 euros par élève en moyenne. Résultat, en 2022 : 56 collèges, tous publics, ont bénéficié d’un bonus, 40 structures publiques et sept privées ont reçu une dotation stable, et quatorze collèges, tous privés, se sont vus appliquer un malus.
Comment Pap Ndiaye pourra-t-il construire sa politique de mixité sociale face à cet état des lieux ? Y inclura-t-il l’enseignement privé sous contrat ? Cette question a tout d’un tabou dans la sphère politique, car la crainte de raviver la « guerre scolaire » est grande. D’un côté, l’enseignement privé ne veut pas entendre parler d’intégration à la carte scolaire ou de politique de quota. De l’autre, certains défenseurs du public crient au « séparatisme ».
Pour le secrétaire général du Comité national d’action laïque, Rémy-Charles Sirvent, « distinguer les enfants sur les bancs de l’école selon leur origine sociale pose problème pour la réussite de tous les élèves et du système scolaire dans son ensemble. C’est aussi un obstacle à la laïcité, car c’est là où se concentre le plus de pauvreté que ces questions sont aussi les plus vives ». L’enquête Pisa, initiée par l’Organisation de coopération et de développement économiques, le rappelle à chaque édition : la France est l’un des pays où l’origine sociale des élèves détermine le plus fortement leurs performances scolaires.
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Sylvie Lecherbonnier
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Dans l'enseignement privé, de plus en plus d'élèves très favorisés
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