Les associations signataires du communiqué dénonçant cette baisse du nombre de filles dans ces options expliquent enfin que la part des filles qui suivent la spécialité maths en terminale est inférieure à la part de celles qui choisissaient la filière scientifique d’avant la réforme. 48,4 % de filles étaient en S au lycée et aujourd’hui elles ne sont plus que 38,6 %. Cette proportion est même inférieure à ce qu’elle était en 1994.
Mélanie Guenais, vice-présidente de la Société des Mathématiques de France et maîtresse de conférences en mathématiques à l’université Paris-Saclay, explique que les chiffres sont « implacables » et qu’on aura beau essayer de les tordre dans tous les sens, ils démontrent tous un abandon féminin très fort en mathématiques. Avant même la mise en œuvre de la réforme, les associations disciplinaires et sociétés savantes avaient alerté de ce risque. Sans succès. « Mais ces derniers chiffres et cette chute vertigineuse sont la goutte d’eau. On voit bien les conséquences sur les inégalités de genre et la mixité sociale dans les disciplines scientifiques. »
"In fine, les sciences et les mathématiques en particulier vont demeurer un pré carré blanc et masculin".
Mélanie Guenais, vice-présidente de la Société des mathématiques de France
La réforme renferme en elle-même la source des inégalités, disent les signataires du texte. « Le problème est lié à la restriction des choix à partir de la première. Avant la réforme, le statut assumé de la terminale S était d’être une section généraliste pour les bons élèves qui voulaient se donner du temps et des possibilités. Aujourd’hui, les sciences sont réservées à ceux qui veulent faire carrière dans ce domaine et, pour les plus motivés, avec un niveau plus élevé. C’est terriblement élitiste », analyse encore Mélanie Guenais.
Pour elle, davantage de pression va s’exercer sur les filles et, in fine, les sciences et les mathématiques en particulier vont demeurer un « pré carré blanc et masculin ».
C’est exactement l’objet du travail de Clémence Perronnet, docteure en sociologie et maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université catholique de l’Ouest et autrice de La bosse des maths n’existe pas, paru en 2021 aux éditions Autrement.
Elle déplore que cette réforme valorise les choix individuels. « Plus les jeunes gens ont le choix, plus il y a de compétitivité, plus les filières sont ségréguées. Cela ne veut pas dire que les appétences naturelles sont liées au fait d’être une fille ou un garçon mais, de fait, les filières sont genrées. La structure de l’école est ainsi faite. »
Elle confirme que ce résultat était prévisible et avait été pointé par les différentes associations avant même la mise en œuvre concrète de la réforme. L’autrice s’étonne que ces chiffres arrivent aussi tôt et soient si significatifs, étant donné que d’ordinaire les effets d’un changement mettent plusieurs années pour être visibles.
La chercheuse précise qu’il convient de rester prudent lorsqu’on explique les inégalités en sciences par un défaut de confiance en soi, de l’autocensure ou des stéréotypes très ancrés chez les filles, car cela contribue à rejeter la faute sur elles. Cet état de fait est plutôt imputable à différents mécanismes comme l’éducation, la socialisation des jeunes filles, qui sont moins à l’aise dans les filières élitistes, ou encore leur perception d’elles-mêmes qui fait qu’elles sont convaincues d’être moins bonnes que les garçons.
Clémence Perronnet prend un exemple précis. « Cette dimension va être renforcée par l’existence d’une option maths experte en terminale. Elle va être délaissée par les jeunes filles car l’expertise requise, une compétence codée comme masculine, va les dissuader de postuler. C’est insensé de baptiser une option ainsi alors qu’on est censé être dans un contexte d’apprentissage. Tout ce système de valeurs va être défavorable aux filles et aux élèves de milieu populaire. »
Et, par un effet domino, le nombre de filles dans les filières scientifiques du supérieur, notamment dans les classes préparatoires, va s’amenuiser.
L’enjeu est connu de longue date. La preuve : Anne Boyé, docteure en histoire des mathématiques et présidente de l’association Femmes et mathématiques, rappelle que cette dernière existe depuis 1987. Elle essaie d’œuvrer pour inciter les élèves de collège et de lycée à s’engager dans des études scientifiques et à choisir en amont ces spécialités au moment venu. « Ce qui se passe est gravissime pour l’avenir scientifique du pays. »
"Cette réforme saborde tous nos efforts. On avait l’impression que ça prenait un peu, que le regard des filles et leurs familles sur les maths évoluait"
Anne Boyé, présidente de l’association Femmes et mathématiques
Un haut niveau d’exigence affirmé exclut de fait les filles, comme l’ont documenté la sociologie et la psychologie. Anne Boyé insiste sur le fait qu’encore aujourd’hui trop souvent les freins à la présence de femmes dans les disciplines scientifiques sont nourris par des stéréotypes ancrés dans la société.
« Lors de nos interventions, souvent à l’initiative d’enseignants ou des inspecteurs, on voit que les filles sont sensibles aux pressions familiales et sociales. Alors on fait venir des femmes qui ont fait des études “normales” et qui ont trouvé du plaisir dans une profession où avoir fait des maths les valorise. On travaille aussi sur l’orientation et on fait des ateliers pour les conscientiser et leur expliquer que les professions ne sont pas genrées. »
Les jeunes filles ont ainsi la possibilité d’être marrainées et soutenues au long de leur cursus scolaire et dans la constitution de leur dossier pour Parcoursup.
Pour Anne Boyé, féminiser les études scientifiques est crucial à tous les niveaux, car les « professions d’avenir sont liées à l’enseignement des sciences. Les filles sont ainsi privées de professions passionnantes et parfois rémunératrices. Cette réforme saborde tous nos efforts. On avait l’impression que ça prenait un peu, que le regard des filles et leurs familles sur les maths évoluait… »
De son côté, Clémence Perronet, avance que sans volonté politique ni impulsion gouvernementale forte, rien ne bougera. Notamment parce que l’école de Blanquer ne va pas dans le sens de l’égalitarisme et de l’inclusivité. Pour corriger le tir, il faudrait par exemple repenser l’enseignement des mathématiques et sciences plus largement en débloquant des moyens et en revalorisant les professions enseignantes, puisque le nombre de candidat·es au Capes de maths est en chute libre. « Mais l’intérêt économique de faire venir plus de femmes en sciences est contrebalancé par une volonté de maintenir les privilèges d’un groupe masculin. »
Contacté par Mediapart, Olivier Sidokpohou, inspecteur général de l’éducation nationale et copilote avec Mélanie Caillot du rapport tout juste publié, « Analyse des vœux et affectations dans l’enseignement supérieur des bacheliers 2021 après la réforme du lycée général et technologique », balaie les inquiétudes des sociétés savantes. Il explique que le problème principal reste que les filles, quand bien même elles suivent un cursus scientifique au lycée, ne poursuivent pas leurs études supérieures dans des filières scientifiques. Et qu’avant les élèves de terminale S n’intégraient pas ensuite forcément les écoles d’ingénieurs.
Pour le reste, Olivier Sidokpohou explique que la proportion de filles dans les formations scientifiques du supérieur – ce qui fait l’objet d’une attention particulière, assure-t-il – est restée stable. « Il n’y a pas eu l’effondrement qui pouvait être craint. »
Dans un communiqué de presse du 26 janvier, le ministère de l’éducation nationale a pour sa part réaffirmé que « l’augmentation du niveau général des élèves en mathématiques de manière durable, à tous les âges, est une priorité du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports ». Et ce même si les chiffres le contredisent.
Faïza Zerouala