Coup de coeur...
J’ai avalé une fameuse gorgée de poison. – Trois fois béni soit le conseil qui m’est arrivé ! – Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j’étouffe, je ne puis crier. C’est l’enfer, l’éternelle peine ! Voyez comme le feu se relève ! Je brûle comme il faut. Va, démon !
J’avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. Puis-je décrire la vision, l’air de l’enfer ne soufre pas les hymnes ! C’était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je ?
Les nobles ambitions !
Et c’est encore la vie ! – Si la damnation est éternelle ! Un homme qui veut se mutiler est bien damné, n’est-ce pas ? Je me crois en enfer, donc j’y suis. C’est l’exécution du catéchisme. Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent ! – L’enfer ne peut attaquer les païens. – C’est la vie encore ! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Un crime, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine.
Tais-toi, mais tais-toi !… C’est la honte, le reproche, ici: Satan qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte. – Assez !… Des erreurs qu’on me souffle, magies, parfums, faux, musiques puériles. – Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice: j’ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection… Orgueil. – La peau de ma tête se dessèche. Pitié ! Seigneur, j’ai peur. J’ai soif, si soif ! Ah ! l’enfance, l’herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze… le diable est au clocher, à cette heure. Marie ! Sainte-Vierge !… – Horreur de ma bêtise.
Là-bas, ne sont-ce pas des âmes honnêtes, qui me veulent du bien… Venez… J’ai un oreiller sur la bouche, elles ne m’entendent pas, ce sont des fantômes. Puis, jamais personne ne pense à autrui. Qu’on n’approche pas. Je sens le roussi, c’est certain.
Les hallucinations sont innombrables. C’est bien ce que j’ai toujours eu: plus de foi en l’histoire, l’oubli des principes. Je m’en tairai: poëtes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer.
Ah ça ! l’horloge de la vie s’est arrêtée tout à l’heure. Je ne suis plus au monde. – La théologie est sérieuse, l’enfer est certainement en bas – et le ciel en haut. – Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes.
Que de malices dans l’attention dans la campagne… Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages… Jésus marche sur les ronces purpurines, sans les courber… Jésus marchait sur les eaux irritées. La lanterne nous le montra debout, blanc et des tresses brunes, au flanc d’une vague d’émeraude…
Je vais dévoiler tous les mystères: mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories.
Écoutez !…
J’ai tous les talents ! – Il n’y a personne ici et il y a quelqu’un: je ne voudrais pas répandre mon trésor. – Veut-on des chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l’anneau ? Veut-on ? Je ferai de l’or, des remèdes.
Fiez-vous donc à moi, la foi soulage, guide, guérit. Tous, venez, – même les petits enfants, – que je vous console, qu’on répande pour vous son coeur, – le coeur merveilleux ! – Pauvres hommes, travailleurs ! Je ne demande pas de prières; avec votre confiance seulement, je serai heureux.
– Et pensons à moi. Ceci me fait peu regretter le monde. J’ai de la chance de ne pas souffrir plus. Ma vie ne fut que folies douces, c’est regrettable.
Bah ! faisons toutes les grimaces imaginables.
Décidément, nous sommes hors du monde. Plus aucun son. Mon tact a disparu. Ah ! mon château, ma Saxe, mon bois de saules. Les soirs, les matins, les nuits, les jours… Suis-je las !
Je devrais avoir mon enfer pour la colère, mon enfer pour l’orgueil, – et l’enfer de la caresse; un concert d’enfers.
Je meurs de lassitude. C’est le tombeau, je m’en vais aux vers, horreur de l’horreur ! Satan, farceur, tu veux me dissoudre, avec tes charmes. Je réclame. Je réclame ! un coup de fourche, une goutte de feu.
Ah ! remonter à la vie ! Jeter les yeux sur nos difformités. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit ! Ma faiblesse, la cruauté du monde ! Mon dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal ! – Je suis caché et je ne le suis pas.
C’est le feu qui se relève avec son damné.
Arthur Rimbaud - Nuit de l' enfer
Quand les GAFA captent l'attention des enfants
Jeux vidéos, smartphones, réseaux sociaux, ... la numérisation se poursuit, entrainant dans son sillage de plus en plus d'enfants, aujourd'hui devenus de véritables cibles marketing pour les géants du numérique. L'exposition massive des enfants aux écrans est-elle vraiment sans danger?
Pourquoi les enfants sont-ils de plus en plus rivés aux écrans ?
Les sociologues contemporains, confrontés à la crise de la famille, à la survalorisation de "l' enfant-roi" et aux effets de la baisse de la natalité, ont cherché dans l'histoire les prémisses ou les causes des évolutions actuelles. En affirmant que "la jeunesse n’est qu’un mot", Pierre Bourdieu lançait une invitation à retracer l’histoire de l’invention de cette catégorie.
De catégorie pour les sciences sociales, l’enfance devient aujourd'hui une véritable cible marketing, qui n'échappe pas aux géants du numérique.
Le numérique apparaît alors comme un danger, accusé, par exemple, d’être le "mal du siècle" par des députés qui travaillent sur une proposition de loi à ce sujet.
Lorsque l’on souligne les dangers du numérique, il convient de revenir un peu en arrière. Depuis les débuts de la télévision, les parents ont volontiers confié leurs enfants aux écrans. Dans un article : “De Televisius à Gulli : l'invention des enfants de la télé (1949-2005)”, l’historienne Géraldine Poels s’intéressait à la façon dont la télévision a contribué à (ré)inventer les enfants et l’enfance en France, dans la seconde moitié du XXe siècle. Aussi écrit-elle : “Aucune catégorie de téléspectateurs n’a suscité autant de discours et d’études que les enfants, car ce public cristallise toutes les inquiétudes" étant donné que c'est durant son enfance qu'un individu se construit et développe des compétences cognitives ou sensorielles qui lui seront indispensables tout au long de sa vie.
Dans le secteur de la télévision, on peut noter, d'une part, “l’invention du public enfantin” : avec la difficulté à le définir et donc à lui proposer des programmes "ciblés" et d’autre part, le poids des discours normatifs sur ce qui est bon ou non pour les enfants.
Ce type de réflexion peut être indéniablement prolongé avec les outils numériques contemporains comme les jeux vidéos, plateformes vidéos, réseaux sociaux, ainsi qu'au travers des stratégies utilisées par les géants du numérique pour capter l'attention des tout petits.
Les écrans sont dorénavant largement présents dans leur quotidien étant donné qu'un nombre important de ménages sont aujourd'hui équipés d’ordinateur, de téléviseur, de téléphone portable et d’une connexion internet.
Pourtant, les attitudes face aux écrans divergent selon les familles et les valeurs éducatives : à 2 ans, 9 % des enfants n’en consomment aucun, tandis que 4 % d’entre eux en consomment quotidiennement 3 ou 4 (télévision, ordinateur ou tablette, smartphone et jeux vidéo)en 2019 selon une étude menée par le Ministère de la Culture, illustrant la nécessité de mieux comprendre l'impact des écrans sur le développement futur de l'enfant et à adapter les politiques en fonction des publics. Il s'agit aussi de se questionner sur la légitimité des activités commerciales des grandes entreprises de la tech autour de leur volonté de directement cibler le jeune public.
L'exposition de plus en plus massive des jeunes enfants aux écrans constitue ainsi un véritable enjeu de santé publique majeur qu'il est aujourd'hui nécessaire d'aborder.
Quels usages les enfants font-ils du numérique aujourd’hui ? De quelle manière les entreprises essaient-elles de cibler ce public, de capter leur attention et de monétiser cette audience ? A l'image de la volonté de développer un Instagram destiné aux enfants de la part de Facebook, comment les GAFA cherchent à renforcer l'intérêt des enfants pour leurs produits?
Pour répondre à l'ensemble de ces questions, nous avons le plaisir de recevoir en studio Marie Danet, psychologue clinicienne, et maîtresse de conférences à l'Université de Lille et Anne Cordier, professeure des universités en sciences de l'information à l’Université de Lorraine et chercheuse au centre de recherche sur les médiations en duplex.
Tiphaine de Rocquigny
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Quand les GAFA captent l'attention des enfants - Ép. 1/3 - Une économie de l'enfance
Jeux vidéos, smartphones, réseaux sociaux, ... la numérisation se poursuit, entrainant dans son sillage de plus en plus d'enfants, aujourd'hui devenus de véritables cibles marketing pour les g...
D’Arles à Douarnenez, la nouvelle vie des ex-écoliers parisiens
EXTRAITS
Ils sont 6 000 à avoir quitté la capitale à la rentrée 2021, soit 5 % des effectifs. Un « effet Covid » cumulé à une tendance longue de départ des familles parisiennes. Un bouleversement dans la vie scolaire, pour ceux qui partent comme pour ceux qui restent.
« Avant, mon fils était tout blanc. Maintenant, il est tout bronzé. » C’est ainsi que Jordi Ballart, historien de l’art, résume son déménagement, il y a quelques semaines, du 9e arrondissement de Paris vers Arles (Bouches-du-Rhône). Lui est originaire d’Espagne, sa femme, d’Italie : « Paris nous a beaucoup apporté, mais au bout d’un moment la Méditerranée nous manquait. » Plusieurs confinements en appartement à Paris ont fait le reste. « A l’arrivée du Covid, on a commencé à réfléchir au sens que cela avait de vivre dans une ville aussi dense, aussi chère. On s’est dit que c’était le moment de partir. »
Le fils de Jordi Ballart compte parmi les 6 000 écoliers parisiens qui manquaient à l’appel en cette rentrée 2021, auxquels s’ajoutent 900 collégiens. Un « effet Covid indiscutable », assurent de concert la Mairie de Paris et le rectorat. La tendance à la baisse était forte depuis une décennie, sous l’effet combiné de la hausse des prix des logements et d’une baisse de la natalité. « Mais on voit bien que le Covid a provoqué une accélération, insiste Antoine Destrés, le directeur de l’académie de Paris. Entre 2015 et 2019, on perdait entre 2 000 et 3 000 élèves par an, et proportionnellement plus en maternelle qu’en élémentaire. En 2020, ils étaient déjà plus nombreux, autour de 3 700… »
Le pic de septembre paraît cependant exceptionnel à la communauté éducative parisienne, où Mairie et rectorat estiment que la rentrée 2022 devrait retrouver un cours « normal » : autour de 2 000 à 3 000 élèves en moins.
Dans les académies franciliennes de Versailles et Créteil, la rentrée 2021 a également vu une baisse des effectifs. « Chez nous aussi, les écoles se vident, rapporte Catherine Da Silva, directrice à Saint-Denis et responsable départementale SNUipp-FSU. Depuis le confinement, les familles cherchent à partir des cités vers les pavillons, ou plus loin dans la banlieue résidentielle. »
(...)
« Chez nous, il n’y a pas une année où on n’emmène pas les maternelles à la pêche à pied ! », confirme fièrement Sabrina Manuel, directrice d’école à Ploudalmézeau (Finistère) et déléguée du SNUipp-FSU dans le département. Son école accueille sept enfants arrivés de la région parisienne entre 2020 et 2021. « Les plus grands sont tout étourdis d’apprendre qu’il y aura un cycle de voile à l’école primaire, s’amuse-t-elle, même si, c’est vrai, on n’ira pas voir la tour Eiffel. »
Les familles nouvellement arrivées sont « plutôt CSP+ [catégories socioprofessionnelles supérieures] », constate, pour sa part, Aurélie Guiziou, qui dirige une école de deux classes à Combrit, dans le sud du Finistère. « Ce sont des gens qui offrent d’eux-mêmes une ouverture culturelle exceptionnelle à leurs enfants. » Son école de deux classes a vu arriver douze élèves de la capitale en deux ans, « soit une augmentation de 10 % des effectifs ».
Si ces nouveaux parents posent de nombreuses questions sur le fonctionnement de l’école, les deux enseignantes bretonnes disent n’y avoir perçu aucun snobisme, plutôt un désir de s’intégrer – auquel s’est ajoutée, au début, une anxiété de « trouver de la place » pour scolariser les petits. « On a répondu que l’école accueillait tout le monde », rapporte Sabrina Manuel, qui note avec malice que certains ont jugé utile de mentionner un « grand-père breton » de peur d’être perçus comme des envahisseurs. « On ne demande de passeport breton à personne, les gens s’installent où ils veulent », insiste-t-elle, en ajoutant que les communes du littoral breton, comme la sienne, sont néanmoins confrontées à un vrai problème de montée des prix de l’immobilier.
(...)
Parmi les écoliers de la capitale, certains, pourtant, ne partiront jamais. « Evidemment, il faut avoir réglé le problème du logement », convient Olivier Pala, père d’un élève toujours scolarisé dans l’école de Belleville qu’a quittée le fils de Pierre-Marie Williamson. Lui a bénéficié du 1 % logement grâce à son entreprise, et vit ainsi dans un appartement à loyer modéré. « Mon fils a perdu quatre ou cinq copains en septembre, rapporte-t-il. Mais j’ai toujours, autour de nous, des parents avec des super jobs, des architectes, des avocats et des profs de la Sorbonne. C’est un environnement bénéfique pour mes enfants, auquel je ne me vois pas renoncer. » Pour cet ingénieur en informatique, le télétravail n’a pas été une révolution. « J’en faisais depuis des années, assure-t-il. Et croyez-moi, c’est aussi un moyen de redécouvrir Paris. »
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D'Arles à Douarnenez, la nouvelle vie des ex-écoliers parisiens
Ils sont 6 000 à avoir quitté la capitale à la rentrée 2021, soit 5 % des effectifs. Un " effet Covid " cumulé à une tendance longue de départ des familles parisiennes. Un bouleversement dan...
Chers amis...
Chers amis,
le blog prend ses quartiers de Noël et de fin d'année.
Je vous souhaite de joyeuses fêtes et prenez soin de vous...
Amitiés
CC
Coup de coeur... Mehdi Charef...
J’avais onze ans quand je lui ai appris à écrire son nom en français. Je ne supportais plus de signer moi-même mes bulletins scolaires. Les autres élèves de l’école revenaient avec la signature de leurs parents, moi pas– pourtant, j’avais moi aussi un père et je voulais qu’il existe. Je voulais que des fois, il tienne un stylo dans sa main à la place de ce putain de marteau-piqueur qui pèse trente kilos et qu’il enfonce toute la journée au plus profond de la terre, sur les chantiers.
Mon père reconnaît les lettres de l’alphabet français qui composent son nom. Ému, il fait un pas vers les boîtes, tend le doigt vers l’étiquette blanche où est écrit « Charef ». Je ne dis rien. Je le regarde, l’observe. C’est son nom, qui est aussi devenu le mien: Charef. À quoi pense-t-il ?
Beaucoup d’hommes rêvent de voir leur nom briller en rouge, en larges lettres, encadré de néons multicolores, scintillant, clignotant, en haut d’une affiche, sur un fronton. Mon père, son nom n’est pas plus haut que ses yeux et, déjà, il n’en revient pas.
Il a réussi, mon papa. L’exil qu’il nous a fait subir, les bidonvilles, la sordide cité de transit, il sait que tout ça, on en a souffert. Il s’en sent responsable. C’est sa honte : toutes ces années d’humiliation, de culpabilité l’ont rendu silencieux. Toutes ces années, il n’a jamais eu de quoi être fier, content, et dans ce cas, on ferme sa gueule. Maintenant, il respire, et nous aussi. Son nom est visible, lui le devient pour lui-même, ça lui convient, lui suffit. Il y est arrivé, mon père : sa mission est terminée.
Mehdi Charef - La cité de mon père
« Les charlatans du “c’était mieux avant” cherchent à accréditer le mythe d’un pays heureux avant l’arrivée des migrants musulmans »
EXTRAITS
L’expression s’annonce comme l’une des ritournelles de la campagne présidentielle de 2022 et des candidats qui prétendent « sauver la France », souligne Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.
« C’était mieux avant ». Vraiment ? Des mineurs mouraient de silicose, des femmes succombaient entre les mains de « faiseuses d’ange », on enfermait des malades mentaux, le journal télévisé était conçu au ministère de l’information et les usines crachaient fumées et déchets sans émouvoir personne. Les baby-boomers le savent parfaitement : la croissance flamboyante des « trente glorieuses » masquait des réalités que personne n’accepterait aujourd’hui. Qui peut être nostalgique d’un temps où les enfants d’ouvriers n’entraient pas en classe de 6e ? Où la soumission des femmes était la règle ? Où les immigrés s’entassaient dans des bidonvilles ? Où le téléphone était un luxe et où les accidents de la route tuaient chaque année l’équivalent d’une petite ville ? Voire du temps où chaque jeune Français passait les plus belles années de sa vie à faire la guerre en Algérie ?
Et pourtant, le « c’était mieux avant » s’annonce comme l’une des ritournelles de la campagne présidentielle 2022. Pour les candidats qui prétendent « sauver la France », marteler que le pays est au fond de l’abîme est un impératif. Ils pensent pouvoir exploiter le « déclinisme » affiché par deux Français sur trois dans les sondages. Après tout, l’élection de Donald Trump ou le choix du Brexit par les Britanniques résultent largement de discours promettant le retour à un prétendu Age d’or.
A tout prix, il faudrait désormais convaincre les électeurs que la France du général de Gaulle ou celle de Michel Sardou était un pays heureux et prospère, un paradis perdu qu’il s’agirait de recréer. Que les archives de l’INA et les photos de nos vieux albums reflètent une société insouciante, où un emploi attendait chacun, où les familles communiaient devant leur poste de télé, où les professeurs étaient considérés et la France respectée dans le monde.
(...)
Mais les discours politiques actuels induisant que « la France n’est plus la France » ne visent évidemment pas à entretenir la nostalgie des pantalons à pattes d’éléphant, du Formica ou du tube de l’été 1970. Sous couvert de « rétro » ou de « vintage », il s’agit de diffuser le fantasme d’un pays en voie de submersion par des « vagues migratoires » incontrôlées et le mythe d’un pays heureux avant l’arrivée des musulmans. Autrement dit, de faire de ces derniers les boucs émissaires des tensions nées des bouleversements technologiques et géopolitiques, en profitant des amplificateurs d’émotion que sont les réseaux sociaux.
Le tour de passe-passe des charlatans de la nostalgie, leur stratégie de la haine, suppose de passer sous silence les exemples d’intégration réussie, de nier les atouts que donne à la France sa diversité, de fermer les yeux sur les Français qui, sans bruit, aident les réfugiés à s’enraciner. Tout cela pour mieux attiser les peurs nées des attentats islamistes, pour essentialiser des populations en niant leur diversité, pour mieux faire croire à la fable d’un pays en guerre civile.
(...)
Dans un court manifeste, spirituel et convaincant, rédigé contre les « grands-papas ronchons », l’historien et philosophe Michel Serres énumère, exemples vécus à l’appui, les mille exemples de la fausseté du poncif « c’était mieux avant », expression qui fait le titre de son livre (2017, éditions Le Pommier). Il soutient que chaque grande césure historique, comme celle que vit le monde ces temps-ci (mondialisation, climat, Internet) suppose un changement de mode de pensée qui a un coût. Plutôt que de ruminer le passé, il appelle à « construire et non à regretter ». « Le monde n’a jamais cessé de changer, constate-t-il. Tout le problème est d’accompagner ce changement pour qu’il débouche sur le meilleur. »
(...)
... Plutôt que de nier ou d’euphémiser les tensions sociales et les violences liées à la multiplication des ghettos urbains et de ses corollaires en matière d’échec scolaire, de chômage, de drogue et de perméabilité à la propagande islamiste, il s’agit d’afficher ces enjeux à la fois sociaux, urbanistiques, scolaires et sécuritaires comme ultra-prioritaires pour le prochain quinquennat. Bref, d’esquisser un avenir enviable et crédible, où la République tient ses promesses, afin de sortir du faux dilemme entre guerre civile et « bon vieux temps ».
Joan Baez, ma gauche... Écoutant son cœur parce que c’est là que se trouve sa conscience...
Un souvenir à te raconter...
Un jour, ma mère a posé un vinyle sur le tourne-disque. Je devais avoir huit ou neuf ans. Je me souviens très bien ce jour-là. La porte du couloir donnant sur le jardin encore fleuri en ce mois de septembre marocain était grande ouverte. La fenêtre, également ouverte, de ma chambre où je jouais sur l’épais tapis acheté à Fès – il était d’un bleu que Braque aurait aimé avec ses quelques parements noirs à chaque angle – offrait au vent la possibilité de rafraîchir la maison. Accompagnant cette caresse, j’ai alors entendu la voix d’une femme. Cette voix allait accompagner ma vie pendant un demi-siècle. L'accompagne encore. L'accompagnera toujours.
Joan… Joan Baez… Je ne savais rien de ses combats ce jour de septembre. Je ne savais rien de ses amours avec un certain Bob Dylan. Je ne savais rien d’autre que le son de sa voix qui avait arrêté mes jeux d’enfant. J’écoutais. Émerveillé. Sidéré. Je ne savais pas encore qu'un demi-siècle plus tard j’en parlerai, en écoutant « Sad-Eyed Lady Of The Lowlands ». Je ne savais pas que Joan allait accompagner ma vie. Je ne savais pas que Joan allait provoquer mes prises de conscience adolescentes. Je ne savais pas que Joan me ferait pleurer en chantant « Sag mir wo die blumen sind » ou « Where are the flowers gone ». Je ne savais pas qu’un jour, au lycée de Bagnères-de-Bigorre où je passais le mois de juillet à approfondir mon anglais, je découvrirai « Here’s to you » en embrassant Héléna, vénézuélienne de mon âge – quinze ans – avec qui j’approfondirai beaucoup plus l’art du baiser que celui de la langue de Shakespeare.
Joan Baez, c’est la gauche. C’est ma gauche. Au-delà de l’artiste, il y eut et il y a toujours ses engagements. Ce sont les miens. À vingt et un ans, elle fait la « Une » de Time Magazine ! Pacifiste.
Ecologiste avant tout le monde. Jamais dans la nostalgie de ce qui fut, croyant que « c’était mieux avant ». Soucieuse de ceux qui souffrent. Écoutant son cœur parce que c’est là que se trouve sa conscience. Que se trouvent nos consciences bien davantage que dans les discours des donneurs de leçons technocratiques. Anti raciste évidemment. Toujours opposée mais toujours « proposante ». Ma gauche. Lumineuse et ouverte aux autres cultures, à l'universalisme, loin de tout identitarisme dangereux.
J’ai écouté Joan Baez assis sur le tapis de ma chambre. Ma mère fredonnait dans un anglais qu’elle ne comprenait pas. Je me souviens de la chanson… « Farewell Angelina ».
J’aimerais tant un jour te faire découvrir cette femme. Son timbre est aujourd’hui plus fragile. Mais la force est là. Toujours… Elle, une guitare, une voix…
Le vent frais traversait la maison de part en part.
Comme me transperça cette voix, un jour de septembre, au Maroc…
Je n’ai jamais retiré la flèche !
Christophe Chartreux
Coup de coeur... Albert Camus...
Tout au bout de ce long effort mesuré par l'espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint. Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d'où il faudra la remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine.
C'est pendant ce retour, cette pause, que Sisyphe m'intéresse. Un visage qui peine si près des pierres est déjà pierre lui-même. Je vois cet homme redescendre d'un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. Cette heure qui est comme une respiration et qui revient aussi sûrement que son malheur, cette heure est celle de la conscience. A chacun de ces instants, où il quitte les sommets et s'enfonce peu à peu vers les tanières des dieux, il est supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher.
Si ce mythe est tragique, c'est que son héros est conscient. Où serait en effet sa peine, si à chaque pas l'espoir de réussir le soutenait ? L'ouvrier d'aujourd'hui travaille, tous les jours de sa vie, aux mêmes tâches et ce destin n'est pas moins absurde. Mais il n'est tragique qu'aux rares moments où il devient conscient. Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté, connaît toute l'étendue de sa misérable condition : c'est à elle qu'il pense pendant sa descente. La clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris.
Si la descente ainsi se fait certains jours dans la douleur, elle peut se faire aussi dans la joie. Ce mot n'est pas de trop. J'imagine encore Sisyphe revenant vers son rocher, et la douleur était au début. Quand les images de la terre tiennent trop fort au souvenir, quand l'appel du bonheur se fait trop pressant, il arrive que la tristesse se lève au cœur de l'homme : c'est la victoire du rocher, c'est le rocher lui-même. Ce sont nos nuits de Gethsémani. Mais les vérités écrasantes périssent d'être reconnues. Ainsi, Œdipe obéit d'abord au destin sans le savoir. A partir du moment où il sait, sa tragédie commence. Mais dans le même instant, aveugle et désespéré, il reconnaît que le seul lien qui le rattache au monde, c'est la main fraîche d'une jeune fille. Une parole démesurée retentit alors : " Malgré tant d'épreuves, mon âge avancé et la grandeur de mon âme me font juger que tout est bien. " L'Œdipe de Sophocle, comme le Kirilov de Dostoïevsky, donne ainsi la formule de la victoire absurde. La sagesse antique rejoint l'héroïsme moderne.
On ne découvre pas l'absurde sans être tenté d'écrire quelque manuel du bonheur. " Eh ! quoi, par des voies si étroites... ? " Mais il n'y a qu'un monde. Le bonheur et l'absurde sont deux fils de la même terre. Ils sont inséparables. L'erreur serait de dire que le bonheur naît forcément de la découverte absurde. Il arrive aussi bien que le sentiment de l'absurde naisse du bonheur. " Je juge que tout est bien ", dit Œdipe, et cette parole est sacrée. Elle retentit dans l'univers farouche et limité de l'homme. Elle enseigne que tout n'est pas, n'a pas été épuisé. Elle chasse de ce monde un dieu qui y était entré avec l'insatisfaction et le goût des douleurs inutiles. Elle fait du destin une affaire d'homme, qui doit être réglée entre les hommes.
Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose. De même, l'homme absurde, quand il contemple son tourment, fait taire toutes les idoles. Dans l'univers soudain rendu à son silence, les mille petites voix émerveillées de la terre s'élèvent. Appels inconscients et secrets, invitations de tous les visages, ils sont l'envers nécessaire et le prix de la victoire. Il n'y a pas de soleil sans ombre, et il faut connaître la nuit.
L'homme absurde dit oui et son effort n'aura plus de cesse. S'il y a un destin personnel, il n'y a point de destinée supérieure ou du moins il n'en est qu'une dont il juge qu'elle est fatale et méprisable. Pour le reste, il se sait le maître de ses jours. A cet instant subtil où l'homme se retourne sur sa vie, Sisyphe, revenant vers son rocher, contemple cette suite d'actions sans lien qui devient son destin, créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire et bientôt scellé par sa mort. Ainsi, persuadé de l'origine tout humaine de tout ce qui est humain, aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n'a pas de fin, il est toujours en marche. Le rocher roule encore.
Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
Albert Camus - Le Mythe de Sisyphe
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Repenser l'inhumanité avec Maryline Maeso, philosophe et enseignante et spécialiste d'Albert Camus
Marylin Maeso revisite "La Peste" d' Albert Camus pour saisir, à la racine, les rouages de la déshumanisation. "Inhumain" ne se prononce pas à la légère Dans l'imaginaire collectif, ce mot con...
https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-philo/l-heure-philo-du-vendredi-17-decembre-2021