
EXTRAITS
Des stagiaires qui renoncent à entrer dans le métier, des professeurs qui souhaitent le quitter… Face à cette désaffection grandissante, l’éducation nationale essaie tant bien que mal de retenir ses salariés, sans vraiment répondre à leur malaise.
Il aurait dû faire sa première rentrée des classes en tant que titulaire il y a un an. Mais Baptiste (il souhaite rester anonyme, comme les autres personnes citées par leurs prénoms), 25 ans, a choisi de « s’échapper » avant. Quatre mois à enseigner la musique comme professeur stagiaire dans un collège de Douai (Nord) lui ont suffi à prendre sa décision : en janvier 2020, il a posté sa lettre de démission.
« Il n’y a pas eu d’événement déclencheur, rapporte-t-il, ça se passait bien avec mes élèves, et même très bien lors des inspections, mais je ne me sentais pas à l’aise… Le fonctionnement, la vie de l’établissement : tout cela me semblait très éloigné de ma passion pour la musique. » Le jeune homme a « tenu l’année ». « Tu es fou : pourquoi faire ça après cinq ans d’études, un concours en poche [le Capes], et la sécurité de l’emploi ? », lui ont dit ses proches. Mais son choix était arrêté : en septembre, il n’a pas repris le chemin du collège, « sans temps perdu et sans regrets ». Il met désormais « toute son énergie » dans l’entreprise agricole familiale pour, espère-t-il, la « faire évoluer ».
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« Se relancer » : Marion Favry, qui accueille dans son cabinet de psychopraticienne, à Paris, un certain nombre de professeurs, en parle avec les intéressés. Surtout depuis que la crise sanitaire s’est installée dans le paysage scolaire. « Le sentiment de solitude et de perte de sens a augmenté. De confinement en confinement, ils ont pris du recul. Ceux que j’accompagne, notamment les plus jeunes, ont davantage de facilité à envisager un changement de carrière », estime-t-elle. Elle-même a fait le grand saut en 2019, après vingt-cinq rentrées dans le second degré, et deux demandes de départ volontaire qui lui avaient été refusées. La troisième a été la bonne. « Si l’éducation nationale se débarrassait de tous ceux qui en formulent un jour le souhait, ça se saurait », glisse l’ancienne professeure.
Sur le papier, la tendance reste « très mesurée », défend-on dans l’entourage de M. Blanquer. Mais sur le terrain, on est sûr que le tableau statistique sous-estime la donne. « “J’ai fait le tour du métier, qu’est-ce que je peux faire d’autre ?” Ce type de messages, on en reçoit de plus en plus dans nos permanences », rapporte Elisabeth Allain-Moreno, chargée des questions de carrière au SE-UNSA. « Le discours politique valorisant la mobilité, sous ce quinquennat, a créé une attente… et il y a embouteillage », avance Maxime Reppert, du Snalc, qui tient une ligne d’écoute pour les enseignants en souffrance, à Dijon. « Le sujet monte en salle des profs », assure aussi Sophie Vénétitay, du SNES-FSU. « A tel point qu’on vient de lancer une enquête pour chiffrer plus précisément les démissions dans vingt-cinq départements », renchérit Guislaine David, du SNUIpp-FSU.
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Pourquoi partir ? Il y a dans les arguments avancés par ces enseignants un clivage générationnel assez net. Après quinze ou vingt ans de métier, la plupart invoquent l’alourdissement des tâches et l’épuisement professionnel qui en découle. Souvent, aussi, le manque de reconnaissance. Et la peur de devenir ce qu’ils ne veulent pas être : un enseignant « aigri », sourd aux besoins des élèves et mis en incapacité d’y répondre.
« Des cours qui se passent mal, on en a tous fait l’expérience, rapporte Sylvie Moreau, vingt-huit ans de carrière (dont dix en collège à Tours) comme professeure de mathématiques, et démissionnaire en 2018. Mais à la fin, je me sentais responsable de mes échecs, je n’avais plus les ficelles sur lesquelles tirer pour améliorer les choses. Plus ça allait, plus je me sentais impuissante face à des classes de plus en plus nombreuses et de plus en plus dures. »
L’argumentaire est différent chez les néophytes : eux insistent plutôt sur le choc entre le métier idéalisé et la réalité. Et des contraintes qu’ils n’avaient pas toujours anticipées. C’est ce que raconte Baptiste : « On quitte du jour au lendemain son lieu de vie [le concernant, la Normandie] pour être parachuté sur le terrain [un collège du Nord]. Et ça, ça passe ou ça casse… » Quand le jeune homme a compris que, sans points au barème des affectations, sans expérience, sans enfants, il ne reviendrait pas chez lui de sitôt, il s’est senti coincé.
Dans le cadre du Grenelle de l’éducation, grand-messe de fin de quinquennat consacrée au métier d’enseignant, M. Blanquer n’a pas seulement initié une revalorisation des débuts de carrière : il a aussi pris l’engagement d’accompagner la mobilité de ses administrés. Sur le premier point, des avancées ont été faites. Mais sur le second, le scepticisme prévaut sur le terrain.
Ne lui parlez pas de « ressources humaines » : Joëlle, 35 ans, a le sentiment que l’éducation nationale fait sans. Elle a « jeté l’éponge » en février 2021, après onze années comme professeure au primaire, dont les deux dernières à la direction d’une grosse école dans la banlieue de Lille. « Le Covid-19 et la charge mentale qu’il a générée, ça n’a été que la goutte d’eau, assure-t-elle, j’étais déjà au bout du rouleau. » Ce que la trentenaire retient, un peu amère, de la période, c’est l’accueil fait à sa décision. Ou plutôt l’absence d’accueil : « J’ai reçu au bout d’un mois un courrier me demandant de confirmer ma démission, et ça c’est terminé comme ça. » Le seul signal est venu de son ordinateur, le 7 juillet, au dernier jour de l’année : « Je n’ai pas pu me connecter à mon portail. J’ai compris que c’était fini. »
22 %
C’est la part de personnels contractuels au sein de l’éducation nationale en 2020-2021, quand ils n’étaient que 14,5 % entre 2015-2016. Une hausse d’autant plus notable que, dans le même temps, le nombre de titulaires comptabilisés est resté stable. Elle s’explique « principalement par les recrutements d’assistants d’éducation [AED] et d’accompagnants d’élèves en situation d’handicap (AESH) », plus que de personnels prenant charge d’une classe, tempère-t-on au ministère de l’éducation. Il y a un an, la Cour des comptes relevait déjà que la hausse des contractuels dans la fonction publique résultait, essentiellement, des recrutements à l’éducation nationale.
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Mattea Battaglia
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