
En 2012-2013, 400 enseignants en poste ont quitté l’Education Nationale. En 2018, ils étaient 1 417. C’est plus du triple. Sur la totalité du nombre d'enseignants en France, le phénomène concerne peu de personnes mais progressivement, il augmente, sur plusieurs années. Comment l'expliquer ?
Sur les 860 000 postes d’enseignants environ que compte la France, les démissions ne représentent qu’une toute petite partie mais leur augmentation progressive, depuis plusieurs années, est un mauvais signal. Dans son édition de lundi, « Le Monde » rappelait que 400 enseignants en poste avaient quitté l’Education Nationale en 2012-2013, et 1 417 en 2018 – c’est plus du triple. Comment expliquer ces démissions ? La désillusion est-elle spécifique à la France ?
Guillaume Erner reçoit Iannis Roder, professeur d'histoire-géographie en collège à Saint-Denis, directeur de l'Observatoire de l'éducation de la Fondation Jean-Jaurès, auteur de Prof, mission impossible ? (éditions de l’Aube).
Le métier et la vocation d'enseignant
Iannis Roder s'est notamment intéressé au rapport des enseignants à leur métier. Pourquoi choisissent-ils de l'exercer ?
D'abord par amour de leur discipline, de ce qu'ils vont enseigner, et par amour de la transmission. Ce sont d'abord ces questions-là qui sont mises en avant par les enseignants. Après, vient l'intérêt du travail avec les élèves.
L'augmentation des démissions
Aujourd'hui, ce travail semble parfois mal se passer. Du moins, comment expliquer toutes ces démissions et leur augmentation récente ?
Il n'y a pas d'explication unique, mais plusieurs facteurs. Si les démissions ont pu tripler, rappelons quand même qu'elles représentent 0, 2% du corps enseignant en 2020. Je crois que c'est d'abord, pour les jeunes professeurs, le choc du réel : on aime ce qu'on apprend, et puis le réel nous dit qu'il n'est pas toujours facile de transmettre ce qu'on aime. La deuxième chose, c'est l'usure. On a interrogé les profs sur la fatigue au travail, et 46% des enseignants ont déjà fait un burn-out professionnel. Une troisième chose, c'est la difficulté d'être mobile, surtout dans le premier degré. C'est parfois très difficile, et on est obligé de rester vingt ans au même endroit, ce qui est considérable. Enfin, il y a le salaire : quand on entre, on commence 1 500, 1 600 euros net, avec un Master 2.
Est-ce que l'on sait où vont ces enseignants qui décident de démissionner ?
Ils vont un peu partout : certains ouvrent leur entreprise, d'autres reprennent la ferme de leurs parents, ouvrent un restaurant... C'est très divers. Il n'y a pas de circuit-type pour un enseignant qui démissionne.
Est-ce que la formation des enseignants peut avoir des responsabilités dans ces abandons ?
Il y a une vraie cassure en 2011. Cette année-là, Nicolas Sarkozy décide la masterisation du recrutement des enseignants : le concours ne se passe plus après la licence, mais à Bac 5. Il s'agit, à ce moment-là, de monter en qualification des profs, mais aussi de réduire la dépense publique en ne rémunérant pas l'année de stage. Donc les nouveaux profs entrant étaient absolument débordés. Ce qu'on a vu alors, c'est un effondrement du nombre de candidat aux concours. Au CAPES de maths, par exemple, tous les postes ne sont pas pourvus pour la première fois : seuls 574 postes sur 950 l'avaient été en 2011. C'est l'année-charnière où l'on voit ce basculement.
L'étendue du problème
Toutes les académies sont-elles concernées ?
Elles le sont toutes, mais celles qui étaient déjà en souffrance le sont encore plus aujourd'hui. Je pense notamment aux académies parisiennes, en particulier Créteil et Versailles, qui souffrent aujourd'hui d'un manque d'enseignants. Si l'on ajoute les démissions, cela devient très problématique.
Est-ce qu'on assiste au même phénomène dans d'autres pays ?
Oui, et l'idée de la masterisation était aussi un projet d'harmonisation européenne. Dans d'autres pays, il y a des vrais problèmes qu'ont montré des études. Par exemple, en Allemagne, il y a un niveau de démission à 5%. Au Royaume-Uni, lors de leur première année, 40% des jeunes professeurs démissionnent. On voit donc que cette harmonisation par la masterisation est un problème. Elle a aussi eu pour conséquence de pénaliser les étudiants des classes populaires. Car deux années d'études, c'est de l'argent.
Guillaume Erner
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