Dire "fascisme" en 2021 : abus de langage ou clairvoyance ?
EXTRAIT
Depuis les années 1970, des historiens tentent de bousculer la définition du fascisme pour dilater ses frontières dans le temps et dans l'espace. Aujourd'hui, une nouvelle génération d'intellectuels envisage le fascisme contemporain en esquivant la comparaison stérile avec les années 30.
S’il existait un indice Orwell, il aurait sans doute pulvérisé tous les records depuis quinze ans tant la circulation de l’auteur britannique antifasciste a explosé. Et avec sa circulation, c’est son usage, ou plutôt son appropriation qui s’est étrangement élargie. Car l’auteur engagé de 1984 ou de La Ferme des animaux, mort en 1950, est à la fois très à la mode, et souvent ventriloque : son œuvre riche et foisonnante, ses positionnements subtils et réflexifs, nous sont aujourd’hui accessibles sans testament. Au point qu’on peut facilement se réclamer de George Orwell. Y compris en faisant dire bien des choses à l’ancien militant du POUM, engagé dans la guerre d’Espagne, qui pendant des décennies fut d’abord un marqueur affinitaire pour l’extrême-gauche antifasciste. Plus un terreau qu’un credo sans doute, mais en tous cas un langage commun : Orwell était celui qui avait vu que marcher au pas de l’oie n’est pas une condition liminaire du fascisme, avait explicité que l’habit ne fait pas le moine en matière de chemises brunes, et que le fascisme peut aussi se décliner sous des dehors policés.
Ces affinités métisses dont Orwell fait l’objet post mortem (et par exemple son appropriation par Natacha Polony qui récemment avait tenté brièvement de lancer une web-télé “Orwell”) sont en fait révélatrices d’un floutage des lignes plus vaste. Un floutage qui, justement, embarque aussi le mot “fascisme”, et que vient révéler cet Orwell polysémique - ou cacophonique.
A chacun son Orwell puisqu’à chacun son fascisme ? On entend désormais taxer de fascisme des gens, des idées et par exemple des lois issues de bords politiques tout à fait variables, et même antagonistes :
- "Fasciste !", c’est Emmanuel Macron sur des pancartes d’opposants au pass sanitaire qui battent le pavé, le samedi, dans des cortèges dont le recrutement trouble les frontières partisanes et où fleurissent des pancartes pour réclamer un nouveau procès de Nuremberg ;
- le fasciste, c’est aussi Jean-Luc Mélenchon dans le viseur d’une candidate écologiste qui estimait sa rhétorique fascistoïde ou aux yeux de Umberto Ecco qui distinguait en lui un fascisme tendance Robespierre dans Reconnaître le fascisme (en 2017 en français, chez Grasset) ;
- un “film fasciste”, c’était Bac Nord dans les colonnes de critique cinéma de Libération à l’été 2021 ;
- et puis la fasciste, c’est encore Marion Maréchal - Le Pen, désormais jeune mariée avec un eurodéputé italien qui s’affiche aux côtés de groupuscules nostalgiques de Mussolini.
(...)
Cholé Leprince
Suite et fin en cliquant ci-dessous
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Dire "fascisme" en 2021 : abus de langage ou clairvoyance ?
Depuis les années 1970, des historiens tentent de bousculer la définition du fascisme pour dilater ses frontières dans le temps et dans l'espace. Aujourd'hui, une nouvelle génération d'intelle...
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Coronavirus : Pourquoi la nouvelle expérimentation dans les écoles est-elle déjà critiquée ?
EPIDEMIE Les classes ne seront plus systématiquement fermées en primaire et en maternelle si un élève est testé positif au Covid-19
Afin de conforter l’un des mantras du gouvernement durant toute la crise du coronavirus, à savoir garder au maximum les écoles ouvertes et les cours en présentiel, le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer a dévoilé ce mardi un nouveau dispositif expérimental pour éviter au maximum les fermetures de classe.
Jusque-là, toutes les classes d’école maternelle et de primaire fermaient au premier cas positif au Covid-19, pour un total de 2.366 classes fermées lors du dernier décompte officiel vendredi dernier, soit 0,45 % des classes nationales. Ce chiffre était en baisse par rapport à la semaine précédente, où on dénombrait alors 3.299 classes fermées. Une expérimentation locale vise, en cas d’élève positif dans une classe de maternelle ou de primaire, à tester toute la classe : les élèves positifs, et ceux refusant de se faire tester, seraient contraints de faire du distanciel, mais les élèves négatifs pourraient continuer à suivre le cours en présentiel. Cette nouvelle règle devrait s’appliquer « dans une dizaine de départements, probablement dès le début de la semaine prochaine », a annoncé le ministre sur France Info.
Un timing critiqué
Jean-Michel Blanquer justifie sa mesure par une meilleure situation épidémique et une incidence en baisse sur toutes les classes d’âge, même chez les enfants malgré la rentrée. S’il s’agit pour le moment d’une expérimentation, celle-ci ne fait déjà pas l’unanimité. A commencer par son timing. L’automne arrive, une période propice à une nouvelle vague selon le Conseil scientifique : avec la multiplication des lieux clos et le retour de la population en présentiel au travail et en classe, l’épidémie peut reprendre. Mais au-delà de la saisonnalité, l’annonce de Jean-Michel Blanquer tombe aussi moins d’une semaine après la décision du gouvernement de retirer le masque chez les élèves de primaire dans les départements où l’incidence est inférieure à 50. « C’est très curieux de multiplier les mesures favorisant l’épidémie. Il serait plus logique d’y aller une par une et petit à petit, de se montrer prudent », se désespère Michaël Rochoy, chercheur en épidémiologie.
Au rayon des points positifs, le médecin en relève deux : déjà évidemment, le fait de garder les classes ouvertes, et la multiplication des tests chez les enfants. Cela rejoint le dernier avis du Conseil scientifique, publié le 13 septembre, qui recommande de tester hebdomadairement les enfants, « permettant alors de ne renvoyer chez eux que les enfants détectés positifs, et non tous les élèves de la même classe ».
Un seul test, vraiment suffisant ?
Sauf que l’expérimentation de Jean-Michel Blanquer n’évoque pour le moment qu’un seul test, ce qui en fait un élément peu fiable pour connaître l’épidémie dans la classe. En effet, la contamination au coronavirus prend plusieurs jours à se traduire par un test positif. Si un élève A est testé positif un lundi et contamine un élève B le jour même, un test le mardi sera négatif pour l’élève B. Elève qui pourra alors contaminer le reste de sa classe par la suite, voire même d’autres élèves d’autres classes. « En réalité, il faudrait tester les élèves avant le moindre cas positif. Les tester après n’a pas vraiment de sens, surtout avec l’abandon du masque. Bien sûr que le voisin d’un élève positif sans masque sera contaminé, ce n’est même pas le temps de tester », clame Michaël Rochoy.
Un plan qui donc laisse de nombreux trous potentiels dans la raquette, et peut entraîner une flambée des cas selon le chercheur : « L’avantage d’une classe fermée, c’est que les contaminations étaient de fait impossibles. » Là, tout faux négatif peut devenir contaminant pour le reste de la classe, mais aussi de l’école.
Inquiétude auprès des enseignants
Les enseignants de primaire et de maternelle n’accueillent pas nécessairement bien la nouvelle non plus. « On expérimente une circulation haute du virus chez les enfants, et donc sur notre lieu de travail », peste André*, enseignant en primaire. Double vacciné mais faisant partie des populations à risque, il s’inquiète de ce dispositif : « Si ça arrive dans ma classe, je me demanderai toujours si les enfants présents sont contaminés ou non. Un test peut facilement être faux, surtout que le test n’a même pas été précisé ! ». Difficile effectivement de savoir s’il s’agira d’un test salivaire, antigénique ou PCR, qui n’ont pas la même fiabilité.
A ce risque sanitaire s’ajoute une autre contrainte de taille : faire classe avec des élèves à la fois en présentiel et à la fois en distanciel. « Je ne peux pas me diviser », plaide André. L’expérimentation n’a pas encore commencé qu’elle semble déjà impopulaire.
Jean-Loup Delmas
*Le prénom a été modifié.
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Pourquoi la nouvelle expérimentation dans les écoles est-elle critiquée ?
Afin de conforter l'un des mantras du gouvernement durant toute la crise du coronavirus, à savoir garder au maximum les écoles ouvertes et les cours en présentiel, le ministre de l'Education ...
Coup de coeur... Mohamed Mbougar Sarr...
Aux auteurs africains de ma génération, qu’on ne pourrait bientôt plus qualifier de jeune, T.C. Elimane permit de s’étriper dans des joutes littéraires pieuses et saignantes. Son livre tenait de la cathédrale et de l’arène ; nous y entrions comme au tombeau d’un dieu et y finissions agenouillés dans notre sang versé en libation au chef-d’œuvre. Une seule de ses pages suffisait à nous donner la certitude que nous lisions un écrivain, un hapax, un de ces astres qui n’apparaissaient qu’une fois dans le ciel d’une littérature.
Je me souviens d’un des nombreux dîners que nous avions passés en compagnie de son livre. Au milieu des débats, Béatrice, la sensuelle et énergique Béatrice Nanga dont j’espérais qu’elle m’asphyxie un jour entre ses seins, avait dit toutes griffes dehors que les œuvres des vrais écrivains seules méritaient qu’on débatte à couteaux tirés, qu’elles seules échauffaient les sangs comme un alcool de race et que si, pour complaire à la mollesse d’un consensus invertébré, nous fuyions l’affrontement passionné qu’elles appelaient, nous ferions le déshonneur de la littérature. Un vrai écrivain, avait-elle ajouté, suscite des débats mortels chez les vrais lecteurs, qui sont toujours en guerre ; si vous n’êtes pas prêts à caner dans l’arène pour remporter sa dépouille comme au jeu du bouzkachi, foutez-moi le camp et allez mourir dans votre pissat tiède que vous prenez pour de la bière supérieure : vous êtes tout sauf un lecteur, et encore moins un écrivain.
J’avais soutenu Béatrice Nanga dans sa charge flamboyante. T.C. Elimane n’était pas classique mais culte. Le mythe littéraire est une table de jeu. Elimane s’y était assis et avait abattu les trois plus puissants atouts dont on pût disposer : d’abord, il s’était choisi un nom à initiales mystérieuses ; ensuite, il n’avait écrit qu’un seul livre ; enfin, il avait disparu sans laisser de traces. Il valait, oui, qu’on mît son nez en jeu pour s’emparer de sa dépouille.
Si on pouvait douter qu’ait réellement existé, à une époque, un homme appelé T.C. Elimane, ou se demander si ce n’était pas là le pseudonyme qu’un auteur s’était inventé pour se jouer du milieu littéraire ou s’en sauver, nul, en revanche, ne pouvait mettre en doute la puissante vérité de son livre : celui-ci refermé, la vie vous refluait à l’âme avec violence et pureté.
Savoir si, oui ou non, Homère a eu une existence biographique demeure une question passionnante. À la fin, cependant, elle change peu de chose à l’émerveillement de son lecteur ; car c’est à Homère, qui ou quoi qu’il fût, que ce lecteur rend grâce d’avoir écrit L’Iliade ou L’Odyssée. De la même façon, peu importait la personne, la mystification ou la légende derrière T.C. Elimane, c’était à ce nom que nous devions l’œuvre qui avait changé notre regard sur la littérature. Peut-être sur la vie. Le Labyrinthe de l’inhumain : ça s’intitulait comme ça, et nous allions à ses pages comme les lamantins vont boire à la source.
À l’origine, il y avait une prophétie et il y avait un Roi ; et la prophétie dit au Roi que la terre lui donnerait le pouvoir absolu mais réclamerait, en échange, les cendres des vieillards, ce que le Roi
accepta ; il se mit aussitôt à brûler les aînés de son royaume, avant de disperser leurs restes autour de son palais où, bientôt, poussa une forêt, une macabre forêt, qu’on appela le labyrinthe de l’inhumain.
Mohamed Mbougar Sarr - La plus secrète mémoire des hommes
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En lice pour les prix Goncourt, Médicis, Femina et Renaudot, son nouveau livre "La plus secrète mémoire des hommes" est à la fois l'évènement et la surprise de cette rentrée d'automne. Moham...
https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-du-mardi-28-septembre-2021
« La lutte contre l’échec scolaire, une priorité toujours secondaire »
EXTRAITS
Une chose est de dire que la lutte contre l’échec scolaire est une priorité ; une autre est de faire advenir une telle réalité, estime, dans une tribune au « Monde », l’historien de l’éducation Yann Forestier.
Tribune. L’Ecole de la IIIe République, déjà, était confrontée à l’échec scolaire. Mais si les « hussards noirs » qui y officiaient le déploraient et remarquaient même qu’il était fortement corrélé à l’origine sociale, initiant ce qu’on n’appelait pas encore la théorie de la reproduction, ils ne s’interrogeaient que très rarement sur les moyens de le combattre. Les remises en cause d’un modèle institutionnel et pédagogique produisant ordinairement une importante part d’échec étaient alors marginales, révélant le fait que la démocratisation de la réussite dans l’Ecole française n’est devenue que très tardivement un objectif prioritaire.
La première polémique significative agitant les médias autour de l’échec scolaire date d’octobre 1987, lorsque le rapport Andrieu, présenté au Conseil économique et social, en estime le coût à 100 milliards de francs. L’Ecole et ses maîtres n’ont bien sûr pas attendu cette révélation pour s’activer auprès des élèves en difficulté, mais cet engagement résulte d’évolutions lentes et insensibles, d’adaptations et d’ajustements improvisés, et non d’un choix politique qui y aurait donné sens : les chances que cette vocation nouvelle de l’Ecole soit pleinement assumée en sont d’autant plus minces.
Alors même qu’il s’agit d’un choix politique extrêmement fort, la mise en place des zones d’éducation prioritaires, à partir de 1982, est révélatrice. Instituée par une circulaire, c’est-à-dire le texte le plus bas dans la hiérarchie des textes réglementaires, la remise en cause de l’égalité formelle par un système appuyé sur un principe de discrimination positive en faveur de territoires en difficulté s’opère hors du Parlement. Cette étrange façon de procéder renvoie en fait à une volonté d’évitement du débat politique par un Parti socialiste, fraîchement élu, craignant qu’un tel changement de paradigme suscite des conflits dans ses réseaux. Là encore, on a manqué une occasion de mettre en débat le projet d’une Ecole faite d’abord pour les élèves en difficulté.
(...)
Un appel à la bienveillance qui « agace »
Le réflexe de repli sur un cadre familier inchangé garantit d’ailleurs que les pratiques nouvelles introduites dans ces niches ne contamineront jamais les pratiques ordinaires : ces dispositifs viennent s’ajouter au système, l’alourdissant et le complexifiant un peu plus, faisant primer les lourdeurs procédurales sur les finalités égalitaires, bien peu perçues sur le terrain.
L’injonction institutionnelle répétitive finit d’ailleurs par agacer. L’appel à la « bienveillance », par exemple, illustre jusqu’à la caricature la contradiction entre l’extrême directivité du pilotage administratif et la nécessité de l’autonomie des acteurs. La bienveillance, évidemment indispensable pour lutter contre l’échec scolaire, est une attitude volontaire que chaque enseignant doit adopter au quotidien, en s’ajustant à chaque instant aux réalités changeantes de ses classes. Imposée d’en haut, la bienveillance n’a de sens que si elle prend la forme de mesures concrètes susceptibles d’apporter un changement institutionnel significatif. Ainsi codifié et transformé en circulaire, ce qui devait être une attitude spontanée court le risque d’être perçu comme un choix fort entretenant une fausse alternative, comme si, par exemple, un coup de barre en faveur de la bienveillance devait nécessairement se faire au détriment de l’exigence.
Mais au-delà, beaucoup d’enseignants peuvent comprendre des discours ministériels aussi intrusifs comme une mise en cause : s’il est nécessaire que les directives ministérielles soient mobilisées pour leur ordonner une attitude aussi personnelle que la bienveillance, serait-ce que la hiérarchie serait convaincue qu’ils ne feraient pas déjà preuve de bienveillance ? Ce serait faire un bien mauvais procès aux professeurs confrontés au quotidien à l’échec scolaire que de prétendre qu’ils ignorent la nécessité de cette attitude…
(...)
Quand le ministre signe personnellement des circulaires expliquant comment un élève doit tenir un crayon ou à quelle méthode il faut recourir pour enseigner la lecture, il décourage l’initiative des équipes enseignantes. Or la lutte contre l’échec scolaire est d’abord affaire d’initiatives décidées au plus près du terrain, dans l’ajustement permanent à des contraintes multiples dont la complexité décourage toute prétention à un pilotage vertical. L’histoire nous montre qu’il faudrait faire advenir l’Ecole de la confiance, dont il est plus que temps qu’elle cesse de n’exister que sous la forme de slogan.
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" La lutte contre l'échec scolaire, une priorité toujours secondaire "
TRIBUNE. Une chose est de dire que la lutte contre l'échec scolaire est une priorité ; une autre est de faire advenir une telle réalité, estime, dans une tribune au " Monde ", l'historien de ...
De retour à l’université, la lassitude des enseignants-chercheurs face à la « gestion de la pénurie »
EXTRAITS
Chaque année, le nombre d’étudiants à l’université augmente, mais les moyens ne suivent pas. Les enseignants observent, impuissants, la détérioration de leur environnement de travail et des conditions d’études pour les jeunes.
C’est tout juste la rentrée, mais la voilà déjà essoufflée. Oriane Petiot, 32 ans, est pourtant agrégée d’éducation physique et sportive (EPS) : l’endurance, elle connaît. Au printemps, elle a démissionné de sa fonction de responsable pédagogique de la licence 1 du département sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) de l’université Rennes-II. Comme la totalité de ses collègues.
Habituellement, ce sont eux qui organisent la scolarité des étudiants. Mais cette année, ils ont refusé de préparer les emplois du temps et les groupes : la rentrée est donc reportée, pour le moment, au 4 octobre. « Aujourd’hui, personne ne veut me remplacer pour remplir cette mission : il faudrait être fou pour accepter. » La normalienne endossait seule la responsabilité des 650 étudiants de première année. Son unité de formation et de recherche (UFR), particulièrement sous-dotée, compte quatre membres du personnel administratif et 60 enseignants titulaires pour 2 800 étudiants. Soit un professeur pour 44 étudiants. A l’échelle nationale, on dénombre un titulaire pour 35 étudiants en Staps. Et un pour 17, toutes filières confondues.
Un rythme « monstrueux »
D’où, à Rennes-II, une « impression de bricoler en permanence » qui s’est répercutée sur la santé des enseignants, et sur la qualité de la formation. « On a des collègues qui craquent, avec des cas de burn-out sévères, raconte Oriane Petiot. On n’a pas les forces vives pour faire face collectivement. On gère la masse, c’est l’usine en permanence. » Elle décrit un rythme « monstrueux » : les mails le jour et la nuit, la gestion des salles et des emplois du temps, la formation des vacataires, la répartition des groupes de langues, le remplacement des congés maladie, l’annulation de certains cours faute d’enseignants disponibles… En 2020, Oriane Petiot a renoncé à une partie de son congé maternité et cumulé 160 heures supplémentaires, en plus des 384 heures prévues dans son statut. « J’ai fait double service, avec mon bébé sur les genoux. On est tellement obnubilé par toutes les tâches parasites et organisationnelles que le cœur de notre métier en est complètement altéré. »
(...)
« Sous respiration artificielle »
L’un des nœuds du problème est humain : le recrutement d’enseignants-chercheurs permanents. Leur nombre stagne (– 1 %) depuis dix ans. Les universités, autonomes, pourraient-elles en recruter davantage ? « Le ministère nous y invite, mais c’est impossible », expose la professeure Georgette Dal, vice-présidente de l’université de Lille, par ailleurs à la tête de l’association des VP-RH, regroupant tous les vice-présidents responsables des ressources humaines dans les universités.
Elle et ses homologues font face à la même problématique : à mesure que leurs personnels progressent dans leur carrière et que celles-ci s’allongent, leur masse salariale augmente. « Chaque année, à Lille, on a 3 millions d’euros en plus, simplement en raison de la progression des salaires liée à l’ancienneté et à l’avancement de grade. On arrive à négocier la moitié de cette somme auprès du rectorat. Pour le reste, on doit se débrouiller. Et donc, la solution c’est de ne pas recruter de nouveaux enseignants », regrette la vice-présidente de ce méga établissement – 70 000 étudiants, 7 000 membres du personnel.
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« La France ne traite pas ses enseignants-chercheurs comme elle le devrait », abonde Manuel Tunon de Lara, le président de la Conférence des présidents d’université. Il estime que « si une partie des enseignants-chercheurs est désabusée, c’est à raison : ils sont moins bien payés, moins bien considérés que leurs homologues étrangers ». Les burn-out d’enseignants-chercheurs, s’ils sont peu recensés, existent. Florence, 44 ans (qui a requis l’anonymat), maîtresse de conférences, en a fait un. Elle s’est absentée pendant plusieurs mois, « épuisée » par ses conditions de travail à l’université. De retour dans son établissement, elle évoque aujourd’hui la « souffrance » de recruter des enseignants contractuels « qui gagnent 44 euros brut de l’heure pour une vacation, ou 800 euros net par mois », et qui effectuent le double de son service d’enseignement.
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En licence d’informatique à l’université de Reims, à défaut de pouvoir trouver des enseignants, des heures de cours disparaissent. « A Reims, il est difficile de trouver des vacataires en informatique. Surtout pour 25 euros l’heure de travaux pratiques ! Alors, forcément, parfois, certains cours ne sont pas assurés », explique Hacène Fouchal, enseignant-chercheur. Cette année, son département compte près de 500 étudiants de la licence au master – ils étaient 374 quatre ans plus tôt. Et pas un seul enseignant permanent supplémentaire, ils en ont même perdu deux en cours de route.
A l’université d’Aix-Marseille, plus de 2 000 heures d’enseignement en mathématiques étaient non pourvues au moment de la rentrée. « J’étais assez surpris que la situation soit aussi catastrophique en maths : on a l’image d’une discipline historiquement privilégiée et même là ça se dégrade, s’inquiète un enseignant vacataire qui a souhaité garder l’anonymat. On va combler les trous comme on peut au premier semestre, mais après ? »
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Ces jeunes que la classe politique ignore...
Sarah Pickard : «Ce n’est pas sain pour une démocratie d’avoir une jeune génération en colère»
S’ils délaissent le vote et se tournent parfois vers les extrêmes, beaucoup de jeunes s’engagent aussi sur des causes précises, comme le féminisme ou l’écologie, estime la sociologue. Pourtant, la classe politique continue de les ignorer.
C’est un gilet jaune qui vote pour Marine Le Pen. C’est une «marginale» qui vit dans un habitat collectif dans un quartier populaire. C’est un membre d’Extinction Rebellion en pleine action en octobre 2019 qui ne jure que par l’activisme écologique. Ils viennent de Dunkerque, Bordeaux ou Montréal et ont tous moins de 28 ans. Trois profils différents soumis à un même sentiment : la colère. Dans Une jeunesse sacrifiée ? (ouvrage collectif qui vient de paraître aux PUF), Cécile Van de Velde, professeure de sociologie à l’université de Montréal, et Sarah Pickard, maîtresse de conférences en civilisation britannique contemporaine à la Sorbonne Nouvelle, décrivent à partir de ces trois portraits les relations complexes que les jeunes entretiennent avec la politique (1). L’abstention ou l’essor des votes pour des partis «antisystèmes» reflètent davantage le désir d’une expression citoyenne nouvelle qu’un rejet ferme de la politique, estime Sarah Pickard.
Pourquoi analyser l’engagement politique par le prisme de la colère ?
L’émotion joue un rôle important dans la mobilisation politique, surtout chez la jeunesse. Si la peur et l’angoisse peuvent parfois freiner la participation, la colère motive l’engagement militant, pousse les jeunes à se tourner vers les extrêmes ou encourage l’abstention. Dans leur rapport à la politique, cette émotion est sans cesse en toile de fond, et vient de leur déception de la classe politique. Il ne faut pas oublier qu’en France, le vote de la jeunesse pour les extrêmes est important, tout comme la proportion de votes blancs et l’abstention.
Cette colère peut-elle permettre un autre mode d’expression plus positif ?
Elle encourage d’autres formes d’expressions politiques qui ne se traduisent pas forcément par les urnes mais plutôt par un mode de vie – le végétarisme par exemple – ou par des mouvements de protestation autour de causes très précises – comme les marches pour le climat ou Black Lives Matter.
On dit souvent que les jeunes ne s’intéressent plus à la politique et qu’ils sont passifs parce qu’ils votent moins qu’avant, mais c’est tout le contraire : ils font de la politique d’autres manières qui peuvent leur offrir un certain optimisme. D’ailleurs, il y a une importante politisation chez les jeunes, un engagement que l’on n’a jamais vu aussi fort depuis les années 60 mais qui ne correspond plus au système politique actuel.
Est-ce un marqueur générationnel ?
Les protestations nouvelles pour le racisme, l’environnement ou le féminisme se diffusent particulièrement chez les jeunes. Cela témoigne d’une conscience de génération qui crée un décalage de valeurs avec les générations plus âgées qui n’étaient pas forcément aussi sensibles et mobilisées sur ces questions. Plus généralement, de très nombreux jeunes ressentent un sentiment de déclassement, d’abandon et parfois d’impuissance dans leur discours. En bref, ce qu’ils recherchent, c’est de l’espoir : ce que ne donne plus le système politique en place mais que représente le fait de participer à ces nouveaux mouvements sociaux.
En dehors de la déception que suscite chez eux le système politique, y a-t-il d’autres causes à cette colère ?
Depuis son enfance, la jeune génération n’a connu que le néolibéralisme et une série de crises. Et notamment la crise financière de 2007 qui a engendré des politiques d’austérité qui touchent en premier les jeunes dans des domaines comme l’éducation, le logement, les loisirs ou la santé. Il y a également la crise écologique et puis la crise sanitaire et économique de 2020 et 2021. Résultat : cette suite de crises prolonge de plus en plus la transition de l’adolescence à l’autonomie de l’âge adulte. Il y a habituellement un contrat social entre générations qui s’établit pour permettre un avenir meilleur aux générations futures. Mais les jeunes se rendent bien compte que cette promesse ne sera pas tenue : ils n’auront pas accès à la situation que les plus âgés ont connue.
Et comment la classe politique considère-t-elle les jeunes générations ?
La classe politique ne prête que peu d’attention à la jeunesse parce qu’elle vote moins et parce que les jeunes représentent une part mineure de l’électorat. Certes, les politiques vont de plus en plus sur les réseaux sociaux pour essayer de s’adresser à eux. Mais ces communications ne sont pas toujours sincères : adapter son discours n’est pas offrir une réponse réelle aux problèmes concrets. Sur ce point, la jeune génération n’est pas dupe, ce qui peut engendrer un certain cynisme.
Ensuite, il y a une tendance à ne pas les prendre au sérieux sur ce qu’ils peuvent dire, les faire passer pour une masse immature. La classe politique a tendance à les ignorer, les instrumentaliser ou les dénigrer. Ils ne se posent pas ces questions essentielles : comment faire venir les jeunes vers le vote ? Comment leur donner réellement l’envie de voter ? Ce n’est pas sain pour une démocratie d’avoir une jeune génération en colère. Pourtant, la remise en question est quasiment inexistante. En réalité, ce n’est pas tant une rupture intergénérationnelle, comme on a souvent pu l’entendre, qu’une fracture entre le système politique et les jeunes.
Lucas Sarafian
(1) Une jeunesse sacrifiée ? ouvrage dirigé par Tom Chevalier et Patricia Loncle, PUF, collection «la Vie des idées», 112 pp., 9,50 €, paru le 25 août.
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Sarah Pickard : "Ce n'est pas sain pour une démocratie d'avoir une jeune génération en colère"
S'ils délaissent le vote et se tournent parfois vers les extrêmes, beaucoup de jeunes s'engagent aussi sur des causes précises, comme le féminisme ou l'écologie. Pourtant, la classe politique ...
Coup de coeur... Pierre Loti...
Deux heures du matin, une nuit d’hiver, loin de tout, dans la profonde solitude des campagnes pyrénéennes.
Du noir intense autour de moi, et sur ma tête des scintillements d’étoiles. Du noir intense, des confusions de choses noires, ici, dans l’infime région terrestre où vit et marche l’être infime que je suis ; un air pur et glacé, qui dilate momentanément ma poitrine d’atome et semble doubler ma vitalité éphémère. Et là-haut, sur le fond bleu noir des espaces, les myriades de feux, les scintillements éternels.
Deux heures du matin, le cœur de la nuit, de la nuit d’hiver. L’étoile du Berger, reine des instants plus mystérieux qui précèdent le jour, brille dans l’Est de tout son éclat blanc.
La vie se tait partout, en un froid sommeil qui ressemble à la mort ; même les bêtes de nuit ont fini de rôder et sont allées dormir. Dehors, personne. Les laboureurs et les bergers, qui pourtant se lèvent avant l’aube, sont blottis pour des heures encore sous les toits des hameaux. Seuls peut-être, par les chemins, circulant dans le grand silence, trouverait-on les hommes que tient éveillés l’amour ou le vagabondage, – ou encore, en ce pays-ci, la contrebande. Sur la route où je marche, la lumière palpitante des étoiles semble tomber en pluie de phosphore. Et cette route, sèche et durcie, résonne, vibre comme si le sol était creux sous mes pas. D’ailleurs, je marche, je marche sans m’en apercevoir, tant est vivifiant cet air de la nuit ; mes jambes, dirait-on, vont d’elles-mêmes, comme feraient des ressorts une fois pour toutes remontés, dont le mouvement ne donnerait plus aucune peine.
Et je regarde, au-dessus du noir de la terre qui m’entoure, scintiller les mondes. Alors, peu à peu, me reprend ce sentiment particulier qui est l’épouvante sidérale, le vertige de l’infini. Je l’ai connu pour la première fois, ce sentiment-là, lorsque vers mes dix-huit ans il fallut me plonger dans les calculs d’astronomie et les observations d’étoiles, pendant les nuits de la mer. En général, les gens du monde ne songent jamais à tout cela, n’ont même pour la plupart, sur les abîmes cosmiques, aucune notion un peu approchée, – et c’est fâcheux vraiment, car, en bien des cas, cela arrêterait par la conscience du ridicule leurs agitations lilliputiennes… La connaissance et la quasi-terreur des durées astrales sont bien apaisantes aussi, et, à propos des petits évènements humains, quel calme dédaigneux cela procure, de se dire : Mon Dieu, qu’importera, dans vingt-cinq mille ans, quand l’axe terrestre aura accompli son tour ? ou bien dans deux ou trois cent mille ?
L’atmosphère de la nuit, à cette heure fraîche et vierge, est comme vide de toute senteur, si ce n’est dans certains bas-fonds, au milieu des bois, où les exhalaisons des mousses, du sol humide persistent encore sous le fouillis inextricable et léger des ramures d’hiver. Autrement, rien ; il semble que l’on respire la pureté même, – tellement que l’on devinerait au flair, le long de la route, les rares métairies éparses, d’où sortent, par bouffées bientôt perdues, des odeurs de brûlé, de fumée, de fauve, de repaire de bêtes…
Et je regarde toujours, sur le bleu noir du ciel, scintiller la poussière de feu… Cela, c’est l’ensemble de ce qui est, et que nous cachent le plus souvent nos petits nuages, l’aveuglante lumière de notre petit soleil ; du reste, dans quel but nous l’a-t-on laissé voir, puisque la faculté de sonder et de comprendre devait se développer en nous avec les siècles, et que tout cela était appelé à devenir alors terrifiant ?… Voici qu’elles me font peur, cette nuit, les constellations – ces dessins familiers, qui sont quasi éternels pour les yeux humains sitôt fermés par la mort, mais qui, en réalité,
pour des yeux plus durables que les nôtres, se déforment aussi vite que des figures changeantes et furtives apparues un instant dans un vol d’étincelles… Combien ceci déroute et confond : penser que ces choses là-haut, symbolisant pour nous le calme et l’immuabilité, sont au contraire en plein vertige de mouvement ; savoir que le peuple sans nombre des soleils, les non condensés encore, les flambloyants ou les éteints, tourbillonnent tous, affolés de vitesse et de chute !…
L’air vif de cette nuit donne assez nettement l’impression glacée du grand vide sidéral, de même que cette nuance sombre du ciel imite le noir funèbre des espaces où les soleils par myriades s’épuisent à flamboyer sans parvenir à y jeter un peu de chaleur, ni seulement un peu de lumière, sans y faire autre chose que le ponctuer d’un semis de petits brillants qui tremblent… Bien petits en effet, ces soleils, qui brûlent dans le noir, et consument dans le froid leur initiale chaleur ! Quelle misérable poussière ils figurent, errant ainsi par groupes et par nuages, perdus dans l’obscurité souveraine, tombant toujours, depuis des milliards et des milliards de siècles, dans un vide qui devant eux ne finira jamais de s’ouvrir !
Pierre Loti - Reflets sur la sombre route