Coup de coeur... Santiago H. Amigorena...
Avant de faire le moindre mouvement, je me rappelai qu’il était mort.
Il est étrange de ne plus habiter la terre, de ne plus exercer des usages à peine appris, de ne plus accorder aux roses et à tant d’autres choses, pleines de leurs propres promesses, le sens d’un avenir humain, de ne plus être ce que l’on fut dans des mains infiniment craintives…
Je ne me souviens pas de la soirée qui a suivi sa mort, je ne me souviens pas du dîner, mais je me souviens du réveil, le lendemain, comme si ce court séjour à Buenos Aires il y a cinquante ans avait eu lieu la semaine dernière. J’avais rêvé qu’el abuelo Zeide était mort et que je criais et le secouais pour essayer de lui dire que non seulement sa fille mais tout le monde – et surtout ma mère – étaient désespérés qu’il s’en fût allé. Je m’étais réveillé en sursaut et, comme il m’arrivait si souvent enfant après mes cauchemars, je m’étais levé de mon lit aussitôt. J’étais sorti de la chambre qui donnait directement sur une cour intérieure et j’avais découvert la Fábrica sous un jour nouveau : comme si au cours de la nuit elle s’était exilée sur les bords de la Liffey, elle s’étalait, indécise, dans la brume. Surpris, au lieu de courir vers la chambre où dormaient mes parents, j’étais allé dans celle où reposait mon arrière-grand-père. Je n’avais pas fait de cauchemar : il était là, inerte. Je regardais son visage déjà pâle, ses grandes mains grises, son corps immobile. La chambre était plongée dans la pénombre, mais je n’étais pas effrayé. Je m’approchais et le regardais encore. Je regardais sa bouche entrouverte. Je regardais ses dents dans les caries desquelles se poursuivrait peut-être le minutieux cheminement de la mort. Je le regardais, mais je n’osais le toucher. J’approchai ma main de la sienne pour l’effleurer, mais je n’osai pas l’effleurer.
Tout ange est d’angoisse. À ses côtés, sur la petite table de chevet, il y avait un livre ouvert. À côté du livre était posé un crayon à papier. Je sortis de la chambre et commençai à pleurer. Confusément, je sentais qu’une nouvelle espèce de cauchemar avait commencé dans cette chambre sombre, une forme de cauchemar que je ne connaissais pas encore mais que je ne connaîtrais que trop, un genre alors pour moi nouveau qui se caractérise par l’absence d’éveil, qui se distingue par ce seul défaut, par cette unique carence : ce sont des cauchemars qui n’ont pas de fin.
Santiago Amigorena - Le premier exil
Classes dédoublées : Un bilan très décevant
EXTRAIT
Lancée en 2017, la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 de l'éducation prioritaire est régulièrement mise en avant par JM Blanquer. C'est aussi la vitrine sociale du gouvernement qui y a consacré des moyens importants : près de 11 000 classes ont été créées depuis 2017. Le bilan que vient de publier la Depp montre pourtant peu de progrès dans les résultats. Si les élèves des classes dédoublées font de véritables progrès en CP et en CE1, ceux ci ne se détachent pas vraiment entre classes dédoublées et classes à composition identiques mais non dédoublées. L'écart entre l'éducation prioritaire et les écoles hors éducation prioritaire ne s'est pas réduit. Compte tenu de son coût, une autre politique éducative s'impose.
Une politique phare
Lancée en 2017 la politique de dédoublement des classes de Cp et CE1 en éducation prioritaire a supprimé les politiques précédentes comme les "plus de maitres que de classes". Depuis 2017, 10 800 classes ont été ouvertes. Et on peut estimer le coût de cette politique à plus de 500 millions soit deux fois la revalorisation accordée aux enseignants.
L'étude publiée par la Depp, à laquelle collaborent Pascal Bressoux et Thierry Rocher, évalue cette politique sur plusieurs années ce qui est tout à fait nouveau. Une première évaluation était parue en janvier 2019. Elle avait montré des résultats décevants.
Si l'on en croit un communiqué du ministère, "l’étude... met en évidence des effets positifs sur la conduite de la classe, sur le sentiment des enseignants de pouvoir aider leurs élèves et sur les pratiques de différenciation. Concernant les acquis des élèves, l’effet sur deux ans (CP puis CE1) est positif : les élèves de classes dédoublées en REP+ ont, en fin de CE1, des résultats supérieurs aux élèves issus de classes ayant des caractéristiques similaires mais n’ayant pas bénéficié de la réforme. Ces effets sont statistiquement significatifs : cela correspond à une diminution de 16 % de l’écart observé en début de CP entre le groupe REP+ et le groupe hors Éducation Prioritaire en français et de 38 % en mathématiques. Le dispositif favorise donc la réduction des inégalités sociales à l’école".
Quand les classes dédoublées ne dont pas mieux que leurs équivalents non dédoublées
Malheureusement l'analyse des données de l'étude est loin de confirmer cet enthousiasme. Comme en 2019, il y a un écart important entre le communiqué de presse et les données.
On le voit déjà l'évolution des taux de réussite aux items communs entre le début CP et la fin de CE1.
(...)
François Jarraud
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Classes dédoublées : Un bilan très décevant
Lancée en 2017, la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 de l'éducation prioritaire est régulièrement mise en avant par JM Blanquer. C'est aussi la vitrine sociale du gouvernement...
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Devoirs à la maison, une guerre qui dure - Par Claude Lelièvre
EXTRAIT
La rentrée scolaire a eu lieu, et avec elle les enjeux autour des devoirs à la maison reviennent sur le devant de la scène. Peut-on vraiment donner en primaire aux élèves du travail à réaliser hors de la classe ? C’est une question qui est régulièrement posée et sur laquelle un flou demeure. Si les élèves peuvent avoir des lectures à faire ou des leçons à apprendre chez eux, les enseignants ne doivent en principe pas leur confier d’exercices écrits.
La circulaire du 29 décembre 1956 a en effet édicté « la suppression des devoirs à la maison ou en étude », avec des attendus significatifs qui restent très actuels :
« Six heures de classe bien employées constituent un maximum au-delà duquel un supplément de travail ne peut qu’apporter une fatigue préjudiciable à la santé physique et à l’équilibre nerveux des enfants. Enfin, le travail écrit, fait hors de la classe, hors de la présence du maître et dans des conditions matérielles et psychologiques souvent mauvaises, ne présente qu’un intérêt éducatif limité. En conséquence, aucun devoir écrit ne sera demandé aux élèves hors de la classe. »
Bien qu’« impérative », cette circulaire restera pour l’essentiel lettre morte… Et c’est en invoquant précisément cela que Jean‑Pierre Chevènement a justifié son choix de tenter de « rétablir » officiellement les devoirs écrits en février 1985 (afin, disait-il, de régulariser cet état de fait pour mieux l’encadrer…). En vain, le Premier ministre Laurent Fabius s’y étant opposé.
Études surveillées
En septembre 1995, en plein débat sur les rythmes scolaires, François Bayrou (alors ministre de l’Éducation nationale) décide que « pour lutter contre les inégalités des situations familiales » des études dirigées en classe se substitueront désormais aux « devoirs écrits » à la maison, « les élèves n’ayant plus que du travail oral à faire ou des leçons à apprendre ». En réalité, la pratique des devoirs après la classe n’a pas cessé alors, on le sait. Et pourtant les parents en général – et surtout certains en particulier – ne sont pas les mieux placés pour encadrer ces temps en principe scolaires.
Au début de la campagne pour les élections présidentielles de 2007, Nicolas Sarkozy, évoquant les « orphelins de 16 heures » a plaidé sur TF1 en octobre 2006 pour une généralisation des études surveillées afin que « l’ensemble des familles de France puissent venir chercher leurs enfants une fois les devoirs faits, à 18 heures ». Le point 10 du projet législatif pour l’éducation adopté par l’UMP en 2007 (pour la législature de 2007 à 2012) est un engagement précis en ce sens, mais plus fort encore (études dirigées et non pas simplement surveillées). En réalité, durant le quinquennat 2007-2012, il ne sera vraiment tenté de mettre en place ce type de dispositifs que dans les zones d’éducation prioritaire.
(...)
Claude Lelièvre
Suite en fin en cliquant ci-dessous
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Devoirs à la maison, une guerre qui dure
La rentrée scolaire a eu lieu, et avec elle les enjeux autour des devoirs à la maison reviennent sur le devant de la scène. Peut-on vraiment donner en primaire aux élèves du travail à réalis...
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Cécile Roaux : La direction d’école à l’heure du management
EXTRAITS
Si la loi Rihlac a le mérite de remettre sur le devant de la scène la question du pilotage de l'école primaire, il est à craindre qu’elle ne modifie pas réellement le quotidien des directions d’école et leur pouvoir d’action... Même avec une autorité fonctionnelle, le directeur devra se débrouiller avec ce dont il dispose, c’est-à-dire pas grand-chose ". Alors que la loi Rilhac est discutée à l'Assemblée le 29 septembre, Cécile Rouaux, docteure en sciences de l'éducation (Cerlis université de Paris), publie « La direction d’école à l’heure du management. Une sociologie du pouvoir » (PUF). Forte de son expérience de professeure des écoles et de directrice, son travail de recherche donne un éclairage nouveau, tout autant scientifique que de terrain, de ce qu’est la réalité d’une école primaire et du rôle primordial des directeurs et directrices d’école. Un livre qui tombe à pic avec le vote à l’assemblée du projet de loi Rihlac. Il en éclaire les enjeux, met en évidence les limites de la proposition de loi et permet de comprendre un peu mieux le fonctionnement si particulier des écoles françaises du premier degré.
(...)
Donner un statut au directeur signifie-t-il leur donner du pouvoir ? Qu’est-ce que cela apporterait à part « une satisfaction égotique » ?
Un statut ne permettra pas au directeur d’école d’acquérir davantage de « pouvoir » pour changer le fonctionnement d’une organisation telle que l’école, qui se caractérise par un travail en silos très protecteurs. C’est l’exact opposé du travail transversal. Si l’on pose le problème en termes sociologiques, le directeur ne contrôlera rien d’important lui permettant d’obtenir la coopération de ceux qu’il est supposé animer.
Pourtant, les missions officielles de ce directeur sans statut mais surtout sans réel pouvoir, sont lourdes. Il est « responsable de l’ordre et de la sécurité des personnels et des biens », qu’il s’agisse de crises particulières ou de travaux dans l’établissement, il est aussi censé « animer, impulser et piloter le projet d’école en y associant tous les acteurs et partenaires de la communauté éducative ». Pas simple.
Même avec une autorité fonctionnelle, le directeur devra se débrouiller avec ce dont il dispose, c’est-à-dire pas grand-chose. A noter que plus l’équipe enseignante est importante, plus les interactions se multiplient et rendent complexe l’obtention d’un consensus entre la classe et l’établissement. La sociologie des organisations a depuis longtemps montré que le pouvoir s’inscrit dans une relation déséquilibrée mais réciproque dans laquelle chacun a des ressources. Penser que tout acteur en charge d’une école est forcément un petit chef, un renégat, ou un planqué et le cantonner à une responsabilité jugée d’essence inférieure est une véritable violence symbolique. Au-delà des moyens ou d'un statut fonctionnel, il s’agit surtout de s'interroger en termes concrets sur la réalité telle qu’elle est et les règles du jeu fixées par les acteurs eux-mêmes.
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La loi Rihlac serait-elle la solution ?
Si la loi Rihlac a le mérite de remettre sur le devant de la scène la question du pilotage de l'école primaire, il est à craindre qu’elle ne modifie pas réellement le quotidien des directions d’école et leur pouvoir d’action. Investir dans la connaissance comme préalable à l’action, est plus que jamais une obligation si l'on souhaite une véritable transformation en profondeur, systémique et exigeante de l’école. Cela permet d’éviter de prendre des décisions à l’aveugle, sans portée réelle, si ce n’est d’éloigner un peu plus ceux qui décident, de ceux sur lesquels ces décisions s’appliquent, avec le risque d’oublier le problème réel.
(...)
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Entretien complet à lire en cliquant ci-dessous
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Cécile Roaux : La direction d'école à l'heure du management
"Si la loi Rihlac a le mérite de remettre sur le devant de la scène la question du pilotage de l'école primaire, il est à craindre qu'elle ne modifie pas réellement le quotidien des directions...
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Proposition de loi Rilhac : "Choisir mes enseignants ne m’intéresse pas", affirme une directrice d'école opposée à un changement de statut
Une proposition de loi visant à réformer le statut des 45 000 directeurs d'école est examinée mercredi en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Son initiatrice, la députée LREM Cécile Rilhac souhaite leur conférer une autorité hiérarchique sur les autres enseignants.
Cécile Bouchet est directrice d'une école de huit classes au Neubourg, une commune située dans un secteur plutôt rural du département de l'Eure. Pour la rencontrer, il faut attendre la fin de la journée lorsqu'elle se libère de toutes les sollicitations, celles de collègues, d'élèves ou encore de parents. "Là c’était au sujet des tests salivaires mais il y a aussi les imprévus, raconte-t-elle. Par exemple, jeudi dernier une collègue m’a annoncée qu’elle était malade et qu’elle n’allait pas pouvoir venir. Le même matin, une autre collègue m'a dit qu’elle ne pouvait pas venir parce que son fils était malade et là, je me suis retrouvée avec deux classes sans enseignants”.
Cécile Bouchet bénéficie d'une décharge pour gérer ses missions administratives : pendant ce temps, un autre enseignant prend en charge sa classe de CP. Le temps de décharge de direction varie en fonction de la taille de l'école. Cécile Bouchet est libérée chaque jeudi. Une journée qu'elle ne voit souvent pas passer. "J’ai les élections de parents d'élèves à préparer, envoyer des listes pour la photo de classe, appeler l’inspection pour demander conseil sur un problème qui m’a été rapporté...”
Un travail varié, chronophage et souvent stressant
"Entre deux [tâches] le téléphone sonne et à la fin de la journée, on est bien fatiguée", dit-elle d’un rire désabusé "nerveusement, physiquement on n'en peut plus". Cécile Bouchet ne compte pas ses heures, elle passe du temps à l'école tous les week-ends. Pour cet investissement, la directrice d'école touche 150 euros de prime par mois. Malgré les difficultés, elle apprécie cette fonction qu'elle occupe depuis six ans et elle ne désire en aucun cas avoir de l'autorité sur ses collègues. C'est ce que vise la proposition de loi déposée en mai 2020 par la députée La République en marche Cécile Rilhac et examinée en deuxième lecture mercredi 29 septembre 2021 à l'Assemblée nationale. “Le fond de l’histoire, je ne le saisis pas bien. Sincèrement, être amenée à choisir mes enseignants, ça ne m’intéresse pas. Non, ça ne peut pas fonctionner", estime la directrice d'école qui préférerait "avoir plus de temps pour l’administratif parce que parfois c’est vraiment la course. On est à la fin septembre et j’ai l’impression d’être déjà bien fatiguée. C’est vrai que parfois c’est un peu pesant”.
Dans la classe voisine, Émilie Franc, enseignante en CE1/CE2 est, elle aussi, opposée à l'instauration d'un rapport hiérarchique entre les directeurs d'école et les autres enseignants. "Très sincèrement, je ne pense pas que ce soit une bonne solution."
"On travaille vraiment en équipe et le message du directeur, est, je pense, plus fort, justement parce qu’on bosse d’égal à égal."
Émilie Franc, enseignante franceinfo
Le chef de l'État a par ailleurs annoncé lors d'un déplacement à Marseille le 2 septembre dernier, vouloir mettre en place une expérimentation en ce sens,"dès la rentrée 2022-2023" dans 50 écoles de quartiers difficiles la cité phocéenne. "Il faut que ces directeurs d'école puissent choisir l'équipe pédagogique", avait alors déclaré Emmanuel Macron. La proposition a été froidement accueillie par les syndicats enseignants des Bouches-du-Rhône. Mais si cette question fait débat, il y a en revanche consensus sur le besoin de revalorisation de cette fonction de direction d'école.
Noémie Bonnin
Coup de coeur... Honoré de Balzac...
Quand Charles vit les murs jaunâtres et enfumés de la cage où l'escalier à rampe vermoulue tremblait sous le pas pesant de son oncle, son dégrisement alla rinforzando. Il se croyait dans un juchoir à poules. Sa tante et sa cousine, vers lesquelles il se retourna pour interroger leurs figures, étaient si bien façonnées à cet escalier, que, ne devinant pas la cause de son étonnement, elles le prirent pour une expression amicale, et y répondirent par un sourire agréable qui le désespéra. - Que diable mon père m'envoie-t-il faire ici ? se disait-il. Arrivé sur le premier palier, il aperçut trois portes perdues dans la muraille sans chambranles, des portes perdues dans la muraille poudreuse et garnies des bandes en fer boulonnées, apparentes, terminées en façon de flammes comme l'était à chaque bout la longue entrée de la serrure. Celle de ces portes qui se trouvait en haut de l'escalier et qui donnait entrée dans la pièce située au-dessus de la cuisine, était évidemment murée. On n'y pénétrait en effet que par la chambre de Grandet, à qui cette pièce servait de cabinet. L'unique croisée d'où elle tirait son jour était défendue sur la cour par d'énormes barreaux en fer grillagés. Personne, pas même Grandet, n'avait la permission d'y venir, le bonhommes voulait y rester seul comme un alchimiste à son fourneau. Là, sans doute, quelque cachette avait été très habilement pratiquée, là s'emmagasinaient les titres de propriété, là pendaient les balances à peser les louis, là se faisaient nuitamment et en secret les quittances, les reçus, les calculs ; de manière que les gens d'affaires, voyant toujours Grandet prêt à tout, pouvaient imaginer qu'il avait à ses ordres une fée ou un démon. Là, sans doute, quand Nanon ronflait à ébranler les planchers, quand le chien-loup veillait et baillait dans la cour, quand madame et mademoiselle Grandet étaient bien endormies, venait le vieux tonnelier choyer, caresser, couver, cuver cercler son or. Les murs étaient épais, les contrevents discrets. Lui seul avait la clef de ce laboratoire, où dit-on, il consultait des plans sur lesquels ses arbres à fruits étaient désignés et où il chiffrait ses produits à un provin, à une bourrée près. L'entrée de la chambre d'Eugénie faisait face à cette porte murée. Puis, au bout du palier, était l'appartement des deux époux qui occupaient tout le devant de la maison. Madame Grandet avait une chambre contiguë à celle d'Eugénie, chez qui l'on entrait par une porte vitrée. La chambre du maître était séparée de celle de sa femme par une cloison, et du mystérieux cabinet par un gros mur. Le père Grandet avait logé son neveu au second étage, dans la haute mansarde situé au-dessus de sa chambre, de manière à pouvoir l'entendre, s'il lui prenait fantaisie d'aller et de venir. Quand Eugénie et sa mère arrivèrent au milieu du palier, elles se donnèrent le baiser du soir ; puis, après voir dit à Charles quelques mots d'adieu, froids sur les lèvres mais certes chaleureux au cœur de la fille, elles rentrèrent dans leurs chambres.
Honoré de Balzac - Eugénie Grandet
Sortir... "Ultime combat" - Musée du Quai Branly - Jacques Chirac / 28 septembre au 16 janvier
Moines Shaolin et samouraïs, mythologie guerrière, films de sabre et de kungfu… L’exposition "Ultime combat. Arts martiaux d’Asie" propose une immersion dans les arts martiaux d’Asie, à travers leurs histoires, leurs philosophies et leurs pratiques, aujourd’hui mondialisées.
À PROPOS DE L'EXPOSITION
Quelles sont les origines et les particularités des arts martiaux d’Asie ? Avec plus de 300 œuvres anciennes et contemporaines, et au travers d’une galerie de personnages historiques ou de héros de fictions, l’exposition Ultime combat. Arts martiaux d’Asie entend retracer l’histoire des techniques martiales. Un parcours ponctué de références aux arts et cultures populaires, en particulier au cinéma, avec la figure emblématique de Bruce Lee.
L’exposition débute par la représentation du combat dans les arts hindous et bouddhiques, à la fois en tant qu’image de pouvoir des élites militaires qui les ont patronnés mais, surtout, comme métaphore de la libération et de la connaissance. Le combat est intérieur. L’exploration se poursuit au cœur des écoles martiales d’Asie : si elles puisent dans les connaissances militaires, elles s’inscrivent également dans des systèmes très anciens de représentations du corps, de la nature et du monde. En Chine, les moines Shaolin utilisent ainsi le souffle de la méditation bouddhique pour développer leur force physique et mentale ; les arts martiaux japonais proviennent, eux, des anciennes techniques de guerre des samouraïs imprégnées de bouddhisme zen.
En se détachant progressivement de leur fonction guerrière, les techniques martiales deviennent plus théoriques et renforcent leurs discours, devenant ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui des méthodes de développement physique et spirituel de la personne.
Pour en savoir plus, cliquer ci-dessous
Faut-il parler l'anglais depuis toujours pour bien l'enseigner?
Certains profs font intervenir dans leurs classes des locuteurs natifs, souvent considérés comme un modèle linguistique idéal. Mais en situation d'enseignement, tout ça semble relatif.
Alors que les rapports d'évaluation sur les résultats des élèves français en langues étrangères sont traditionnellement décevants, la dernière publication du ministère de l'Éducation sur les acquis en fin d'école et de collège apporte une lueur d'espoir: entre 2004 et 2016, le niveau d'anglais aurait globalement progressé, à l'oral et à l'écrit.
Faut-il y voir une conséquence des dernières évolutions du système scolaire? Depuis une quinzaine d'années, en effet, l'apprentissage de langues et cultures étrangères (LCE) fait partie des programmes de l'école élémentaire. Mais, loin d'être une évidence pour l'ensemble des professeurs des écoles, cette solution génère parfois bien des angoisses.
À l'école primaire, le métier d'enseignant se caractérise par sa polyvalence. Tous n'ont pas approfondi l'étude d'une langue étrangère au cours de leur formation, et ne se sentent donc pas vraiment légitimes pour la partager. Certains sont même profondément convaincus de ne pas être doués dans ce domaine. Ce sentiment d'insécurité linguistique est assez largement partagé chez les enseignants de l'école primaire, quelle que soit leur ancienneté dans le métier.
Comment enseigner une langue et une culture étrangère qu'on ne pratique qu'imparfaitement? Pourquoi demander à des enseignants non spécialistes d'être un modèle en expression orale quand débute l'apprentissage d'une langue? Face à ces questions, certains enseignants sont tentés de faire intervenir dans leurs classes des locuteurs natifs –c'est-à-dire des personnes dont la langue maternelle est la langue enseignée. Est-ce la solution idéale?
Comprendre les difficultés des élèves
Prenons l'exemple de Madame Dupont, enseignante en CE1 depuis vingt-sept ans. Il ne va pas de soi, pour elle, d'enseigner une langue étrangère. Les séances d'anglais lui demandent une lourde préparation, sans lui garantir d'être fiable: elle sait qu'elle n'a pas le «bon accent» pour être un «bon modèle» pour une «bonne pratique» de l'anglais oral.
Souhaitant permettre à ses élèves de mieux réussir qu'elle en langues, elle voudrait leur présenter un modèle et une prononciation authentique de l'anglais. En cela, elle rejoint la pensée sociale contemporaine française qui se réfère bien souvent au locuteur natif comme un idéal linguistique à reproduire ou imiter pour «bien parler» ou «bien écrire», comme s'il s'agissait de devenir bilingue.
Souvent considéré comme un modèle idéal, le locuteur natif se caractérise avant tout par rapport à la langue qui lui est première, sa langue dite maternelle (encore appelée langue 1 ou L1) alors que le locuteur non natif se définit par rapport aux autres langues de sa biographie quel que soit son niveau de pratique. Le caractère natif, cependant, ne saurait à lui seul garantir au locuteur d'être «bon» ou «meilleur» enseignant de sa langue 1 en tant que langue 2, même auprès de jeunes élèves.
Sans l'effort d'une réelle prise de distance sur sa pratique, la sécurité linguistique du natif peut devenir bien relative en situation d'enseignement et se défiler tout autant dans un univers dans lequel il n'a pas non plus de repère. L'enseignant non natif a non seulement l'avantage de connaître ses élèves, mais aussi de partager avec eux les difficultés de l'apprenant à passer d'une langue à l'autre. Il pourra offrir à ses élèves des observations et des comparaisons entre les langues étudiées.
Une curiosité à éveiller
En interrogeant la notion de locuteur natif, on en vient à interroger les compétences nécessaires pour enseigner les langues et cultures étrangères à l'école élémentaire. En tout état de cause, il ne peut être montré que l'apprentissage d'une langue étrangère soit rendu particulièrement plus difficile à l'école uniquement parce que l'enseignant ne serait pas un locuteur natif.
Il ne s'agit pas non plus de reproduire à l'infini les débats qui opposent les pratiques du locuteur natif à celles du non natif. Il pourrait plutôt s'agir de profiter des qualités des uns et des autres. L'enseignant natif est ainsi légitimé par sa compétence linguistique (il est un modèle dans la pratique de la langue), et l'enseignant non natif par sa compétence d'enseignement (il est un modèle d'apprentissage, ayant réussi lui-même à apprendre). L'enseignement le plus efficace serait celui où les uns et les autres coopèrent.
Une année, madame Dupont avait accueilli dans sa classe le jeune Elliott, bilingue, dont la mère est anglaise. Madame Dupont a donc sollicité la maman d'Elliott pour venir dans la classe de son fils chaque mardi matin lors du cours d'anglais. La mère d'Elliott s'est souvent demandé comment agir en tant que modèle pour ces jeunes apprenants, qui par définition, ne pourront jamais devenir des locuteurs natifs anglais eux-mêmes.
Dès les premiers contacts avec les élèves, la mère d'Elliott remarque que ce n'est pas tant la justesse de la langue qui les préoccupe. Comme elle s'est présentée en leur disant qu'elle était née à Londres, ils ont voulu savoir comment elle vivait là-bas, à quoi ressemblait son école, la cantine, quels étaient les sports pratiqués… Allait-elle aux musées? Avait-elle déjà pu elle-même apercevoir la Reine lors de la parade de «Trooping the colour»? Et est-ce vraiment une grande fête?
Diversifier les modèles
Finalement, les préoccupations des jeunes élèves ne sont pas tout à fait celles de leur enseignante. Nous pourrions réinterroger le contrat didactique que madame Dupont propose à ses jeunes élèves: est-il vraiment différent de celui qu'elle a connu? Si madame Dupont pense que, pour bien apprendre l'anglais, ses élèves ont besoin d'un modèle, pourquoi ne pas leur offrir DES modèles?
D'autres parents anglophones pourraient également être invités dans sa classe, qu'ils aient vécu dans la banlieue de Londres ou ailleurs, qu'ils parlent l'anglais de la capitale, du nord, du sud ou d'ailleurs. Les modèles donnés à entendre à ses élèves gagneraient bien sûr à être non seulement plus nombreux et variés, mais également non exclusivement réservés à une seule langue.
L'introduction de l'enseignement des LCE à l'école primaire n'a jamais prétendu être une sorte d'adaptation des enseignements du secondaire en format miniature, ou en version simplifiée des programmes d'une LCE de spécialité du secondaire. L'évolution de cet enseignement peut sembler certainement plus rapide actuellement qu'elle ne l'a jamais été.
Les attentes sont fortes parce que la pression sociale l'est aussi, mais les dérives seraient-elles déjà si proches? Les derniers résultats d'enquête devraient enfin contribuer à voir disparaître le mythe selon lequel les Français ne sont pas doués en langues –la pratique d'une langue ne relève pas d'un don. Mais cela doit-il se faire au détriment d'autres paramètres? Concernant l'aisance à prendre la parole ou le plaisir de chanter, la tendance est au recul. Mais on ne semble pas s'en alarmer déjà!
Séverine Behra
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.
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Faut-il parler l'anglais depuis toujours pour bien l'enseigner?
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