Ecrivaine, autrice de romans et d’essais, dont L’Assignation. Les Noirs n’existent pas (Grasset, 2018), Tania de Montaigne a reçu en 2015 le prix Simone-Veil pour son livre Noire. La vie méconnue de Claudette Colvin (Grasset, 2015). A 48 ans, elle monte sur la scène du Théâtre du Rond-Point pour raconter le parcours de cette militante afro-américaine pour les droits civiques.
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Au cours de votre enfance dans une cité de Draveil, dans l’Essonne, quelle éducation avez-vous reçue ?
J’ai reçu une éducation très carrée. Jusqu’à mes 6 ans, j’ai grandi avec ma mère chez ma grand-mère. Ma mère était très jeune, elle a appris la sténo, a commencé à travailler comme intérimaire puis a été embauchée à Aéroports de Paris (ADP). C’est ce qui nous a permis de déménager toutes les deux et d’habiter dans une autre cité. Et grâce au comité d’entreprise d’ADP, j’ai pu partir en colo.
Ma mère n’a pas fait d’études et c’était très important pour elle que j’en fasse. Mais sa méthode était particulière : elle voulait que je sois autonome, indépendante. Elle n’est jamais intervenue. Aujourd’hui, je me rends compte de la chance que cela a été. A l’époque, j’aurais aimé qu’elle vienne me chercher comme les autres mères, avec un petit goûter. Je ne comprenais pas qu’elle ne soit pas là.
Je porte le nom de ma mère. Je n’avais pas de père. J’étais inscrite à l’école qui dépendait du secteur de ma grand-mère, dans le centre-ville. J’étais la seule élève noire, une des rares pauvres et la seule sans père. J’avais l’impression que ce n’était pas normal. Ma nourrice, blanche, qui habitait dans la même cité que nous, venait me chercher. Dès qu’il y avait une femme noire dehors, il y avait toujours un instit pour me dire d’aller voir ma mère ! Avec Keltoum, la seule élève qu’on disait « arabe », alors qu’elle était française comme moi, on était, dans cette école, les deux perdues dans un océan de bourges !
Qu’est-ce qu’on retient de cet environnement ?
C’est là que j’ai découvert que j’étais noire. Mes premiers jours d’école furent un choc thermique. Les présupposés se sont multipliés : si on est noir, on vient forcément d’une famille nombreuse (pas moi), on est africain (je suis française) ! Je n’étais pas du tout préparée à tout cela. Quant à mes cheveux, je voulais qu’ils bougent !
Le racisme produit quelque chose qui donne un itinéraire. Tout à coup, on découvre qu’il a un dictionnaire, que tout est prédéterminé. Tout le travail est de saisir que ce dictionnaire n’est pas une obligation. Qu’il est produit ailleurs. Dans un premier temps, le racisme m’a obligée, d’un coup, à mesurer chaque pas. Puis il a fallu se déprendre de cette feuille de route. Le fait d’avoir été dans une école où j’étais la seule m’obligeait d’essayer de comprendre ce qu’était cette solitude.
En parliez-vous avec votre mère ou votre grand-mère ?
Quand j’ai entendu : « Ah, elle est noire, donc elle est sale », ma grand-mère m’a dit : « Que crois-tu que tous ces gens cherchent l’été ? Ils cherchent à être noirs. » Je venais d’entrer dans le problème de plain-pied. Ma grand-mère est née en Guadeloupe, ma mère en Martinique. Ce n’était pas la même histoire. Moi, j’étais une petite gosse de banlieue parisienne. Ces deux femmes ne pouvaient pas m’aider. C’était mon histoire, il fallait que je m’en dépatouille.
Avez-vous été la seule Noire en classe tout au long de votre scolarité ?
Pas seulement noire, mais noire et pauvre. Au collège, comme je faisais allemand première langue et latin, j’ai constaté que, pendant la journée, je ne voyais pas les gens avec qui je vivais. On ne se croisait pas. Pour moi, tout était possible. Alors qu’eux étaient orientés à la serpe en CAP ou BEP. Plus tard, j’ai bifurqué dans un autre lycée de l’Essonne, à Athis-Mons, pour être avec des gens nouveaux en demandant une option particulière : le russe. Je me suis retrouvée dans une classe géniale, avec une réelle mixité, ça changeait tout.
Lors des épreuves du bac littéraire, j’ai raté la philo et je devais passer le rattrapage. J’ai appelé ma mère à son bureau pour lui dire : « Je suis au rattrapage et je n’irai pas. » Très clairement, à cette époque-là, se croisaient une histoire familiale où les gens n’ont pas fait d’études et le passage à l’âge adulte. Je faisais ma petite rebelle. Une de nos voisines, que ma mère avait prévenue, est venue me voir : « Tu vas monter dans la voiture, tu vas arrêter les conneries et tu vas me faire le plaisir d’avoir ton bac. » J’ai fini par l’avoir. Sans elle, je n’y serais pas allée. J’ai toujours été sauvée par les autres. Je ne serais pas arrivée là si je n’avais pas croisé des gens qui avaient une ambition pour moi. Pas une ambition d’« être la meilleure », mais une ambition humaine. C’est ce que ma mère a fait pour moi. Dire toujours : « Va voir ailleurs. » J’essaye à mon tour de restituer ça : ne pas se sentir assigné.
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Propos recueillis par Sandrine Blanchard
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