Une aventure pandémique contre-intuitive - Par Cynthia Fleury...
Il faut conserver la responsabilité commune retrouvée pendant ce confinement, où nous vivons la solidarité par la distance.
C’est un temps un peu suspendu, comme désarticulé tel un pantin. Un temps où la collectivité est connectée, confinement 3.0 oblige. Un temps où l’on croit partager le même quotidien mais c’est déjà là une première illusion car il y a une grande frontière, hermétique, entre les asymptomatiques ou encore ceux qui sont peut-être déjà sur le chemin de la fabrique de l’immunité collective, et puis ceux qui produisent des formes sévères, craignant pour leur vie, perdant leur vie. «Comorbidité» on appelle cela, ou comment on ne meurt pas de «sa» mort - certes, vision illusoire , mais d’une combinaison d’effets qui, confrontés à la singularité des corps, produit un phénomène entropique dont on ne revient pas. Ce carrefour des destins donne un sentiment de responsabilité collective, complexe : un mélange de gravité car l’on sait que s’obliger à la discipline du confinement protégera les services de réanimation de la saturation, et que chacun aura ainsi un peu fait de sa part dans cette grande tâche de rester vivants ensemble ; une vraie compassion pour ceux qui sont déjà dans les services luttant pour maintenir leur souffle, comme pour tous ceux déjà malades et qui vivent avec angoisse la possible contagion, et la difficulté de suivre son traitement initial ; enfin, cette sérénité mi-morbide mi-lumineuse, qui accueille le ralentissement espéré des vies, la joie d’un ordinaire encore préservé. Il faut accepter cette vérité sans grâce : c’est en ne faisant rien que certains préservent ceux qui font tout.
Il y aura eu dans cette aventure pandémique des enseignements très contre-intuitifs : une manière de vivre la solidarité, par la distance, la prise en considération de la gravité d’une situation, surtout quand elle ne nous touche pas directement. Des enfants heureusement protégés mais principalement vecteurs de l’épidémie. Des services hospitaliers qui étaient dans un inédit de crise, jamais égalé, et qui pourtant produisent encore et encore un effort grandiose. Des grands défenseurs du libéralisme dérégulé et de la main invisible du marché, des flux incessants de la globalisation, qui redécouvrent le bien-fondé de l’Etat de droit et social, éternel Janus bifrons de la démocratie. Une létalité réelle, mais au pourcentage très milité, et qui malgré tout provoque un séisme absolument tonitruant, enchâssant les crises sanitaire, économique, démocratique, les unes dans les autres. Se relever après, non pas retourner à l’ancienne manière de vivre, mais comprendre comment ne pas provoquer à nouveau ce type de dérèglement mondial profond, tel est l’enjeu, et l’on sait déjà à quel point celui-ci sera difficile à assumer. Camus nous l’enseigne dans la Peste (1947), celle-ci peut venir et repartir «sans que le cœur des hommes en soit changé». Dans les lignes conclusives, le narrateur sait qu’il n’existe aucune victoire définitive sur la peste, qu’elle se maintient tapie dans les linges, les recoins, prête à resurgir et à produire son chaos. Bien sûr, la peste métaphorise chez Camus la banalité du mal arendtien, l’archaïsme meurtrier et minable des hommes, leur folie toute-puissance, leur haine de l’autre, leurs valeurs inversées. «Pour le malheur et l’enseignement des hommes», la peste peut se réveiller. Dans nos vies, nous ne pensions pas faire ne serait-ce que l’expérience infime de cela : un pas de deux avec le grand tout de la société, avec cet enfer des autres que nous avons appris à tenir à distance moralement et physiquement, et là tout d’un coup, devenu omniprésent bien que disparaissant. Il y aura beaucoup de réjouissances une fois l’épreuve traversée. Faites qu’il y ait également dans cette joie une gravité réelle, et le désir d’une responsabilité commune restaurée.
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Une aventure pandémique contre-intuitive
C'est un temps un peu suspendu, comme désarticulé tel un pantin. Un temps où la collectivité est connectée, confinement 3.0 oblige. Un temps où l'on croit partager le même quotidien mais c'e...
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En Uruguay, les élèves confinés bénéficient d'une politique d'éducation virtuelle unique...
Avec la crise du coronavirus, l’Unesco estime que plus d’un milliard d’élèves dans le monde ne peuvent plus aller en classe. En Uruguay, depuis 2007, tous les élèves de l’enseignement public reçoivent gratuitement une tablette ou un ordinateur portable. Une politique éducative unique au monde, très précieuse en ces temps de pandémie.
Depuis le 16 mars, le collège de Joaquín Mesa est fermé à cause de la pandémie de Covid-19. Comme tous les élèves uruguayens, ce collégien de 13 ans suit ses cours par internet. Hier, il a travaillé quatre heures.
« J’ai fait un exposé sur le coronavirus, deux heures d’histoire, et après j’ai eu géographie. On utilise les ordinateurs du plan Ceibal », explique-t-il.
Depuis sa mise en place en 2007, le plan Ceibal a permis de distribuer gratuitement plus d’un million de tablettes et d’ordinateurs portables. En Uruguay, tous les élèves de l’enseignement public y ont droit. Une politique éducative unique au monde.
« Je trouve que c’est une ressource très précieuse. Le point positif, c’est que l’on apprend ensemble à se servir de cette plateforme qui existe depuis des années, et qui est enfin reconnue à sa juste valeur. » Fabiana Denis est institutrice dans une école élémentaire. Elle a été formée aux différentes plateformes éducatives développées dans le cadre du plan Ceibal, consacrées par exemple aux mathématiques ou à l’anglais. Un service de messagerie et une bibliothèque virtuelle de plus 7 000 ouvrages sont également disponibles.
« Toutes les plateformes sont programmées pour que l’on puisse corriger les activités, et que l’on puisse contrôler qui se connecte ou non », précise-t-elle.
Depuis la fermeture des établissements d’enseignement, les plateformes du plan Ceibal enregistrent des records de fréquentation. Dans ce pays de 3,5 millions d’habitants, plus de 200 000 élèves se connectent quotidiennement.
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En Uruguay, les élèves confinés bénéficient d'une politique d'éducation virtuelle unique
Avec la crise du coronavirus, l'Unesco estime que plus d'un milliard d'élèves dans le monde ne peuvent plus aller en classe. En Uruguay, depuis 2007, tous les élèves de l'enseignement public ...
"Devenir grand"... France 2 - 23h30 (hélas), mardi 31 mars... (+ vidéos)
Mardi 31 mars, sur France 2, "Devenir grand", un film de J. Grumbach : un hommage particulièrement bienvenu aux enseignants et aussi une belle réflexion pédagogique sur "la formation de la volonté"... @JudithGrumbach
— Philippe Meirieu (@PhilippeMeirieu) March 27, 2020
Enfants confinés ? Des histoires à écouter...
EXTRAITS
« La Matinale » ne vous oublie pas dans votre confinement. Cette semaine, honneur à l’audio, une bonne alternative aux écrans qui permet à vos enfants de continuer à lire et à rêver, tout en vous garantissant quelques minutes de tranquillité.
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A partir de 3 ans
Oli : l’histoire du soir sur France Inter
Une histoire et Oli, disponible sur France Inter, iTunes et les plates-formes de podcast
Des histoires en musique sur Radio Classique
Des histoires en musique, disponible sur Radio Classique, iTunes et les plates-formes de podcast
Andersen, valeur sûre sur France Culture
Lectures d’enfance, disponible sur France Culture, iTunes et les plates-formes de podcast
Pomme d’Api s’écoute
Canard adoré des enfants, le magazine Pomme d’Api a eu l’excellente idée de donner ses histoires à lire en podcast : « La grande histoire de Pomme d’Api ». Ces lectures (de cinq minutes environ) ont la particularité d’être faites par des parents.
Par ailleurs, la web-radio Radio Pomme d’Api propose chansons, comptines, histoires. Et, à 20 h 15 tous les jours, c’est une grande histoire à écouter qui est proposée pour finir la journée – confinée ou non – en douceur.
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Pour les 7 ans et plus
Les écrivains se racontent
A quoi ressemble le quotidien d’un écrivain ? Quels sont les livres cultes de nos auteurs préférés ? Le déclic ? Comment travaillent-ils ? C’est ce que propose le podcast du groupe Bayard « Histoires de jeunesse ». Et entendre Marie Desplechin, Antoine Dole ou Jean-Claude Mourlevat (auteur de L’Enfant océan, ce Petit poucet contemporain si merveilleux) évoquer leur parcours est passionnant. Chaque épisode dure entre 30 et 45 minutes environ.
Homère n’a qu’à bien se tenir…
Bonne nouvelle en cette période de confinement et de restriction : France Inter devrait pouvoir mettre en ligne un épisode de ses formidables « Odyssées » chaque semaine. Pensé et produit par Laure Grandbesançon, chaque épisode invite les 7/12 ans à se plonger dans les aventures des grandes figures de l’histoire, de Socrate à Martin Luther King. C’est passionnant, instructif et addictif, car mis en scène comme un roman d’aventure.
Les Odyssées, disponible sur France Inter, iTunes et les plates-formes de podcast
Fictions à foison sur France Culture
Tintin sans les bulles
Les Aventures de Tintin, disponible sur France Inter, iTunes et les plates-formes de podcast
Astérix et Obélix sèment la zizanie…
La Zizanie, disponible sur France Culture, iTunes et les plates-formes de podcast
Et le dernier né….
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Enfants confinés ? Des histoires à écouter
" La Matinale " ne vous oublie pas dans votre confinement. Cette semaine, honneur à l'audio, une bonne alternative aux écrans qui permet à vos enfants de continuer à lire et à rêver, tout en ...
Revue de Presse Education... Ministère — Inquiétudes — Ressources...
Quelques décisions du ministère, des inquiétudes, et quelques ressources, pour une petite revue de fin de semaine.
Ministère
Nouveau métier enseignant : Blanquer repousse la demande de la Cour des Comptes
“Saisi par la Cour des comptes par un référé qui vise, à travers le statut des PLP, celui des certifiés, JM Blanquer ne va pas aller dans le sens attendu par la Cour. C’est ce que montre sa réponse rendue publique par la Cour. Le ministre « partage l’objectif d’efficience » de la Cour mais trouve des arguments pour faire du sur place… Un point intéressant alors que JM Blanquer, avant la crise sanitaire, voulait créer un « nouveau métier enseignant ». Mais depuis le 11 mars tout a changé…”
Les concours de recrutement de l’Education nationale reportés « entre juin et juillet »
“Alors qu’il y a quelques jours, Jean-Michel Blanquer affichait sa volonté de « ne les annuler que dans des cas très extrêmes », les épreuves de concours et examens nationaux prévues ces prochaines semaines n’auront finalement pas lieu. Un communiqué publié hier sur le site du ministère indique que « les épreuves des examens et des concours nationaux qui n’ont pas pu se tenir ou qui doivent se tenir dans les pro chaines semaines seront reprogrammées à une date ultérieure ».”
Inquiétudes
Coronavirus et confinement : les profs s’inquiètent de l’absence de leurs élèves sur l’espace numérique
“Alors que les établissements scolaires sont fermés partout en France en raison de l’épidémie de Covid-19, les élèves sont invités à travailler depuis chez eux et à maintenir le lien avec leurs professeurs, via les outils numériques. Mais un grand nombre d’entre eux est aux abonnés absents.”
"Avec l’éducation à distance, difficile de se donner à 100%" selon des élèves de Tours qui préparent le bac
“"Le bac 2020 aura lieu, mais sa forme devra forcément évoluer" a dit ce jeudi Jean-Michel Blanquer. Une incertitude qui inquiète les lycéens tourangeaux de Terminale rencontrés par France Bleu Touraine.”
Tribune : Sylvain Grandserre : Continuité démagogique
“On le sait désormais, l’École française n’était absolument pas préparée à être soudainement mise à l’arrêt. Les enseignants les plus attentifs avaient entendu dire tout l’inverse, de la bouche même de leur ministre. En effet, jeudi 12 mars, celui-ci expliquait et répétait dans les médias combien il était opposé à pareille décision « jamais envisagée » de fermeture généralisée, chose qu’il jugeait alors contre-productive, paralysante pour le pays, contraire à notre culture, au moment où d’autres nations prenaient justement exemple sur notre capacité à nous adapter aux situations locales (France Info). Et puis, patatras ! Le soir même, le Président de la République décidait tout le contraire. Pas de mea culpa pourtant, plutôt une mise au pas de tout l’appareil, accompagnée d’un « nous sommes prêts » magique, supposé garantir à tous – de 3 à 18 ans - une prétendue continuité pédagogique.” Sylvain Grandserre, Maître d’école en Normandie, Auteur de : « Un instit ne devrait pas avoir à dire ça ! » (ESF/LA CLASSE)
Comment les profs de maternelle continuent à s’occuper de vos enfants par Augustine Passilly
“Le télétravail se révèle particulièrement difficile pour les enseignant·es de petite et moyenne sections, des niveaux non inclus dans le dispositif de continuité pédagogique.”
Ressources
Education à distance : ces sociétés de Nouvelle-Aquitaine qui offrent leurs solutions
“Pour aider les parents à faire face à la fermeture des établissements scolaires, la Région Nouvelle-Aquitaine et le réseau numérique régional se sont mobilisés. Voici leurs propositions.” Des ressources dans la deuxième partie de l’article.
Des classes virtuelles pour l’enseignement supérieur sur FUN Campus !
“Vous enseignez dans le supérieur ? France Université Numérique vous déploie une classe virtuelle pour vos étudiants sur sa plateforme FUN Campus. “
Bernard Desclaux
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Revue de presse du vendredi 27 mars 2020
Quelques décisions du ministère, des inquiétudes, et quelques ressources, pour une petite revue de fin de semaine. Bernard Desclaux N° 559 : L'aventure de la géographie Coordonné par Christop...
https://www.cahiers-pedagogiques.com/Revue-de-presse-du-vendredi-27-mars-2020
Coup de coeur... René Char...
Allégeance
Dans les rues de la ville il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima ?
il cherche son pareil dans le vœu des regards.
L'espace qu'il parcourt est ma fidélité.
Il dessine l'espoir et léger l'éconduit.
Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. À son insu, ma solitude est son trésor.
Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima et l'éclairé de loin pour qu'il ne tombe pas ?
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D'un même lien
Atome égaré, arbrisseau,
Tu grandis, j'ai droit de parcours.
A l'enseigne du pré qui boit,
Peu instruits nous goûtions, enfants
De pures clartés matinales.
L'amour qui prophétisa
Convie le feu à tout reprendre.
O fruit envolé de l'érable
Ton futur est un autrefois.
Tes ailes sont flammes défuntes,
Leur morfil amère rosée.
Vient la pluie de résurrection !
Nous vivons, nous, de ce loisir.
Lune et soleil, frein ou fouet,
Dans un ordre halluciné.
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Jeune cheval à la crinière vaporeuse
Que tu es beau, printemps, cheval,
Criblant le ciel de ta crinière.
Couvrant d'écume les roseaux!
Tout l'amour tient dans ton poitrail :
De la
Dame blanche d'Afrique
À la
Madeleine au miroir,
L'idole qui combat, la grâce qui médite.
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Nous tombons
Ma brièveté est sans chaînes.
Baisers d'appui.
Tes parcelles dispersées font soudain un corps sans regard.
Ô mon avalanche à rebours!
Toute liée.
Tel un souper dans le vent.
Toute liée.
Rendue à l'air.
Tel un chemin rougi sur le roc.
Un animal fuyant.
La profondeur de l'impatience et la verticale patience confondues.
La danse retournée.
Le fouet belliqueux.
Tes limpides yeux agrandis.
Ces légers mots immortels jamais endeuillés.
Lierre à son rang silencieux.
Fronde que la mer approchait.
Contre-taille du jour.
Abaisse encore ta pesanteur.
La mort nous bat du revers de sa fourche.
Jusqu'à un matin sobre apparu en nous.
René Char - Poèmes
"Sortir"... En restant chez soi! 6 expositions...
Musée Cernuschi, 7, avenue Velasquez, Paris 8e. Catalogue : « Musée Cernuschi. Chefs-d’œuvre », Paris Musées, 150 p., 19,90 €
Erwin Wurm photographies, Maison européenne de la photographie, 5-7, rue de Fourcy. Paris-4e.
« A la recherche des œuvres disparues ». Institut Giacometti, 5, rue Victor-Schoelcher, Paris 14e.
Fondation Cartier, 261, boulevard Raspail, Paris 14e
Wols, Histoires naturelles, Centre Pompidou, Paris 4e
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Six expositions à visiter depuis son canapé
LA LISTE DE LA MATINALE Nos journalistes ont sélectionné des œuvres désormais inaccessibles au public, en y ajoutant des liens vers des articles ou des sites Internet pour approfondir ces ...
Pieds nus...
Dieppe - Paris… Un jour de juin…
Les pieds nus
Un jour de juin, sur l’autoroute reliant Rouen à Paris… Je raccompagnais une amie chez elle. Depuis Dieppe… Contact... Moteur...
J’ai passé toute mon enfance au Maroc. Toute ou presque. J’y suis arrivé à l’âge de deux ans, dans les bagages de mes parents fuyant une Algérie en pleine guerre d’indépendance.
Je suis devenu cet enfant de « là-bas », même pas expatrié puisque né en Afrique du nord, français mais ne découvrant et ne redécouvrant cette France du lointain que deux mois par an, l’été, pour les vacances. Jusqu’à quinze ans, jusqu’à ce jour où mes souvenirs ont été noyés dans les remous provoqués par les hélices du bateau me séparant presque définitivement de « mon » pays. Je ne peux penser à Tanger sans un pincement au cœur.
Enfant, à la maison, j’allais toujours pieds nus.
Le carrelage de la maison rafraîchissait mon corps tout entier. Je ne supportais pas les chaussures. Je ne les supporte toujours pas lorsque je suis chez moi.
Je marche dans les pas de mon enfance…
Assise à mes côtés dans la voiture, mon amie se pencha et ôta ses escarpins. Je ne fus ni surpris ni choqué. Elle était maintenant pieds nus, incommodée par des chaussures portées depuis le matin et qui, peut-être, l’endolorissaient. Elle avait accompli ce geste naturellement, sans rien me demander, comme si elle avait deviné que ces pieds nus étaient pour elle et moi le signe d’une liberté partagée, d'une confiance offerte, d'une complicité évidente. Tous deux étions « nés pour un jour limpide », d'après Hölderlin. En ce jour limpide, sur une autoroute aussi laide que peuvent l’être toutes les autoroutes du monde, j’étais heureux - et elle l’était aussi - de retrouver en ce geste somme toute banal, le souvenir de la fraîcheur des carrelages de mon enfance au Maroc. Une femme ou un homme marchant pieds nus manifestent bien plus leur amour d’une forme de liberté qu’en pratiquant le naturisme ou, pour une femme, en dévoilant sa poitrine sur une plage au milieu de la foule.
Lorsque je rentrais de l’école, du lycée, à huit ans, à quinze ans, je prenais toujours soin d’ôter mes chaussures. J’étais ainsi en permanence « comme à la plage ». Les couloirs de la maison, les pièces, la cave, le garage, tout me ramenait à la fraîcheur de l’eau que je prenais plaisir à faire exploser en gerbes de lumières, courant vers elle pour fuir la brûlure du sable, inonder mes pieds, mes mollets, mes cuisses, ma taille, mon corps entier plongeant dans l’Atlantique, quelques secondes immergé, dans le silence soudain, seulement bercé par le bouillonnement des rouleaux, puis surgissant à la lumière dans une explosion de joie solitaire avant quelques brasses comme autant de caresses partagées avec l’océan. Je revenais ensuite, essoufflé, me jetant sur ma serviette et, contemplant le ciel, cet autre océan dont la profondeur me plongeait dans des abîmes de réflexions naïves, je regardais défiler des nuages imaginaires, tout enivré de bleu.
Du coin de l’œil, et furtivement car je devais fixer la route, je regardais les pieds nus de mon amie. Ils étaient jolis…Elle est très belle...
Me revinrent alors en mémoire d’autres pieds nus…
Ceux de Khadija, que j’appelais khaddouj. Elle était notre bonne au Maroc - Je déteste ce terme. Il était utilisé par les familles françaises. Pas par mes parents. Elle était d'abord, avant tout et seulement la grande sœur à qui je me confiais lorsqu'enfant j'avais à partager un moment heureux ou moins heureux. Cette femme ne savait ni lire ni écrire mais savait mieux que personne lire dans mon regard et écrire dans ma mémoire. Rien d'elle ne s'est jamais effacé. J'ai appris énormément d'une femme illettrée… Paradoxe intéressant.
Elle aussi, dès son arrivée à la maison jusqu’à son départ, retirait ses chaussures et restait pieds nus. Des pieds peints de la cheville aux orteils. Ces figures me fascinaient car je ne les comprenais pas. C’était une jeune femme de vingt-cinq ans, brune aux yeux sombres, très mince, le visage toujours illuminé d’un sourire. Souvent, elle chantait en travaillant. Jamais elle ne se plaignait. Ses pieds nus rendaient sa démarche, d’une noblesse infinie acquise depuis l’enfance par le port de divers récipients sur la tête, légère, élégante, délicate. Elle ne touchait pas le sol, elle le frôlait, l’effleurait, le caressait. C’était une fée, ma fée.
Au plus fort de la chaleur du jour, elle m’invitait à la cave. Il y faisait si frais. S’asseyant en tailleur et, dans un geste ample sculptant l’espace, ramenant son sarouel entre ses jambes repliées, elle m'invitait à me blottir dans le berceau ainsi formé. Alors, caressant mon front, je l’entendais reprendre une mélopée ancienne. Jamais je n’ai entendu la fin. Je m’endormais, tranquille. Mes pieds nus reposant au sol, secoués de quelques soubresauts provoqués par des rêves oubliés.
D’autres pieds nus…
Ceux de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants entassés dans des embarcations de fortune – quelle « fortune » ? – fuyant l’enfer d’une Afrique en souffrance, naufragée. Je ne cesse de penser à ces foules rendues malades par les mouvements des vagues, ne sachant pas nager pour la plupart d’entre elles. Le corps brûlé par l’essence s’échappant de moteurs antédiluviens, les pieds nus dans l’eau de mer envahissant leur fragile embarcation. Hurlant dans la nuit, appelant au secours jusqu’au silence parfois. Le silence des noyés. Le silence des âmes perdues dont personne n’a voulu. À leur silence apeuré, même la France en son sommet répondit par le silence officiel. Jamais je ne pardonnerai à quiconque de rester sourd aux cris de ces silences. Ces pieds nus m’obsèdent et m’obséderont longtemps. Ils sont ceux des naufragés d’un monde dont l’honneur fut sauvé par quelques marins à bord d’un navire nommé « Aquarius »
La route défilait…
Mon amie aux pieds nus partageait avec moi quelques chansons…
J’ai tellement aimé celle d’Anwar… Elle s’intitule « How can I do »
Écoutez-la… Pieds nus…
Christophe Chartreux
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"Depuis cinq jours que la pluie coulait sans trêve sur Alger, elle avait fini par mouiller la mer elle-même."
Albert Camus – L'Été
Cynthia Fleury : « L’un des enjeux de l’épidémie est de construire un comportement collectif respectueux de l’Etat de droit »
EXTRAITS
La philosophe explique, dans un entretien au « Monde », que notre autonomie se construit sur notre dépendance aux autres. Selon elle, l’épidémie rappelle que la santé est un bien commun, non réductible à la marchandisation.
Philosophe et psychanalyste, Cynthia Fleury est professeure titulaire de la chaire humanités et santé au Conservatoire national des arts et métiers et dirige la chaire de philosophie à l’hôpital Sainte-Anne (GHU Paris psychiatrie et neurosciences). Membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), elle a notamment écrit Le soin est un humanisme (Gallimard, 2019), dans lequel elle montre que l’acte de soigner nous relie aux autres et fait notre civilisation.
Face au danger, comment expliquer que nous ayons eu du mal, collectivement, à prendre la mesure de l’épidémie ?
Il y a plusieurs explications : d’abord, une forme de déni protecteur, assez classique, chacun dédramatisant la situation, les pouvoirs publics manquant de lisibilité dans leur communication et n’aidant pas à une prise en considération. Ensuite, le réveil et l’acceptation des restrictions, pour une grande partie de la population.
Reste ceux qui contournent, faisant preuve d’immaturité et d’inconséquence civique, et ceux qui ne sont pas « égaux » dans la capacité à respecter une norme, notamment parce qu’ils sont plus vulnérables. L’un des grands enjeux de cette épidémie est d’apprendre à construire un comportement collectif face au danger, et de le faire tout en respectant l’Etat de droit.
Quels sont les leviers pour y parvenir ?
En philosophie, on oppose la liberté négative, qui est l’absence d’entraves, à la liberté positive, qui articule intérêt particulier et intérêt collectif. Nos sociétés défendent, à juste titre, une conception négative de la liberté. Mais nous redécouvrons aussi la conception positive de la liberté, plus répandue dans les pays où la valeur de la communauté pèse culturellement davantage, ou qui sont habitués à une forme d’autoritarisme, voire de patriarcat, ou qui sont simplement plus disciplinés, bref plus familiers avec la compétence d’inhibition et le respect d’autrui. Mais la liberté positive connaît aussi ses dérives. L’articulation des deux conceptions est nécessaire.
(...)
L’épidémie survient après une année noire pour l’hôpital, avec des grèves à répétition et des démissions administratives. Comment expliquer que les soignants répondent massivement présent malgré les risques ?
Notre lien à la démocratie sociale ne se réduit pas à notre rapport avec l’exécutif, c’est un lien plus « méta », indéfectible. Heureusement que les personnels soignants répondent présent, la résilience de la société est à ce prix, sinon tout partirait en chaos absolu. Leur engagement nous sauve alors même que, faute de protections suffisantes, ils sont contraints de se mettre en danger.
Au sein du personnel médical et soignant, chacun fait la différence entre, d’un côté, une situation d’exception obligeant à des comportements inédits et, de l’autre, le mouvement social et la dénonciation des insuffisances de l’Etat. Cette double dynamique se manifeste dans quantité de services : d’un côté, un désaveu puissant des politiques publiques sociales du gouvernement, voire une colère contre l’exécutif ; de l’autre, une décision morale définitive quant au fait qu’il faille traverser cette crise, et qu’on ne retournera à la bataille sociale qu’après avoir mené celle contre l’épidémie.
(...)
La situation des Ehpad est tragique, entre des contaminations qui s’enchaînent et un confinement qui peut conduire à la régression psychique des personnes très âgées.
Le CCNE s’est souvent penché sur cette question essentielle : comment ne pas renforcer la vulnérabilité de nos aînés par des mesures de quasi-surconfinement, alors qu’on sait que la socialisation préserve littéralement leur santé. En fait, l’éthique ne peut se réduire à appliquer une règle hors de toute considération de contexte. Dès lors, il faut s’obliger à produire des alternatives. On ne peut pas interdire les visites sans les remplacer, par exemple, par le recours systématique au téléphone, aux outils digitaux, à des personnels qui se font les porte-parole des familles… On sait depuis Aristote qu’une règle est toujours générale, et donc discriminante. Il est donc indispensable de produire une jurisprudence pour corriger ces discriminations.
(...)
Quels peuvent être pour vous les enseignements de cette crise ?
La mondialisation telle qu’elle existe aujourd’hui nous rend littéralement malades, elle est devenue invivable, totalement délétère pour nos santés physique et psychique, économique et démocratique. La préservation de la souveraineté des biens non marchands, des commons, est un enjeu déterminant. Mais les résistances idéologiques sont immenses. Au cœur de la catastrophe, chacun a un accès direct à l’essentiel, mais ensuite, l’inertie, le déni, l’usure, la manipulation reprennent vite la main. Camus nous l’enseigne dans La Peste : celle-ci peut venir et repartir « sans que le cœur des hommes en soit changé ».
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Giorgio Agamben : « L’épidémie montre clairement que l’état d’exception est devenu la condition normale »
Quelles seraient les conditions d’un changement ?
Les philosophes grecs parlent du « kaïros », cet instant opportun, qui transforme un événement en commencement historique, qui produit un avant et un après. Le Covid-19 doit être l’occasion de ce kaïros national et international. Rendez-vous compte, il s’agit d’une pandémie faisant vriller l’économie mondiale. Si nous ne nous saisissons pas de cette obligation d’initium, dont parlait Arendt, d’inventer un autre modèle, nous ratifions le fait que nous sommes déments.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Cynthia Fleury : « Le courage est le moteur d’une entrée dans le monde »