EXTRAITS
Semaine après semaine, nos portraits du jeudi racontent un métier, ou plutôt une multitude de métiers, qui se vit intensément, une éducation qui bouge, évolue, s’adapte aux pleins et aux déliés mouvants d’une société fragile. L’enthousiasme, l’énergie, la créativité en sont des caractéristiques. Le contraste est saisissant avec les traces de malaise, voire de souffrance, laissées par des enseignants sur les réseaux sociaux, avec notamment la balise #manifvirtuelle.
Ce sont les mêmes personnes qui expriment à la fois leur plaisir de travailler pour le service public de l’éducation et leur découragement, le second grignotant petit à petit le premier. « J’enseigne depuis 24 ans, en école et depuis 8 ans en SEGPA, avec énergie et engagement. J’exige en retour du respect, 1 salaire à la hauteur de mes qualifications et de mes diplômes et la perspective d’1 retraite digne. Ce message sera quotidien. » « Je suis AESH en maternelle (je fais 2 écoles). J’accompagne 5 élèves. J’exige un statut, un salaire décent et une retraite. Pour une meilleure inclusion des élèves #ecoleinclusive. Ce message sera quotidien. »
Ce sont deux exemples pris au hasard dans la kyrielle de messages postés chaque jour sur Twitter depuis plus d’un mois, destinés au ministre de l’Éducation nationale et au Président de la République. Ils mériteraient que l’on s’y attarde, qu’on les mette bout à bout pour regarder de plus près ce qu’ils laissent apparaître d’un malaise qui s’accroît, d’une fissure dans les fondations de l’école, pilier pourtant indispensable pour une société en crise percluse d’inégalités. La durée du mouvement en signifie la densité et la profondeur. Il pousse hors des classes ceux qui pourtant au jour le jour les investissent pour exercer une mission à laquelle ils sont attachés, voient dans chaque jour de grève une mise de côté de leurs élèves, une brèche dans leur salaire aussi. Le récit de quatre enseignants, aux métiers et parcours différents, nous donne quelques clés pour comprendre en quoi cette lutte est aussi l’expression d’une urgence à retrouver la confiance.
Témoins
Benjamin est professeur des écoles en élémentaire du côté de Lyon. « C’est loin d’être une vocation et le début a été assez compliqué, notamment en raison des conditions de travail particulièrement difficiles et du manque de formation. J’ai assez vite pris du plaisir en me formant avec l’aide de mes collègues. » Il aime son métier et se voit difficilement faire autre chose tout en redoutant de continuer s’il voit ses conditions de travail continuer à se détériorer.
Gaétan est professeur des écoles en CM2 dans un quartier populaire du 19e arrondissement de Paris. Il a étudié la littérature et les sciences sociales, a découvert avec la sociologie les enjeux de reproduction des inégalités sociales liées à la langue et à la pratique de l’écriture. Son cheminement vers l’enseignement est né de là mais aussi d’un engagement militant dans le syndicat Solidaires étudiant-e-s qui lui a donné accès à la revue N’Autre Ecole où des praticiens et praticiennes développaient une approche critique sur le métier d’enseignant. « C’est la perspective d’une pratique professionnelle en constante tension entre pratique quotidienne, avec tout ce que cela a de concret, et possibilité d’une réflexion sur cette dernière qui m’a poussé vers l’enseignement. Le primaire me semblait être un espace à la fois plus libre et qui, historiquement, avait été le lieu de plus d’expérimentations... »
Marc est professeur documentaliste dans un collège REP+ (réseau éducation prioritaire renforcé) du Val d’Oise. Il enseigne l’éducation aux médias aux classes de 6e et en atelier relais pour la prévention décrochage. Il intervient également en conseil d’élèves et en travail individualisé dans le cadre des deux classes coopératives. Son père était instituteur et utilisait la pédagogie Freinet. Il s’est toujours senti proche du monde de l’éducation. « Le métier de prof-doc me paraissait moins étriqué disciplinairement (même si c’est aussi un désavantage par moments) et aussi assez diversifié dans les tâches quotidiennes. Je voyais ce poste comme étant assez propice à l’instauration d’un cadre pédagogique coopératif, donc je me suis dit “pourquoi pas ?”. »
Amélie enseigne le français dans le Val d’Oise. « J’ai toujours voulu enseigner, surtout parce que j’avais l’exemple de ma mère, elle-même enseignante, et que je viens d’une famille qui compte de nombreux enseignants... Des profs passionnés, en somme, qui m’ont transmis leur amour du métier. »
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Même la façon de se mobiliser semble emprunter un visage nouveau, ou retrouvé, dépassant le cadre catégoriel, embrassant des thèmes plus larges que le motif qui l’a déclenchée, associant nouveaux modes de communication, avec les réseaux sociaux et modalités plus classiques de la grève. Amélie confie : « Par ailleurs, cette mobilisation m’a amenée à envisager un peu différemment mon propre engagement, en faisant le choix d’un autre syndicat, plus militant et revendicatif que celui auquel j’appartenais depuis mon entrée dans le métier. Blanquer m’a radicalisée, en somme. » Lorsque le mouvement sera terminé, l’évaluation de sa réussite devra dépasser le simple comptage des revendications satisfaites pour aller voir ses conséquences du côté des salles des profs. Car dans les messages sur Twitter comme dans les témoignages, c’est une réelle difficulté à exercer son métier et à se projeter dans l’avenir qui s’exprime de plus en plus nettement.
Monique Royer
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