EXTRAITS
Depuis la rentrée, le nouveau baccalauréat version Blanquer est entré en vigueur en classe de première. Les élèves, en plus du tronc commun, ont dû choisir trois spécialités et vont passer en janvier les épreuves de contrôle continu. Problème : des inconnues multiples demeurent sur le contenu des examens. Enseignants et élèves restent dans le flou.
Saphir et Sarah se sont résolues à sacrifier une partie de leurs vacances de Noël. Ces deux élèves de première dans un lycée de Sarcelles (Val-d’Oise) vont consacrer quelques jours de leurs congés à réviser. Logan, Titouan et Louise sont aussi dans l’expectative et attendent de savoir comment vont se dérouler les premières épreuves du baccalauréat nouvelle mouture.
En effet, de fin janvier à début février, ces élèves vont inaugurer les toutes premières épreuves communes de contrôle continu instituées par la réforme du baccalauréat. Ces « E3C », comme elles sont surnommées, cristallisent toutes les craintes et les interrogations des lycéens et de leurs enseignants. Ce sont des épreuves qui compteront pour 30 % de la note finale et qui seront constituées grâce à une « banque nationale de sujets », divulguée la semaine dernière. Elle sera « vivante » et alimentée régulièrement en fonction des disciplines.
Par exemple, 300 sujets seront ainsi accessibles, pour le tronc commun : l’histoire-géographie, les langues vivantes, les sciences (pour les séries générales) et les mathématiques (pour les séries technologiques). Les lycéens devront bûcher 1 h 30 à deux heures. Ce mode d’évaluation a été pensé pour casser l’effet bachotage et desserrer l’étau du stress inhérent à tout examen.
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Sur le papier, pourquoi pas une réforme du baccalauréat, qui n’avait plus de sens, comme le concèdent enseignants et syndicat. Mais cette réforme menée tambour battant sans que l’intendance suive toujours agace. Dans les faits, tout le monde patauge. Les proviseurs s’arrachent les cheveux pour organiser les épreuves. Logan, élève de première à Saint-Céré dans le Lot, résume le sentiment général. Depuis la rentrée, explique-t-il, « on avance à l’aveugle, on est des cobayes. On nous demande de faire des choix très matures, comme l’abandon d’une spécialité en terminale, mais dans le vide ».
Son camarade Titouan abonde en son sens : « Nos enseignants essaient de nous rassurer mais ils sont fébriles. On a dû choisir en quelques jours quelle langue vivante on allait passer pour les premières épreuves. Nous n’avons ni le temps, ni les éléments nécessaires pour nous décider. »
Le barème des épreuves est resté longtemps secret. Les corrections données aux enseignants sont jugées incompréhensibles par beaucoup d’entre eux. Les sujets sont accessibles depuis la semaine dernière, juste avant les congés de Noël, ce qui laisse encore moins de temps aux enseignants pour décortiquer les objectifs attendus et s’approprier ce nouveau type d’examen. Certains expliquent ne pas savoir quoi répondre aux élèves anxieux.
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Des désagréments qui épuisent les enseignants
Les élèves en difficultés peuvent s’en remettre au CNED, l’organisme d’enseignement à distance, pour mieux réviser la spécialité maths. Des enseignants se sont étranglés de voir le ministère en faire la promotion pour les suppléer. Le ministère concède en effet que le niveau, cette année, est « exigeant », mais il s’agit en mathématiques « du niveau jugé nécessaire en fin de première pour pouvoir continuer en terminale et si au-delà on veut réussir dans le supérieur. C’est un programme de vérité, cette réforme ».
Sophie Vénétitay, professeure de sciences économiques et sociales, et secrétaire générale adjointe du Snes-FSU, le principal syndicat du secondaire, confirme que les E3C sont un sujet de discussion depuis quelques semaines dans les salles des profs. Le bilan n’est pas très reluisant, selon elle. Les enseignants accusent une certaine fatigue, comme ils ont dû gérer la mise en place des nouveaux programmes et corriger plus de copies. Ils ont ressenti également une pression supplémentaire dans le fait de devoir évaluer les élèves régulièrement.
Et dans ces cas-là, la moindre note mise peut déboucher sur une protestation puisque pour les jeunes chaque note compte. Il y a aussi les épreuves à préparer. « Les collègues ont travaillé à l’aveugle tout le temps. Et ils doivent en plus aiguiller les élèves pour l’abandon de l’une des trois spécialités en terminale. L’enjeu est fort : c’est un choix qui engage, car on peut ouvrir ou fermer des portes dans Parcoursup. »
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Il y a quelques mois, des enseignants s’alarmaient des conséquences du choix des spécialités chez leurs élèves les plus fragiles. Sophie Vénétitay partage toujours ce constat et dénonce « une reproduction des représentations sociales » autour de certaines disciplines. Elle s’appuie sur un service du ministère de l’éducation nationale, la Depp (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), qui a étudié les choix de spécialités par les élèves dans une note. Résultat : on retrouve une répartition genrée dans le choix des spécialités. « Les enseignements “scientifiques” (sauf sciences de la vie et de la terre − SVT) ont plus souvent été choisis chez les garçons que chez les filles. À l’inverse, les enseignements d’humanités, de SES, d’histoire-géographie et de langues-littérature sont plus choisis par les filles. » Et les disciplines scientifiques plus choisies par les élèves de milieux sociaux favorisés. En avril, le Snes-FSU avait réalisé une étude qui portait les mêmes conclusions.
Sans compter que les filières telles qu’elles existaient ont été reconstituées par les élèves. Difficile de conclure dans ces conditions que cette réforme ne perpétue pas les inégalités.
Faïza Zerouala
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