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Vivement l'Ecole!

Elèves sans papiers : à Saint-Ouen, les profs organisent le soutien...

30 Décembre 2019 , Rédigé par Liberation Publié dans #Education

Elèves sans papiers : à Saint-Ouen, les profs organisent le soutien...

Après le placement en centre de rétention d’un de leurs étudiants, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire, les professeurs du lycée Blanqui se sont mobilisés pour l’aider. Dans l’établissement, ces situations à répétition les forcent à réfléchir au sens de leur métier.

Ce mercredi-là, Walid ne s’est pas présenté en classe. Les vacances de la Toussaint viennent de prendre fin au lycée Auguste-Blanqui de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), où Sandra, professeure d’économie-gestion en BTS, donne son cours d’informatique, un peu étonnée qu’une chaise reste vide. Walid est d’habitude «relativement assidu. C’est un bon élève, l’une des têtes de classe». Celui que son enseignante présente comme «l’étudiant parfait» a une excuse qui pourrait passer, dans tout autre lycée, pour fantaisiste : il a été arrêté le matin même lors d’un contrôle à la gare Saint-Lazare de Paris, par laquelle il transite pour se rendre au lycée.

Lorsque ses professeurs apprennent, le lendemain, le motif de son absence, il vient de passer sa première nuit en centre de rétention. «C’est un peu traumatisant. Vous avez un de vos meilleurs élèves qui est enfermé et susceptible d’être expulsé. Vous ne comprenez pas vraiment pourquoi», se remémore Sandra.

Rendez-vous

Venu du Maroc en 2014 à l’âge de 17 ans, l’étudiant se voit notifier lors de sa garde à vue une obligation de quitter le territoire français (OQTF). «Il est arrivé en France avec un titre de séjour à renouveler tous les ans, précise Cécile, professeure de philosophie à Blanqui et membre du Réseau Education sans frontières (RESF). Avec la dématérialisation des demandes de rendez-vous à la préfecture, ça prend des mois et des mois. Il n’a pas pu renouveler son titre de séjour à temps.» Sans date de rendez-vous, pas de récépissé. En cas de contrôle, il est alors impossible de prouver que la régularisation est en cours. «J’ai montré ma carte d’étudiant aux policiers mais ils l’ont ignorée», rapporte Walid, aujourd’hui libéré.

Aussitôt, l’équipe pédagogique (même ceux qui «ne sont pas spécialement militants», selon Cécile) se mobilise. Une cagnotte circule en salle des profs pour régler les frais d’avocat de Walid. Les professeurs de la section BTS rédigent un tract, qu’ils distribueront notamment dans les manifestations contre la réforme des retraites, et font le tour des classes pour expliquer la situation aux élèves. La proviseure adresse un courrier à la préfecture, les enseignants écrivent au rectorat. RESF les accompagne dans leur mobilisation. Certains alertent aussi leurs syndicats - de la Confédération nationale du travail (CNT) au Syndicat national des enseignements du second degré (Snes) en passant par l’Union syndicale solidaire (SUD) -, lesquels se montrent impuissants à leur indiquer la marche à suivre mais fournissent parfois un appui financier, en abondant la cagnotte, ou donnent un coup de main pour tracter.

«Autant les élèves sans papiers, c’est courant, assure Frédéric, professeur d’histoire-géographie, autant c’est la première fois que je vois un gamin placé en centre de rétention.» Si courant que, rien que cette année, l’équipe en a dénombré au moins 22. Sans compter ceux qui, craignant d’être dénoncés ou honteux de leur situation, ne se sont pas signalés. Il s’agit souvent de jeunes qui viennent en France encore mineurs et qui, une fois devenus majeurs, se retrouvent en situation irrégulière, faute d’avoir effectué leurs démarches à temps.

Contrairement aux jeunes Français dont le dix-huitième anniversaire est souvent une étape enthousiasmante, Cécile se rappelle «une élève de terminale S qui voyait venir sa majorité avec appréhension. Elle allait au lycée la boule au ventre». La professeure encourage ses élèves à prendre des captures d’écran, chaque jour, du site de prises de rendez-vous de la préfecture, pour prouver au tribunal administratif (TA) qu’il leur était impossible d’en avoir un. Il y a un mois, l’un de ses étudiants a ainsi obtenu du TA qu’il oblige le préfet à lui libérer un créneau.

Après avoir appris que Walid était retenu au Centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes (Val-de-Marne), Sophie, professeure d’économie-gestion, s’y est rendue avec un collègue. «Je voulais m’assurer qu’il n’avait pas de traces de coups, qu’il mangeait bien, explique-t-elle. Au début [de son séjour en rétention] , un jeune s’est suicidé au CRA, ça lui a fait peur.» «C’était vraiment pas facile. On ne dormait presque pas, il y avait du bruit tout le temps, des bagarres, confirme Walid. Je me suis fait voler de l’argent et de la nourriture plein de fois.»

La semaine suivante, le lycée organise une «journée morte». Dans la salle polyvalente, une réunion rassemble l’équipe, quelques parents et les délégués de classe. Les élèves, dont beaucoup ne connaissent pas leur camarade personnellement, se concertent pour relayer l’information sur les réseaux sociaux et définir le meilleur hashtag. Ils s’accordent sur #WalidReste. «Ils étaient au taquet alors qu’en général les élèves ne sont pas très politisés, ils ne sont pas prêts à bondir sur la barricade», sourit Romain, professeur d’histoire-géographie. «Ils ont vraiment vécu ça comme une injustice, en disant que ce n’était pas normal d’être emprisonné pour une question de papiers. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont écrit sur la banderole : "Justice pour Walid"», abonde Frédéric.

«Des élèves qui sont arrêtés pour avoir roulé sans casque ou pour [des histoires de deal], ça arrive, reprend Romain. Mais que Walid soit arrêté sur le chemin du lycée, en n’ayant rien fait, ça les a beaucoup choqués.» Mariam, en terminale, confirme : «Ça nous touche. Ça doit leur peser énormément, aux étudiants étrangers, d’être dans la crainte de se faire arrêter. J’ai l’impression que les contrôles d’identité ne sont pas faits au hasard. En tout cas, ça fait plaisir de voir que les profs vous soutiennent, pas seulement en cours mais aussi en dehors du lycée.»

«Garder espoir»

Un rassemblement est organisé devant la mairie. La presse est prévenue, les contacts politiques de tous bords - du député La France insoumise Eric Coquerel à la présidente de la région, Valérie Pécresse (ex-Les Républicains) - sont activés. Après dix jours au CRA de Vincennes, le jeune homme est libéré. «Je ne m’attendais pas à cette mobilisation. Ça m’aide à garder espoir», dit Walid, qui reste sous le coup d’une OQTF.

Dans ce lycée, les enseignants ont pris l’habitude, un peu sans y penser, juste par la force des choses, de se battre pour leurs étudiants. «On est sollicités plusieurs fois par an pour soutenir [la régularisation] d’un élève en écrivant un courrier de soutien», illustre Romain. Il y a trois ans, il leur avait aussi fallu trouver des hébergements à une dizaine d’élèves à la rue. En décembre, une collecte de vêtements et de chaussures a été organisée pour un élève sans papiers isolé.

Naïma, professeure d’économie-gestion, originaire de Franche-Comté, a été frappée en arrivant à Saint-Ouen par «les conditions de vie [des élèves]. Quand ils dorment à quatre ou cinq par chambre, ça fait un choc». «Je suis dans le lycée depuis treize ans, et on a toujours eu des élèves en situation sociale difficile, mais depuis quatre ou cinq ans, ça s’accentue, c’est le dénuement total», confirme Frédéric. Selon lui, la gentrification en cours dans le coin n’a pas de grandes conséquences sur la composition des classes, les rejetons de la population aisée contournant le lycée public en s’inscrivant dans le privé.

La précarité, la peur de se faire contrôler en allant au lycée, la paupérisation, engendrent une fatigue physique et mentale peu compatible avec une scolarité épanouie. «Quand on donne des devoirs, on imagine que l’élève a son petit bureau avec sa petite lampe où il peut travailler tranquillement, sourit Frédéric. Mais ce n’est pas le cas, donc ça change notre approche pédagogique.» L’enseignant évoque ainsi un élève sans papiers pour qui le remplacement des livres par des tablettes électroniques n’était pas un progrès : il n’avait pas accès à Internet chez lui. Cécile, elle, se rappelle une élève logée en internat mais qui, le week-end venu, se retrouvait à la rue : «Elle allait à la bibliothèque Pompidou, qui ferme tard, puis marchait dans Paris avant de prendre des bus de nuit. Et le lundi, à 8 heures, elle était de retour au lycée. On le sait qu’il y a des SDF à Paris, mais quand ce sont nos élèves, ça fait toute autre chose. C’est très concret.»

«Permis d’étudier»

Tous les professeurs s’interrogent sur le sens qu’ils peuvent donner à leur enseignement dans de telles conditions. «Au collège, j’avais des élèves en situation difficile, alors quand tu leur fais cours sur Charlemagne et que tu leur dis que c’est très important… soupire Romain. L’institution prétend que la société s’arrête aux portes du lycée, qu’on ne fait qu’y étudier, mais ce n’est pas vrai. Et encore, nous, on a une assistante sociale, dans l’établissement d’à côté ils n’en ont pas !» Pour Naïma, «le lycée doit être un cocon. Or les problèmes de société rejaillissent».

Ces enseignants ne se considèrent pas spécialement comme militants. A l’origine, ils imaginaient juste transmettre leurs connaissances, comme le dit avec humour Romain : «Moi, je pensais que j’allais enseigner l’histoire-géo. Pas que j’allais me battre à chaque réforme ou pour des situations comme celles-là. La préfecture nous vole un élève… pour une fois qu’il y en a un qui vient !» Cécile non plus n’aurait «jamais imaginé [se] battre pour [des élèves sans papiers ou à la rue].» «Le fait d’agir pour eux nous rend légitimes. Maintenant ça fait presque partie du boulot : pour enseigner, il faut qu’on ait des élèves en face», résume Frédéric.

Mardi matin, certains d’entre eux - le covoiturage a déjà été organisé - se rendront au tribunal administratif de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) pour soutenir Walid qui y demandera l’annulation de son OQTF. Quelle que soit l’issue, à la rentrée, les enseignants auront encore du pain sur la planche : ils travaillent en vue de demander une régularisation collective de leurs 22 élèves. «Le propos est très simple, explique Cécile. On voudrait un permis d’étudier, sans barguigner, à partir du moment où un étudiant est inscrit dans un établissement.» Inspirés par des collègues d’une école de Rennes, dont un élève avait été expulsé, ils ont d’ores et déjà déclaré, par une motion votée en conseil d’administration, leur établissement «zone d’éducation protégée». 

Kim Hullot-Guiot

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Brenda Lee...

29 Décembre 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Musique

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Coup de coeur... Maurice Maeterlinck...

29 Décembre 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Littérature

N'oublions pas que rien ne nous arrive qui ne soit de la même nature que nous-mêmes. Toute aventure qui se présente, se présente a notre âme sous la forme de nos pensées habituelles, et aucune occasion héroïque ne s'est jamais offerte a celui qui n'était pas un héros silencieux et obscur depuis un grand nombre d'années. Gravissez la montagne ou descendez dans le village, allez au bout du monde ou bien promenez-vous autour de la maison, vous ne rencontrerez que vous-même sur les routes du hasard. Si Judas sort ce soir, il ira vers Judas et aura l'occasion de trahir, mais si Socrate ouvre sa porte, il trouvera Socrate endormi sur le seuil et aura l'occasion d'être sage. Nos aventures errent autour de nous comme les abeilles sur le point d'essaimer errent autour de la ruche. Elles attendent que l'idée mère sorte enfin de notre âme; et quand elle est sortie, elles s'agglomèrent autour d'elle. Mentez, et les mensonges accourront; aimez, et la grappe d'aventures frissonnera d'amour. Il semble que tout n'attende qu'un signal intérieur, et si notre âme devient plus sage vers le soir, le malheur aposté par elle-même le matin devient plus sage aussi.
 
Maurice Maeterlinck « La sagesse et la Destinée » 1908
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29 décembre 2019... Des migrants se noient tous les jours en Méditerranée...

29 Décembre 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Refugies

Les paysages défilent. Bientôt Paris. Je me souviens...
 
La rentrée scolaire 2015 avait quelques jours. Nous étions le 3 septembre. La photo d’un enfant prénommé Aylan, allongé sur une plage turque dans son t-shirt rouge, allait en quelques minutes faire le tour du monde. Il était mort noyé en Méditerranée. Celle-ci rendait son corps, comme un message. Comme des milliers d’autres messages.
 
La tragédie se poursuit.
 
Elle a lieu loin des caméras tant il est difficile d’envoyer des équipes de journalistes passer des jours et des nuits, en pleine mer, à la recherche de témoignages, d’images, de vérité. Ces femmes, hommes et enfants meurent loin des regards, dans un silence déchirant. L’oubli souvent n’est pas loin. Il rode pour effacer. Dans les sociétés hyperdéveloppées, tout ce qui ne se voit pas n’« existe » pas. Nous - citoyens des sociétés hyperdéveloppées - sommes devenus dépendants de l’image. Celle-ci valide tout. Sans elle, nous ne croyons à rien. Les politiques tels Donald Trump ou Emmanuel Macron l’ont très bien compris. Ne donnons pas à réfléchir; donnons à voir. Saturons l’espace médiatique d’images, d’éléments de langage, de « punch line », ces mots qui ne font sens qu’à condition de percuter les esprits pour « faire image » le plus instantanément possible.
 
La France, dans cette affaire, n’a pas joué le rôle qui doit être le sien. Tous les arguments consistant à freiner, voire à interdire, l’accueil des réfugiés sont irrecevables. Le monde entier, même si aucun pays ne peut se prévaloir d’une innocence d’agneau, a été choqué par l’épisode honteux de l’Aquarius, ce navire affrété par une ONG (Organisation Non Gouvernementale) et que la « Macronie » a tout fait pour éloigner de nos côtes, d’un port d’accueil. Pendant cette période, notre pays s’est rapproché des démocraties populistes.
 
L’« extrême centre » se déportait vers l’« extrême droite ».
 
Je suis un « réfugié ». Privilégié car arrivé en France dans d’excellentes conditions, ni poussé par la guerre, ni la famine ni quelque autre catastrophe. Pourtant, je me souviens que mes premiers pas au lycée en France ne furent pas des plus agréables. Lorsque vint mon tour, parmi les « nouveaux », de dire quel était mon établissement d’origine et que mes camarades entendirent, dans le hall où nous étions rassemblés, « Lycée Lyautey à Casablanca au Maroc », je fus transpercé par des dizaines de regards allant de l’interrogation à l’agressivité. Après l’appel des « nouveaux », il y eut la classe. Par bonheur, étant un littéraire-né, je me suis retrouvé entouré de trente-six filles. J’étais le seul garçon. Belle année initiatique…
 
Néanmoins, il y eut cet épisode. Un jour, ce devait être en décembre de cette année de terminale, en cours d’Education physique et sportive où plusieurs classes se mêlaient, un garçon dont j'ai effacé le prénom, après un désaccord sans importance, me dit: «Tu me fais chier, mec ! Retourne dans ton pays ! » Je souffre encore aujourd’hui en écrivant ces mots.
 
La France, je n’en doute pas, est un pays d’accueil. L’immense majorité des femmes et hommes qui le peuplent sont prêts à ouvrir leur porte et leur cœur. Hélas, il reste, tapi dans l’ombre mais de plus en plus en lumière, un fond de racisme et d’antisémitisme qui n’est ni « primaire », ni encore moins « ordinaire » - qu’est-ce que c’est que ça, le « racisme ordinaire » ? Les « succès » des partis d’extrême droite en Europe sont inquiétants. Les populismes gagnent du terrain. Plus personne ne se cache pour apporter son soutien à tel dirigeant ou telle dirigeante ou de partis ouvertement fascistes.
 
Jamais je n'oublierai le jour où le Président Macron et son gouvernement ont refusé l’accueil, ont refusé l’asile à l’Aquarius, ont refusé de porter secours aux femmes, hommes et enfants qu’il transportait. J’ai ressenti pendant des semaines et je le ressens encore, ce goût amer de tristesse infinie mêlée de rage intérieure qui avait envahi ma gorge le jour où ce « camarade » me demanda de « retourner chez moi ». Qu’il soit rassuré, j’y retournerai.
 
"Réfugiés" …
 
Aylan en quittant sa terre, sa maison, ses jouets, ne savait pas que la mort lui donnait rendez-vous en mer, celle d’Ulysse et des Sirènes. Peut-être, comme les compagnons du navigateur homérique, aurait-il dû trouver un stratagème pour ne pas les entendre, ces sirènes européennes. Elles lui ont tant promis. Naïf enfant, il les a crues. Elles l’ont puni de mort !
 
Que les choses soient claires. La France n’est pas plus ni moins coupable que les autres pays. Mais la France est un pays « particulier ». Il est celui d’Hugo!
 
Entre tant d’autres qui auraient, le poing tendu vers le destin, engagé un duel à mort pour que triomphe la vie, pour que l’emporte l’humanité, pour que ne disparaisse pas Aylan…
 
À la sortie du tunnel de Saint-Cloud, sur la droite, la Tour Eiffel. Paris…
 
Mon amie va bientôt me laisser. La vie, pour nous, continue, mais au moins avons-nous les yeux ouverts et les poings serrés.
 
Christophe Chartreux
 
« Vae Victis » - Mort aux vaincus... Hélas!
 
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Timber Timbre...

28 Décembre 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Musique

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Coup de coeur... Cloé Korman...

28 Décembre 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Littérature

Coup de coeur... Cloé Korman...

La remarque de cette sympathique jeune artiste, « tu n’es pas vraiment juive », si risible soit-elle, me poursuit pourtant à travers les années. Le coup porte, le mot résonne encore dans le gouffre d’une histoire familiale marquée par les persécutions, les bannissements et les exils. Cette expropriation verbale, je la considère aujourd’hui comme une forme de racisme établissant qui existe de droit, ou non, au sein d’une communauté dont les contours mériteraient d’être plus flous et plus ouverts. Il me semble indispensable de défendre un judaïsme athée, intellectuel, un judaïsme qui assume son caractère mélangé aux autres cultures, aux autres pays… Il est l’allégorie d’une certaine forme d’étrangeté, pour moi inséparable de l’expérience littéraire : une étrangeté radicale vis-à-vis du langage et de la société, et qui rend sensibles leur caractère fabriqué et leurs abus. L’étonnement, la honte d’être différent, la solitude qu’on éprouve en lisant Kafka ou Proust, David Grossman ou Philip Roth, je les crois essentiels pour remettre en cause l’arrogance de la culture, le fait que des systèmes symboliques et hiérarchiques soient considérés et promus comme s’ils étaient naturels, alors qu’ils sont aussi très souvent des systèmes d’oppression. L’écriture de ces écrivains qui déclinent les avatars de l’étrangeté, l’expérience de l’exil et de la différence, le plurilinguisme, la double culture, ou l’humour juif, dont le ressort est un questionnement des évidences entêté jusqu’à l’absurde, a la vertu de renvoyer le pays, la nation ou la langue à leur propre étrangeté. A contrario, promouvoir l’image du judaïsme comme une religion contraignante et faire des juifs une communauté clairement bornée, aller même jusqu’à les identifier mécaniquement à l’État d’Israël, ce renforcement identitaire me paraît en fait une demande de renoncement, une exhortation à effacer la réalité de la Diaspora et de sa puissance critique. Enfin, s’il était vrai, par quelque logique absurde, que je n’étais pas juive, et que mes parents, mes grands-parents dans leur athéisme plus ou moins consommé ne l’avaient pas été non plus, ils auraient pu compter sur d’autres qu’eux pour les désigner comme juifs et vouloir les assassiner en tant que tels. Le « tu n’es pas vraiment juive » de cette camarade sonnait comme un écho sordide au « vous n’êtes pas français » adressé à mes ancêtres en 1942, assorti de l’obligation de porter l’étoile jaune et d’aller s’inscrire eux-mêmes sur des registres servant à organiser leur extermination.

Cloé Korman - Tu ressembles à une juive

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L'école ou ce sublime désordre qui te rend plus belle encore...

28 Décembre 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Littérature

La route file droit devant nous. Tu as ouvert la vitre et le vent met du désordre dans ta coiffure…
 
Aux balbutiements d'un XXIe siècle angoissant, chaotique, échevelé, dirigé par deux maîtres, la finance et la vitesse, nous - chacun à notre place, parents, élèves, enseignants, citoyens en général - avons tendance à réclamer non pas un ralentissement, non pas du recul, non pas le temps de la réflexion nécessaire à la compréhension d'un monde d'une incroyable complexité, mais de l'ordre pour un monde que nous estimons en "désordre".
 
Une salle de classe quelque peu agitée est un concentré idéal de "désordre" parfois. Au milieu de ce petit chaos, le maître de cérémonie, le professeur, réclame, intime, impose l'Ordre !Il l'obtient souvent. Contrairement aux légendes - le monde et l'esprit ont besoin de légendes pour survivre - nos établissements scolaires ne sont pas à feu et à sang. Ils ne le sont que dans quelques esprits chagrins portés par la volonté de véhiculer des caricatures faciles convoquées au banquet des démonstrations hallucinantes de mauvaise foi. Au service de l'ordre.
 
Qu'est-ce que l'ordre ? Méfiance ! L'ordre et sa quête peuvent mener aux pires extrémités. Souvenons-nous de Goethe: « Je préfère une injustice à un désordre » Terrifiant ! Sans parler de l' « ordre juste » cher à une candidate à la Présidence de la République. L'ordre, toujours l'ordre. Mais ce Graal, très exactement et notamment dans nos salles de classe, est d'une dangerosité extrême car il cache beaucoup plus qu'il ne révèle. Il cache les soucis de cet élève silencieux, oh si respectueux de l'ordre imposé qu'il ne peut être que « sans souci ». En tout cas il n'en pose pas. À vous. Le maître. Il dissimule les lacunes passées sous silence. L'ordre et le silence vont si bien ensemble.
 
Le professeur est heureux. Il a vaincu le désordre. Il fait du « maintien de l'ordre ». Il est une « force de l'ordre ». Il passe dans les rangs. On entendrait une mouche voler. Il s'arrête un instant, contemple les têtes penchées sur les cahiers. Fier. Derrière lui, ou devant, ou à côté, il ne voit ni n'entend le désordre immense, le chaos total, l'enfer que vivent ces quelques enfants perdus au "beau" milieu des pires incompréhensions qu'on leur imposera de retrouver lors des « devoirs-maisons », « devoirs faits », « évaluations multiples et variées ».
 
Je ne fais pas ici le procès de l'ordre ni l’apologie du désordre. Mais celui de la bêtise portée par quelques-uns voulant faire croire que LA solution des problèmes incontestables de l’École - car ne nous y trompons pas: c'est l’École qui est en crise, pas les élèves - serait d'y ramener l' ordre. Ceux-là ne veulent pas le retour à l'ordre.
 
Ils ne veulent qu'une École sans rires, sans pleurs, sans enthousiasme, sans naïvetés, sans disputes, sans amours, sans sourires…
 
Une École « en ordre ».
 
La grande illusion…
 
Tu penches la tête au dehors… Tu es décoiffée…
 
Un sublime désordre qui te rend plus belle encore…
 
Christophe Chartreux
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AC/DC...

27 Décembre 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Musique

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Coup de coeur... Emile Zola...

27 Décembre 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Littérature

Alors, Denise eut la sensation d’une machine, fonctionnant à haute pression, et dont le branle aurait gagné jusqu’aux étalages. Ce n’étaient plus les vitrines froides de la matinée ; maintenant, elles paraissaient comme chauffées et vibrantes de la trépidation intérieure. Du monde les regardait, des femmes arrêtées s’écrasaient devant les glaces, toute une foule brutale de convoitise. Et les étoffes vivaient, dans cette passion du trottoir : les dentelles avaient un frisson, retombaient et cachaient les profondeurs du magasin, d’un air troublant de mystère ; les pièces de drap elles-mêmes, épaisses et carrées, respiraient, soufflaient une haleine tentatrice ; tandis que les paletots se cambraient davantage sur les mannequins qui prenaient une âme, et que le grand manteau de velours se gonflait, souple et tiède, comme sur des épaules de chair, avec les battements de la gorge et le frémissement des reins. Mais la chaleur d’usine dont la maison flambait, venait surtout de la vente, de la bousculade des comptoirs, qu’on sentait derrière les murs. Il y avait là le ronflement continu de la machine à l’œuvre, un enfournement de clientes, entassées devant les rayons, étourdies sous les marchandises, puis jetées à la caisse. Et cela réglé, organisé avec une rigueur mécanique, tout un peuple de femmes passant dans la force et la logique des engrenages.

Emile Zola - Au Bonheur des Dames

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Des douceurs de Majorelle au jardin du Luxembourg...

27 Décembre 2019 , Rédigé par christophe Publié dans #Littérature

Il existe dans le monde des endroits semblant avoir été « inventés » pour servir de cocon à des méditations solitaires, des promenades, des rendez-vous amicaux ou amoureux.
 
Comme ce parc, à El Jadida. Il permettait d’aller jouer aux boules, au tennis, de lire, de profiter de l’ombre que les larges branches de palmiers-dattiers agitées par le vent marin apportaient, soulageant les corps alourdis par les fortes chaleurs.
 
Le soir, avant que la nuit s’effondre sur le jour, car la nuit tombe vite au Maroc, enfant je m’asseyais sur les marches descendant de l'entrée de la maison vers la rue. J’attendais de voir apparaître les étoiles étincelant le ciel. J’attendais les cris d’un couple de paons que le parc accueillait. Ils venaient toujours, présents au rendez-vous, accompagnant mes rêves surpris par la beauté.
 
Plus tard, à l’université de Rouen, je retrouverai mes étoiles et mes paons dans « La Sepmaine », poème-fleuve de Guillaume Salluste du Bartas :
 
« Comme un paon, qui navré du piqueron d’amour,
 
Veut faire, piafard, à sa dame la cour,
 
Etaler tâche en rond les trésors de ses ailes
 
Peinturées d’azur, marquetées d’étoiles,
 
Rouant tout à l’entour d’un craquetant cerceau,
 
Afin que son beau corps paraisse encore plus beau »
 
J’y consacrerai mon Diplôme d’Etude Approfondi sous la direction bienveillante et lumineuse de Françoise Joukovsky.
 
Plus tard encore, je tomberai amoureux d’un autre jardin. Celui du Luxembourg. A Paris, en son coeur.
 
Prévert, Coppée, Modiano, tant d’autres ont évoqué ce lieu. Je le fréquenterai souvent, seul ou accompagné. Ses arbres, ses pièces d’eau, ses feuilles mortes ramassées à la pelle en automne, ses bancs, ses cris d’enfants, ses parents lisant d’un œil, surveillant de l’autre le rejeton qui s’amuse. Un concerto d'impressions, de lumières, de cris, de silences, de secrets, de mystères. Du Bach.
 
Et puis là-bas, tout au fond de l’allée principale, je te vois !
 
Légère et élégante, j’attends que tu approches. J’attends que tu sois là. J’attends en espérant que l’attente soit plus longue. L’instant est précieux. Avant le baiser, sur ton visage offert à ma tendresse.
 
Avec toi, j’ai passé, vraiment ou en rêve – va savoir – des heures à deviser, à refaire notre monde qui en a tant besoin.
 
Il y a dans ce lieu tout ce que mes voyages m’ont donné à savourer: les lumières de Tipasa, la gaieté d’Hyde Park, les mystères de Ryoan-ji, les douceurs de Majorelle, les tableaux de Giverny.
 
Je te verrai au Luxembourg. Nous ferons « orchidée » comme d’autres faisaient « catleya ». Je tiendrai ta main dans la roseraie. Et ne la lâcherai plus.
 
La France, en ce mois de décembre, bruisse des échos de la grève. Je suis loin de Paris. C’est au jardin du Luxembourg que j’enfouis ma mémoire. C’est au jardin du Luxembourg que j’offre mes projets. La « Macronie » peut bien trembler. S’effondrer. Je m’en fiche. Elle obtient ce qu'elle mérite.
 
Je sais que tu viendras, élégante et légère, me tendre tes joues fraîches sous la pluie de janvier.
 
J’aime tant le Luxembourg et ton visage trempé…
 
Christophe Chartreux
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